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ACADÉMIE DES SCIENCES DE BELGIQUE

M. J. DELBŒUF

Théorie générale de la sensibilité (1)

NUMÉRO 5

Tout être, animal, végétal ou minéral, subit l'influence de ce qui l'entoure; toute altération dans la constitution du milien ambiant, amène en lui une altération correspondante que nous nommons impression. La cause de l'impression, nous l'appelons excitation. Si l'être est sensible, un phénomène psychique, la sensation, répond, tant que l'altération dure, au phénomène physique de l'impression; il ressent en lui la modification qu'il éprouve, et seul, il peut savoir en quoi consiste sa sensation; elle est incommunicable, c'est un fait interne; l'impression, au contraire, peut être connue de tous, c'est un fait externe. Si, de plus, l'être est connaissant, s'il est doué d'intelligence, il a des perceptions, c'est-à-dire qu'il rapporte, en général, sa sensation à quelque chose autre que bi, ou du moins, conçu comme tel, et qu'il attribue à ce quelque chose une qualité, celle de lui procurer une sensation déterminée.

Ainsi, quand la température du milieu s'élève, tous les corps deviennent chauds, les êtres sensibles ont chaud; les êtres intelligents se diront: il fait chaud.

Ces définitions, pour le moment provisoires, se préciseront au fur et à mesure qu'on avancera dans cette étude.

Pour que la perception soit possible, l'animal doit faire dans la sensation qu'il éprouve la part de ce qui émane de lai, et la part de ce qui vient de l'extérieur : la sensation est, en effet, le produit de deux facteurs, l'animal et la cause agissante. Pour qu'il puisse faire cette analyse, il faut qu'il ait, dans une certaine mesure, la faculté de se donner des sen

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31 JUILLET 1875

sations à lui-même, de varier, comme dans les expériences de laboratoire, les circonstances où elles se produisent. Pour cela, il suffit que l'animal ait la faculté de se mouvoir (ce terme étant pris dans son sens le plus général), et qu'il ait en même temps le sentiment de l'effort qu'il déploie quand il se meut; il faut, en un mot, qu'il soit doué de motilité (1).

Un animal qui, chaque fois qu'il ouvre les yeux, voit toujours dans la même situation par rapport à lui, les mêmes objets, doit croire qu'ils font partie de son être. Mais si un jour, s'attendant à les voir à la même place, il les trouve changés de lieu ou d'aspect, et si ce changement s'est fait indépendanment de sa volonté, il est forcé d'admettre qu'il est dû à une cause autre que lui. L'enfant n'entend pas, quand il le veut, la voix aimée de sa mère, et il en conclut qu'il est différent d'elle; mais certainement si elle répondait toujours immédiatement à son désir, il devrait croire s'entendre lui-même. Il a donc des perceptions, parce qu'il distingue, dans ce qu'il éprouve, des choses qui sont sous sa dépendance et des choses qui n'y sont pas ; et cette distinction il n'a pu la faire que s'il a des choses sous sa dépendance, s'il peut produire certains effets, c'est-à-dire, en termes généraux, s'il peut mouvoir des objets (ou se mouvoir) en sentant, bien entendu, qu'il les meut (ou se meut).

On voit par là que la motilité, comprise dans la signification. qui est ici donnée à ce mot, est le caractère propre de l'animal, et que rien n'empêche d'accorder aux plantes la sensibilité (2).

Il semblerait qu'on dût maintenant définir la sensibilité. Or, c'est là une chose actuellement impossible, et cela pour des raisons scientifiques et logiques. En effet, une semblable définition exige que l'on distingue l'insensible du sensible, et que l'on dise ce que le sensible a de plus que l'insensible.

(1) Nous employons cette expression dans un sens plus restreint que celui qui lui est généralement attribué.

(2) Certains faits présentés par la sensitive et par les plantes carnivores (voyez un article de Hooker, dans la Revue du 21 novembre 1874) serviraient au besoin à étayer cette opinion. Pour plus de détails sur la motilité, voyez un article que j'ai publié dans la Revue de Belgique (juillet 1874) sur la psychologie comme science naturelle.

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Pour cela, il faudrait se trouver dans l'une de ces trois conditions: 1o Ou il faudrait que l'on pût créer le sensible avec l'insensible par un procédé d'analyse ou de synthèse. Dans ce cas, l'énoncé du procédé tiendrait lieu de définition; c'est ainsi qu'on définit l'oxygène : le gaz qui se rend au pôle positif de la pile quand on décompose l'eau par l'électricité. Or, qui ne sait que c'est le rêve irréalisé du moyen àge? 2o Ou bien il faudrait qu'on observât la transformation de l'insensible en sensible; alors la description fidèle des circonstances où cette transformation se produit pourrait conduire à la définition. Or, jusqu'aujourd'hui, la doctrine de la génération spontanée n'a pas encore été reçue dans la science, et elle a été repoussée de tous les domaines où elle cherchait à s'implanter. 3o Ou bien enfin il faudrait que la notion du sensible prit naissance après celle de l'insensible; et l'énumération des attributs qui viennent dans l'esprit s'ajouter à ceux de l'insensible pourrait servir de définition nominale, sinon réelle. Mais il n'en est pas ainsi l'enfant commence par regarder tous les êtres qui l'entourent, comme lui étant semblables, c'est-à-dire, comme des êtres corporels, sensibles et intelligents; ce n'est que par abstraction qu'il arrive à l'idée d'êtres corporels et vivants, mais non intelligents; c'est une abstraction subséquente qui lui donne celle d'êtres simplement corporels ou insensibles; de même, plus tard, par un procédé semblable il concevra des êtres sensibles et intelligents, mais incorporels, puis enfin un être pure intelligence.

:

En réalité, nous ne pouvons nous rendre compte de l'existence d'un être insensible. On en est donc réduit à ne pas chercher à définir la sensibilité. Heureusement, les êtres à qui cet écrit s'adresse sont sensibles, et, possédant cette faculté, ils comprennent parfaitement en quoi elle consiste.

Pour étudier avec fruit un phénomène complexe, il faut le décomposer en ses phénomènes simples. Si l'on représente la nature de ceux-ci par A, B, C...., et si a, b, c.... désignent les quantités respectives de A, B, C.... qui composent le phénomène complexe, la formule aA +bB+ cС.... peut servir à exprimer un phénomène quelconque (1).

Les formules de la sensibilité ne sont que des cas spéciaux de cette formule générale.

J'entends par état sensible la manière d'être actuelle de la sensibilité. Cette manière d'être se compose d'un ensemble d'états que j'appelle simples; ces états sont produits par l'action isolée d'une cause unique extérieure, pression, lumière, son, électricité, etc. Cette définition étant comprise, il est évident que la formule précitée peut servir à représenter l'état sensible en général, et que les états particuliers s'obtiendront en faisant passer a, b, c.... par toutes les valeurs possibles.

La formule présente autant de cas différents qu'elle est susceptible de renfermer de termes; mais il n'est nécessaire que d'en distinguer deux, celui où elle ne contient qu'un terme, et celui où elle en contient plusieurs. D'où la distinction entre sensibilité simple et sensibilité composée.

(1) Il n'est pas nécessaire d'attribuer à cette formule un sens mathématique rigoureux; c'est comme si pour donner la formule d'un panier de fruits contenant des poires, des raisins et des noix, je me servais de l'expression pP+R+nN, où p, r et n sont des nombres.

LA SENSIBILITÉ SIMPLE.

Etat de la question. Nous désignerons par pP le terme unique de la formule de la sensibilité simple, pour le distinguer d'un des termes, tel que aA, de la formule de la sensibilité composée. Il y a, en effet, à remarquer que le symbole A n'a de signification qu'en tant qu'il est opposé aux symboles B, C...., mais du moment que la cause est unique, on ne peut parler de sa qualité. Si un être était constitué de manière à n'avoir que des sensations auditives, on ne pourrait pas dire qu'elles sont auditives, elles seraient des sensations et pas autre chose. Donc les états sensibles d'un être doué de sensibilité simple sont donnés par les variations de p, la nature P de ses sensations nous est indifférente, nous n'avons pas à en parier.

A la rigueur, il y a un état sensible différent pour chaque valeur de p, mais il n'y a pas pour cela sensation. Comme on le verra, la sensation ne se produit qu'au moment où p subit une variation et elle ne dure qu'un temps déterminé. De plus, il n'y a pas même sensation pour chaque variation; il faut pour cela que la variation ait une certaine importance. Mais, pour le moment, il n'est pas nécessaire de faire une distinetion; en conséquence, on admettra qu'une sensation s correspond à toute variation de p.

Les variations de p sont dues aux variations de la force du milieu ambiant, force que nous désignerons par p'. Il faut, en effet, se représenter l'être sensible comme doué d'un mouvement (atomique, moléculaire ou de transport) ou d'une force p, qui se modifie sous l'action du mouvement ou de la force du milieu ambiant. L'excitation provient du défaut d'équilibre entre p et p'. Comme l'impression est une fonction de l'excitation, et que la sensation est à son tour une certaine fonction de l'impression, il s'ensuit que le problème se ramène à la recherche de la relation qui unit s, p et p'. Weber, le premier, et, après lui, Fechner, ont cherché la relation qui unit la sensation à l'excitation. Notons seulement qu'ils entendent par excitation la cause extérieure agissante, c'est-à-dire la différence p' - p, que nous représentons par E. L'expérience (1) a mis en lumière une loi remarquable: pour que la sensation reçoive un accroissement perceptible, il faut que l'excitation reçoive un accroissement toujours proportionnel à l'excitation primitive. Formulée mathématiquement, la loi s'énonce comme suit: la sensation croit comme le logarithme de l'excitation, ou en caractères algébriques :

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produit trois teintes graduées de façon que le contraste entre la plus claire et la moyenne soit égal au contraste entre celle-ci et la plus sombre, l'égalité de contraste disparaît dès que la lumière augmente ou diminue. De plus la loi est inapplicable aux limites extrêmes. Elle ne rend pas non plus compte de ce fait que nous pouvons porter un jugement sur l'intensité absolue de la cause extérieure, la lumière, par exemple, qui nous paraît forte ou faible, en dehors de tout terme de comparaison. Enfin, sous le rapport physiologique, elle est incomplète; car elle ne tient pas compte de l'état de l'organe, état que l'exercice vient modifier: sortez d'une cave, la lumière d'une bougie vous éblouit; passez d'une grande clarté à une demi-obscurité, vous ne distinguez rien au premier abord.

Il était donc nécessaire de modifier la loi de Weber. C'est ce que j'ai fait dans travail antérieur (1); j'ai ajouté à l'excitation extérieure physique, l'excitation intérieure physiologique. De sorte qu'en représentant la première par, la seconde par e, j'ai obtenu la formule :

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En voici la traduction en langage vulgaire pour que les accroissements dans la sensation soient égaux, les accroissements dans l'excitation doivent suivre une progression géometrique ascendante.

Cette correction a fait disparaître les difficultés mathématiques, et des expériences délicates se rapportant, il est vrai, uniquement aux sensations lumineuses, l'ont confirmée.

Quant à la difficulté physiologique, concernant l'état de Yorgane, je la levais au moyen d'une hypothèse. J'admettais que l'organe avait à sa disposition une certaine masse m de sensibilité, masse que l'excitation venait épuiser (bien entendu quand la quantité soustraite dépassait le pouvoir réparateur de l'organe). Représentant par f, le sentiment de fatigue qui accompagne l'épuisement, je posais, a priori, la formule :

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Examen nouveau de la question. Cependant toutes les difficultés théoriques et expérimentales étaient loin d'être résolues. En soumettant le problème à un examen plus attentif, je me suis aperçu que les formules s'appliquent assez bien aux sensations de lumière, de son, de pression, etc., mais qu'elles ne se prêtent pas aux sensations de température.

J'avais d'abord raisonné dans l'hypothèse que l'excitation physiologique c était constante; mais je n'avais pas tardé à voir qu'elle était variable; je crus ensuite que ses variations se renfermaient dans des limites restreintes, puis je dus reconnaître qu'elles étaient assez considérables; je persistai néanmoins dans l'idée que c était petit par rapport à . Mais ces considérations qui peuvent se justifier quand il s'agit de l'œil, de l'oreille, c'est-à-dire quand c représente la quantité de lumière, de son, fournie par l'excitation physiologique, quantité qu'on pouvait regarder comme très-faible, ne sont plus admissibles quand il s'agit de température. En effet, la chaleur de la peau est considérable par rapport aux légères différences de chaleur que nous pouvons percevoir; et de plus, il est certain que nous nous accommodons, jusqu'à un certain degré, à toutes les températures renfermées entre certaines limites, et que c, qui est égal approximativement à 18 degrés, peut tomber à 10 degrés ou monter à 30 degrés.

Enfin, que sont le chaud et le froid? Est-ce que ce sont des agents différents? Faut-il admettre un agent qui se nomme chaleur et un agent qui se nomme froid? ou bien faut-il faire ♪ tantôt positif, tantôt négatif? Mais même en accueillant de pareilles dérogations à la théorie générale qui sert de base aux formules, on n'a pas vaincu certaines autres difficultés. Ainsi une température déterminée peut me donner chaud ou froid suivant que je me suis accommodé à une température plus froide ou plus chaude. Mais, en outre, il se produit, en fait de chaud ou de froid, un phénomène qui n'apparaît pas aussi visiblement quand on a affaire à d'autres agents: c'est au premier moment que la sensation est toujours la plus vive, et elle ne tarde pas à s'affaiblir, puis à disparaître. En dernier lieu la sensation est à son maximum de pureté, ou, en d'autres termes, la sensibilité pour la température est la plus grande quand la chaleur s'approche de la chaleur normale de la peau; et comment concilier ce fait avec le résultat des formules qui place ce maximum aux environs de la température? Il faut donc remanier toute la théorie.

2

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Le second membre de cette égalité est positif ou négatif suivant que T est plus grand ou plus petit que To; ce double signe répond aux sensations de chaud et de froid. Quand T est égal à To, la sensation est nulle, car le logarithme de l'unité est égal à zéro. Quel que soit T, le corps finit par s'y accommoder, ce qu'on peut exprimer en disant que To devient égal à T (1). L'équilibre entre la température du corps et celle du milieu s'établit suivant les lois connues; cette circon

*t, Etude psychophysique : recherches théoriques et expérimensar la mesure des sensations, et spécialement les sensations de ere et de fatigue (1873).

(1) Cela n'est pas rigoureusement exact; la sensation de chaleur ou de froid est nulle quand la perte de chaleur pour le corps est constante; mais la nature du raisonnement ne m'interdit pas de m'exprimer comme je le fais.

stance explique pourquoi la sensation est plus vive à son début, et va en s'affaiblissant jusqu'à ce qu'elle s'éteigne. Enfin la faculté que nous avons de nous accommoder au chaud et au froid, n'est pas illimitée; le chaud ou le froid peuvent être assez intenses pour amener notre désorganisation. Il y a donc une température qui nous est naturelle, qui nous convient le mieux. Sitôt que nous en sommes écartés à cause de celle du milieu ambiant, nous tendons à y revenir. Tout écart produit en nous tension; et le sentiment qui correspond à la tension est la fatigue, la peine ou la douleur. Quand au contraire nous sommes rappelés vers notre température naturelle, il y a relâchement, et nous éprouvons de la satisfaction, du plaisir. Si A est le maximum de tension que nous puissions supporter (en d'autres termes, si c'est la quantité de flexibilité, de faculté d'accommodation que nous possédions soit dans un sens, soit dans l'autre, c'est-àdire vers le chaud ou le froid), en représentant par D la tension qui correspond à une sensation s, le sentiment de fatigue qui accompagne nécessairement la sensation sera donné par la formule

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Cette théorie si rationnelle des sensations de température est celle de la sensibilité simple.

Les trois lois de la sensation. La science actuelle a ramené toutes les forces de la nature au mouvement; et elle a fait voir que les différentes sortes de mouvement peuvent se convertir les unes dans les autres; c'est ainsi que le mouvement de transport peut se transformer en mouvement moléculaire (le travail en chaleur) et vice versa. Toute force capable de produire un travail peut s'évaluer en force de chute, c'est-à-dire être mesurée par le travail que produirait l'unité de masse tombant d'une certaine hauteur. Lorsque deux forces ne se font pas équilibre, on peut dire que la plus grande tombe sur la plus petite, et l'équilibre s'établit par la chute même. C'est ainsi que de deux bassins à niveaux inégaux mis en communication, le plus bas se remplit aux dépens du plus élevé.

Cela posé, soit p la force (ou le mouvement) de l'être sensible, p' celle du milieu ambiant, on voit que si dans la formule (6) on remplace c par p et 8 par p' p, elle se transforme en la suivante :

p' s = log

(e)

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Dans la fraction du second membre le numérateur est constant, et le dénominateur diminue à mesure que p se rapproche de p', d'où résulte cette conséquence que la vitesse de rétablissement de l'équilibre diminue à mesure que l'équilibre se rétablit. A la rigueur, l'équilibre ne se rétablit jamais, l'impression laisse une trace qui ne disparaît jamais complétement.

DEUXIÈME LOI: loi de l'intensité de la sensation. Si quand p a égalé p', et qu'ainsi la sensation est devenue nulle, on fait la force externe égale à p'', il se produit une nouvelle sensap". p' ___p" tion: s' ;; et si l'on pose que s' = s, on a : = , ce qui p P p' implique la loi de Weber. Si l'on pose de même : s. =s' = s'';

S=

log

=

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p' p" p" ce qui donne on obtient la loi telle que je l'ai Ρ p' Ρ formulée plus haut (formule b). Enfin, si quand p est devenu égal à p", on introduit dans la force extérieure un changement qui la ramène à sa valeur primitive p', on a : p' ; et de même en continuant à la réduire, on p' aura s = log, puis: s=log sensations en sens contraire, toutes sensations négatives. On obtient donc des sensations négatives quand la chute a lieu de l'être sensible sur le milieu ambiant. Les sensations négatives obéissent aux mêmes lois que les sensations positives.

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et ainsi de suite, toutes

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Ρ

TROISIÈME LOI: loi de la tension. La faculté qu'a l'être sensible de se mettre en équilibre avec l'extérieur n'est pas illimitée. C'est ainsi qu'une corde de violon ne peut être écartée indéfiniment de sa position naturelle; il est un certain point au delà duquel elle se rompt. Il y a donc pour l'être sensible, comme pour tout corps, un équilibre naturel et un équilibre de tension; quand la tension est trop forte, le corps est désorganisé. L'équilibre naturel a lieu quand p' est égal à p max + p min quantité qui prend la place de la valeur

m

2

2

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dont j'ai parlé plus haut. A mesure que p' s'écarte d cette valeur, l'être sensible est sollicité dans l'un ou l'autr sens, et il éprouve un sentiment de fatigue ou de peine quand au contraire il se rapproche de son état d'équilibr naturel, il éprouve un sentiment de relâchement et de plaisi C'est pourquoi Socrate a éprouvé de la satisfaction quand lui a enlevé les chaînes qui serraient ses jambes. La di cussion de la formule (d) conduit à ces résultats. En y ren plaçant D par T, on a :

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Mais on se fait dans une certaine mesure aussi à la fatigu

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De sorte que si A' du dénominateur vient à grandir parce que la tension T diminue, on a pour la valeur de f une quantité negative, exprimant un sentiment opposé. De l'équilibre statique et de l'équilibre naturel. La première loi, celle de la dégradation, est conforme à des faits d'observation journalière, mais l'expérience n'en a pas vérifié la formule mathématique. La seconde loi seule, celle de l'intersité, a été établie expérimentalement par Weber, Fechner et moi-même, pour divers ordres de sensations. La troisième loi enfin, celle de la tension, s'appuie aussi sur l'observation et en partie sur les expériences, seulement ces expériences ne sont pas suffisamment concluantes.

mouve

La première loi est fondée sur les notions d'équilibre statique et d'équilibre dynamique. Quand une force sollicite un corps, par exemple, quand une locomotive met en ment un convoi, pendant un certain temps le corps résiste, et, tant que la résistance dure, on dit qu'il y a équilibre dynamique. Quand la résistance est totalement vaincue, quand le corps a fini par obéir complétement à la force, par conséquent, dans notre exemple, quand le convoi a pris toute la vitesse qu'il est susceptible d'acquérir, alors il y a équilibre statique, et le corps pousse autant qu'il est poussé.

Il en est de même de l'être sensible sollicité par une force extérieure: il éprouve une sensation tant qu'il y a résistance ou effort de sa part; il n'en éprouve plus dès qu'il a atteint l'état d'équilibre statique.

Ces considérations s'appliquent parfaitement aux sens de la température et de la pression; après un peu de réflexion on voit qu'elles s'appliquent aux sens de l'odorat et du goût; nous nous habituons tellement bien aux odeurs que nous finissons par ne plus les sentir; c'est ce qui arrive aux chimistes, aux anatomistes, aux pharmaciens; nous ne goûtons pas les liquides de la bouche quand leur altération dure depuis quelque temps. Un poisson d'eau douce qui entre dans la nier, aura probablement le goût du sel, mais s'il y prolonge son séjour, il finira sans doute par ne plus s'en apercevoir. Il est plus difficile de faire accepter qu'il doit en être ainsi de louie et de la vue. Or nous n'entendons pas les bruits, même Intermittents, auxquels nous sommes habitués; ainsi étant ale passer quelques jours de vacances dans une maison située *ôté d'une cascade, il m'est arrivé, à la fin de mon séjour, de ne pas parvenir, malgré tous mes efforts, à entendre, pendant le silence des nuits, le bruit de la chute; je crus qu'elle nait cessé de tomber, et ce n'est qu'en mettant la tête à la etre pour l'apercevoir, que je me convainquis de mon ur. Quant à l'œil, plusieurs raisons s'opposent à ce qu'il Commode jamais à une lumière donnée: sa grande mobiè d'abord, les paupières ensuite. Mais je ne doute pas qu'un sans paupière entouré d'une surface d'un éclat uniforme

aurait de sensation qu'au moment où une différence d'éclat -Trait à se produire.

La troisième loi est fondée sur les notions d'équilibre de fron et d'équilibre naturel. On comprend facilement ce

est l'équilibre naturel de température et de pression. Il t pas difficile de faire saisir quand il y a équilibre naturel sumière; c'est quand la lumière fatigue le moins l'œil, quand

elle lui est le plus favorable, quand elle lui permet d'apercevoir les plus petites différences. C'est ainsi qu'il faut une lumière déterminée, celle d'un ciel bien pur, pour apercevoir dans certaines photographies des Alpes les légers modelés de la neige sur les hautes cimes. Nous-même quand nous lisons ou que nous écrivons le soir, nous jugeons la flamme de la lampe trop vive ou trop terne; dans le premier cas nous éprouvons un effet d'éblouissement; dans le second cas, un effet auquel je donne le nom d'offusquement.

S'agit-il de son, les écarts nous apparaissent le mieux dans les tonalités et les intensités moyennes.

Et il en est probablement de même du goût et de l'odorat ; il y a telle composition des liquides qui baignent les muqueuses qui est le plus favorable à leur exercice.

De là résulte cette conséquence qu'un état déterminé du milieu ambiant peut provoquer deux genres de sensations opposées, suivant l'état antérieur. En entrant dans un milieu d'une température donnée, notre impression de chaud ou de froid dépendra de la température du milieu d'où nous sortons; une lumière est faible ou éclatante, suivant le degré de clarté de celle que l'on quitte, etc.

Enfin la tension peut être assez forte pour amener la rupture de l'organisme.

Un sentiment de plaisir ou de peine accompagne donc toute sensation, suivant que la cause qui la provoque rapproche ou éloigne l'ètre sensible de son équilibre naturel. Quand on a trop chaud, il est agréable de sentir la fraîcheur; si la lumière est éblouissante, une diminution de clarté est un soulagement; et, à l'inverse, quand on est dans une obscurité fatigante, on aspire après l'éclat du jour. J'insiste dans mon mémoire sur le soin qu'il faut mettre, quand on discute ces sortes de questions, à distinguer le langage de la sensation. de celui du sentiment. Le sentiment peut être tellement fort qu'il absorbe toute notre faculté de sentir, qu'il masque pour ainsi dire la sensation, c'est qu'alors la tension touche à la rupture (1).

Analogies entre les lois de la sensation et certaines lois physiques. La première loi, celle de la dégradation de la sensation, prouve qu'il faut chercher la cause de toute sensation dans une rupture d'équilibre, et elle est sous ce rapport comparable à la loi de refroidissement de Newton.

La seconde loi, celle de l'intensité de la sensation, est analogue, tant dans son esprit que dans sa formule, à la loi qui exprime le travail nécessaire pour amener la compression d'un gaz (à température constante). En effet, soit p la pression d'un gaz, le travail t nécessaire pour lui donner la pression p' est exprimée par la formule t = log; ; ou encore, soit v son volume, et v' le volume qu'on veut lui donner, le travail aura pour expression t log. Ainsi, plus un gaz est déjà comprimé, plus il est difficile de le comprimer davantage; en d'autres termes, le travail nécessaire pour en diminuer le volume de quantités égales croît de plus en plus rapidement à mesure que ce volume se réduit. On peut donc conclure de là que la sensation est proportionnelle au travail

=

v

(1) La nécessité de la mort s'explique par des considérations tirées de ces principes. Une corde de violon à force d'être tendue tantòt à droite tantôt à gauche, finit par se rompre.

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