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je laisse à décider s'ils ont ou non dénaturé ce paragraphe en l'interprètant comme ils l'ont fait.

Mais laissons là ces petites questions personnelles, et venons-en à l'accusation plus sérieuse d'avoir abusé de ma position en quittant le domaine de la science, pour faire sans aucun droit une incursion sur celui de la théologie. Je ne vois vraiment pas en quoi je me suis rendu coupable. J'espère que mes accusateurs, renonçant aux injures, voudront bien discuter avec moi. Un homme de science n'a-t-il pas le droit de faire des conjectures sur le passé du système solaire? Est-ce que Kant, Laplace et W. Herschel ont dépassé les limites de leur domaine en portant leurs regards au delà des bornes de l'expérience, et en mettant en avant la théorie nébulaire ? Si un homme de science admet cette théorie comme probable, ne lui est-il pas permis de remonter en esprit à travers la série des changements qui se rattachent à la condensation des nébuleuses, de se représenter la séparation des planètes et des lunes les unes après les autres, et le rapport qui existe entre tous ces corps et le soleil? Si je considère notre terre avec ses deux mouvements, l'un autour du soleil et l'autre sur son axe, comme un des produits de l'action qui a constitué le système solaire tel qu'il est, un théologien peut-il me refuser le droit de concevoir et d'exprimer cette théorie? Il fut un temps où les théologiens n'auraient pas manqué pour le faire un temps où l'ennemi de la science qui se vante maintenant de sa tolérance, aurait promptement imposé silence à un homme assez hardi pour publier une opinion de ce genre. Mais ce temps est passé pour ne plus revenir, à moins que le monde ne retombe dans une étrange torpeur. Pour la nature inorganique, nous pouvons done maintenant parcourir sans nul obstacle toute la distance qui sépare les nébuleuses des mondes actuels. Cependant il n'y a pas bien longtemps encore que ce terrain qu'on accorde maintenant à la science appartenait à la théologie. Or, cette concession de la théologie ne me paraît pas suffisante; et, à Belfast, j'ai cru avoir non-seulement le droit, mais encore le devoir de déclarer que, pour le monde organique aussi, nous réclamons la liberté que nous avons déjà obtenue pour le monde inorganique. Il m'est impossible de découvrir le moindre titre légitime autorisant un homme ou une classe d'hommes, quels qu'ils soient, à ouvrir aux recherches scientifiques la porte d'un de ces mondes et à leur fermer celle du monde voisin. J'ai donc jugé plus loyal, plus sage et plus favorable, en définitive, au maintien d'une paix durable, de définir sans équivoque et sans réserve le terrain qui appartient à la science, et sur lequel elle ne peut manquer d'établir ses droits.

Si l'on considère la liberté dont jouissent toutes les opinions en Angleterre, on ne trouvera sûrement pas mes prétentions exagérées. On m'a rappelé qu'un des hommes éminents qui ont occupé avant moi le fauteuil présidentiel a exprimé sur la cause qui a produit le monde une opinion complétement différente de la mienne. En le faisant il a dépassé les bornes de la science au moins autant que moi; mais personne ne s'est élevé contre lui pour cela. Je ne réclame d'autre liberté que celle dont il a lui-même usé. Et, en présence de ce que je ne puis m'empêcher de regarder comme les extravagances du monde religieux; des idées inexactes et déraisonnables sur cet univers, qui sont professées par la majorité des hommes autorisés à nous enseigner la religion; de l'énergie mal placée que dépensent des hommes estimables pour des questions que je serais tenté d'appeler indignes de l'attention

de païens éclairés; des luttes engagées à propos de vieilleries du ritualisme, et des disputes de mots auxquelles a donné lieu la doctrine athanasienne; des efforts faits pour attirer l'attention sur les pèlerinages de Pontigny; de l'affectation de ceux qui voudraient voir une ère nouvelle dans la définition de l'immaculée conception; de la proclamation des gloires divines du sacré-cœur - au milieu, dis-je, de toutes ces chimères qui frappent d'étonnement tous les penseurs véritables, je n'ai pas cru qu'il fût extravagant de réclamer la tolérance publique pendant une heure et demie pour exposer des idées plus raisonnables, des idées mieux d'accord avec les vérités que la science a mises en lumière, et qui devaient être accueillies avec joie par bien des âmes fatiguées.

Mais il est bon de préciser les faits. Voici la phrase qui a soulevé l'opposition la plus violente: «Pour parler sans déguisement, je dois avouer que je reporte mes regards en arrière au delà des faits établis par l'expérience, et que je découvre en promesse et en puissance toutes les formes et toutes les qualités de la vie, dans cette matière que, par ignorance, et malgré notre respect pour le Créateur, nous avons jusqu'ici accablée d'opprobre ». Parler de protestation générale comme le fait le contradicteur catholique, ce n'est que représenter bien faiblement l'orage qui a accueilli ma déclaration. Mais maintenant que le premier mouvement de passion est passé, je puis, je l'espère, demander à mes adversaires de vouloir bien discuter. La première chose que l'on me reproche est d'avoir été au delà des faits prouvés par l'expérience. A cela je réponds que c'est ainsi que procède ordinairement l'esprit. scientifique du moins cette partie qui s'applique aux recherches physiques. Nos théories de la lumière, de la chaleur, du magnétisme et de l'électricité n'existent que parce que nous avons franchi les limites expérimentales. Mon mémoire sur Le rôle de l'imagination dans les sciences et mes Conférences sur la lumière le prouvent complétement; et, dans le morceau qui suit ce discours, j'ai cherché incidemment à faire voir qu'en physique l'expérience amène toujours à ce qui est au delà du domaine expérimental; qu'elle produit toujours quelque chose de supérieur à elle-même, et que la différence entre le savant éminent et le savant médiocre consiste surtout dans l'inégalité de leurs facultés d'extension idéale. Le domaine scientifique ne s'accroît pas par l'observation et l'expérience seules; il ne se complète que si l'on plante les racines de l'observation et de l'expérience dans une région inaccessible à toutes deux, et que nous ne pouvons aborder que par la puissance de l'imagination.

Ainsi, l'action de franchir les limites de l'expérience n'est pas en soi un motif suffisant de blâme. Il faut que dans ma manière particulière de les franchir il y ait eu quelque chose qui ait provoqué ce terrible chœur de désapprobation.

Discutons avec calme. Je soutiens la théorie nébulaire, comme l'ont fait Kant, Laplace et W. Herschel, et comme le font encore de nos jours les savants les plus éminents. D'après cette théorie, notre soleil et ses planètes étaient autrefois répandus dans l'espace sous la forme d'une vapeur impalpable, dont la condensation a produit le système solaire. Qu'est-ce qui a déterminé cette condensation? La perte de chaleur. Qu'est-ce qui a arrondi le soleil et les planètes? Ce qui arrondit une larme la force moléculaire. Pendant une suite de siècles dont l'immensité accable l'esprit de l'homme, la terre a été impropre à entretenir ce que nous appelons la vie. Elle est maintenant couverte d'êtres vivants visibles. Ces êtres

ne sont pas formés d'une matière différente de celle de la terre qui les environne. Au contraire, leur substance et celle de la terre sont identiques. Comment ont-ils été introduits sur ce globe? La vie était-elle contenue dans les nébuleuses comme appartenant, peut-être, à une vie plus vaste et inexplicable, ou bien est-elle l'œuvre d'un être en dehors des nébuleuses, qui les a façonnées et leur a donné la vie, mais dont l'origine et les voies sont également inscrutables? Dans tout ce que la science a pu jusqu'ici voir dans la nature, jamais elle n'a vu se manifester dans aucune série de phénomènes l'intervention d'une puissance purement créatrice. L'hypothèse d'une telle puissance pour expliquer des phénomènes spéciaux a souvent été faite, mais a toujours été trouvée inexacte. Elle est contraire à l'esprit même de la science, et c'est pour cela que j'ai pris sur moi d'opposer à cette hypothèse cette méthode de la nature, que c'est la gloire de la science d'avoir découverte, et dont l'application peut seule nous faire espérer de nouvelles lumières. Étant donc convaincu que les nébuleuses et le système solaire, y compris la vie, sont entre eux dans le même rapport que le germe et l'organisme parfaits, je répète ici, sans arrogance et sans děfi, mais de la manière la plus positive, ce que j'ai déjà affirmé à Belfast.

Ce n'est pas avec le vague qui caractérise les émotions, mais bien avec la précision qui appartient à l'intelligence que l'homme de science doit se poser ces questions sur l'introduction de la vie sur la terre. Il ne songe point à dogma. tiser, car il sait mieux que personne que dans les conditions actuelles, la certitude est impossible à atteindre ici. S'il refuse d'admettre l'hypothèse de la création, ce n'est pas pour affirmer, mais bien pour nier une connaissance qui nous sera longtemps, et peut-être toujours refusée, et dont l'affirmation est une source perpétuelle de confusion sur la terre. Tout disposé à se rendre à des preuves convaincantes, il demande à ses adversaires sur quoi ils fondent leur croyance qu'ils soutiennent avec tant de force et d'acharnement. Ils ne peuvent que lui indiquer la Genèse ou quelque autre partie de la Bible. Sans doute ces premières tentatives de l'esprit humain pour satisfaire sa soif de vérité sont profondément intéressantes et pathétiques. Mais le livre de la Genèse n'a pas d'autorité scientifique. Après avoir résisté pendant quelque temps aux attaques de la géologie, il a dû succomber et perdre toute autorité cosmogonique. Ce livre est un poëme et non un traité scientifique. Au point de vue poétique il sera toujours beau; à celui de la science il a été et restera purement nuisible. Pour la connaissance, il a eu une valeur négative; dans des temps plus rudes que le nôtre, il a produit la violence physique, et dans notre siècle de liberté la violence morale.

Dans tout ce qui s'est passé à Belfast, il n'y a rien de plus instructif que l'attitude prise par le clergé catholique de 'Irlande, corps généralement trop sage pour attirer l'attention sur un adversaire par des dénonciations imprudentes. Le Times, qui n'a montré pour moi aucune sympathie, mais qui m'a traité avec la plus grande loyauté, tandis que j'en trouvais si peu d'un autre côté, pense que le cardinal, les archevêques et les évêques irlandais se sont servis adroitement, dans leur manifeste, d'une arme que je leur ai imprudemment fournie. Pour moi, les faits qui ont précédé leur attaque me font envisager la question d'une autre manière; et je veux rappeler ces faits en quelques mots, pour faire voir dans son vrai jour non-seulement l'affaire de Bel

fast, mais encore d'autres actes qui ont été depuis peu portés à ma connaissance.

J'ai sous les yeux un document daté du mois de novembre 1873, mais qui, après une courte apparition, a brusquement disparu aux yeux du public. C'est un mémoire adressé par soixante-dix étudiants et anciens étudiants de l'université catholique d'Irlande, au conseil épiscopal de l'Université; il constitue la remontrance la plus franche et la plus hardie qui ait jamais été adressée par des laïques irlandais à leurs pasteurs et à leurs maîtres spirituels. Le mémoire exprime le mécontentement le plus profond du plan d'études imposé aux élèves de l'Université, et insiste sur ce fait assez extraor dinaire, que la liste des cours de la Faculté des sciences, publiée un mois auparavant, ne contient pas le nom d'un seul professeur de sciences physiques ou naturelles.

Les auteurs du mémoire réclament contre cette omission, et insistent sur la nécessité de l'instruction scientifique. « Le caractère distinctif de ce siècle est son ardeur pour la science. Depuis cinquante ans les sciences naturelles sont devenues la première de toutes les études; elles sont culti vées de nos jours avec une activité sans égale dans l'histoire du passé. Presque chaque année nous apporte quelque découverte scientifique nouvelle, qui renverse des théories considérées jusqu'alors comme inattaquables. Ce sont les sciences physiques et naturelles qui produisent contre notre religion les attaques les plus redoutables. Les armes les plus terribles employées contre la foi sont les faits démontrés d'une manière incontestable par les recherches scientifiques modernes. »

De telles déclarations ne sauraient plaire à des hommes élevés dans la philosophie de saint Thomas-d'Aquin, et qui ont été accoutumés à ne voir dans toutes les autres sciences que d'humbles servantes de la théologie. Mais ce n'est pas tout: « Il semble certain, disent les auteurs du mémoire, que si des chaires de sciences physiques et naturelles ne sont pas fondées à l'université catholique, la foi d'un grand nombre. de jeunes gens sera exposée à des dangers que la création des cours de sciences à l'Université pourrait détourner. En effet, les jeunes catholiques irlandais souffrent du sentiment de leur infériorité dans les sciences et sont résolus à la faire cesser; si donc leur Université leur refuse les leçons qu'ils demandent, ils iront les demander au collège de la Trinite ou à un des colléges de la Reine, dont aucun n'a de professeur de science qui soit catholique. »>

Ceux qui s'imaginaient que la création de l'Université catholique de Kensington était due à la reconnaissance spontanée par le clergé catholique des besoins intellectuels de notre époque, seront éclairés par ce qui précède, et plus encore par ce qui va suivre; car nous n'avons pas encore reproduit la menace la plus terrible du mémoire. En effet, les étudiants ajoutent « que dans la solitude de leurs demeures, et sans le secours d'un guide, ils dévorent les ouvrages de Hæckel, de Darwin, de Huxley, de Tyndall et de Lyell; ou vrages sans danger lorsqu'ils sont étudiés sous un professeur qui montre la différence entre les faits établis et les conclusions erronées qu'on prétend en tirer, mais propres à saper la foi d'esprits abandonnés à eux-mêmes, sans un guide éclairé à qui ils puissent demander la solution des difficultes qui pourront se présenter. »>

En présence de ce mémoire et d'autres faits également instructifs, le manifeste catholique ne m'a pas semblé être

inspiré par la joie que cause la méprise d'un adversaire maladroit, mais bien pour la profonde inquiétude du cardinal, des archevêques et des évêques qui l'ont signé. Néanmoins, ils ont agi dans ce cas avec leur sagesse pratique habituelle. La première concession faite à l'esprit du siècle a été la création de l'Université catholique de Kensington, création présentée comme l'effet d'une force intérieure spontanée, et non de la pression du dehors, qui devenait rapidement trop formidable pour être combattue avec succès.

Les auteurs du mémoire insistent amèrement sur ce fait, « qu'aucun Irlandais catholique ne s'est fait un nom dans les sciences physiques et naturelles ». Mais ils devraient savoir que ce fait a été constaté partout où le clergé domine. La même plainte exactement a été faite au sujet des catholiques allemands. La grande littérature nationale et les progrès scientifiques de ce pays, dans les temps modernes sont presque entièrement l'œuvre des protestants. Une fraction infiniment petite de ces progrès appartient à des membres de l'Église catholique, quoiqu'en Allemagne ces derniers soient au moins aussi nombreux que les protestants. « On se demande, dit un des écrivains d'une revue allemande bien connue, quelle est la cause d'un phénomène si humiliant pour les catholiques. On ne saurait l'attribuer à l'influence du climat, puisque les protestants de l'Allemagne du Sud ont puissamment contribué aux œuvres intellectuelles allemandes; il faut donc l'attribuer à des circonstances extérieures. Or, il est facile de les reconnaître dans la compression exercée pendant des siècles par le système des jésuites, qui a étouffé chez les catholiques toute liberté de production intellectuelle. » C'est en effet dans les pays catholiques que s'est fait le plus durement sentir le poids de l'ultramontanisme. C'est dans ces pays que les esprits les plus distingués, qui ont osé, sans renoncer à leur foi, plaider la cause de la liberté ou de la réforme, ont été réduits au silence. Cependant ce silence même a été plus apparent que réel, et Hermès, Hirscher et Günther, quoique brisés et soumis individuellement, ont préparé la voie, en Bavière, à Frohschammer, toujours intrépide malgré la persécution, à Döllinger, et au mouvement libéral si remarquable dont il est le chef.

Quoique assujettie depuis des siècles à une obéissance dont aucun autre pays, sauf l'Espagne, n'offre d'exemple, l'intelligence en Irlande commence à donner des signes d'indépendance, et à demander un régime plus satisfaisant que la pâture du moyen âge. Quant au manifeste dans lequel le pape, les cardinaux, les archevêques et les évêques se sont unis pour prononcer un anathème solennel, son caractère et son sort sont indiqués par la vision de Nabuchodonosor que rapporte le livre de Daniel. Il ressemble à la statue en apparence si terrible, dans laquelle l'or, l'argent, l'airain et le fer reposaient sur des pieds d'argile. Et une pierre vint frapper ces pieds d'argile, et le fer, et l'airain, et l'argent, et l'or, furent mis en pièces, et devinrent comme la poussière de l'aire à battre le blé, et le vent les emporta.

Mgr Capel a daigné récemment proclamer à la fois l'amour. de son Église pour la science véritable, et son droit de déterminer ce qu'est la science véritable. Examinons un instant es preuves de sa compétence scientifique. Lorsque la comète le Halley fit son apparition en 1456, elle fut regardée comme annonçant la vengeance de Dieu, comme apportant la guerre, a peste et la famine, et, par l'ordre du pape, on sonna les loches dans toutes les églises de l'Europe pour épouvanter

le monstre. Une prière nouvelle fut ajoutée aux supplications des fidèles. La comète disparut au bout d'un certain temps, et les fidèles furent consolés par l'assurance que, de même que déjà en présence d'éclipses, de disettes et de pluies, ici encore, en présence de cette comète désastreuse, la victoire avait été accordée à l'Église.

Pythagore et Copernic avaient enseigné la doctrine héliocentrique, ils avaient dit que la terre tourne autour du soleil. Sous le pontificat de Paul V, l'Église intervint pour exercer son droit de déterminer ce qu'est la science véritable, et, le 5 mars 1616, rendit le décret suivant par l'organe de la sainte Congrégation de l'index :

« Et attendu qu'il est aussi venu à la connaissance de ladite sainte Congrégation que la doctrine pythagoricienne erronée du mouvement de la terre et de l'immobilité du soleil, entièrement contraire à l'Écriture sainte, doctrine enseignée par Nicolas Copernic, est maintenant publiée et admise par un grand nombre de personnes; afin que cette opinion ne s'étende pas, au dommage de l'Église catholique, il est ordonné que ce livre, ainsi que tous autres relatifs à cette doctrine, soit arrêté; et par ce décret ils sont tous arrêtés, interdits et condamnés. »

Mais pourquoi remonter jusqu'en 1456 et en 1616? Je ne songerais pas un instant à charger Mr Capel des fautes du passé, sans les pratiques qu'il soutient aujourd'hui. Le dogmatiste et le champion des jésuites le plus applaudi est, me dit-on, Perrone. Trente éditions d'un de ses ouvrages ont été publiées pour diriger les nations. Ses idées sur l'astronomie physique sont virtuellement celles de 1456. Il enseigne hardiment que Dieu ne gouverne pas par des lois universelles... que quand Dieu ordonne à une certaine planète de s'arrêter, il ne change pas une loi établie par lui-même, mais qu'il ordonne à cette planète de tourner autour du soleil pendant un certain temps, puis de s'arrêter, puis de se remettre en mouvement, selon son bon plaisir. » Les jésuites ont proscrit Frohschammer pour avoir mis en doute leur dogme favori, d'après lequel chaque âme humaine est créée par un acte surnaturel et direct de Dieu, et pour avoir dit que l'homme, corps et âme, procède de ses parents. Tel est le système qui lutte maintenant pour dominer partout; c'est de ce système, comme veut bien nous le dire Mer Capel, que nous devons apprendre ce qui est permis à la science et ce qui ne l'est pas !

En présence de tels faits, qu'il serait facile de multiplier, il faut un courage bien extraordinaire, ou une confiance non moins extraordinaire dans l'ignorance publique, pour émettre des prétentions telles que celles émises par Mer Capel en faveur de son Église.

Un auteur allemand, parlant d'un homme durement éprouvé à cet égard, présente les écrivains catholiques qui refusent de se soumettre à la Congrégation de l'index, comme mis hors la loi · condamnés à être assassinés moralement (1). C'est là une affirmation bien forte; et cependant, si j'en juge

(1) Voyez le cas de Frohschammer, présenté par un de ses amis dans la préface de Christenthum und die moderne Wissenschaft. Ses ennemis ont réussi à le priver presque des moyens de vivre, mais ils n'ont pas réussi à le dompter, et mème le nonce du pape n'a pu empêcher cinq cents étudiants de l'Université de Munich de signer une adresse à leur professeur.

par ma propre expérience, elle n'est pas trop forte. A ce sujet, je demanderai, pour des raisons spéciales, la permission de dire quelques mots de moi-même. De ces raisons, l'une paraîtra sur-le-champ, l'autre sera exposée plus tard. Né dans un milieu auquel la Bible était particulièrement chère, c'est par elle que j'ai reçu presque exclusivement ma première éducation. Enfant de l'Irlande, j'ai appris, comme l'avaient fait plusieurs générations de mes ancêtres, à résister à l'Église romaine. J'ai eu un père dont la mémoire doit être pour moi un appui et un exemple de rectitude et de pureté inflexibles. Le petit troupeau auquel il appartenait était dispersé avec des fortunes diverses le long du bord oriental du Leinster, à partir de Wexford, où il était venu en traversant le canal de Bristol. Mon père était le plus pauvre de tous. Dans une position sociale inférieure, mais d'un esprit et d'un caractère élevés et indépendants, par des efforts persévérants et des dispositions particulières il arriva à une connaissance de l'histoire bien supérieure à celle que je possède moi-même, et en même temps apprit de la manière la plus exacte tous les détails de la lutte entre le protestantisme et le catholicisme. J'ai conservé comme de lointains souvenirs les noms des ouvrages et des hommes marquants dont il s'occupait: Claude et Bossuet, Chillingworth et Nott, Tillotson, Jérémy Taylor, Challoner et Milner, Pope et Mac Guire, et bien d'autres encore, qu'il serait inutile de nommer. Et malgré tout, cet homme, si bien muni pour la controverse, était tellement respecté de ses concitoyens catholiques, que tous fermèrent leurs boutiques le jour de sa

`mort.

Avec un tel maître, et prenant un intérêt pour ainsi dire héréditaire à la querelle religieuse, j'y entrai naturellement avec ardeur. Je ne me contentai pas d'examiner la question au point de vue protestant; je me mis aussi au courant des arguments de l'Église romaine. Je me rappelle encore l'intérêt et la surprise avec lesquels je lus l'Instruction catholique de Chalonner; et, à peine sorti de l'adolescence, je prenais déjà part aux discussions entre les Églises rivales. Je soutenais quelquefois le côté catholique, et j'embarrassais fort mon adversaire protestant. Les idées des catholiques irlandais m'étaient ainsi devenues très-familières : il n'y avait pas de principe protestant qu'ils rejetassent avec plus de force, et qu'ils se trouvassent plus offensés de se voir attribuer, que le principe de l'infaillibilité personnelle du pape. Et, malgré cela, j'ai entendu un prêtre catholique affirmer à plusieurs reprises, il y a quelque temps, que le principe de l'infaillibilité du pape a toujours été soutenu en Irlande (1).

Mais ce n'est là qu'une digression dont le but est de désabuser les personnes qui, en Angleterre ou aux États-Unis, auraient été trompées par les affirmations de gens peu scrupuleux. Je reviens maintenant à mon sujet véritable. Autant que la science a pu le constater, la vie sur cette terre a toujours suivi une marche ascendante, elle a toujours été en se perfectionnant. La tendance constante de la nature animée

(1) C'est sur des souvenirs qui remontent à ma quinzième année, époque à laquelle je lus pour la première fois la discussion entre M. Pope et le P. Mac Guire, que je m'appuie pour dire que, dans cette discussion, le prêtre catholique repoussa an nom de son Eglise la doctrine de l'infaillibilité personnelle.

est de se perfectionner et de s'élever à un niveau plus haut. Chez l'homme, le progrès et l'amélioration dépendent surtout de l'accroissement des connaissances qui rejettent sans cesse les erreurs venues de l'ignorance, et organisent la vérité. C'est assurément le progrès des connaissances qui a donné une teinte matérialiste à la philosophie de cette époque, Le matérialisme n'est donc pas une chose qu'il faille déplorer ici; il faut plutôt l'examiner loyalement l'accepter s'il est tièrement vrai, le rejeter s'il est absolument faux, le passer au crible s'il contient un mélange de vérité et d'erreur, pour profiter de ce qu'il peut avoir de bon. Depuis quelques années, l'étude du système nerveux et de ses rapports avec la pensée et le sentiment occupe beaucoup d'esprits. C'est notre devoir de ne pas éluder - ou plutôt c'est notre privilége d'accepter les résultats établis par ces recherches; car ici, assurément, notre bien dépend de notre fidélité à la vérité. En reconnaissant l'influence que le système nerveux exerce sur l'esprit et le cœur de l'homme, nous serons plus en état, non-seulement d'en corriger les nombreux défauts, mais encore de les fortifier et de les purifier l'un et l'autre, L'esprit est-il abaissé par cet aveu de sa dépendance? assurément non. Mais la matière est élevée au niveau qu'elle doit occuper, et d'où une ignorance craintive voudrait l'exclure. Cependant la lumière commence à poindre; elle devien dra plus forte avec le temps. Le congrès de Brighton lui-même en fournit la preuve. Du milieu des opinions confuses présentées dans cette assemblée, ma mémoire dégage deux souvenirs qui l'ont frappée : ces souvenirs sont la reconnaissance d'un rapport entre la santé et la religion, et le discours du révérenc Harry Jones. Dans le choc de tant de vaines paroles, les siennes ressortent saines et fortes, parce qu'elles sont libres du jou de tout dogme, qu'elles viennent directement du cerveau d'un homme qui sait ce que veut dire la vérité pratique, et qui croit à sa vitalité et à sa puissance de propagation. Je me demande si M. Jones rend moins de services dans son ministère sacré que ses collègues plus élevés en dignité. Assurement il est du devoir de nos maîtres d'en venir à une conclusion définie sur la question de la santé; de voir que, si elle est négligée, nous sommes lésés d'une manière négative aussi bien que d'une manière positive: négativement, parce que nous sommes privés de cette douceur et de cette lumière. compagnes naturelles de la santé; positivement, par l'introduction dans notre vie du cynisme, de la mauvaise humeur et de mille inquiétudes que la santé dissiperait. Nous crai gnons et nous méprisons le matérialisme. Mais celui qui le connaîtrait à fond, et qui pourrait profiter de cette connais sance, pourrait devenir l'apôtre d'un Évangile nouveau. Seclement, ce n'est pas par l'extase que nous pourrons acquér cette connaissance, mais bien par les révélations de l science combinées avec l'histoire du genre humain.

Pourquoi l'Église catholique appelle-t-elle la gourmandis un péché mortel? Pourquoi le jeûne fait-il partie des pr tiques religieuses? Que signifie le conseil donné par Luther au jeune ecclésiastique qui vint le consulter sur les difficu tés de la question des prédestinées et des élus, sinon que par son action sur le cerveau, lorsqu'on en fait un usage convenable, même un carbure d'hydrogène peut avoir une vertu morale et religieuse? Pour nous servir des termes ordinaires, les aliments ont été créés par Dieu, et ont, par conse quent, une valeur spirituelle. La puissance purifiante de l'air des Alpes deviendrait dix fois plus grande si cette vérité était

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Si nous passons à une sphère plus élevée, les visions de Swedenborg et l'extase de Plotin et de Porphyre sont des phases de cet état de l'àme qui se rattache évidemment au système nerveux et à la santé, sur lesquelles est basée la doctrine védique de l'absorption de l'individu dans l'âme universelle. Plotin enseignait aux dévots à entrer en extase. Porphyre se plaint de n'avoir été uni à Dieu qu'une fois en quatre-vingt-six ans, tandis que Plotin, son maître, l'avait été six fois en soixante ans. Un de mes amis, qui a connu le poëte Wordsworth, m'a raconté que ce dernier, dans ses moment d'extase, saisissait quelque objet près de lui pour être bien sûr de l'existence de son corps. Il n'est personne, je le crois, qui ait acquis plus d'expérience sur ce sujet qu'Émerson. Comme états de conscience, ces phénomènes ont une réalité incontestable et une identité substantielle; mais ils se rattachent aux conceptions subjectives les plus hétérogènes. Les expériences subjectives sont semblables, à cause de la ressemblance des organisations nerveuses qui président à ces phénomènes.

Mais, pour ceux qui désirent pénétrer au delà des faits matériels, il y aura toujours un vaste champ de conjectures. Prenons l'argument du disciple de Lucrèce présenté dans le discours de Belfast. Je ne crois pas qu'un seul de mes adversaires ait essayé d'y répondre. Quelques-uns, il est vrai, se réjouissent de l'habileté dont M. Butler a fait preuve en renvoyant la difficulté à son adversaire, et ils s'imaginent même que l'argument invoqué est celui de cet évêque. Ils ont peine à m'attribuer l'intention de faire connaître les deux faces de la question, et de montrer, par un raisonnement plus fort qu'aucun de ceux de M. Butler, l'échec qui est réservé à toute doctrine matérialiste qui s'appuie sur les définitions de la matière généralement admises. Mais, pour avoir soulevé une nouvelle difficulté, on n'a ni aboli ni même diminué la difficulté primitive, et l'argument du disciple de Lucrèce n'est atteint par aucun de ceux de M. Butler. Et ici je demande la permission d'ajouter un mot à une discussion importante qui n'est pas encore terminée. Dans un article sur la Physique et la métaphysique, qui a paru en 1860 dans le Saturday Review, j'ai posé ainsi le problème si ancien des rapports de la matière avec la conscience : « La philosophie de l'avenir tiendra sans doute plus de compte que celle du passé des rapports que les actions matérielles ont avec la pensée et le sentiment, et peut-être en viendra-t-on à étudier par l'organisme les qualités de l'esprit, de même que nous étudions le caractère de la force par les modifications de la matière ordinaire. Nous croyons que chaque pensée et chaque sentiment a dans le système nerveux un corrélatif mécanique défini, et qu'ils sont accompagnés d'une séparation et d'une reconstitution des atomes du cerveau.

Cette dernière action est purement matérielle; et, si les facultés que nous possédons maintenant étaient suffisamment développées, sans la création d'une faculté nouvelle, il nous

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serait sans doute possible de conclure de l'état moléculaire du cerveau le caractère de la force qui agit sur le cerveau, et, réciproquement, de conclure de la pensée l'état moléculaire correspondant du cerveau. Nous ne disons pas ce qui est très-important, comme on le verra que l'on arriverait a priori à cette conclusion. Nous disons que, par l'observation et avec les facultés supérieures dont nous supposons l'existence, il serait possible de dresser un tableau synoptique des différents états du cerveau et des états de l'esprit qui accompagnent ceux-ci, de sorte que, l'un des deux termes étant donné, un simple coup d'œil jeté sur le tableau ferait connaître l'autre.

Si l'on donne les masses des planètes et leurs distances, nous pouvons en conclure les perturbations produites par leur attraction mutuelle. Connaissant la nature d'une perturbation produite dans l'eau, l'air ou l'éther, nous pouvons des propriétés physiques du milieu dont il s'agit conclure la manière dont ces molécules seront affectées. L'esprit suit le lien qui unit les phénomènes, et, d'un bout à l'autre, ne trouve aucuue solution de continuité. Mais lorsque nous voulons passer, en suivant une marche semblable, de la physique du cerveau aux phénomènes de conscience, nous nous trouvons en présence d'un problème qui est au-dessus de nos facultés actuelles, quelque étendues que nous les supposions. En vain nous méditons ce sujet, il échappe aux efforts de notre intelligence; nous sommes en face de l'incompréhensible. »

La discussion dont il s'agit porte sur cette question : les états de conscience sont-ils parmi les anneaux de la chaîne d'antécédents et de conséquents qui produit les actions corporelles et d'autres états de conscience, ou sont-ils seulement des effets accessoires, qui ne sont pas essentiels aux actions physiques s'opérant dans le cerveau? Quant à moi, il est certain qu'il m'est impossible de me représenter des états de conscience interposés entre les molécules du cerveau, et exerçant une influence sur la transmission du mouvement entre ces molécules. La pensée « échappe à toute représentation de l'esprit »; c'est pourquoi il semble absolument logique d'attribuer au cerveau une action automatique indépendante des états de conscience. Mais il est admis, je crois, par les partisans de la théorie automatique, que des états de conscience sont produits par l'arrangement des molécules du cerveau; et cette production de la conscience par un mouvement moléculaire est pour moi tout aussi inconcevable que la production du mouvement moléculaire par la conscience. Si donc l'impossibilité de concevoir un fait est une épreuve décisive, je dois rejeter également les deux classes de phénomènes. Cependant, je ne rejette ni l'une ni l'autre, et ainsi je me trouve en présence de deux incompréhensibles au lieu d'un. Tout en acceptant sans crainte les faits du matérialisme dont je viens de parler, je m'incline devant ce mystère de l'esprit qui a jusqu'ici échappé à sa propre pénétration. Peut-être un jour arrivera-t-on à démontrer qu'il est en effet impossible à l'esprit de se pénétrer lui-même.

Mais le fait n'en existe pas moins à chaque instant la pratique nous démontre que de nos rapports avec la matière dépend notre bien ou notre mal, physique et moral. L'état de l'esprit qui se révolte contre la reconnaissance des droits du matérialisme ne m'est pas inconnu. Je me rappelle un temps où je regardais mon corps comme un brin d'herbe

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