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produisait le choc de la lumière sur l'œil droit ou l'œil gauche seulement. Ces effets peuvent s'expliquer par le croisement des nerfs optiques dans la commissure optique.

5o L'examen d'un œil de serpent nous a donné des résultats semblables à ceux qu'avait fournis l'œil de la grenouille.

6o La loi de variation de la force électro-motrice de la rétine et du nerf optique est donc vraie pour les mammifères, les oiseaux, les reptiles, les amphibies, les poissons et les crustacés.

7° Un grand nombre d'expériences ont prouvé que la loi psycho-physique de Fechner, que nous avons citée plus haut, ne dépend pas seulement de la perception par le cerveau, mais aussi en partie de la structure de l'œil lui-même. Les effets qui se produisent pendant et après l'action de la lumière sur la rétine, se produisent aussi après que la communication entre l'œil et le cerveau a cessé. Ainsi la loi de Fechner n'est pas, comme on l'avait supposé jusqui'ici, une fonction du cerveau seul, mais elle est réellement fonction de l'organe terminal, c'est-à-dire de la rétine.

8° Nous avons employé pour enregistrer les variations galvanométriques une méthode nouvelle, qui peut être utile dans bien des recherches physiques et physiologiques. Voici en quoi consiste cette méthode. Nous avons mis à une distance convenable du galvanomètre, au lieu de l'échelle graduée ordinaire, la surface d'un cylindre recouvert de papier et tournant sur un axe horizontal à l'aide d'un mouvement d'horlogerie. Le point lumineux que réfléchit le miroir du galvanomètre est rendu plus net si l'on noircit toute la surface de l'écran de la lampe galvanométrique, à l'exception d'un point d'environ 3 millimètres de large, au centre duquel on trace avec du noir de fumée une ligne ou une croix. L'image de cette ligne ou de cette croix est nécessairement réfléchie par le miroir sur le cylindre. Lorsque le cylindre est mis en mouvement, le point lumineux peut être suivi d'une manière exacte par un observateur dont la main est armée d'un pinceau fin préalablement trempé dans l'encre. Le cylindre dont nous nous sommes servis, faisait un tour en quatre-vingts secondes. Ce temps était divisé en quatre parts égales par quatre lignes transversales équidistantes tracées sur le cylindre. Le premier espace, entre la première et la seconde ligne, représentait vingt secondes pendant lesquelles l'œil était dans l'obscurité, et la force électro-motrice était représentée par une ligne droite; le second espace, entre la seconde et la troisième ligne, représentait vingt secondes pendant lesquelles la lumière agissait, et pour lesquelles la variation de la force électro-motrice est indiquée par une courbe tournée soit à droite, soit à gauche; le troisième espace, entre la troisième et la quatrième ligne, représentait vingt secondes pendant lesquelles l'action de la lumière continuait et la force électro-motrice croissait graduellement ; et enfin, le quatrième espace, entre la quatrième ligne et la première représentait vingt secondes pendant lesquelles la force électro-motrice croissait d'abord, lors de la disparition de la lumière, pour décroître ensuite rapidement.

Nous avons donc prouvé par expérience: 1o que le choc de la lumière sur les yeux de mammifères, d'oiseaux, de reptiles, d'amphibies, de poissons et de crustacés, produit une variation de 3 à 10 pour 100 de la force électro-motrice normale qui existe entre la cornée et la section transversale du nerf; 2o que cette altération électrique peut être suivie jusque dans

le cerveau; 3° que les rayons que nous regardons comme les plus lumineux produisent les variations les plus considérables; 4° que l'altération de l'effet électrique, lorsqu'on fait varier l'intensité de la lumière, semble suivre de très-près les rapports fournis par la loi psycho-physique de Fechner; 5° que l'altération électrique est due à l'action de la lumière sur le tissu même de la rétine, puisqu'elle est indépendante de la portion antérieure de l'œil, ce qui détruit par conséquent la supposition que la contraction de l'iris pourrait produire un résultat semblable; 6° qu'il est possible d'arriver par des expériences à l'expression physique de ce qu'on appelle ordinairement fatigue en physiologie; 7o enfin, que la méthode qui a été employée dans ces recherches pourrait s'appliquer à l'étude des organes spéciaux des autres sens. JAMES DEWAR.

FACULTÉ DES SCIENCES DE PARIS

DOCTORAT

M. P. BROCCHI

Les organes génitaux mâles des crustacés décapodes

Les crustacés sont, pour la plupart, des animaux marins qui doivent être étudiés non loin du milieu qui les a vus naître; en effet, si l'on peut, à la rigueur, déterminer les espèces et reconnaître leurs affinités naturelles d'après les individus desséchés conservés dans nos collections, on ne saurait d'après de semblables spécimens soupçonner la structure intime de ces êtres, ni, à plus forte raison se faire une idée de leur genre de vie. Il n'est donc pas étonnant que les crustacés, sous beaucoup de rapports, soient moins bien connus que les articulés terrestres, et que certaines particularités de leurs mœurs, certains détails de leur organisation restent encore à découvrir. En effet les naturalistes, et ils étaient peu nombreux, qui par leur position, étaient à même de visiter les côtes de l'Océan et de la Méditerranée ou même encore d'y faire un séjour de quelque durée, ne trouvaient pas jusqu'à ces derniers temps, sur le bord de la mer, l'installation nécessaire à leurs observations. La création récente d'un certain nombre de laboratoires maritimes, munis de bateaux et d'engins pour la pêche, d'aquariums destinés à

est venue remédier à cet état de choses, et l'an dernier M. le docteur Brocchi a pu faire, à Marseille, dans le laboratoire des hautes études dirigé par M. Marion, des recherches approfondies sur les organes génitaux des crustacés décapodes. Les travaux considérables de MM. Audouin et Milne Edwards avaient déjà fait connaître les principaux traits de l'organisation de ces animaux, mais, en profitant des moyens d'observation et des instrumnnts plus perfectionnés dont la science dispose, M. Brocchi a pu glaner encore dans le champ parcouru par ces deux savants, et recueillir un certain nombre de faits intéressants qu'il a réunis dans une thèse inaugurale présentée, au mois de juillet, à la Faculté des sciences de Paris.

Les crustacés décapodes, c'est-à-dire les crustacés pourvus de cinq paires de pattes plus ou moins propres à la locomotion, se partagent, d'après M. Alphonse Milne Edwards, en

deux grandes sections, les macroures, dont le pénultième anneau de l'abdomen porte, soit des nageoires, soit des appendices analogues, bien que modifiés pour remplir d'autres fonctions, et les brachyures, dont l'avant-dernier anneau est dépourvu d'appendices mobiles, au moins dans l'animal arrivé à son état complet de développement. Les crustacés décapodes macroures comprennent quatre groupes principaux : les macroures cuirassés, les macroures fouisseurs ou thlassiniens, les astaciens et les salicoques. Dans le premier groupe, M. Brocchi décrit d'abord les organes génitaux màles de la langouste, du scyllare ours, du thène oriental, de l'ibacus antarctique, de la galatée striée et de la grimothée sociale. Les testicules de la langouste sont placés symétriquement de chaque côté de la région thoracique et reliés l'un à l'autre par une commissure transversale, ils se divisent en deux lobes et sont constitués par un tube très-mince enroulé un grand nombre de fois sur lui-même. Ce tube testiculaire se continue directement avec les canaux déférents, qui, en s'élargissant graduellement, forment deux verges dirigées obliquement et rattachées à deux tubercules coniques vers l'article basilaire de la cinquième paire de pattes. Par des coupes successives, M. Brocchi a reconnu que ces verges se composent d'une enveloppe avec des fibres lamineuses à la partie supérieure et des fibres musculaires assez nombreuses à la partie inférieure, et d'un manchon intérieur avec des fibres musculaires entrecroisées et disposées longitudinalement; parfois même il a trouvé, dans ces verges singulières, un tube blanchâtre enroulé sur lui-même, et renfermant, sous une enveloppe amorphe, des vésicules dont quelquesunes sont munies de prolongements en forme de cils. M. Brocchi n'hésite pas à considérer cet organe, sur lequel M. H. Milne Edwards avait déjà appelé l'attention, comme un spermatophore, c'est-à-dire comme une sorte d'étui destiné à protéger la semence lorsqu'elle est émise au dehors, et les vésicules qu'elle renferme comme de véritables corpuscules spermatiques. Les organes génitaux externes de la langouste ne sont représentés que par les deux tubercules coniques auxquels il a été fait allusion tout à l'heure, et dont l'extrémité, coupée en biseau, se ferme par une sorte de soupape. Dans tous les scyllacides, il ne paraît pas y avoir de fausses pattes modifiées pouvant intervenir dans l'acte de la génération, et l'appareil mâle renferme dans toute son étendue de grosses vésicules, contenant de petits corpuscules spermatiques, et fixées sur les parois par des pédoncules extrêmement courts. Chez les galatées, les testicules sont beaucoup moins développés que chez les autres macroures cuirassés, mais ils présentent également, dans leurs tubes enroulés, des vésicules spermatiques; enfin deux paires de fausses pattes se modifient en des appendices externes composés chacun d'une pièce recourbée et d'une sorte de cuiller, garnie de poils sur ses bords. Des transformations analogues des organes locomoteurs se remarquent chez les thalassiniens, et entre autres chez les callianasses, mais ici les appendices affectent des formes différentes, sans jouer pour cela un rôle beaucoup plus important dans la génération.

La famille des astaciens a été divisée par M. Milne Edwards en trois genres: le genre écrevisse, le genre homard et le genre nephrops. Les organes génitaux mâles de l'écrevisse d'eau douce ont été étudiés, dès l'année 1672, par Willis, et M. H. Milne Edwards en a donné d'excellentes figures dans son Histoire des crustacés et dans la grande édition du Règne animal de Cuvier. Plus récemment, M. Lemoine les a décrits avec beaucoup de détail, et, en 1872, M. Chantran a signalé la présence à certaines époques, dans la partie inférieure du canal déférent, de petits corps vermiculés d'un blanc de lait, qui sont de véritables spermatophores. De la masse testiculaire, consistant en des tubes enroulés, part un canal excréteur qui se contourne sur lui-même et vient se terminer dans la dernière patte; quant aux organes externes, ils sont consti

tués aux dépens de deux paires de fausses pattes abdominales, dont la première offre deux pièces susceptibles de se rapprocher en formant une sorte de canal, et dont la seconde est composée de trois pièces articulées les unes sur les autres. La forme particulière de ces appendices, chez certaines écrevisses de l'Amérique du Nord appartenant au genre Cambarus, a poussé M. Hagen a créer pour celles-ci un grand nombre d'espèces; mais M. Brocchi, tout en reconaissant les modifications que présentent ces organes externes des astaciens, fait remarquer avec raison qu'en admettant la manière de voir de M. Hagen, on serait conduit à établir aussi plusieurs espèces pour nos écrevisses de rivière qui varient sensiblement sous ce rapport, suivant les localités.

Les homards se séparent des écrevisses par leur rostre grêle et armé de chaque côté de trois ou quatre épines, par la petitesse de l'appendice lamelleux des antennes externes, et par la soudure intime du dernier anneau du thorax avec les précédents; mais ils se distinguent encore, comme l'a reconnu M. Brocchi, par la disposition de leurs appendices mâles qui sont constitués par deux articles, l'un basilaire et prismatique, l'autre en forme de sabre et mobile sur le précédent. Les testicules ressemblent à ceux de la langouste et la verge renferme souvent un petit tube blanc et mou, facilement isolable, qui contient des. corpuscules ciliés très-nombreux; ce tube doit encore être considéré comme un spermatophore.

A la suite des macroures proprement dits se placent les macroures anormaux, c'est-à-dire les paguriens, les hippiens et les porcellaniens. Dans tous ces animaux, et entre autres le pagure strié qui habite, comme chacun sait, les coquilles des Murex et des tritons, l'appareil reproducteur n'occupe pas la même région du corps que chez les macroures normaux; il est placé dans la portion abdominale, mais les canaux déférents vienent encore déboucher à la base des pattes de la cinquième paire; toutefois, les appendices externes pouvant servir à la copulation font entièrement défaut. La masse testiculaire ne renferme dans son extrémité postérieure que des corpuscules libres; mais un peu plus bas se montrent de grosses vésicules à double contour portées sur de courts pédoncules; enfin plus bas encore, le long des canaux déférents, apparaissent d'autres vésicules moins volumineuses et munies, au contraire, de pédoncules très-allongés. Comme les premières, ces vésicules du deuxième degré renferment des corpuscules spermatiques parfaitement distincts; mais, par cela même qu'elles adhèrent aux parois du tube testiculaire et des canaux déférents, elles ne peuvent être nommées spermatophores.

Des observations qui précèdent, il résulte que, chez les décapodes macroures, les testicules sont pairs et reliés souvent par une commissure en arrière de l'estomac; que chacun d'eux se compose de deux ou plusieurs lobes et est constitué, en dernière analyse, par un tube pelotonné sur luimême; que ce tube, formé presque uniquement par du tissu conjonctif, est tapissé intérieurement par une couche spermatogène produisant des vésicules séminales; qu'il se continue directement par les canaux déférents, donnant parfois aussi naissance à des vésicules séminales, mais renfermant, de plus que le tube testiculaire, de nombreuses fibres musculaires et que les verges ne sont autre chose que l'extrémité inférieure des canaux déférents, attachée au pourtour de l'orifice génital, orifice qui est muni généralement dans l'article basilaire des pattes de la cinquième paire; les deux premières paires de pattes se modifient plus ou moins pour intervenir dans l'acte de la fécondation; mais il paraît bien prouvé qu'il n'y a jamais chez les macroures de véritable copulation, quoiqu'on ne sache pas encore comment l'élément fécondant est mis en contact avec les œufs.

Les crustacés décapodes brachyures peuvent être divisés en deux grandes sections, les microcéphalés, qui ne ren

f

erment qu'une seule famille, celle des leucosiens, et les macrocéphalés, comprenant les portuniens, les cancériens, les ocypodiens, les grapsoïdiens, les inachoïdiens et les parthénopiens. C'est dans la famille des portuniens que se rangent les Neptunus dont une espèce, le Neptunus diacanthus ou crabe de l'Océan de de Gur, a été prise par M. Stimpson comme type d'un nouveau genre, le genre Callinectes. Un autre carcinologiste, M. A. Ordway, a même cru reconnaître dans ce genre nouveau neuf espèces différant l'une de l'autre par la forme des appendices génitaux; mais M. Brocchi, qui a eu entre les mains un grand nombre de spécimens de Neptunus diacanthus, n'a reconnu que deux types distincts, caractérisés l'un par des verges extrêmement courtes, l'autre par des appendices très-allongés, ressemblant à ceux du Neptunus pelagicus. Dans les carciniens, et entre autre chez le Portunus corrugatus, qui est fort commun sur les côtes de la Provence, les canaux déférents sont très-longs et garnis de fibres musculaires dans toute leur étendue, et les verges sont invaginées, l'extrémité inférieure étant rentrée dans le canal dont ces organes sont creusés. Une disposition analogue se rencontre chez le Carcinus manas ou crabe enragé, qui est beaucoup plus répandu sur les côtes de l'Océan que sur le littoral méditerranéen. M. Hallez, qui a fait une étude du développement des spermatozoïdes sur les décapodes macroures, et qui n'admet pas chez ces animaux l'existence de spermatophores, a vu chez le crabe enragé les cellules spermatiques, pourvues à l'origine de canaux déférents, se revêtir d'une couche albumineuse, d'une sorte de kyste, et être portées, dans cet état, jusque dans les organes génitaux de la femelle; ces kystes, pour M. Brocchi, doivent prendre le nom de spermatophores, puisqu'ils servent au transport des spermatozoïdes, et que ceux-ci, une fois mis en liberté, s'allongent, perdent leur noyau et deviennent fusiformes. M. H. Milne Edwards a donné dans le Règne animal une belle figure des organes internes du crabe tourteau (Cancer pagurus), et M. Duvernoy a décrit et figuré les appendices mâles de ce crustacé, dont la première paire est forte et composée d'une lame testacée épaisse, enroulée sur elle-même et formant un canal complet dans la plus grande partie de leur longueur, tandis que la deuxième paire est formée par deux organes allongés et biarticulés. Les ériphies, les pilumnes, les lophactées, les gélasimes, les ocypodes, les grapses, les sésames, les cardisomes, les telphuses, etc., présentent des dispositions intéressantes sur lesquelles nous ne pouvons insister ici, et le Maia squinado, que M. Brocchi a eu maintes fois l'occasion d'observer sur les côtes de Bretagne, a offert encore à ce naturaliste des amas de corpuscules spermatiques renfermés dans une enveloppe amorphe représentant un spermatophore. En résumé, chez les décapodes brachyures, les organes génitaux mâles sont disposés symétriquement comme chez les macroures; ils se composent essentiellement d'une paire de testicules, de canaux déférents et d'une paire de verges membraneuses qui font constamment saillie au dehors; de plus, il y a toujours des organes externes formés aux dépens d'une paire de fausses pattes modifiées. Seulement, chez les brachyures, les testicules sont complétement indépendants l'un de l'autre, les canaux déférents, pas plus que les tubes testiculaires ne renferment ces vésicules singulières qui existent chez les décapodes macroures, et les verges, dont l'extrémité est ordinairement invaginée, sont souvent hérissées de poils et encroûtées de substance calcaire. Sauf chez les lithodes, les appendices externes sont bien visibles et ceux de la première paire sont toujours canaliculés. Cette complication de l'appareil générateur correspond à un perfectionnement dans la manière dont s'opère la fécondation; chez les brachyures, en effet, il y a une véritable copulation.

De l'ensemble de ses recherches, M. Brocchi conclut que ni la position, ni la forme des orifices génitaux ne peuvent

fournir de caractères de classification chez les macroures, et que les modifications subies par l'appendice basilaire de la cinquième paire de pattes ne sont pas assez sensibles, sauf chef les macroures anormaux, pour pouvoir être utilisées par les zoologistes; en revanche, la présence ou l'absence des appendices mâles vient souvent à l'appui de certaines coupes génériques. Chez les décapodes brachyures, il ne faut pas attacher beaucoup plus d'importance à la position de l'orifice mâle, qui est situé d'ordinaire à la base des pattes de la cinquième paire, mais qui se trouve, chez les catométopes, sur le plastron sternal; quant aux appendices mâles, ils offrent, dans les brachyures, de bons caractères pour reconnaître les familles, et peuvent même, dans certains cas, servir à établir des distinctions spécifiques.

Comme on le voit par cette analyse rapide, la thèse de M. le docteur Brocchi, accompagnée de près de deux cents figures gravées avec soin, met en lumière un grand nombre de particularités anatomiques qui non-seulement pourront être employées avec succès par les carcinologistes pour le rangement méthodique des espèces, mais qui aideront les physiologistes à découvrir la manière dont s'opère la fécondation chez les crustacés, en général, et, en particulier, chez les crustacés décapodes, les plus élevés de tous en organisation.

VARIÉTÉS

L'expédition anglaise au pôle Nord.

Le 5 juin dernier était un jour de fête publique à Porstmouth. Tous les bâtiments de guerre et de commerce étaient pavoisés, une foule immense couvrait les quais et une étonnante animation se remarquait dans toutes les parties de la cité. Lors de la marée du matin, on vit sortir du port deux vapeurs d'un aspect martial et sévère accompagnés de yachts, de barques, de canots, de steamers venus de Londres et chargés d'excursionnistes. Ces deux vapeurs n'étaient autres que l'Alert et la Discovery, qui commençaient leur grande expédition au pôle Nord.

Après plus de trente années de repos (car les expéditions envoyées à la recherche du capitaine Franklin ne sont point, à proprement parler, des voyages de découvertes) l'Angleterre se décidait enfin à continuer l'œuvre des Ross et des Parry. La première nation maritime du monde comprenait qu'elle ne pouvait laisser à l'Amérique ou à l'Autriche le soin de couronner l'édifice dû à l'expédition du Polaris. Ce résultat est dû en partie à M. Disraëli qui s'est empressé, dès son installation au pouvoir, d'accepter avec quelque enthousiasme de poëte et de romancier les propositions que M. Gladstone avait prudemment refusées. Le chef du parti libéral d'Angleterre se rappelant en 1873 que les diverses expéditions frétées pour retrouver les traces du capitaine Franklin ont coûté à l'Échiquier de la présente Majesté plus d'un million de livres sterlings, avait refusé obstinément en 1874 de se rendre aux vœux unanimes de la Société royale de Londres. Le ministre patriote de la jeune Angleterre ne vit, en 1875, que la nécessité de lutter contre le mercantilisme aveugle qui a affaibli le caractère national. Il eut l'intelligence de le faire en intéressant le peuple britannique à une entreprise digne de jeter de l'éclat sur le nom anglais. Nous aurons à apprécier d'autres résultats de cette politique nouvelle lors de la prochaine session du Parlement britannique; car on peut dire que l'envoi de l'expédition anglaise au pôle Nord n'est que

l'inauguration d'un nouveau système qui conduira peut-être à la création d'un ministère des sciences et d'un conseil d'État scientifique.

Loin de craindre que la nouvelle expédition polaire n'entraîne l'État dans de nouveaux sacrifices dont il est encore impossible de deviner l'importance, M. Disraeli a bravement prévu des désastres que l'on a tout fait pour prévenir. Il a fait inscrire d'avance au budget de 1876 la somme nécessaire pour fréter un navire de secours dans le cas où, dès la fin de 1876, les explorateurs de 1875 n'auraient point donné signe de vie. Il a cherché patriotiquement à associer la royauté britannique à ces efforts. Le prince de Galles a passé en revue les équipages et inspecté les navires avec un soin minutieux et une bienveillance que les princes anglais mettent rarement dans leurs rapports avec de futurs sujets. Excité par cet exemple, qui est décisif de l'autre côté du détroit, l'opinion s'est émue, le maire de Porstmouth a donné un grand banquet en l'honneur des officiers et un bal aux matelots. On a fait à ces braves gens, qui allaient s'exposer pour la science à la plus cruelle des morts, les mêmes honneurs que s'ils revenaient triomphants de quelque expédition nouvelle, dans laquelle ils auraient cueilli sur une terre arrosée de sang humain quelques nouveaux lauriers.

L'amirauté anglaise a eu l'orgueil de dire Britannia fara da se. Elle n'a pas craint de paraître ingrate et de repousser le frère du lieutenant Bellot, qui lui-même, lieutenant dans notre marine nationale, venait réclamer le droit de partager les dangers du capitaine Narès, commandant de l'expédition, du capitaine Markham de l'Alert et du capitaine Henry Stephenson de la Discovery. L'amirauté a plus sagement refusé les offres de coopération qui lui étaient adressées par le gouvernement allemand. Elle s'est montrée si jalouse de son monopole, qu'elle n'a pas voulu admettre le propre neveu du capitaine Franklin. Lady Franklin, pour donner à ce jeune homme les moyens de s'illustrer, a été obligée de fréter, avec l'aide généreuse de M. Bennett, l'expédition polaire de la Pandora. C'est le dernier sacrifice que cette noble dame, qui vient d'expirer il y a quelques jours après une longue maladie, a pu faire pour la cause des explorations polaires!

Les savants eux-mêmes n'ont point échappé à ce farouche ostracisme. L'amirauté n'a voulu cette fois admettre à bord de ses navires ni astronomes, ni géologues, ni météorologistes, ni naturalistes. Elle a décidé que tous les spécialistes devaient être pris sans exception parmi des hommes déjà engagés au service de la marine nationale. Elle a choisi de jeunes officiers dont l'éducation spéciale a été complétée pendant les préparatifs de l'expédition, mais qui avant d'être savants sont marins, c'est-à-dire qui ont avant tout l'esprit de discipline et l'amour du pavillon.

La rigueur avec laquelle ces principes ont été suivis est véritablement toute spartiate. Le comité de l'expédition polaire s'est décidé à publier un volume d'instructions ou plutôt une véritable encyclopédie des explorations polaires. Rédigé par des vétérans des mers arctiques, ce précieux volume, bien different des manuels ordinaires, restera comme un monument de la science physique et nautique à l'époque actuelle. L'expédition échouerait (ce qu'à Dieu ne plaise et ce qui est peu à craindre) qu'il laisserait dans l'histoire des progrès de l'esprit humain une trace indélébile. Ce volume si précieux formait à lui seul un des plus beaux ornements de la section anglaise à l'exposition de géographie; on peut le considérer comme une encyclopédie complète de toutes les connaissances utiles aux explorateurs des régions polaires. On y trouve jusqu'à un lexique et une excellente grammaire groënlandaise. L'amirauté ayant eu l'heureuse idée de former à bord des navires expéditionnaires une bibliothèque renfermant la majeure partie des ouvrages publiés sur les explo

rations polaires, l'intéressant récit du lieutenant Tyson sera lu par les deux équipages. Les tristes suites de l'insubordination et de l'égoïsme qu'il raconte avec l'accent de la vérité agira puissamment sur le moral des braves matelots anglais, et les confirmera dans leur amour du devoir.

Les mêmes principes inflexibles ont présidé au choix des équipages. On a pris des hommes d'élite pour la vigueur corporelle, la santé, le bon esprit, l'habileté nautique. On peut dire, à l'honneur des marins britanniques, que les deux navires qui partent pour cette expédition si pénible sont montés par la fleur des matelots anglais. Le capitaine Narès n'oublia aucun menu détail; il poussa la sollicitude jusqu'à faire visiter par des chirurgiens les mâchoires des hommes qui s'offraient comme volontaires, afin de s'assurer qu'ils pourraient facilement se nourrir des viandes les plus dures et les plus coriaces, et qu'ils seraient peu exposés au scorbut pendant les longues nuits de l'hivernage. L'amirauté ne négligea rien, comme on le voit, pour empêcher la maladie de décimer les rangs des équipages et l'esprit d'indiscipline de paralyser l'action des états-majors. L'exemple de l'expédition du Polaris, qui échoua principalement à cause du mauvais recrutement des officiers et des matelots, imposait sous ce point de vue à l'amirauté britannique les plus sérieuses obligations, il faut bien le reconnaître, car le brave capitaine Hall avait pêché par un autre excès en admettant sous son pavillon un ramassis de mercenaires qui n'avaient d'américain que le nom.

Mais si les Anglais ont voulu que l'expédition restât strictement britannique, ils ont mis à profit, sans distinction de provenance, tous les résultats que l'expérience des autres nations avait acquis dans ces dernières années.

La route à suivre a été longuement et sérieusement étudiée par la Société royale de Londres, qui a profité des sages avis du professeur Nordenskiöld et des résultats de l'expédition du Tegethoff. Les Autrichiens et les Suédois ont enseigné aux lords-commissaires ce qu'il fallait ne pas faire si l'on voulait arriver au pôle Nord. Ainsi malgré les protestations d'un géographe célèbre, M. Peterman, qui persiste à préconiser la route du Spitzberg, il a été décidé unanimement qu'on suivrait la voie ouverte par les Américains. Les deux navires se rendront de conserve dans le fond du détroit de Smith, où débouche le détroit de Robeson, seule issue connue pour aller par voie de mer à la conquête du pôle. On a pu voir dans la salle de la Société de géographie consacrée à l'Angleterre une magnifique carte qui résume admirablement l'état des dernières découvertes polaires, et qui sollicite à un haut degré l'attention publique, car la route glorieusement tracée par le capitaine Hall, ce pionnier si malheureux, mais si méritant, doit servir à ses successeurs. Ils suivront, pour ainsi dire, pas à pas le sillon que le Polaris a laissé dans les régions polaires. Leurs découvertes ne commenceront qu'à partir du lieu où le capitaine Hall, à bout de forces, épuisé par la maladie et l'indiscipline, a été obligé de s'arrêter. La première station d'hivernage à laquelle ils doivent être maintenant parvenus, à moins que les chaleurs exceptionnelles qui se sont prolongées jusqu'au commencement de septembre ne les ait décidés à pousser plus loin, sera la tombe de ce grand explorateur.

L'expérience si chèrement acquise par les Américains, lors de leur belle et funeste expédition du Polaris, a été utilisée pour le choix de la baie d'hivernage. On a tenu compte de la masse de glaces qui encombrent le détroit de Robeson pendant les mois les plus chauds de l'année et de la rapidité des courants qui y ont été observés. Les instructions emportées par le capitaine Narès ne lui enjoignent de ne chercher à forcer ce passage si redoutable que s'il trouve des chances sérieusement favorables. Le succès de l'expédition, et c'est là son caractère principal, n'est point entièrement subordonné à l'issue des opérations maritimes.

Les deux navires emportent avec eux des traîneaux d'une

forme perfectionnée, qui permettront sans doute à de hardis explorateurs de s'avancer jusqu'à la côte septentrionale du continent, tandis que leurs navires hiverneront en sûreté sur la rive méridionale.

C'est seulement au printemps prochain, à moins de circonstances exceptionnellement favorables, que l'expédition s'engagera dans le détroit de Robeson. Même alors, un seul des deux navires s'y aventurera. L'autre restera au point d'hivernage, afin de servir de réserve et de dépôt ainsi que de lieu de refuge. En cas d'accident, il restera toujours disponible pour ramener en Angleterre le personnel de l'expédition.

La prudence la plus sévère a été imposée aux officiers qui commandent les mouvements de l'Alert et de la Discovery. On fait le blocus systématique du pôle Nord, mais on ne se propose pas en quelque sorte d'y entrer par surprise, comme s'il s'agissait de forcer les portes ou de faire brèche dans les murailles d'une place assiégée.

Les enseignements du siége de Paris n'ont point été perdus non plus pour l'amirauté britannique, qui a décidé que des pigeons voyageurs seraient emportés par les deux bâtiments, qui pourront ainsi rester constamment en communication l'un avec l'autre. Les traîneaux en expédition pourront également utiliser l'aile de ces intelligents oiseaux pour donner quotidiennement de leurs nouvelles aux navires retenus à leur hivernage. Les observations, faites de conserve avec une entente parfaite, pourront acquérir de la sorte un degré d'efficacité inconnu jusqu'à ce jour, nous pouvons même dire inespéré.

L'Alert et la Discovery ont été accompagnés jusqu'à l'île de Disco, vers le 70° degré de latitude boréale, par le steamer de guerre le Valeureux, chargé de provisions et de charbon pour remplir les vides créés par la traversée, et pour établir dans cette ultima Thule de la civilisation danoise un dépôt de vivres, de combustibles et d'effets de campement.

Le Valeureux est revenu à Porstmouth, après s'être acquitté de la façon la plus brillante de sa difficile et importante mis. sion. Les premiers rapports du capitaine Narès rapportés en temps utile ont pu être lus et commentés devant l'Association britannique dans sa session de Bristol. Un savant distingué, qui avait fait partie de l'expédition du Valeureux, a même pu donner de vive voix toutes les explications nécessaires. C'est donc seulement à partir du 17 août, lorsque le Valeureux a vu les deux navires disparaître dans les brouillards, que commence la partie mystérieuse de cette grande. épopée maritime.

La traversée de Porstmouth à Disco a été d'une longueur peu ordinaire, à cause de la violence des vents du Nord. Les navires, qui n'avaient pas tardé à se perdre de vue, ont essuyé de violentes tempêtes dans lesquelles ils ont éprouvé des avaries graves. L'Alert et la Discovery, peu taillés pour une marche rapide, ont plus souffert que le Valeureux, qui est arrivé trois jours avant à Disco. Les deux navires avaient perdu des embarcations qui ont pu être remplacées grâce à l'armement du Valeureux, dont les cales ont été mises à contribution. En quittant Disco, ce qui est sans exemple jusqu'à ce jour, les deux navires avaient autant de vivres et de charbon qu'à leur port d'armement.

De plus, le gouvernement britannique avait fait demander par son ambassadeur auprès de la cour de Copenhague les autorisations nécessaires pour engager des guides esquimaux et pour acheter des équipages de chiens. Aucun obstacle administratif du genre de ceux contre lesquels beaucoup de voyageurs ont eu à lutter n'a paralysé les mouvements de l'expédition nouvelle. M. Smith, l'inspecteur du Groenland septentrional, a mis le capitaine Narès à même de se procurer un équipage de soixante chiens, magnifiques animaux, la plupart en pleine croissance. La quantité de charbon qui était sur le pont des navires a été suffisante pour qu'ils aient

pu atteindre le bord des glaces de la baie de Melville sans toucher à leur provision réglementaire.

Le séjour dans la petite bourgade de Disco a été une série de fêtes. Les navires ont fraternisé avec les indigènes. Malgré leur froideur, peut-être exagérée, les journaux illustrés d'Angleterre étalent des dessins faits d'après des photographies montrant que les indigènes ont reçu les marins britanniques avec une cordialité peut-être excessive.

Le capitaine Narès est parvenu à s'assurer le concours du célèbre Esquimau Hans, qui avait fait partie de l'expédition du docteur Kanc, des expéditions du capitaine Hall, et qui était revenu des régions polaires avec le lieutenant Tyson sur le glaçon du Polaris.

Après avoir quitté Disco, les deux bâtiments se sont dirigés vers Uperniavik et de là vers l'entrée du détroit de Smith en négligeant les précautions ordinaires.

Jusqu'à ce jour les explorateurs qui se sont hasardés dans ces mers redoutables ont perdu plusieurs semaines à suivre les détours de la baie de Melville, afin de rester près du rivage, où la glace commence à fondre avant que la haute mer soit dépassée. Le capitaine Narès a tracé hardiment un sillon à travers la masse de glace que les marins nomment le Paquet, parce qu'elle est formée des débris accumulés de la Banquise.

Grâce à sa manoeuvre hardie, le capitaine Narès n'a mis que dix jours à passer du 70° parallèle au 77°; il ne lui manque plus que 7 degrés pour parvenir aux extrêmes limites entrevues par le capitaine Hall. Il a donc fait en dix jours, puisqu'il est parvenu le 27 juillet au 77° parallèle, plus des deux tiers de la distance qui sépare Disco du pôle. La mer était belle et sans glaces quand le vaillant officier a déposé sous le cairn des îles Carey les dépêches que le capitaine de la Pandore devait y découvrir.

On s'attendait à rester sans nouvelles jusqu'à l'ouverture des glaces, au printemps de 1876; mais un événement imprévu a donné une satisfaction inattendue à l'opinion publique. La Pandore, qui avait quitté Portsmouth le 23 juin 1875, y revenait inopinément le 18 octobre après une courte campagne de cent quatorze jours, n'ayant pu franchir le détroit de Peel et se rendre à la terre du Roi-Guillaume pour réaliser réellement le passage du nord-ouest, et rechercher les dernières reliques abandonnées par l'Erebe et la Terreur, le capitaine Young n'avait pas voulu retourner en Angleterre sans rapporter des nouvelles de l'expédition du capitaine Narès.

Avant de mettre le cap vers le sud, il avait fouillé l'archipel des îles Carey, situé à l'embouchure du détroit de Smith, par 77 degrés de latitude boréale, et découvert sous un cairn des dépêches du commandant de l'Alert et de la Discovery, de sorte que l'on connaît l'histoire de l'expédition jusqu'à la date du 27 juillet.

Une seconde lettre, mais n'allant qu'à la date du 22 juillet, a donné quelques détails nouveaux confirmant les excellentes nouvelles que la Pandore a apportées. Plusieurs journaux, en les reproduisant, ont cru qu'il s'agissait de faits plus récents que ceux déjà connus.

Dans un de ses derniers numéros, le New-York Herald rapporte que le baleinier à vapeur Onward est arrivé à San-Francisco, de retour de la mer de Behring, qu'il a traversée libre de glaces jusqu'à une latitude inusitée. Il a pu s'approcher de l'embouchure presque toujours inaccessible du Mackenzie.

Tous les renseignements concourent donc à nous faire croire que l'expédition anglaise a trouvé une saison exceptionnellement favorable, et qu'elle est parvenue aux latitudes atteintes par le Polaris environ un mois plus tôt.

Voyons quelles ressources sont à sa disposition pour lutter contre les obstacles qu'elle a pu rencontrer, et dont rien ne peut nous faire deviner ni la nature ni la gravité.

Nous ne dirons rien des particularités offertes par les vête

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