Page images
PDF
EPUB

Lorain propose une théorie nouvelle sur la répartition et la compensation de la chaleur animale. La circulation est étudiée à l'aide du sphygmographe de Marey, de nombreuses planches marquent ses variations, et l'explication rationnelle de ses diverses formes s'en déduit naturellement. - Enfin Lorain propose quelques moyens thérapeutiques fondés sur l'expérience physiologique et rapporte un cas de guérison obtenu par l'injection d'eau dans les veines d'un cholérique, pour qui tout espoir était perdu.

Ces conclusions ne sont pas toutes absolument neuves, quelques-unes avaient déjà été entrevues ou indiquées par MM. Charcot, Gubler, Marey. Mais ce qui constitue l'œuvre de Lorain, c'est qu'il a soumis les points dont il a abordé l'étude à une analyse si minutieuse, si rigoureuse, qu'ils sont aujourd'hui à l'abri de toute critique.

Deux ans après, Lorain donnait ses Etudes cliniques faites avec l'aide de la méthode graphique et des appareils enregistreurs (Le pouls, Paris, 1870). Le rhythme, la forme du pouls, y sont représentés et analysés avec non moins de rigueur dans les maladies du cœur, dans les fièvres graves, les inflammations. Le dernier chapitre est consacré à la thérapeutique, principalement à l'étude de l'action de la digitale, et nous ne possédons sur l'emploi de ce médicament rien de plus précis au point de vue de l'action thérapeutique et de la médecine légale.

Faire que la médecine ne soit plus un art conjectural, tel est le but que Lorain a assigné à ses efforts, et il a réussi à donner à certains chapitres de médecine une précision scientifique. Il a développé cette idée dans une leçon insérée dans la Revue en 1870, et nul doute que nous ne devions le suivre dans cette voie si nous voulons enfin avoir une science positive. Il y a loin, on le voit, de ce doute philosophique au scepticisme reproché à notre maître.

Nous passons sur un grand nombre d'articles insérés dans les revues, les journaux, les dictionnaires, sur les communications faites aux sociétés anatomique, de biologie, médicale des hôpitaux, etc. Ce que nous voulions montrer, c'est que la caractéristique des œuvres de Lorain est la recherche de la précision, c'est qu'il ne tenait pour acquis que ce qui était devenu évident, incontestable. Ajoutons que la partie de ces recherches actuellement publiée représente une faible portion de l'immense travail dont il avait accumulé les matériaux. Désigné par l'auteur pour coordonner ceux qui n'ont pas encore vu le jour, nous acceptons cette mission et nous nous efforcerons d'arracher à l'oubli les travaux de notre maître vénéré.

Ceux qui ont connu Lorain, qui suivaient ses visites à l'hôpital, qui allaient l'écouter et l'applaudir à l'amphithéâtre de l'École, ont tous été frappés d'un contraste étonnant entre ses écrits et sa parole, Dans les premiers rien n'est laissé à l'imprévu, tout est rigoureux, scientifique, et l'ouvrage doit à ses qualités mêmes un caractère un peu sévère. Lorsqu'il parlait au contraire, son imagination semblait se donner pleine carrière, son langage s'animait, se revêtait des plus vives couleurs. Doué d'une facilité d'élocution, d'une élégance de diction extrêmes, Lorain savait souligner par les expressions les plus heureuses les idées qu'il voulait faire pénétrer dans l'esprit de ses élèves. D'une haute stature, l'œil vif, pénétrant, la bouche fine et spirituelle, il dominait ses auditeurs et ne permettait pas à leur attention de se perdre, il les enchaînait par sa parole. A l'hôpital il semait à pleines

mains les aperçus les plus divers, il pensait tout haut, et trouvait dans ses travaux antérieurs, dans son érudition, les éléments de la plus attrayante conversation. Toujours varié, séduisant, il revêtait chaque remarque de son originalité personnelle, il ne ressemblait à aucun de ses maîtres, il était lui-même, et ses observations portaient sa marque propre.

Appelé à quarante-cinq ans, en 1872, il y a trois ans seulcment, à succéder à Daremberg dans la chaire d'histoire de la médecine, il avait su grouper autour de lui un auditoire charmé par cette parole à la fois familière et élevée. Daremberg, savant éminent, avait cherché à reconstituer dans son cours la tradition médicale, en s'appuyant sur une interprétation rigoureuse des textes, et cette méthode, parfois un peu aride, avait procuré plus de succès à l'helléniste qu'au professeur. Lorain suivit une autre voie, il fit revivre les médecins dont il rapportait les opinions dans le milieu où ils avaient vécu : c'étaient eux et leur temps avec les qualités et les défauts qu'ils devaient à leur époque et à eux-mêmes. It entrait sans difficulté dans leur existence, dans leur pensée; familier avec l'histoire des sociétés qui les avaient vus naître, il en reconstituait le tableau avec une vérité et une facilité de peinture qui étaient réellement saisissantes. C'était là qu'on sentait la supériorité de cette intelligence qui se déployait sans effort et qui faisait aimer à la jeunesse cette histoire de notre art si pénible à posséder quand elle se présente avec la pesanteur et la solennité qui l'entourent d'ordinaire.

Après avoir conté, comme en causant, les travaux et les luttes de ses devanciers, Lorain passait sans transition à l'époque actuelle, montrait dans une exquisse rapide les progrès accomplis, et laissait entrevoir l'avenir.

Il procédait par tableaux et par anecdotes, et dégageait en quelques mots l'enseignement que comportait la vie qu'il venait d'étudier. Il insistait sur le côté moral de ces aperçus biographiques, et s'il aimait à s'étendre sur les côtés brillants de l'histoire de la médecine, s'il aimait à évoquer le souvenir des hommes qui avaient honoré notre profession, il frappait aussi et sans pitié les faux savants qui ont toujours encombré les voies de la science.

L'ambition de Lorain avait toujours été d'atteindre au professorat; le succès de ce si court enseignement montre combien cette ambition était légitime. Candidat ou professeur à la Faculté de médecine, il ne s'aveuglait pas sur les lacunes de l'enseignement officiel; nous avons déjà rappelé ses publications sur la médecine en Allemagne et en Angleterre ; il ne redoutait pas pour la Faculté la concurrence, il l'appelait au contraire et pensait qu'elle se retremperait dans la lutte, et qu'elle marcherait d'un pas plus vif dans la voie du progrès. Il prit une part importante aux discussions qui, dès la fin de l'empire, ont précédé la loi sur la liberté de l'enseignement. supérieur. Il a publié, dans la Revue, plusieurs articles sur cette question, et il demandait surtout qu'on donnât aux villes le droit de fonder des universités. C'était là, selon lui, qu'était le véritable avenir de l'enseignement supérieur. Mais son désir de réforme ne l'égarait pas ; il aimait trop cette Université qu'il avait appris à vénérer dans sa famille pour ne pas espérer que ce serait elle qui serait à la tête du mouvement; son patriotisme ardent lui faisait croire que ce serait elle aussi qui nous permettrait de lutter avec succès contre la concurrence des pays étrangers et contre celle qui se dresse à l'intérieur.

En médecine et dans les contacts de la vie journalière,

412

Lorain était d'une extrême sensibilité. Tout ce qui était incorrect le blessait vivement. Doué d'une na'ure d'artiste, il avait les aspirations les plus nobles vers le beau et ne parvonnait ni aux hommes, ni aux partis les écarts inséparables de la lutte. D'un caractère gai et ouvert, il se repliait soudain sur lui-même dès qu'il découvrait une action basse ou une intention eoupable; l'impression n'était pas passagère, elle durait et le plongeait parfois pendant longtemps dans de profonds découragements. Nul en revanche n'avait de plus vifs, de plus brillants enthousiasmes; dès qu'il voyait un effort généreux, il n'épargnait à son auteur ni les encoura gements, ni l'appui de son influence. Il aimait le progrès et s'attachait à ceux qui le cherchaient avec lui. Aussi les jeunes savants sentent la grande perte qu'ils ont faite: Lorain était pour eux un guide, un soutien; son esprit de justice l'emportait même sur ses affections les plus chères; il était un de ceux dont on peut conquérir par le travail la bienveillance et la protection.

Les élèves à qui il prodiguait à l'hôpital les marques de sa bienveillance ne s'y sont pas trompés, et l'hommage qu'ils ont rendu à sa mémoire ne s'adressait pas seulement au professeur éloquent et savant, mais à l'homme dont ils avaient pu connaître l'inépuisable bonté.

Toute sa vie, Lorain a poursuivi le même but: apprendre et enseigner; nous venons de rappeler avec quel succès il l'avait atteint. Il nous reste à dire quel homme il était auprès des malades de la ville.

La profession médicale ne fut pas pour lui lucrative. Il n'aimait pas l'argent et il n'a jamais cherché à recueillir que celui qui lui était indispensable pour vivre et suffire aux soins de ses travaux. Il dérobait à la clientèle le plus de temps qu'il pouvait pour le consacrer à ses études, et dès que l'existence était assurée il limitait ses devoirs professionnels, et priait les malades de s'adresser à de plus jeunes confrères. Il n'y a qu'une classe de clients qu'il n'a jamais rebutée, c'est celle qu'il traitait gratuitement: ceux-là ont toujours trouvé son cabinet ouvert et son dévouement à leur service. Sa mort en est un éclatant témoignage. Il était au milieu de ses livres, dimanche dernier, et avait recommandé qu'on ne le dérangeât pas. On vient le chercher pour l'enfant d'un pauvre ménage qui demeure aux environs de la Bastille, il craint qu'en son absence et à cause même de son défaut de fortune le malade ne reçoive pas les soins nécessaires. Il n'hésite pas à se rendre à cet appel. Frappé d'éblouissements en arrivant au cinquième étage, il demande à se coucher, prie qu'on envoie chercher madame Lorain, s'étend sur un pauvre lit, perd connaissance et succombe en une demi-heure, au mal qui l'étreint. Si une si triste mort avait besoin d'être entourée d'un nouvel éclat pour servir d'exemple à la jeunesse médicale, où trouverait-elle un plus beau modèle?

Dans cette foule énorme qui s'était empressée hier aux obsèques de Lorain, on voyait mêlés des savants, des artistes, des pauvres et presque tous les habitants du quartier de l'Odéon; chacun racontait quelque trait de cette vie si bien remplie; cette cérémonie montre quel était l'homme qui venait de disparaître, et cette union des savants et des pauvres symbolise à merveille toute cette existence.

Lorain portait dans ses amitiés et dans sa vie journalière le même dévouement et le même désintéressement. L'un de ses plus chers amis, M. Sainte-Claire Deville, tient à ce

que l'un de ces actes ne soit pas oublié. Pendant la Commune, Lorain avait eu à sa petite campagne d'Azay-le-Rideau des accidents d'étranglement intestinal. Rentré à Paris trop prématurément, une péritonite partielle était survenue; Lorain ne sortait pas et n'avait pas encore osé s'exposer aux secousses d'une voiture. M. Sainte-Claire Deville reçoit une dépêche annonçant que son fils est à Nantes gravement malade ; il n'a que le temps de courir au chemin de fer et prie un de ses amis de communiquer la dépêche à Lorain et de lui demander son avis. Le lendemain matin, oublieux de ses souffrances et du danger auquel il s'exposait, Lorain était à Nantes, auprès du lit du fils de son ami, et il était assez heureux pour que son conseil fût réellement le salut du malade.

En 1868, Lorain, qui était connu de M. Duruy, apprend que le ministre l'a inscrit sur la liste des savants qui doivent recevoir la croix de la Légion d'honneur. Sur-le-champ il va trouver M. Sainte-Claire Deville et le force à employer son autorité pour que le nom d'un de ses collègues plus ancien que lui de nomination soit substitué au sien. Il l'obtient et ne reçoit lui-même cette croix, objet de tant de convoitises' qu'il y a trois mois, en août 1875.

Ceux d'entre nous qui furent admis à ces réunions de huit ou dix amis, qui le mardi soir se groupaient autour de Lorain, savent quelle fut sa vie de famille, et quelle était l'union que sa mort a rompue. Lorsqu'elle fut en présence de son mari expirant, Mme Lorain l'a retracée dans une seule exclamation : « Huit ans de bonheur ! »

Notre maître laisse deux fils; ses élèves n'oublieront pas ce qu'ils doivent à celui qui a gravé dans leur esprit l'amour du devoir et du travail; ils se souviendront que quelques jours avant sa mort Lorain résumait ainsi à un de ses amis ce qui est en réalité la philosophie de sa vie : « Ne cherchons pas à être des habiles, contentons-nous d'être honnêtes, et tâchons de ne pas disparaître sans avoir fait quelque bien. » P. BROUARDEL,

27 octobre 1875.

Agrégé à la Faculté de médecine de Paris.

Les funérailles de M. P. Lorain ont eu lieu mardi à midi et un quart, à Saint-Sulpice, au milieu d'une affluence tout à fait extraordinaire. Il y avait certainement plus de trois mille personnes.

Voici le discours prononcé au cimetière Montparnasse par M. Vulpian :

« Messieurs,

>> Nous voici réunis pour rendre les derniers devoirs à l'un des plus jeunes parmi nos collègues, à notre ami le professeur Lorain, qu'une mort inopinée vient de foudroyer à l'àge de quarante-huit ans.

>> Quel terrible événement! Quelle affreuse douleur pour les siens, pour ses amis ! Quelle perte cruelle pour les hôpitaux et pour la Faculté de médecine!

» Sous le coup d'une violente émotion, je ne me sens pas la force de retracer la vie de travail, de luttes, de succès de notre cher collègue. Et cependant je ne puis me dispenser d'en dire quelques mots, afin de montrer de quelle profondeur est le vide que la mort vient de creuser au milieu de

[blocks in formation]

précédente (1860), il avait été nommé agrégé de la Faculté à la suite d'un brillant concours. Et enfin, sur la présentation de la Faculté, il est nommé professeur d'histoire de la médecine en 1872.

» Daremberg, cet homme savant qui avait occupé le premier la chaire de l'histoire de la médecine, n'avait pas eu le temps de fonder l'enseignement qu'il inaugurait à la Faculté. Ce que la maladie n'avait pas permis à Daremberg, notre collègue Lorain réussit à le faire, au delà même de nos espérances, grâce à ses remarquables qualités professorales.

» L'étendue et la solidité de ses connaissances scientifiques, la facilité et la distinction de son langage, la finesse de ses aperçus et les vives saillies de son esprit lui attiraient un grand nombre d'auditeurs. Mais son succès avait d'autres éléments. Clinicien consommé, rompu à toutes les méthodes actuelles d'examen des malades, il pouvait mieux que personne établir une comparaison instructive entre la médecine moderne et celle des temps passés. En outre, sachant les principales langues étrangères, il pouvait faire assister ses auditeurs au mouvement scientifique si considérable qui se produit dans toutes les régions du monde savant. Il pouvait donc montrer le point précis où s'étaient arrêtées, sur telle ou telle question, les recherches les plus récentes, soit en France, soit à l'étranger; il pouvait indiquer les voies à suivre et les moyens à mettre en usage pour tenter d'aller plus loin. Il inspirait ainsi le goût et le désir du travail, et c'était là un des attraits principaux de son enseignement.

» Esprit actif, chercheur et original, doué d'une brillante imgination qu'il semblait s'appliquer sans cesse à dompter, il s'était pris d'une véritable passion pour les applications. des sciences physiques, chimiques et physiologiques à la pathologie. Il prônait constamment, soit dans ses propres écrits, soit dans ceux dont il donnait si libéralement l'idée à ses élèves, l'importance de toutes ces applications, et il est un des médecins qui ont le plus contribué à introduire dans les recherches cliniques l'emploi de la balance, de l'analyse chimique, de la thermométrie, de la sphygmographie et de la cardiographie, Ses ouvrages sur le choléra (1868) et sur le pouls et ses variations dans les maladies (1870), resteront comme des modèles parmi les travaux qu'a fait naître l'introduction des sciences exactes dans le domaine de la médecine pratique. De même ses recherches sur la fièvre puerpérale chez la femme, le fœtus et le nouveau-né, sur le rhumatisme génital, sur le féminilisme dans les maladies de poitrine, etc., transmettront à la postérité une haute idée de son sens clinique. De même encore les éditions qu'il a publiées du Guide du médecin praticien, de Valleix, donneront la mesure de sa vaste érudition.

» La préparation et la publication de ses travaux ne l'ont pas empêché d'accepter et de remplir pendant dix ans les délicates fonctions de médecin-légiste. Il a brillé là, comme partout ailleurs, par le charme de sa parole et la sûreté de son jugement.

>> La Faculté perd en lui un des hommes qui l'aimaient le plus sincèrement. Il désirait ardemment voir se réaliser les perfectionnements de tout genre qu'elle réclame depuis si longtemps. Plusieurs des publications de notre collègue, et ce ne sont pas celles qui lui ont demandé le moins de travail, ont été consacrées à mettre en lumière les efforts faits par les gouvernements, à l'étranger, pour élever aussi haut que possible le niveau des études médicales. Il adjurait ceux qui ont en mains les destinées de notre pays de réformer sur divers points l'enseignement de la médecine, pour que nous ne fussions pas condamnés à rester définitivement en arrière des autres nations. Son patriotisme ardent voulait que nous fissions tous les préparatifs nécessaires pour pouvoir entrer, avec des chances de succès, en lutte scientifique contre nos

laborieux voisins. Et, récemment, lorsque la liberté de l'enseignement supérieur a été décrétée, M. Lorain était au nombre de ceux qui s'affligeaient le plus de voir se prolonger le statu quo dans la Faculté de médecine : il craignait encore que, même ici, la concurrence contre l'enseignement libre nous trouvât désarmés.

>> Il était profondément universitaire. Et comment ne l'eûtil pas été? Fils d'un père qui a laissé les plus honorables souvenirs dans l'Université, et qui, après avoir été professeur de rhétorique à Paris, avait été proviseur du ycée Saint-Louis, puis recteur de l'Académie de lyon; beau-frère d'un professeur du collége Rollin; beau-frère aussi d'un historien et littérateur éminent qui fut longtemps professeur au lycée Bonaparte, et qui est maintenant membre de l'Académie française, il avait appris dans sa famille à révérer cette noble Université de France, et il espérait la voir sortir de toutes les luttes, triomphante et plus forte que jamais.

» Hélas! Il n'assistera pas à ce triomphe, sur lequel nous comptons aussi. Il ne verra pas se réaliser à la Faculté de médecine toutes les améliorations dont il avait tant de fois prouvé l'urgente nécessité.

« Ce n'est pas seulement le judicieux savant, le médecin habile, le professeur éloquent que nous avons à regretter: la mort nous sépare de l'un des hommes les meilleurs qui aient jamais existé. Affectueux, dévoué, sûr, esclave du devoir, modeste, ayant en horreur tous les charlatanismes, médicaux et autres, on peut dire que tous ceux qui sont entrés en relation avec notre collègue ont éprouvé pour lui des sentiments d'amitié. Il aimait sincèrement les élèves et ils ont pu apprécier son inépuisable bienveillance, soit à l'hôpital, soit à la Faculté il était toujours prêt à aller prodiguer ses soins à ceux d'entre eux que la maladie retenait dans leur chambre. Aussi ces jeunes gens avaient-ils pour lui la plus vive affection. Partout on le retrouvait le même : sensible et bon. Les malades de son service, à l'hôpital de la Pitié, le chérissaient.

» Que dire de plus? M. Lorain était le désintéressement même, et son temps, hors de l'hôpital, appartenait encore largement à la médecine gratuite. Il venait donner des soins à l'enfant d'une famille peu aisée, dans un quartier lointain, lorsque la mort l'a frappé dans la chambre même où était couché le petit malade. Un peu souffrant au moment où l'on était venu le trouver, il sentait qu'il n'était pas prudent de sortir; mais l'idée qu'il y avait là de pauvres gens dont l'enfant était peut-être gravement atteint, et qui avaient compté sur lui, l'emporte sur toutes les considérations personnelles. Il se rendit donc à l'appel des parents, et son dévouement lui coûta la vie. Il est impossible de ne pas rappeler que son oncle, le docteur Gillette, il y a plusieurs années, fut atteint d'angine diphthéritique en ramenant à Paris, dans une voiture fermée, un enfant affecté du croup, et qu'il fut emporté par cette maladie. Lorain suivait donc encore ici, pour ainsi dire, une tradition de famille, et, comme son oncle, il est mort victime de son généreux dévouement.

« Adieu, cher collègue et ami! Homme savant! Homme de bien ! Votre nom ne périra pas. »

[blocks in formation]

Con

Premières recherches dans le nord de la France. -Découverte de la bouille à Fresnes. Découverte de la bouille à Anzia. - Droit seigneurial. Traités avec les seigneurs. Refus de denx d'entre eux. - Transaction. Formation de la Compagnie d'Anzin. — Régie des mines d'Anzin. Hommes remarquables qui en ont fait partie. Regisseurs actuels. Concessions mises en commun. Prolongation des concessions. Loi de 1791. - Acquisition de la concession de SaintSanive. Lo de 1810. - Concession de Denain. - Concession d'Odomez. cession d'Hasnon - Etendue des concessions. - Houilles; qualités. - Nombre de puits. - Force des machines, Production du charbou. Puits d'épuisement. Puits d'air. Fours à coke. → Agglomérés. — Brai. – Ateliers de construction et de reparation. - Première machine d'épuisement. -Premiere machine d'extraction -Premier chemin de fer du fond. Rails en fer laminė. -Port de Denain. Chemin de fer d'Anzia à Somain. Grues. Chemin de fer d'Anzin à Péruwelz. Dépenses de construction des chemins de fer. — Résultats de l'exploitation du chemin de fer. Chevanx an fond. Importation du guidage et des berlines. Parachute Fontaine. Tunnel. -Transformation des berlines et des rails du fond. Perforation mécanique. Trainage mécanique & Thiers. - Trainage mécanique à la Réussite. - Personnel employés et ouvriers.

[ocr errors]

I

L'HISTOIRE

Jacques, vicomte Désandrouin, bailli de Charleroi, seigneur de Lodelinsart, etc.; Pierre Taffin, conseiller du roi au parlement de Flandre, seigneur de Vieux-Condé, etc., associés à d'autres personnes de la localité, commencèrent les premiers travaux de recherche dans le nord, à Fresnes, le 1er juillet 1716 (2).

La découverte du charbon eut lieu le 3 février 1720 (3); mais ce charbon n'étant propre qu'à la cuisson de la chaux et des briques, des recherches furent dirigées sur d'autres points pour trouver du charbon dit de maréchal.

Après des travaux très-difficiles et très-dispendieux à cause des eaux, exécutés infructueusement dans les territoires d'Aubry, Étreux, Bruai, Quarouble et Valenciennes, on fit la découverte de cette espèce de charbon, à Anzin, le 24 juin 1734 (4). La Société avait triomphé de toutes les difficultés; elle était en voie de prospérité quand survint un nouvel adversaire. C'était le droit réservé aux seigneurs hauts justiciers, par la législation féodale, de disposer de l'avoir en terre non octroyée, c'est-à-dire de la richesse minérale qui pouvait exister dans leurs terres.

La Compagnie Désandrouiu parvint à traiter avec la plupart des seigneurs, et obtint la permission d'exploiter à condition de payer un droit d'entrecens; mais deux d'entre eux, le prince de Croy et le marquis de Cernay, refusèrent et résolurent de faire par eux-mêmes l'exploitation du charbon dans leurs terres; ils obtinrent des concessions royales; des procès s'ensuivirent, puis intervint une transaction qui fut complétée elle-même par la fusion des intérêts rivaux.

Enfin, le 19 novembre 1757, MM. Désandrouin et Taffin, le prince de Croy et le marquis de Cernay signèrent un acte de société qui constitua la Compagnie d'Anzin.

(1) Voyez ci-dessus, page 184, numéro du 21 août 1875.

(2) Jacques Matthieu, directeur (né à Lodelinsart le 26 septembre 1681, mort en 1747).

(3) Pierre Matthieu, fils de Jacques (né à Lodelinsart le 27 novembre 1704, mort à Anzin en 1778), directeur des mines; il inventa le cuvelage et le picotage pour contenir les eaux.

4) Pierre Matthieu, directeur des mines.

La régie de la Compagnie fut confiée à six associés avec les pouvoirs les plus étendus. Quand un régisseur vient à manquer, les cinq autres choisissent celui des associés le plus capable de le remplacer.

Depuis cent dix-huit ans que cet acte de société existe, l'accord le plus parfait n'a pas cessé de régner entre les associés. Des hommes remarquables à plus d'un titre ont fait partie de la régie. Outre le prince, depuis duc de Croy, maréchal de France, et l'ingénieur Pierre-Joseph Laurent, auteur du canal de Saint-Quentin (1), qui faisaient partie des premiers régisseurs, il convient de citer plus particulièrement les hommes dont les noms suivent :

1° Pierre-Louis-Georges, comte Dubuat (2), ingénieur hydraulicien, dont les ouvrages sont encore consultés de nos jours; il est l'inventeur de la turbine et de l'application de l'air comprimé comme transmission de force motrice;

2o Casimir Périer, ministre sous Louis-Philippe;

3° Joseph Périer, frère du précédent, régent de la Banque de France;

4° Edmond Lambrecht, ministre sous M. Thiers. La régie est actuellement composée de :

1 M. Thiers, président du conseil de régie, et dont les titres sont trop nombreux et trop connus pour qu'on les énumère ici;

2o M. Casimir Périer, fils du ministre de 1832, ministre lui-même sous M. Thiers, membre de l'Assemblée nationale, l'un des chefs du centre gauche, dont on connaît le rôle important;

3o M. le général baron de Chabaud-Latour, membre de l'Assemblée nationale, et récemment ministre dans le cabinet de Cissey, sous le maréchal de Mac-Mahon;

4° M. le baron Alexis de la Grange, membre de l'Assemblée nationale, le seul des régisseurs actuels descendant de l'un des fondateurs (Taffin);

5° M. le marquis de Talhouët-Roy, ministre sous l'empire libéral en 1869, membre de l'Assemblée nationale;

6° M. le duc d'Audiffret-Pasquier, président actuel de l'Assemblée nationale.

Enfin comme régisseur adjoint, M. Cornélis de Witt, gendre de M. Guizot, et tout récemment sous-secrétaire d'État du ministère de l'intérieur, sous les ministères de MM. de Broglie et de Chabaud-Latour.

Le prince de Croy, outre son droit seigneurial, avait apporté dans la Société, en 1757, les concessions de VieuxCondé et d'Hergnie, obtenues le 14 octobre 1749 et le 20 avril 1751, et la concession de Fresnes le 16 mars 1756; il avait fait la découverte du charbon le 23 janvier 1751 (3).

Le marquis de Cernay avait donné également à la Société, outre son droit seigneurial, la concession de Raismes, obtenue le 3 décembre 1754. Il y avait peut-être découvert le charbon le 1er septembre 1756 (4).

(1) Les travaux en furent interrompus avant sa mort, les fonds étant absorbés par la guerre d'Amérique.

(2) Né à Tortizambert (Calvados), le 23 avril 1734, décédé à VieuxCondé le 17 octobre 1809.

(3) Castian (Paul-Joseph) étant directeur à Vieux-Condé; né à Lodelinsart le 21 mars 1707, il mourut à Vieux-Condé le 11 septembre 1770.

(4) Renaud, directeur de la Compagnie de Cernay, petit-fils de l'inventeur de la machine de Marly.

Enfin, MM. Désandrouin et Taffin apportaient leur concession d'Anzin, obtenue le 29 juin 1735, qui était de beaucoup la plus importante, la seule même qui fùt réellement en exploitation commerciale et qui donna son nom à la Compagnie nouvelle.

Toutes ces diverses concessions expirant en 1760 (1), la Compagnie d'Anzin demanda et obtint, le 1er mai 1759, une prorogation de privilége de quarante années au delà de 1760, c'est-à-dire jusqu'en 1800.

Le 9 juillet 1782, la Compagnie obtient une nouvelle prolongation de trente années, laquelle devait la conduire jusqu'en 1830.

C'est dans cette situation que la loi du 28 juillet 1791 trouva la Compagnie d'Anzin. Cette loi, qui restreignait l'étendue des concessions à six lieues carrées, en prolongeant la durée de cinquante années, reportait à 1841 le terme des concessions non perpétuelles. La Compagnie d'Anzin perdit alors une partie de son territoire, l'invasion autrichienne détruisit une grande partie de ses machines et des installations des fosses. Quand le pays fut délivré de l'ennemi, elle eut à lutter contre une foule de prétentions de tout genre qui mettaient tous ses droits en conteste, et fut longtemps à se réorganiser.

A ces concessions, qui constituaient les apports des signataires de l'acte du 19 novembre 1757, la Compagnie ajouta la concession de Saint-Saulve par l'acquisition qu'elle en fit le 31 octobre 1807.

En 1810 survint la loi sur les mines qui, en accordant la perpétuité à toutes les concessions existantes, a constitué les concessions de la Compagnie d'Anzin en propriétés définitives.

Depuis lors la Compagnie, ayant découvert le charbon à Denain le 30 mars 1828 (2), obtint la concession de ce nom le 5 juin 1831.

La concession d'Odomez fut obtenue par elle le 6 octobre 1832, après la découverte du charbon qui avait eu lieu dans cette concession en 1831.

Et enfin la Compagnie fit l'acquisition de la concession d'Hasnon le 19 mai 1843.

Les concessions de la Compagnie sont maintenant au nombre de huit, savoir:

1o La concession d'Anzin contenant 118kilom,518; 2o La concession de Raismes contenant 48kilom,197; 3o La concession de Vieux-Condé contenant 39kilom,620; 4° La concession de Fresnes contenant 20kilom,7 ,730;

5 La concession de Saint-Saulve contenant 22 kilomètres; 6o La concession de Denain contenant 13kilom,437;

7° La concession d'Odomez contenant 3kilom, 160;

8° La concession d'Hasnon contenant 14kilom, 883. Soit au total: 280kilom,545.

Ces concessions sont contigues et présentent une surface de 280 kilomètres carrés ou 28 000 hectares.

[ocr errors][merged small][merged small][merged small]

1° Houillé grassé, dite maréchale.

2o Houille grassé, à coke.

3o Houille grasse, à gaz.

4° Houille demi-grasse, à longue flamme. 5o Houille dure.

6o Houille maigre, anthraciteuse.

Le nombre de puits pour l'extraction du charbon était autrefois de 40 à 50. Ce nombre a pu être diminué progressivement par suite de l'augmentation de la force des machines et des perfectionnements apportés dans les appareils d'extraction, ce qui a permis de faire de plus fortes extractions par puits. Le guidage des puits et l'emploi des berlines, qui ont commencé en 1843 et se sont généralisés vers 1860 seulement, ont aidé puissamment à la concentration de l'extraction et à la diminution du nombre de puits.

En 1866 il y avait encore 30 puits en activité; aujourd'hui il n'en reste que 19. Ils sont desservis par 19 machines à vapeur établies au jour et 2 au fond. Ces 21 machines représentent une force de plus de 1500 chevaux.

Lors de la formation de la Société, en 1757, l'extraction de charbon s'élevait, en hectolitres, environ à...... 1165 000 En 1774, cent ans en arrière de l'époque actuelle, elle était de.......

Avant la révolution de 1789 son maximum était de......

2200 000

3 000 000

[blocks in formation]

LES FOURS À COKE ET LES AGGLOMÉRÉS

La Compagnie d'Anzin ne se borne pas à vendre ses produits bruts, tels qu'ils sortent des fosses, c'est-à-dire du charbon tout venant, comprenant des morceaux de houille et des poussières, ou bien des morceaux de diverses grosseurs

(1) Legrand (Pierre), directeur en chef des travaux du fond. (2) La production de la France en 1874 n'étant pas encore officiellement publiée, nous avons établi cette comparaison sur la production de 1873, qui est de 17 485 000 tonnes.

« PreviousContinue »