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avec des scories, le tout traversé par de nombreux filons de basalte qui s'entrecroisent dans la masse et s'y détachent en noir.

Toutes ces roches, sous l'influence d'altérations, d'oxydations particulières, dues en grande partie à des phénomènes hydro-thermaux, se colorent souvent des tons les plus vifs; en même temps qu'elles se décomposent, elles se désagrégent et s'éboulent alors facilement sous les chocs répétés et violents des vagues; ces effondrements se produisent souvent sur plusieurs centaines de mètres de longueur en 1872, ľun d'eux, sur la falaise du sud-est, fut si considérable qu'une goëlette mouillée à un mille au large ent ses amarres rompues. L'ile est ainsi condamnée à disparaître; il semble que la mer veuille reconquérir l'espace qui lui avait été ravi: ce que le feu avait produit, l'eau maintenant tend à le détruire.

C'est de cette façon que l'échancrure primitive s'est successivement élargie: les blocs résultant du démantèlement des falaises, roulés et réduits à l'état de galets, forment une chaussée large de 25 à 30 mètres qui ne s'élève guère que de 7 à 8 mètres au-dessus de l'eau. Une passe de 80 mètres de largeur la coupe par le milieu et laisse communiquer le bassin intérieur avec la mer; mais la profondeur de cette passe n'est, à mer basse, que de om,80 et les embarcations d'un faible tirant d'eau peuvent seules la franchir (1).

Les parois intérieures du cratère présentent des falaises escarpées, hautes de plus de 200 mètres, complétement à pic dans leur tiers supérieur et s'inclinant dans le bas vers la mer par des talus à 45 degrés. Elles sont à peu près inaccessibles, sauf peut-être en deux ou trois points où l'escalade n'exige que de la fatigue avec un peu d'adresse; l'ascension n'est en réalité facile que par la pointe élevée (266 mètres), qui domine la chaussée du nord; un sentier frayé par les naufragés et les pêcheurs conduit au sommet. L'arête supérieure du cratère, parfaitement régulière et d'une altitude moyenne de 200 mètres, est tout à fait vive et taillée à pic vers l'intérieur; elle s'incline vers l'extérieur en présentant d'abord un petit plateau faiblement incliné de 3 à 5 degrés, puis les pentes augmentent jusqu'à 25 et 30 degrés et se terminent par un talus assez large qui aboutit à des falaises verticales de 25 à 60 mètres de haut. Dans sa plus grande dimension, de la pointe nord à celle du sud, l'île peut avoir 5 kilomètres, et 3 kilomètres de la passe à la pointe ouest; sa circonférence extérieure n'est que de 9000 mètres, mais le sol formé de coulées de laves successives est si accidenté qu'il est à peu près impossible de faire en un jour le tour complet de l'île ceux-là seuls qui ont parcouru les contrées volcaniques peuvent se faire une idée des difficultés qu'on éprouve à parcourir un sol tordu, crevassé à chaque pas par les convulsions volcaniques. Souvent des couches de tourbe épaisses et spongieuses recouvrent les anfractuosités des laves et supportent de hautes herbes croissant par touffes entre lesquelles le pied enfonce à chaque pas. Ce sont autant de difficultés qui viennent s'ajouter pour rendre les excursions fatigantes et pénibles. C'est surtout dans le bas,

(1) En 1686 cette passe n'existait pas, et le navigateur hollandais Van Flaming fut obligé de tirer ses embarcations à terre et de les faire passer ensuite par-dessus la chaussée pour explorer le lac intérieur.

sur le talus qui aboutit aux falaises extérieures, que cette végétation est abondante mais peu variée, elle ne se compose guère que de plantes herbacées (Poa Novara, Isolepis nodosa, Danthenia repens, Holcus lanatus, etc.).

Les mêmes espèces se retrouvent sur le plateau qui forme le sommet, mais plus rares, comme rabougries et courbées sous les vents violents qui soufflent continuellement.

Les coulées de laves sont non-seulement crevassées, entrecoupées de grandes fissures, mais encore creusées de longues cavernes que tapissent des mousses et des fougères (Blechnum australe, Lomaria alpina). Les eaux pluviales filtrant à travers le sol tourbeux viennent s'y recueillir.

Les pointes avancées de l'île, celles du sud, du nord, de l'ouest, sont marquées par de petits cônes de scories, produits secondaires des dernières éruptions, qui s'élèvent de 25 à 30 mètres au-dessus de la surface de l'île. Les plus remarquables et en même temps les mieux conservés sont ceux de la pointe ouest: au nombre de quatre, ils occupent une ligne droite très-remarquable dirigée du sud-ouest au nord-est. Ce sont eux qui, en 1793, furent trouvés encore chauds quand lord Macartney vint reconnaître Saint-Paul en s'en allant en Chine. Aucun des faits observés alors par le docteur Gillian, médecin de l'expédition, ne subsiste encore aujourd'hui.

Les falaises extérieures, formées de coulées successives de laves alternant avec des scories, sont absolument accores et se dégradent sans cesse; d'énormes blocs de lave accumulés forment à leur pied une sorte de chaussée sur laquelle la mer vient déferler, pour peu qu'elle soit grosse. C'est là que se tenaient autrefois, par troupeaux de sept ou huit cents, de nombreux otaries, qui venaient surtout pendant l'été dormir sur les rochers. Malgré l'accès difficile des falaises, les pêcheurs firent une chasse active à ces animaux, dont la fourrure était alors surtout estimée en Chine: des bâtiments venaient à Saint-Paul prendre des cargaisons complètes de ces peaux. Leur nombre a maintenant bien diminué : c'est dans le mois de novembre que nous les avons vus commencer à apparaître par groupes de huit ou dix dans le nord et le sud-ouest de l'île, où ils venaient se jouer au milieu des brisants. Craintifs et farouches, on ne pouvait les approcher que le matin, pendant leur sommeil, avec les plus grandes précautions un seul coup de bâton vigoureusement appliqué sur le museau suffisait alors pour les abattre.

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Dans l'intérieur du cratère, un sentier tracé au pied des falaises, à quelques mètres au-dessus du niveau de la mer, conduit à divers petits plateaux faits de main d'homme pour la culture de légumes et qui témoignent ainsi d'une ancienne occupation de l'ile. C'est qu'en effet plusieurs tentatives ont été faites pour fonder à Saint-Paul des établissements de pêcheries. Le poisson, en effet, est très-abondant, aussi bien dans l'intérieur qu'à l'extérieur du cratère, et la facilité avec laquelle on le prend n'est pas moins surprenante que son extrême abondance. Nous avons vu les embarcations du Fernand, la petite goëlette qui était venue faire la pêche pendant notre séjour sur l'île, montées par cinq hommes, se charger à couler bas en moins de quatre heures de poissons dont le poids variait de 4 à 100 kilogrammes. C'est de novembre en février que peut se faire cette pêche : le poisson se tient surtout dans le nord-ouest de l'île, auprès de grandes prairies d'algues, Macrocystis pyrifera, où il serait impossible de se servir de filets; on le prend alors à la ligne, et il faut

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F.G. 3. Vue générale des installations faites à l'ile Saint-Paul pour l'observation du passage de Vénus,

(Campements.

Observatoire. Le Megara, batiment naufragé dans la passe).

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plus de temps pour dégager l'hameçon que pour jeter la ligne et håler à bord un nouveau poisson. En moins de deux mois, une goëlette de 80 tonneaux peut faire son chargement, c'est-à-dire préparer et saler vingt mille poissons.

La première et la plus importante des tentatives d'occupation fut faite par un négociant de l'île Bourbon, Adam Mierolawski, qui vint s'établir en 1843 à Saint-Paul avec onze pêcheurs. A la même époque, en juillet, le gouverneur de Bourbon envoya cinq soldats d'infanterie de marine prendre possession de l'ile au nom du gouvernement français et les y laissa pour garder le pavillon. Le gouvernement, qui n'avait pas été consulté, ne crut pas devoir ratifier cette prise de possession, et les cinq soldats furent rapatriés. Certes, ils ne demandaient pas mieux. Peu de temps après, l'établissement tout entier fut lui-même abandonné. Ce sont les constructions en pierre sèche élevées par Mierolawski, restaurées depuis par les naufragés et les pêcheurs, qui nous servirent d'abri. Il nous fut facile de les réparer et de les couvrir avec des épaves de navire. Les naufrages sont en effet malheureusement fréquents à Saint-Paul. L'ile est sur tout son pourtour jonchée de débris de toutes sortes; nous avons trouvé côte à côte jusqu'à quatre roues de gouvernail, attestant par conséquent quatre bâtiments perdus.

En travers de la passe on voyait encore à notre arrivée toute la dunette d'un grand transport anglais, la Megæra, qui, en 1872, coulant bas d'eau en vue de Saint-Paul, vint s'échouer sur la chaussée du nord. Tout l'équipage, quatre cents hommes, fut heureusement sauvé; une grande partie du chargement put même être mis à terre. Les naufragés restèrent quatre mois sur l'île avant de pouvoir être rapatriés et construisirent des abris en dépeçant leur navire. Les coups de vent avaient en grande partie détruit toutes ces constructions; il nous fallut les relever, les réparer pour installer nos campements (fig. 3).

Au pied du pic élevé qui domine la jetée du nord et sur le revers intérieur du cratère, à 25 ou 30 mètres au-dessus de l'eau, les pêcheurs de Mierolawski avaient entaillé un terreplein pour y élever des habitations en pierre sèche : c'est là que fut rapidement installé un logement pour le commandant, le poste d'équipage, la cambuse, la cuisine, une salle à manger, où les caisses déballées nous servirent de buffet et de dressoir. Les naturalistes, au nombre desquels il faut ajouter M. Lantz, conservateur du muséum de la Réunion, qui, sur la demande du gouverneur de cette colonie, était venu séjourner à Saint-Paul avec nous, avaient entrepris de restaurer ce qui restait du logement édifié autrefois par les matelots de la Megara pour leur capitaine. Ils en firent un appartement somptueux, qui fut bientôt désigné sous le nom d'Hôtel des Princes.

Pendant ce temps, s'élevaient sur la jetée du nord les cabanes destinées à recevoir les instruments spéciaux, équatoriaux, lunettes méridiennes et lunette photographique (fig. 4).

Sur un sol aussi mouvementé formé d'énormes blocs accumulés dont quelques-uns avaient souvent plus d'un mètre cube, les difficultés étaient grandes, aussi fallut-il tout un grand mois pour édifier l'observatoire: chaque cabane, solidement construite, était encore défendue du côté du large par un rempart de galets pour résister aux coups de mer en cas d'ouragan. Un chemin de grande communication

qui avait coûté bien des efforts les reliait toutes entre elles et permettait d'y circuler librement la nuit.

Au fond du cratère, au-dessus des hangars qui servaient aux pêcheurs pour préparer, saler leurs poissons, s'élevait notre laboratoire d'histoire naturelle c'était une grande pièce rectangulaire longue de 12 mètres et large en proportion. Deux vergues sciées et disposées en chevalet avec une troisième jetée en travers formaient toute sa charpente; une large taude recouvrait le tout. Les côtés avaient été fermés avec des panneaux, des boiseries arrachés aux bâtiments naufragés. Toute la face est avait été vitrée et dans l'intérieur de longues tables couraient sur tous les côtés. Chacun avait choisi sa place pour la disposer conformément à ses études : à l'entrée, M. Lantz mettait en peau les phoques et les oiseaux; en face de lui de nombreux aquariums remplis de richesses zoologiques, plus loin M. de l'Isle préparait et séchait les plantes, puis c'était l'emplacement des microscopes, celui où M. Rochefort étudiait et dessinait la faune du cratère, enfin à l'extrémité j'avais disposé un petit laboratoire de chimie pour l'analyse des gaz, des eaux thermales, et de nombreux casiers pour le classement des roches volcaniques (fig. 5).

L'ile Saint-Paul n'est guère que la patrie où le refuge d'un nombre considérable d'oiseaux de mer: les grands voiliers, les albatros viennent y faire leurs nids : en particulier le bel albatros fuligineux (Diomedea fuliginosa) dont le plumage noir s'harmonisait bien avec le temps sombre et constamment brumeux de Saint-Paul; le géant des albatros (Diomedea exulans), celui que les marins nomment à si juste titre l'Amiral, atterrissait peu sur notre île, sans doute parce qu'il a été trop chassé, et restait constamment au large avec de nombreux pétrels, oiseaux des tempêtes, ceux-là aussi étaient bien à leur place. Parmi ces derniers il est un, le prion (P. vittatus) qui mérite une attention toute spéciale, il habitait dans des sortes de terriers, dans de longues galeries souterraines qu'il se creusait sous les blocs de laves au milieu de la tourbe, dans les talus intérieurs du cratère. Dans les falaises il voltigeait une hirondelle que les pêcheurs nommaient l'oiseau d'argent, son plumage était gris-perle, comme satiné, sa tête noire avec le bec et les pattes d'un rouge carminé. Enfin dans le haut et sur le versant extérieur se tenait un stercoraire (Stercorarius antarcticus) véritable oiseau de proie d'une voracité sans égale. Mais ceux qui sans contredit étaient de tous les plus singuliers et les plus nombreux, c'étaient les manchots (Eudyptes chrysocoma). Ce sont les vrais habitants de l'ile ces singuliers animaux, qui n'ont de l'oiseau que le nom, vivent là en société, par troupes nombreuses formant deux colonies considérables situées, l'une à l'extérieur dans les falaises de la côte ouest, l'autre sur un plateau près du sommet qui domine la jetée du nord à près de 200 mètres d'altitude. Nous avons vécu au milieu d'eux, avec eux pour ainsi dire, en parfaite intelligence; je ne sais si notre présence les a surpris, dans tous les cas ils ne paraissaient pas s'en préoccuper beaucoup et pourtant nous devions apporter le deuil parmi eux.

Puisque je vous parle des habitants de Saint-Paul, il faut aussi que je vous cite ceux que les naufrages y ont amenés, les chèvres, par exemple, dont les troupeaux nombreux furent une précieuse ressource pour nous. Les chats et les rats qui ont pullulé ces derniers, que le malheur a réunis, vivent sans doute entre eux dans une paix digne d'envie, mais

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FIG. 5. Le laboratoire d'histoire naturelle.

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