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que l'on convoquât à ce sujet un congrès spécial, afin que ces hautes combinaisons pussent être délibérées et approuvées avant le terme où, en cas de dissolution de la Chambre des députés, le ministère français se verrait obligé d'en appeler ou de recourir à de nouvelles élections. Il est difficile d'apprécier le degré de confiance que méritent des bruits qui ne sont appuyés d'aucun document et que l'une des parties engagées avait intérêt à démentir; mais, dans l'absence de preuves positives, ils ont assez de vraisemblance pour que l'historien doive au moins les rapporter.

Quant à la France, bien que le parti libéral eût paru d'abord étourdi de la fermeté de la réponse royale et de la prorogation, il ne tarda pas à se remettre. L'influence de la presse périodique et des associations était trop puissante et trop active pour ne pas faire promptement tourner la chance au profit de la cause populaire.... Tous les électeurs des départemens furent invités à célébrer par des banquets et des ovations le retour de leurs députés qui avaient voté la fameuse adresse, et Paris en donna l'exemple par un banquet donné par six à sept cents électeurs aux Vendanges de Bourgogne (1er avril), où M. Odilon Barrot, vice-président, prononça un discours dans lequel, après avoir remercié les députés de la Seine de ce qu'ils avaient fait pour les libertés publiques, il les assurait qu'ils pouvaient de nouveau compter sur leur suffrage, et que si l'on venait à braver la sainteté des lois, « le courage des ci<toyens ne leur manquerait pas. »>

La police n'avait mis aucun obstacle à cette réunion, et tout s'y passa sans désordre. La salle était décorée de guirlandes de fleurs et de verdure liées à des couronnes, dont le nombre (221) laissait deviner le nom des députés auxquels elles étaient destinées. Un ancien maire de Paris, M. Rousseau, présidait au banquet.

Les journaux royalistes signalèrent ce banquet comme une orgie de cabaret, comme une réunion de conspirateurs sans influence sur l'opinion publique. Mais l'exemple donné dans la capitale se répéta dans plusieurs départemens. Une médaille fut frappée en l'honneur des 221, et la presse libérale ne cessa de les recommander aux électeurs comme les sauveurs de la patrie, jusqu'à ce

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qu'une révolution nouvelle vint faire oublier leurs services et changer le vent de la faveur populaire.

Le ministère, qui avait eu jusque-là quelque ménagement pour la liberté des opinions, crut qu'il était temps de faire exemple ou justice des fonctionnaires qu'il venait de trouver hostiles à ses doctrines et à ses projets. Ainsi M. Calmon, député du Lot, qui avait voté pour l'adresse, fut remplacé dans ses fonctions de directeur général de l'administration de l'enregistrement et des domaines par M. le vicomte de Suleau, préfet de la Moselle. Six préfets, connus par l'indépendance de leurs opinions ou par leur opposition au ministère Villèle ou au ministère actuel (MM. de Riccé, préfet du Loiret, M. de Lézardière, de la Mayenne, M. de Beaumont, du Doubs, M. Feutrier, de Lot-et-Garonne, M. d'Arros, de la HauteLoire, M. Fumeron d'Ardeuil, du Var), furent destitués ou mis à la retraite, d'autres récompensés ou punis par des mutations, motivées, disait-on, par l'espérance d'obtenir plus d'influence aux prochaines élections.

Quelques jours après la prorogation, le ministère eut une petite joie dans l'élection d'un de ses membres, M. Guernon de Ranville, élu par le collége du département de Maine-et-Loire (Angers), en remplacement de M. le comte de La Bourdonnaye, nommé pair de France à sa sortie du ministère. M. de Vatimesnil s'était aussi présenté comme candidat de l'opposition; mais l'aristocratie dominair toujours dans ce collége, et le ministère l'emporta à Angers, comine M. Dudon à Nantes...

Plusieurs causes en matière de délits de la presse, alors portées devant les tribunaux contre les rédacteurs ou gérans de feuilles libérales (le National, le Globe, le nouveau Journal de Paris et celui du Commerce), eurent presque toutes des résultats peu d'accord avec l'état de l'opinion publique, c'est-à-dire qu'elles entraînèrent des décisions plus ou moins sévères contre les écrivains de ce parti, tandis que ceux du parti contraire qui avaient ouvertement prêché des maximes d'absolutisme, poussé le ministère au renversement de la Charte, insulté la Chambre des députés et la magistrature elle-même (affaire du Drapeau blanc et de M. Madrolle), furent Ann. hist. pour 1830.

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renvoyés absous (1), ce qui donna plus d'audace aux écrivains royalistes, mais sans décourager ceux du parti libéral.

Quelques articles jetés de loin à loin dans le Moniteur (2) et insérés par ordre de la police dans tous les journaux désavouaient les doctrines et les conseils des écrivains royalistes. Le ministère y déclarait qu'il n'avait donné à aucun journal, à personne, le droit de parler en son nom, et qu'il abandonnait la presse à son mouvement, sauf la répression légale des désordres qu'elle pourrait entraîner.

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Mais ces déclarations trouvaient peu de créance, même dans le parti royaliste dont les organes continuaient à prêcher la doctrine, ou la nécessité légitime des coups d'État.

Il parut, dans le tumulte de ces querelles politiques, un document officiel dont la publication devait éclairer la situation financière du royaume, et servir à la discussion du budget de 1831. C'est un rapport adressé au Roi par le ministre des finances (M. de 'Chabrol), en date du 15 mai 1830, sur toutes les branches de son administration, et terminé par un aperçu du budget de 1831. Il faut s'y arrêter comme au dernier compte rendu de la dynastie de la restauration. [

Le ministre commence par tracer sommairement la marche que ses prédécesseurs et lui ont suivie pour arriver à l'organisation du service tel qu'il est aujourd'hui. Cet immense travail offre une histoire succincte, mais complète, de l'établissement des divers impôts qui composent le revenu public; les changemens, les variations et les accroissemens qu'ils ont subis, avec les progrès de la population, de la fortune publique et des fortunes particulières, les résultats obtenus des opérations du cadastre parcellaire, pour l'impôt foncier, et d'une révision nouvelle pour la répartition de la contribution personnelle et mobilière...

(1) M. Madrolle fat d'abord condamné en police correctionnelle à quinze jours de prison, à 150 fr. d'amende et aux dépens (voy. l'Append. chron., art, des 11 et 21 mai), puis absous par la Cour royale, qu'il avait particuliè tement insultée.

(2) Sept supplémens, feuilles in-fol., et 38 tabl, du Monit, da 14 avril 1830,

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On y trouve entre autres résultats curieux que le nombre des communes cadastrées au commencement de 1830 s'élève à 21,512, présentant une étendue de 28,619,460 hectares, et réduit les travaux restant à faire à 15,738 communes, renfermant 23,335,374 hectares.

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Passant ensuite à l'examen de la contribution mobilière et personnelle, le ministre annonce qu'après beaucoup d'épreuves contradictoires on est enfin arrivé à fixer le montant des valeurs locatives (sans y comprendre celles qui sont relatives à l'industrie), à 303,832,734 fr., dont 169,810,754 fr. appartenant aux villes, et 134,021,980 aux communes rurales.

Le nombre des habitans était en 1821 de 30,304,340, celui des maisons de 5,886,727, et le prix moyen du loyer ressortait à 10 fr. 2 cent. par habitant, et à 49 fr. 52 cent. par maison.

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D'après la révision faite sous la direction de huit commissaires spéciaux, opération qui avait dure cinq mois, la population a été portée à 31,657,429 habitans, le nombre des maisons à 6,396,008, et la valeur des loyers, sans y comprendre ceux des établissemens industriels, à 384,008,125 fr., dont 211,806,483 fr. pour les villes, et 172,201,642 fr. pour les communes rurales, ce qui présentait une différence en plus de 80 millions sur les évaluations précédentes : « Conséquence évidente de l'accroissement de la populaa tion, du développement, de l'aisance générale et des constructions a nombreuses qui se sont multipliées depuis 1820 sur tous les points du territoire. »

En parcourant les diverses parties des contributions directes, S. Exc. faisait remarquer que celle des portes et fenêtres était susceptible d'un accroissement considérable, et qu'en appliquant aujourd'hui le tarif légal à toutes les portes et fenêtres réellement imposables, cette contribution, qui n'est que de 12,812,535 fr. en principal, s'élèverait à près de 25 millions.

• Les dégrèvemens des impôts directs, obtenus jusqu'ici, disait S. Exc., ont porté sur le principal de l'impôt foncier, pour 18 millions 119,222 ft, et sur les centimes additionnels de la contribution foncière, pour 38 millions 685,246 fr.; de la contribution personnelle et mobilière, pour 18 millions 741,221 fr.; des portes et fenêtres, pour 10 millions 890,610 fr.; enfin,

sur les centimes affectés aux frais de perception, pour 5 millions 420,048 fr. • Le résultat de ces décharges a été de rendre aux propriétaires un revenu annuel de 91 millions 865,347 fr.

« En résumé, ces quatre branches principales des revenus de la France apportent au trésor une redevance facile et assurée, qui se monte, en principal, 217 millions, et en centimes additionnels à 108 millions. Leur produit annuel est ainsi de 325 millions.

Les frais de régie et de perception s'élèvent ensemble à 16 millious 115,271 fr., et font ressortir une proportion de 5 pour 100 entre la dépense et la recette.

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Quant aux contributions indirectes, le ministre, en suivant les immenses progrès de cette administration de 1818 à 1828, faisait remarquer que les recettes brutes se sont élevées de 163 millions à 212 millions; que les frais de perception, qui étaient de 18 pour 100 en 1813, et de 14 et demi en 1818, ont été réduits à moins de 12 et demi pour 100 en 1828; que le bénéfice net du monopole des tabacs a été porté de 41 millions en 1818, à 46 millions en 1828; qu'enfin les traitemens de l'administration centrale sont descendus de l'une à l'autre de ces deux années de 1 million 886,000 fr. à 1 million 177, 250 fr. ; que tout n'était pas fait encore cependant, et que les efforts de l'administration étaient incessamment dirigés vers de nouvelles améliorations.

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A l'article de la dette publique, S. Exc. rappelait l'état où la restauration l'avait trouvée, les accroissemens qu'elle avait reçus, les changemens ou modifications introduits dans le système d'amortissement, la progression du crédit public, les projets de conversion auxquels le gouvernement ne voulait s'arrêter qu'avec la certitude du succès, la garantie de tous les droits, et dans l'intérêt de l'État.

Cette partie du rapport était terminée par un résumé curieux de toutes les parties de la dette publique, qu'on peut réduire aux termes suivans.

Les 5 pour too inscrits au 1er janvier 1830, au nom de 151,427 parties, s'élèvent à 126 millions 786,971 fr., représentant au pair un capital de 2 milliards 535 millions 739,420 fr.

Les 4 inscrits à la même époque, au nom de 533 parties sont de 1 million 29,237 fr., représentant au pair un capital de 22 millions 871,933 fr.

Les 4 pour 100 inscrits en vertu du dernier emprunt sont de 3 millions 134,950 fr., représentant au pair un capital de 78 millions 373,750 fr.

Les 3 pour 100 inscrits au 1er janvier 1830, au nom de 43,610 parties, sont de 39 millions 377,047 fr., représentant au pair un capital de 1 milliard 312 millions 568,234 fr.

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