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(20 juin), alors que, dénoncé, il allait être arrêté (1). Buzot et Petion. avaient rédigé ensemble une déclaration dans laquelle ils exprimaient la résolution de se donner la mort. Petion, sûr désormais d'échapper à l'échafaud, exprima son horreur pour les excès sanglants des Montagnards dans un article qu'il rédigea sur la guillotine. Dans cette pièce, dont l'original appartient à M..Alfred Sensier, Petion qui, jadis, avait demandé l'abolition de la peine de mort (2), raille impitoyablement ces gouvernants qui, à tous les arguments, répondent par la guillotine, et, devant cet échafaud qu'il brave, devant la mort certaine qui le guette, il déplore les maux innombrables qui pèsent sur la France.

Guillotine, article absolument neuf adressé aux nouveaux éditeurs de l'Encyclopédie.

Le mot de guillotine vient de Guillotin, médecin de la faculté de Paris et membre de l'assemblée constituante, qui inventeur de cette machine lui a donné son nom. Son mécanisme est si connu de tout le monde qu'il est inutile d'en faire la description. Nous nous contenterons de dire qu'il est extremement simple et que son exécution est très rapide.

La guillotine a remplacé la décolation avec le damas pour les nobles; la potence, les échafauds, la roue et le feu pour les roturiers. Il n'est plus qu'un genre de suplice en France pour donner la mort; il est uniforme pour les citoyens, et toute distinction injurieuse à cet égard est effacée.

Le but principal de cette invention a été d'éviter dans les suplices ces recherches atroces qui outragent la nature et deshonorent l'humanité. Elle a aussi l'avantage moral d'abréger les souffrances de l'homme condamné à mort.

L'application de ce supplice étoit extremement rare. L'assemblée constituante avoit porté l'œil de la philosophie et de la raison dans la réforme de nos loix criminelles. Elle avoit laissé subsister avec regret la peine de mort; mais au moins avoitelle limité cette peine à l'incendiaire et à l'assassin.

Sous le régime soi-disant républicain cette peine s'est telle

(1) Cf. l'ouvrage de M. Charles Vatel, Charlotte Corday et les Girondins. (2) Œuvres de Jérôme Petion ; Paris, Garnery, an 1 (1793), 3 vol. in-8, t. III, p. 381.

ment étendue que les législateurs actuels en ont fait le principal ressort de leur gouvernement.

Un particulier a-t-il mis en réserve une portion de grain qu'on juge excedder celle qui est neccessaire à sa consommation? la guillotine.

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Un marchand a-t-il fait une déclaration inexacte des marchandises qu'il a dans son magasin?

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la guillotine. Un cocher de fiacre, une servante se sont-ils permis de parler de la royauté? . . la guillotine.

Un citoyen murmure-t-il contre les maux affreux qui dévorent la France ? . .

la guillotine.

Un général éprouve-t-il un échec? ou ne veut-il pas être le vil instrument de la faction dominante? . . . .

la guillotine. lui faut-il des la guillotine. Quelle est maintenant la bannière sous laquelle on rallie les armées dites révolutionnaires et qu'on porte à leur tête? . . la guillotine.

Le peuple est-il mécontent, pour l'appaiser victimes?..

Il n'y a pas une seule grande ville en France où on n'ait planté des guillotines dans les places publiques pour convertir les énemis du maratisme et de la sainte montagne.

Les effets que cette machine produit sur les esprits sont surprenans. Elle les frape de stupeur et les pétrifie au lieu de les indigner, de les soulever. Les commissaires de la Convention nationale sont dans l'usage d'en traîner plusieurs à leur suitte pour les exposer dans les lieux où ils passent. Si l'aspect momentané de ces machines n'opère pas le bien qu'ils en attendent ils les mettent (suivant leurs expressions) en permanence. Alors le remède est souverain (et suivant encore leurs expressions) ça va.

Pour inspirer de bonne heure aux enfans des principes de morale et d'humanité on leur remet de bonne heure entre les mains de petites guillotines en bois ou en ivoire très artistement

travaillées. Ce sont des joujoux avec lesquels en s'amusant on leur apprend l'histoire de la révolution.

De prétendus hommes à principes, des pédans soutiennent que le supplice d'un homme est un spectacle affreux dont la société ne devroit pas donner l'exemple, mais les philosophes révolutionnaires ont démontré jusqu'à l'évidence que ces radoteurs n'étoient pas à la hauteur des circonstances; que c'est sur le sang qu'on fonde les gouvernemens libres; que la guillotine devoit être un divertissement public, et, pour dissiper les sombres idées que l'image de la guillotine pourroit faire naître, ils appellent le jeu de cette machine le jeu de la main chaude, attendu que le patient a les mains attachées derrière le dos lorsqu'on place sa tête sous le fer qui doit la trancher.

Aussi le peuple a-t-il bien profité des leçons de ses vrais amis les fervens apôtres du sans culotisme. Autrefois il avoit la foiblesse de s'attendrir à la vue du coupable qu'on alloit mettre à mort; il détournoit ses regards au moment où on lui portoit les coups. Aujourd'hui plein d'une énergie républicaine il regarde avec une joie avide la guillotine, et quand il a vû la tête séparée de son tronc, qu'on lui présente cette tête toute sanglante en signe de triomphe, il fait retentir l'air de ses cris d'allégresse et de Vive la république.

O législateurs barbares! jusqu'à quel point vous avez dépravé la morale du peuple; jusqu'à quel point vous avez dénaturé le caractère d'une nation sensible et généreuse. Non, jamais vous ne pourrez expier les inombrables maux que vous avez fait à la France.

PETION.

J'ai communiqué cette pièce à l'historien de Charlotte Corday et des Girondins, à M. Charles Vatel, qui en a déterminé la date. La déclaration de Buzot et de Petion, que j'ai citée plus haut, est postérieure au 12 floréal (12 mai 1794). « Après l'avoir écrite et recopiée deux fois, m'écrit M. Charles Vatel, Petion, deliberatâ morte ferocior, a composé l'article ironique où il se raille de la guillotine. La preuve se trouve dans l'énoncé même de la lettre. Petion parle d'un cocher de fiacre,

d'une servante envoyés à l'échafaud. Or, il n'y a, parmi les victimes du Tribunal Révolutionnaire, qu'un cocher, F.-A. Mangin, condamné à mort le 7 floréal (26 avril) et une domestique, M.-F. Rolland, femme de chambre de Mme Dutillet, condamnée et exécutée en même temps que sa maîtresse, le 20 mai (1er prairial). Les Girondins, réfugiés à Saint-Émilion, recevaient quelques journaux : ils pouvaient lire les listes des guillotinés, leurs qualités, leurs professions. En tenant compte du temps nécessaire pour que ces journaux parvinssent de Paris à Saint-Émilion, on peut admettre que la lettre de Petion aura été écrite dans les premiers jours de prairial (dernier de mai), bien peu de temps avant qu'il ne fût contraint de mettre sa funeste résolution à exécution. »

M. Charles Vatel ajoute encore ces renseignements : « La pièce est intacte, très-bien conservée, avec ses quatre plis et sa marge, suivant l'habitude invariable de Petion. Pour savoir comment elle nous est parvenue, suivons l'itinéraire des autres papiers des Girondins. Saisis par Marc-Antoine Jullien, le proconsul de Bordeaux, ils ont été expédiés, par estafette, au Comité de Salut public et remis à Robespierre. De là, ils sont passés entre les mains de René Vatar, l'imprimeur particulier du Comité et du Journal des hommes libres. Puis après le 9 thermidor, ils ont été communiqués par Vatar à ses coreligionnaires politiques, Laurent Lecointre, Bassal, son ami, et le conventionnel Charles Duval, l'un des rédacteurs du journal de Vatar. Ses successeurs ont été successivement sa fille, Caroline Duval, M. Raveau, mari de cette dernière, un sieur Rozier, son neveu, un sieur Chauliac et, finalement, M. France, qui a vendu l'ensemble de ces manuscrits en 1864. Telle est la route qu'a dû suivre la lettre de Petion. Il serait intéressant de savoir comment elle est parvenue à son dernier possesseur. » Le 20 juin 1794, Buzot et Petion, traqués par Marc-Antoine Jullien, envoyé du Comité de Salut public à Bordeaux, quittèrent leur retraite et s'enfuirent dans les bois de Cafol, près de Castillon sur Dordogne. Là, ils se donnèrent la mort et on trouva leurs cadavres à demi dévorés par les chiens.

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Un point curieux de l'article de Petion est celui qui concerne les petites guillotines données aux enfants comme joujoux. Ce fait bizarre, qu'on pourrait imputer à la haine de Petion contre ses adversaires litiques, paraît confirmé par les détails suivants: Le représentant Lejeune, dit le Moniteur du 18 prairial an III (6 juin 1795), est accusé d'avoir fait périr sur l'échafaud un grand nombre de patriotes. Lejeune, pour repaître son imagination sanguinaire, avait fait construire une

petite guillotine avec laquelle il coupait le cou à toutes les volailles destinées pour sa table; il s'en servait même pour couper les fruits. Souvent, au milieu des repas, il se faisait apporter cet instrument de mort et en faisait admirer le jeu à tous les convives. Cette guillotine est déposée au Comité de législation. (1) D'ailleurs, la guillotine servait d'emblème le cachet à la guillotine a été reproduit par M. Charles Vatel; l'assiette à la guillotine, si discutée, a fait l'objet d'un travail de M. Gustave Gouellain (2). Enfin, M. Vatel possède une tabatière qui porte sous le verre du couvercle une image coloriée de la guillotine. J'en reproduis ici la figuration:

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(1) Ce fait est consigné aussi dans les Mémoires de Marmontel, liv. IX.

(2) L'assiette dite à la guillotine par Gustave Gouellain, avec une planche en couleur ; Paris, Jouaust, 1872, in-8.

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