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SEANCE DU MERCREDI 8 AVRIL 1896,

MATIN.

PRÉSIDENCE DE M. ALFRED DE FOVILLE.

M. Léon Salefranque, secrétaire.

Assesseurs MM. Lallier et Pascaud, prennent également place au bureau.

M. VEUCLIN, publiciste à Bernay (Eure), lit un mémoire par lequel il complète les précédentes communications et publications sur les origines des sympathies franco-russes. Il donne de nouveaux détails sur la vogue que l'industrie lyonnaise trouva en Russie sous Pierre le Grand et surtout sous Catherine II. M. Veuclin cite le nom d'un dessinateur en étoffes, le sieur de Burnonville, engagé à Paris en 1717 par Pierre Ier pour conduire à Moscou la manufacture des étoffes de soie que l'illustre tsar voulait y établir. De Burnonville ne resta pas longtemps en Russie, et, en 1720, il demandait instamment à rentrer en France. Malgré les efforts des souverains successifs de Russie, la manufacture des étoffes de Lyon ne put progresser dans cet empire, et, en 1803, l'ambassadeur de France à Saint-Pétersbourg écrivait qu'il s'y trouvait fort peu d'ouvriers de Lyon, et, en 1811, la fabrique de galons était seule prospère, mais on en était réduit à copier les dessins français; il n'y avait pas un seul dessinateur dans les deux capitales de la Russie.

M. LE PRÉSIDENT Constate que tout ce qui a trait à l'histoire des rapports entre la France et la Russie se recommande aujourd'hui à l'attention publique. A ce point de vue, la section doit savoir gré à M. Veuclin du sujet qu'il a choisi.

M. Léon SALEFRANQUE, des Sociétés de statistique et de législation comparée de Paris, donne lecture du mémoire suivant sur le Régime fiscal des successions dans les pays extraeuropéens.

Dans une première étude, consacrée au Régime fiscal des successions en France et dans les principaux pays de l'Europe, nous avons recherché les origines, dans notre pays, des droits de mutation par décès; exposé le régime actuel; fait connaître les projets modificatifs de ce système; et dit, en même temps, quelles solutions avaient données à la même question les principaux pays européens (1).

Nons poursuivrons aujourd'hui cet examen en ce qui concerne les pays extraeuropéens.

On admet généralement, et c'est bien là, pensons-nous, son véritable caractère, que l'impôt de mutation par décès est, en réalité, un impôt sur la richesse perçu, à juste titre d'ailleurs, au moment de l'enrichissement gratuit résultant pour les bénéficiaires du décès du de cujus. Nous rencontrons, dans certains États de l'Amérique du Nord, deux conceptions particulières de cet impôt.

Dans l'État de New-York, par exemple, on a appuyé l'établissement d'une taxe successorale sur les biens personnels, seuls, sur la théorie de la péréquation. C'est, a-t-on dit, un fait parfaitement certain que des biens personnels d'une valeur considérable échappent complètement à certaines taxes pendant la vie de leurs propriétaires : il y a donc lieu d'établir sur ces biens une taxe successorale spéciale destinée à récupérer les impôts dont le payement a été éludé, au cours de leur existence, par leurs possesseurs venant à décéder.

Ce point de vue n'est pas exact, car il ne saurait y avoir aucun rapport entre la taxe successorale et le montant des autres impôts impayés. Ce n'est donc pas là une théorie juridique, mais seulement une argumentation de fait que vient seulement grossir l'importance de certaines fortunes américaines (2).

D'autres États, dont la législation se rapproche davantage de celle de l'Angleterre, motivent la taxe successorale par la théorie du remboursement des dépenses imposées au pouvoir administratif ou judiciaire pour constater ou garantir les droits des bénéficiaires. On y estime qu'il est de toute jus

(1) Voir dans le Bulletin des sciences economiques et sociales du Comité des tra vaux historiques et scientifiques, année 1895, notre étude sur le Régime fiscal des successions en France et dans les principaux pays de l'Europe, p. 31.

(2) C'est ainsi qu'il a été constaté, en ce qui concerne une des plus grosses successions ouvertes pendant ces dernières années, que la fortune du de cujus (Jay Gould) ne s'élevait pas à moins de 82 millions de dollars (410 millions de francs), alors que le défunt acquittait la taxe sur la propriété sur une valeur de 500,000 dollars (2 millions et demi de francs) seulement.

En présence de cette énorme différence, on a proposé de faire opérer le recouvrement des taxes dont Jay Gould avait, de toute évidence, éludé le payement. C'est d'ailleurs, cette circonstance qui a rendu populaire la taxe successorale et en a amené récemment l'adoption dans plusieurs États.

SCIENCES ÉCONOM.

tice que les dépenses des cours de probate soient supportées, au moins en partie, par ceux qui bénéficient directement et d'une manière évidente de leur action. Dans ce système, la taxe est nécessairement peu élevée, sans graduation correspondant à la valeur des biens, mais, au contraire, décroissante et même uniforme. Dans ces conditions, ces droits ne sont-ils pas improprement qualifiés de taxe successorale, ne constituent-ils pas tout simplement des droits de formalité? Nous le penserions volontiers, car, dans certains États, ces deux catégories de perceptions existent concur

remment.

La légitimité de la taxe successorale, au point de vue constitutionnel, a donné lieu à de nombreux débats devant les tribunaux dans plusieurs États de l'Union et, si les décisions judiciaires les plus récentes l'ont admise dans certains de ces États, elle est cependant mise encore en discussion dans

d'autres (").

La détermination de la valeur imposable, les usufruits, la déduction du passif, ne soulèveront pas, pour les pays dont nous allons examiner le régime fiscal en matière de successions, les difficultés que nous avons eues à étudier dans notre précédent mémoire, et nous pouvons sans autre discussion de principe, passer immédiatement en revue la législation de chaque État.

Nous examinerons successivement l'impôt en Amérique, en Australie, en Afrique.

AMÉRIQUE DU NORD.

ÉTATS-UNIS.

Douze États de l'Union sur quarante-quatre possèdent des taxes successorales, ce sont la Californie, le Connecticut, la Delaware, l'Illinois, le Maine, le Maryland, le Massachusetts, le New-Jersey, l'État de New-York, l'Ohio, la Pensylvanie et la Virginie Occidentale.

Pensylvanie. L'État de Pensylvanie est le premier qui ait établi la taxe successorale. Elle fut décrétée en 1826 et atteignait seulement alors les successions collatérales.

La loi du 7 avril 1826 fixe de la manière suivante les bases du nouvel impôt :

(1) Un auteur américain, M. Max West, a consacré à l'examen de ces débats un chapitre intéressant de son étude sur la taxe successorale (The inheritance tax).

Nous avons puisé dans cette étude récemment traduite en français par un de nos distingués collègues, M. Raison, des renseignements intéressants sur divers États.

(2) Lois de 1825-1826, chap. 72.

Tous les biens réels, personnels ou mixtes, de quelque nature que ce soit, passant de toute personne qui viendra à mourir saisie ou en possession de biens de ce genre situés sur le territoire de l'État, soit par testament, soit en vertu de la loi qui régit les successions ab intestat, toute part de ces biens ou tout droit sur ces biens, transmis par contrat (deed), cession, marché ou vente fait dans l'intention de prendre effet à la mort du vendeur ou cédant, en la possession et jouissance de toute personne ou personnes, de tout corps politique ou corporation, par fidéicommis ou autrement, autres que ceux arrivant en la possession du père, de la mère, du mari, de la femme, des enfants et descendants en ligne directe, nés en légitime mariage, seront et par ces présentes sont soumis à un droit ou taxe de 2 dollars et 50 cents sur chaque 100 dollars de valeur nette de ces biens, et au même taux pour toute somme moins élevée, pour être payée et employée au profit de l'État; et tous exécuteurs, tous administrateurs et leurs cautions ne seront dégagés de toute responsabilité à l'égard de chaque et toutes sommes dues à raison de ces droits sur ces biens, dont ils pourront se charger en compte, que par le payement fait comme il est dit ci-dessus et dans le but susindiqué, car il en a été ainsi ordonné pour l'avenir.

Les biens qui sont estimés d'une valeur moindre que 250 dollars ne seront pas assujettis à l'impôt ""). »

En 1887, la loi organique avait subi un assez grand nombre de modifications, plus particulièrement au point de vue administratif, pour qu'il fût nécessaire de remplacer par un texte unique les prescriptions éparses dans diverses lois. Les plus importantes, au point de vue de la taxation, consistaient dans la fixation du taux de l'impôt à 5 p. o/o, au lieu de 2.50 p. 0/0, adoptée en 1846 (), et l'extension aux personnes de la disposition astreignant les biens à l'impôt lorsqu'ils sont situés sur le territoire de l'État, décidée en 1850 par une loi interprétative (3). Les dispositions en vigueur furent codifiées sous le titre de «Loi destinée à assurer une meilleure perception des taxes sur les successions collatérales ()».

Depuis cette époque, divers changements ont été encore apportés à la législation, mais le seul et le plus important en même temps que nous ayons à signaler est le bill du 20 avril 1893 établissant une taxe progressive de 1 à 5 p. 0/0 sur les successions en ligne directe et qui par cela même étend l'impôt à la totalité des transmissions par décès.

En dehors des taxes successorales, on perçoit, dans l'État de Pensylvanie,

(1) Sect. I du chap. 72. - Traduction littérale donnée par M. Raison. Nous avons cru devoir reproduire le texte de cette partie de la loi, à laquelle la plupart des États de l'Union ont successivement emprunté les dispositions fondamentales de leur législation.

(2) Lois de 1846, no 390, S 14.

(3) Lois de 1850, no 147.

(4) Lois de 1887, no 37.

un droit fixe de 50 cents sur les homologations de testaments et les lettres d'administration (1).

Maryland. La taxe sur les successions collatérales existe dans l'État de Maryland depuis 1845 (2). Elle fut établie en vue de créer des ressources pour l'amortissement de la dette.

Le tarif en fut fixé à 2 1/2 p. 0/0; abaissé à 1 1/2 p. o/o en 1864 (3), il fut ramené en 1874 au taux ancien (“),

Sont exempts de l'impôt, quant aux personnes : le père, la mère, la femme, les enfants et descendants du de cujus et, depuis 1880, le mari survivant (5). En sont exempts, quant aux biens : les bénéficiaires qui recueillent une succession dont la valeur est inférieure à 500 dollars (6).

Une taxe de 10 p.o/o sur les remises allouées aux exécuteurs et administrateurs fut établie en même temps que la taxe successorale. M. Max West considère cette taxe spéciale, à raison de son incidence sur la dévolution des biens comme un death duty, tout en reconnaissant qu'on ne peut guère la qualifier de taxe successorale. Elle est exigible à l'occasion de toutes les mutations par décès qui viennent à se produire, que celles-ci donnent ou ne donnent pas lieu au payement de la taxe successorale. Les successions en ligne directe étant, en fait, toujours plus nombreuses que les successions collatérales, les produits de la taxe sur les remises ont été parfois supérieurs à ceux de la taxe successorale elle-même.

Les dispositions alors en vigueur ont été codifiées à nouveau en 1888; elles ont reçu depuis quelques modifications (").

Delaware. — L'État de Delaware possède la taxe successorale depuis 1869 (), mais cette taxe y a subi des vicissitudes très grandes.

Fixée à 3 p. 0/0 et visant seulement les collatéraux et les étrangers, le tarif en fut gradué d'après la parenté de 1 p. 0/0 à 5 p. o/o; ce dernier taux applicable aux collatéraux les plus éloignés et aux étrangers ("). En 1883, l'impôt

(1) Lois de 1829-1830, no 157, § 5; 1831-1833, no 80, S 36; 1878, no 237, $ 8.

(3) Lois de 1844-1845, chap. 237.

(3) Lois de 1864, chap. 200.

(4) Lois de 1874, chap. 483, S 113.

(5) Lois de 1880, chap. 444.

(6) La loi ne prononce pas d'exemptions en ce qui concerne les legs aux institutions charitables; mais un legs de ce genre ayant été fait, il y a quelques années, au profit de bénéficiaires qui, à défaut d'argent comptant, ne pouvaient acquitter les droits, une loi spéciale les dispensa du payement de l'impôt.

(7) Code de 1888, P. G. L., art. 81, S 97-125; lois de 1892, chap. 473. (8) Lois de la Delaware, vol. XIII, chap. 390, S 12-22.

(9) Loc. cit., vol. XIV, chap.21.

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