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tout comme des immeubles, et que pour cela leur possession serait inutile; le prêt sur marchandises renfermées dans des magasins généraux est un exemple frappant de cette transformation. Mais cette assimilation n'est pas admise, la liste des immeubles est définitivement close et les meubles les mieux méritants seraient des intrus.

2o Le second effet tient encore à la situation fixe des immeubles et à la localisation de la terre. Il fait la base du droit international privé. On connaît la théorie du statut personnel et du statut réel; elle est obscure dans ses détails, mais nette dans l'ensemble. Un étranger suit quant à sa personne et à son état les lois de son pays, ce qui se conçoit; il les suit pour ses meubles, où qu'ils soient situés, mais pour les immeubles on applique celles du lieu où ils se trouvent. La terre est une partie intégrante du pays; les étrangers peuvent bien y aller et venir, mais ils ne peuvent leur appliquer des lois étrangères. Bien plus, en Angleterre, jusqu'en 1870, les étrangers ne pouvaient posséder des immeubles, tandis qu'ils avaient plein droit aux meubles. Sans doute, un motif d'autonomie nationale est au fond de cette règle; cependant elle repose en dernière analyse sur la fixité de la terre, sur la personnification qu'on en fait. Autrefois, toutes les lois étaient personnelles, même pour les immeubles, mais bientôt la force du sol se fit sentir. Il fut régi directement par la loi du pays de sa situation, abstraction faite de ses possesseurs.

3° Cependant le droit international n'est pas absolument ferme sur ce point. Souvent, sous ce rapport aussi, on assimile certaines valeurs mobilières aux immeubles. Certains peuples appliquent la lex rei sitæ aussi aux meubles qui ont une assiette déterminée, tant qu'ils conservent cette assiette. Ce ne sont que les meubles incorporels, les créances, qui suivent la personne et déambulent avec elle. L'autonomie nationale se trouve ainsi affermie; tout ce qui a un domicile parmi les valeurs suit la loi de ce domicile; ce qui n'en a pas suit, au contraire, la loi de celui de son possesseur et de sa nationalité.

C'est dans cet ordre d'idées, de la souveraineté du pays appliquée aux immeubles, que le code civil français ordonne, en cas de succession dont les valeurs sont situées, partie en France, partie à l'étranger, de prélever sur les immeubles français la quotité à laquelle un héritier français a droit sur le tout.

4° A une certaine période de l'évolution, les immeubles prirent une prédominance singulière qui leur était communiquée par la terre. Ils furent soumis à un régime spécial, le régime féodal; ils conféraient les dignités et même les pouvoirs; ils étaient d'ailleurs soumis entre eux à une véritable hiérarchie. Rien de tel n'existait quant aux meubles. Cependant quelquesuns y furent assimilés par la suite.

5° Cette situation eut en tous les pays un reflet double sur le régime des successions. Tandis que celle des meubles se réglait d'après l'affection

présumée, celle des immeubles suivait le régime des parentèles, c'est-àdire le lien du sang. En outre, à cette parenté entre les personnes, on a ajouté celle entre les personnes et les choses, pour régler la dévolution. D'où non seulement les parentèles avec fente et refente, mais aussi la règle paterna paternis, materna maternis. Enfin la domination des immeubles en matière de succession devint plus grande encore, lorsqu'on suivit le système des coutumes souchères ou du droit anglais, d'après lequel on remonte jusqu'au plus proche parent de l'acheteur qui a mis le bien dans la famille, et non à celui du de cujus.

Aujourd'hui encore, dans le partage des successions, chaque héritier doit avoir séparément sa part dans les meubles et sa part dans les immeubles.

6 Pour les meubles, possession vaut titre, soit parce que la possession donne droit, soit parce qu'elle fournit preuve au moyen d'une prescription instantanée, et l'on n'a le droit de revendiquer qu'en cas de perte ou de vol et sous certaines restrictions. Au contraire, pour la propriété des immeubles, il faut un titre, et à défaut, une prescription de dix, vingt ou trente ans, suivant les cas. C'est un effet de la non-fixité des meubles et de la fixité des immeubles.

7° Pour la transmission des immeubles, de nombreuses et coûteuses formalités sont exigées; bien plus, elle est soumise à la publicité; enfin, en matière de donation, il faut un acte authentique; tout cela disparaît quand il s'agit d'un meuble, on peut même donner de la main à la main, le don manuel n'est soumis à aucune formalité. Cette différence tient à la moindre valeur des objets mobiliers.

8° Les règles de la réduction et du rapport sont très différentes, selon qu'il s'agit d'un meuble ou d'un immeuble. Dans le premier cas, ils ont lieu toujours en moins prenant; dans le second, il y a des distinctions à faire. La valeur due des meubles est celle au moment de la donation. On présume que les meubles ont été consommés ou détériorés par l'usage, qu'en tout cas ils ont disparu, et qu'on ne peut les rechercher chez les tiers.

9° La capacité nécessaire pour aliéner les meubles est moins énergique que celle qui est requise pour aliéner les immeubles ou pour les grever. On se place ici au point de vue de la moindre valeur des meubles. Ainsi quand il s'agit de maisons, il faut des formalités très nombreuses pour aliéner ou hypothéquer son immeuble, n'eût-il qu'une valeur de 100 francs; au contraire, il n'en faut presque aucune pour aliéner des meubles consistant en créances de 100,000 francs, effet qui paraît bien déraisonnable.

Cependant la loi a sous ce rapport assimilé certains meubles aux immeubles par exemple, les rentes sur l'État, depuis le 27 février 1880. D'autre part, elle a réduit les frais des ventes d'immeubles au-dessous de 2,000 francs. Enfin, elle a environné la vente des navires de formalités protectrices.

SCIENCES ÉCONOM.

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Aujourd'hui, sauf les rentes sur l'État, le tuteur peut vendre sans contrôle toutes les valeurs mobilières de son pupille.

Il en est de même en ce qui concerne le mineur émancipé, le tuteur de l'interdit et les autres incapables.

10° Les meubles seuls peuvent faire l'objet d'un commerce, les immeubles en sont exclus, toutes les opérations auxquelles ils donnent lieu ne sont jamais que des opérations civiles. Il en résulte que celui qui achète une propriété en bloc, la met en actions, la revend en détail, ne fait pas là un acte de commerce. Quelque singulier que soit ce résultat, il est certain. Il tient à ce que les meubles seuls sont considérés comme la fortune en voie de formation; les immeubles sont le patrimoine cristallisé, mis en réserve. On est parti de cette idée, juste en général, sans voir qu'elle comporte des exceptions.

Les immeubles peuvent être mobilisés, de même que les meubles peuvent être immobilisés.

11° De même que les hypothèques conventionnelles, les hypothèques légales ne peuvent être constituées que sur les immeubles, non seulement quant au droit de suite, mais aussi quant au droit de préférence; en effet, les immeubles peuvent seuls offrir une garantie certaine. Il en résulte que la femme mariée, le mineur, peuvent être remplis de leurs droits, par préférence à tous les créanciers, quand il y a des immeubles dans la succession ou dans la communauté, mais qu'ils perdent souvent quand il n'y a que des meubles, ils n'ont alors aucun privilège. Cet effet semble singulier. Que le manque de fixité des meubles empêche qu'on ne puisse exercer sur eux un droit de suite, rien de plus logique! Mais il en est autrement du droit de préférence.

Pourquoi ne pas accorder de privilège à la femme et au mineur sur le patrimoine, tel qu'il est au moment de la déconfiture? On ne peut objecter que les créanciers ne sont pas avertis quand il s'agit des meubles, car ils ne le sont pas davantage quand il s'agit d'immeubles, puisque l'hypothèque légale est dispensée d'inscription; mais telle est la règle ahsolue; la garantie de la femme ne dépend pas seulement de la richesse du mari, mais aussi de la composition de sa fortune.

12° Les privilèges diffèrent suivant qu'il s'agit des meubles ou des immeubles, quoique quelques-uns s'appliquent également aux deux. Ceux sur les meubles dérivent presque tous d'un gage tacite; ceux sur les immeubles d'un droit retenu. Quelquefois il y a coïncidence, par exemple, quant au privilège du vendeur. Les formalités pour les acquérir ou les conserver sont aussi loin d'être les mêmes; ceux sur les immeubles sont soumis à l'inscription comme les hypothèques, ceux sur les meubles ne sont astreints qu'à des formes très simples. Ceux sur les navires sont mixtes à ce point de vue.

13° Les conditions de la séparation des patrimoines varient suivant

qu'il s'agit de meubles ou d'immeubles; la non-confusion est pour les uns ce que l'inscription est pour les autres.

14° En matière de vente, on exige une certaine égalité entre la valeur et la contre-valeur quand il s'agit d'immeubles; il a semblé au légistateur qu'ils ne devaient pas être cédés à vil prix; au contraire, en matière de meubles, la rescision pour cause de lésion n'est pas admise. Certaines législations ne font pas cette distinction. En effet, certains meubles peuvent avoir une valeur énorme. Mais le législateur a été frappé de l'importance, en thèse, des immeubles.

De même, le réméré, qui est admis dans la vente immobilière, ne l'est pas dans la vente mobilière.

15° Les impôts frappent d'une manière très différente les meubles et les immeubles. Dans la législation actuelle, en ce qui concerne les revenus, les immeubles seuls sont directement atteints; les créances, les rentes sur l'État échappent à l'impôt, ainsi que les traitements. Cependant la loi y a soumis certains revenus mobiliers: les produits du commerce, les intérêts et dividendes des valeurs de bourse, enfin des projets d'impôt sur le revenu comprennent les revenus mobiliers dans leur ensemble. En ce qui concerne les impôts sur le capital, par exemple, les droits d'enregistrement et ceux de mutation par décès, ils frappent les meubles aussi bien que les immeubles, mais à des tarifs différents; pourtant leur valeur, leur emploi économique sont les mêmes. C'est que le législateur a pensé que les capitaux mobiliers sont un patrimoine en voie de formation, sujet à des risques, tandis que l'immeuble est la fortune consolidée et au repos. Aussi le tarif pour les premiers n'est que de la moitié de l'autre. Le respect de la terre s'est imposé à l'impôt, de sorte qu'il la frappe davantage.

16° Les règles de compétence sont bien différentes, suivant qu'il s'agit de meubles ou d'immeubles. Dans le premier cas, quoique les meubles soient fixés à demeure, et que souvent le procès pourrait être mieux jugé là où ils sont, on suit le forum du défendeur. Au contraire, s'il s'agit d'immeubles, même situés loin du domicile des deux parties, on doit assigner devant le tribunal de la situation des biens. On a pensé que le procès se juge mieux sur place, d'où la compétence immobilière, mais que les meubles n'ont pas de place fixe, qu'il faudrait les chercher partout, que le défendeur se trouve plus facilement chez lui.

17° La procédure de saisie diffère profondément suivant les diverses valeurs mobilières et immobilières qu'elle atteint. On peut en citer un long défilé mobilière, immobilière, brandon, gagerie, saisie des rentes, saisiearrêt, saisie-revendication, saisie foraine et conservatoire, mais toutes se résument en trois principales: la saisie-exécution, la saisie immobilière et la saisie-arrêt. Nous nous demanderons plus loin si ce luxe de saisies est nécessaire. Il faut y ajouter la procédure collective de la faillite.

18° A la suite des diverses saisies, la distribution des valeurs réalisées

se fait de deux manières différentes, suivant qu'il s'agit de meubles ou d'immeubles; pour les unes, procédure d'ordre, et pour les autres, de distribution. L'une d'elles est beaucoup plus longue et compliquée. En cas de faillite on emploie même une troisième procédure.

19° C'est surtout en matière de contrat de mariage que la division en meubles et immeubles a une extrême importance. Tout d'abord, sous le régime dotal. Ce régime, il est vrai, s'applique aussi bien aux meubles qu'aux immeubles; les deux sont inaliénables en principe, mais quelle différence dans le résultat! L'inaliénabilité des immeubles est directe et sérieuse, sauf des possibilités de fraudes. Au contraire, la dot mobilière n'est inalienable que dans ce sens que l'action en reprise en deniers, garantie par une hypothèque légale, est frappée d'inaliénabilité, mais il n'existe aucun droit de suite.

20° Lorsque les époux sont mariés sous le régime de la communauté légale, la distinction en meubles et immeubles a peut-être son maximum d'effet, et en tous cas, celui le plus injuste. Tous les meubles tombent en communauté, tous les immeubles en sont exclus. Le mari apporte 500,000 francs en immeubles, ils lui restent propres; la femme apporte un million en meubles, ils tombent en communauté; par le seul fait du mariage, le mari en acquiert 500,000 et il peut même disposer du million entier. Le seul correctif est l'hypothèque légale, mais comment 500,000 fr. répondront-ils d'un million? Il faut joindre à cela la disposition complète des biens laissée au mari, il peut les dissiper ou les distraire! Le seul remède est de faire un contrat de mariage et de stipuler la communauté réduite aux acquêts; le principal but de ce contrat c'est d'assimiler les meubles aux immeubles.

Il en est de même si la fortune échoit au mari ou à la femme, au cours du mariage, par succession ou donation. Les meubles restent propres, les immeubles tombent en communauté. Il se produit alors un résultat plus singulier en combinant ces règles avec l'effet rétroactif du partage. Une succession échoit à la femme qui n'a qu'un cohéritier pour moitié. Cette succession s'élève à 500,000 francs de valeurs mobilières et à 500,000 fr. d'immeubles. Comment fera-t-on le calcul? On dira sans doute que la femme recueille 250,000 francs de valeurs mobilières qui tombent en communauté, et 250,000 francs d'immeubles qui en sont exclus? Oui, telle sera bien la solution avant le partage. Mais après? Pas toujours. Il se peut que ce partage allotisse la femme en meubles seulement, alors ses 500,000 francs tombent entièrement dans la communauté.

Tels sont les effets principaux de la distinction des biens en meubles et immeubles; nous passons ceux qui sont moins essentiels. On voit quelle est leur importance, et que la discussion de cette distinction n'est pas chose oiseuse et purement théorique, mais pratique au plus haut point.

Avant d'en faire la critique, consultons les principales législations soit

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