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parce qu'il reçoit les fruits de la terre. Entre le créancier et la terre il y a le débiteur; le créancier vit d'une manière parasitique sur le débiteur, comme celui-ci, cette fois directement, sur la terre. De même, l'artisan qui travaille les objets mobiliers. La terre est bien la seule valeur définitive, celle qui produit ce qu'on mange; auprès des autres, si elles n'étaient pas échangeables avec la première, le plus riche pourrait mourir de faim. D'où une cause nouvelle de distinction entre les meubles et les immeubles. Tels sont, en raison, les motifs intrinsèques de la division en meubles et immeubles 1° fixité ou mouvement naturel; 2° importance ou insignifiance de valeur; 3° consolidation ou formation du patrimoine; 4° appropriation individuelle plus ou moins facile et complète; 5° valeur première et valeur secondaire ou parasitique.

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Comment, dès lors, est-il possible de critiquer cette distinction qui semble si bien fondée? Avant de le faire, nous devons établir très exactement le criterium et les effets de cette distinction.

II

Les deux caractères essentiels des meubles et des immeubles que nous venons de décrire sont : 1° au point de vue objectif, la fixité ou la mobilité de la valeur manifestée par l'adhérence ou la non-adhérence au sol; 2° au point de vue subjectif, l'importance générale de la valeur. Tantôt c'est l'un, tantôt c'est l'autre de ces caractères qui domine; en outre, chacun d'eux peut être entendu de deux manières très différentes.

Le caractère objectif est la fixité de la valeur manifestée par l'adhérence au sol. Cette définition comprend plusieurs termes. Ces termes peuvent être réunis ou séparés.

Il est certain que la distinction se justifie par la fixité de certaines valeurs, la fluidité et le mouvement de certaines autres. Aussi une valeur toujours en mouvement, et qui peut être dissimulée ou disparaître, ne saurait être employée comme moyen de garantie; on ne peut soumettre sa transmission à ces formalités qui seraient la précaution inutile; elles servent de base moins solide à l'impôt, etc. Là-dessus aucun doute, mais il s'agit alors d'une distinction entre les valeurs fixes et les valeurs courantes.

Mais n'y a-t-il de valeurs fixes que le sol et ce qui est attaché au sol? Cela est une tout autre question. Si oui, la distinction en valeurs fixes et valeurs courantes coïncide avec celle entre meubles et immeubles, telle qu'elle est pratiquée; non, dans le cas contraire.

Suivant un système, il n'y a de valeurs fixes que les immeubles, c'est-à-dire que le sol et les annexes du sol. C'est même l'idée première, matérielle, matérialiste, si l'on veut, du droit. C'est ainsi que les Romains ont compris la distinction; c'est ainsi d'ailleurs qu'à une autre extrémité de l'évolution, la comprend le code civil français. Lorsque les peuples passent de la vie

nomade du chasseur et de la vie pastorale à la vie agricole, ils acquièrent une nouvelle richesse bien distincte de toutes les autres: la terre. Ils la mettent à part. C'est elle scule qui compte comme élément nouveau; puis sur cette terre ils construisent; sous cette terre ils fouillent; tous ces ouvrages ne sont que la terre prolongée; ils la cultivent, et les intruments de labeur agricole s'identifient à la terre; ils ne vont pas au delà, tout le surplus reste meuble. C'est qu'ils ne sont pas partis de l'idée de distinguer la valeur fixe de la valeur courante, ils n'ont pas envisagé le but de cette distinction, celle-ci s'est formée mécaniquement. Plus tard, lorsqu'on a dégagé de cette classification toute mécanique l'esprit qu'elle pouvait avoir, on s'est aperçu qu'elle était utile et pouvait fonctionner comme telle, que la terre est fixe, que tout ce qui s'attache à elle est fixe aussi, que cette fixité produit certains avantages, que les immeubles ainsi délimités sont capables de certaines fonctions juridiques propres. On ne se demande pas si certains autres objets indépendants de la terre ne pourraient pas avoir aussi la même fixité ou une certaine fixité dont on tirerait parti, et dont les conséquences seraient les mêmes que celle de l'attache au sol. Ce cercle premier ne fut pas élargi, on utilisa seulement les immeubles définis à un emploi juridique spécial.

Plus tard, cependant, on s'aperçut que ce qui faisait l'utilité de la division, ce n'était pas l'adhérence au sol, mais la fixité; que si une valeur pouvait être fixe autrement, elle posséderait les mêmes avantages, et que les vocables meubles et immeubles pourraient être conservés, mais entendus dans un autre sens. Par exemple, voici des objets corporels qu'on rend fixes fictivement, des marchandises mêmes (tout ce qu'il y a de plus mobile) qu'on enferme dans des magasins généraux publics. Tant qu'elles y sont prisonnières, et elles ne peuvent être mises en liberté que lorsqu'elles ont payé leur dette, ce sont de véritables immeubles. On peut emprunter sur elles comme sur des immeubles; il faut, pour en transmettre la propriété, les mêmes précautions. Pourquoi ne seraient-ce pas des immeubles, quoiqu'elles n'adhèrent pas au sol? Voici des valeurs incorporelles; elles n'ont point de siège dans l'espace, cela est vrai; dans un sens elles ne sont donc pas fixes, mais on ne les voit pas non plus courir, ni personne pouvoir les soulever : elles ne sont donc pas mobilières. Cependant elles présentent tous les avantages des choses fixes matériellement, des immeubles. Il s'agit de la propriété littéraire. Il suffit de l'inscrire sur un registre, ce registre l'emprisonne; désormais elle peut servir de gage, on la retrouve toujours à sa place; elle ne peut jamais échapper, elle vaut un immeuble.

De même une créance; sans doute le débiteur peut fuir, mais la créance reste, et de plus si elle est gagée par une hypothèque, elle demeure solide, on la retrouve à sa place sur le registre d'inscription. Voici le navire; non seulement il est mobile, mais il fuit de mer en mer, il passe des années sans

revenir, il ne reviendra peut-être jamais. Quoi de plus meuble? Ce n'est qu'une apparence. Rien de plus fixe. Ce navire retournera toujours forcément à son point d'attache, s'il revient; et s'il ne revient pas, s'il périt, une compagnie d'assurances le ressuscitera pour le créancier. En réalité, il est donc fixe; et ce meuble, le plus mobile, le plus fugace de tous était, en réalité un immeuble.

Dans tous ces cas où aucune attache au sol n'existait, la valeur était au fond immobilière, la coïncidence entre l'immeuble classique et l'immeuble véritable disparaissait donc. Il surgissait un immeuble nouveau, dégagé de ses conditions matérielles, la valeur fixe. Disons tout de suite que ce fut la conception très juste qu'en eut l'ancien droit français, où la plupart de nos meubles actuels étaient assimilés aux immeubles.

Le caractère subjectif de la distinction entre le meuble et l'immeuble est la valeur plus ou moins importante en thèse de ces divers objets. D'après la conception première, les immeubles comprennent les valeurs importantes par elles-mêmes; les meubles, celles négligeables à beaucoup d'égards. Dans une société où il n'existe pas de commerce et très peu d'industrie, c'est la terre qui est la seule vraie valeur; les autres ne sont que secondaires. Tel est le système des physiocrates. La terre seule donne la nourriture, le vêtement, le logement, l'indispensable; le reste est de luxe. D'ailleurs elle seule est productive de revenus véritables; l'argent ne rapporte de loyers que dans certains cas assez rares, il n'y a donc qu'une seule valeur importante. Ce concept se justifie pleinement à ces époques; le prêt à intérêt lui-même ne peut exister que sous la forme de rente perpétuelle. Mais, à un autre degré de l'évolution, il devient faux. Le criterium n'est pas absolument différent, mais il se modifie. D'un côté, toutes les choses frugifères; de l'autre, celles qui ne le sont pas.

La terre seule donne des fruits, mais par imitation l'argent donne à son tour des intérêts, et ces intérêts valent les fruits. Au contraire, un mobilier corporel est improductif. Il ne peut, par conséquent, atteindre une estimation convenable. A cette distinction entre la terre, importante parce qu'elle est seule frugifère, et les autres objets, secondaires parce qu'ils ne produisent pas annuellement, se substitue celle entre tous les objets frugifères quelconques, terre, capitaux, etc., et ceux qui ne le sont pas, et par conséquent ont une valeur moins utile. Sous ce rapport encore la conception est élargie. On peut assimiler les capitaux mobiliers aux capitaux immobiliers, parce qu'ils sont tous les deux des capitaux, les meubles vrais sont les revenus et les capitaux improductifs qu'il faut consommer ou user. Telle est la conversion lente de l'idée d'immeubles, même au subjectif.

La troisième cause de distinction entre les meubles et les immeubles, celle qui vient de l'idée de la fortune en voie de formation et de celle consolidée, peut aussi s'entendre de deux façons. Une fortune est consolidée dans un sens lorsque les valeurs qui la composent sont employées en biens

stables dont la valeur ne peut varier et dont l'existence n'est pas soumise à des risques. Or les immeubles consistant en sol et dépendances présentent seuls d'abord ce caractère; eux seuls ont une valeur facilement mesurable, s'échangeant toujours et non aléatoire. Mais il n'en est pas perpétuellement ainsi, et un certain jour il devient faux de dire que les valeurs autres que le sol, les constructions et leurs annexes soient seules de la fortune cristallisée.

Tout d'abord la rente foncière est aussi sûre et d'une valeur aussi fixe, cependant il est vrai qu'elle constitue un immeuble; mais bientôt le placement hypothécaire participe à la fixité de la fortune immobilière elle-même, puis celui qui est garanti par un gage. Ce n'est pas tout; les rentes sur l'État dont la garantie, pour n'être que personnelle, n'en est pas moins très forte, étant collective, acquièrent le même caractère de consolidation. Bientôt tout un groupe de valeurs mobilières fait, à ce point de vue, fonction d'immeubles. Dès lors, la fortune consolidée comprend, à côté des immeubles anciens, une foule de valeurs; ces valeurs, en réalité, de meubles sont devenues immeubles, et il faut remanier les catégories. Elles coïncident d'ailleurs avec les valeurs fixes ci-dessus énumérées. Les meubles sous ce rapport sont presque réduits aux seules marchandises.

Le motif qui repose sur l'appropriation plus complète des meubles est aussi passible d'une double interprétation. A l'origine il n'y a en présence que les meubles personnels non improductifs et les immeubles productifs annuellement; les premiers forment une propriété complète, les seconds une propriété moins ferme, devenant lentement individuelle. Depuis, la propriété devient exclusive tant pour les immeubles que pour les meubles, mais à cet égard une nouvelle différence se fait jour dans le même ordre d'idées. Certains meubles sont assimilés aux immeubles, en ce sens qu'ils sont susceptibles de revenus aussi fermes; ce sont les parts dans les sociétés, les obligations à la charge de celles-ci. La discussion à laquelle donne lieu la propriété entre les diverses écoles économistes s'applique non seulement aux immeubles, mais à ce genre de meubles; la propriété des meubles corporels reste seule indiscutée.

Enfin le caractère de valeurs parasitiques qui distingue les meubles des immeubles disparaît pour beaucoup d'entre eux. Les meubles sont souvent le résultat du travail sans le concours des immeubles. La cause en est dans l'extension de l'industrie. Sans doute, la terre continue de donner les produits indispensables, mais l'échange des produits entre eux se fait d'égal à égal. La production mobilière est autonome. Dès lors, les meubles corporels et les marchandises restent seuls dans la classe des valeurs parasitiques, vivant sur les immeubles et leurs possesseurs. Les autres, propriété industrielle, créances, ont des produits spéciaux, vivent d'une manière auto

nome.

Mais les deux grands motifs de distinction entre les meubles et les im

meubles sont surtout à retenir, savoir, celle objective de la fixité, celle objective de la valeur. On voit que suivant les procédés et les systèmes, la première se réalise avec l'adhérence au sol ou en dehors de cette adhérence; la seconde, avec l'idée que la terre est la seule valeur véritable ou la plus grande, ou avec l'idée que cette valeur est indépendante de la nature des objets.

Recherchons maintenant quel est l'intérêt pratique et l'effet de la distinction en meubles et immeubles.

III

Les effets de cette classification que pour abréger nous examinerons surtout dans le droit français actuel, sont nombreux, et c'est ce qui lui donne une particulière importance; nous verrons plus loin qu'ils ne sont pas toujours une conséquence nécessaire des définitions.

Le principal effet consiste en ce que l'immeuble seul donne une base assez solide au crédit, que par conséquent tout un système est organisé quant à lui dans ce sens, système qui ne s'applique pas aux meubles et ne peut s'y appliquer. Pour ceux-ci il faut revenir au procédé le plus rudimentaire, à la possession qui forme la condition du gage. Pour l'immeuble, au contraire, un vaste système fonctionne qu'on nomme le régime hypothécaire.

Il suffit ici d'indiquer ce régime et non de le décrire. Les procédés sont très variés. D'abord il a fallu procéder comme pour les meubles, mettre le créancier en possession et même l'investir de la propriété; puis une divergence se forma, tandis que les meubles restèrent sous ce régime, le gage immobilier disparut, en laissant des traces dans l'antichrèse et devint l'hypothèque, d'abord occulte et peu efficace, puis relatée sur un registre. On peut posséder le registre au lieu du sol. Dans des systèmes nouveaux (act. Torrens) il suffit même de posséder le titre, ce titre peut être transmis par endossement. Dans tous les cas, la possession est immatérielle. Il en est de même en ce qui concerne la transmission; tandis que le meuble se transmet au porteur dans le sens strict du mot, l'immeuble doit se transférer par un acte écrit, souvent authentique, toujours transcrit. C'est là un des effets les plus importants de la distinction. Les meubles ne peuvent ouvrir qu'un crédit étroit, les immeubles sont susceptibles du plus large; à ce point de vue, leur supériorité est entière. Pourquoi? Parce qu'ils sont fixes, ne se déplacent pas, qu'on peut toujours les retrouver; ce sont des gens domiciliés, tandis que les meubles sont plus ou moins vagabonds. S'ils n'étaient pas fixes, on ne pourrait pas les représenter par une feuille de registre, ou la représentation serait fausse; c'est cette fixité qui permet seule d'être garanti sans posséder.

si

En scrutant bien cet effet, on n'est pas longtemps à découvrir que des meubles venaient à acquérir cette fixité, ils pourraient servir de crédit

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