Page images
PDF
EPUB

M. SALEFRANQUE donne lecture des conclusions d'un mémoire de M. le docteur Barthès, qui n'assiste pas à la séance.

M. ALFRED DES CILLEULS, après le mémoire si complet, si étudié, que vient de présenter M. de la Grasserie, n'a pas dessein de traiter la question dans son ensemble; il se propose, seulement, deux choses exposer les objections que soulèvent les opinions développées, puis appeler l'attention sur certains points qu'il paraît utile d'approfondir, pour résoudre le problème soumis à l'examen du Congrès.

1° M. de la Grasserie a insisté sur les dangers d'un excédent de population et sur la convenance de préférer la qualité de la race à la quantité des sujets qui la représentent.

Or, puisqu'il est établi que la France tient le dernier rang, parmi les nations, pour la natalité, et qu'il s'agit de remédier à cette situation d'infériorité, l'excédent redouté ne saurait se produire, de longtemps, si jamais il se réalise.

D'autre part, à l'époque où la fécondité des mariages, dans notre pays, était satisfaisante, la vigueur et la stature moyennes ne le cédaient en rien, tant s'en faut, à celles que l'on constate de nos jours. La vérité est qu'en général la vertu prolifique constitue un indice de force et que, par conséquent, il faut laisser de côté des appréhensions non justifiées.

2° M. de la Grasserie a invoqué, comme cause de notre faible natalité, la différence des races latine et germanique.

Ici, encore, il est à propos d'abandonner une thèse qui ne repose pas sur des faits probants.

En effet, dans la seconde moitié du xvII° siècle, la natalité était :

[blocks in formation]

De 1700 à 1801, l'accroissement moyen et annuel fut, en France, de 1/270°, tandis qu'il n'atteignit, pour l'Angleterre et le pays de Galles, que 1/300°.

De 1815 à 1830, des contrastes décisifs viennent ruiner le système qui rattache la fécondité à la race.

Pendant cette période, on comptait, pour un mariage :

[blocks in formation]

Si, de l'Europe, on passe en Amérique, il demeure avéré qu'au Canada l'élément français de la population l'emporte, de beaucoup, pour la fécondité, sur l'élément anglo-saxon. C'est ce que M. Rameau de Saint-Père a démontré, victorieusement, dans ses études statistiques très remarquées.

3o Enfin, M. de la Grasserie préconise l'essai de récompenses et de punitions.

L'orateur est fermement convaincu que, là où l'instinct naturel a perdu son empire et se trouve paralysé, les moyens factices et humains n'auront pas plus de succès. Si, dans la Rome antique, on a su éluder les peines édictées, par le législateur, contre le célibat ou la stérilité, de nos jours l'intérêt à échapper aux mesures de rigueur ne rendrait pas moins fertile en expédients.

Passant, ensuite, au fond du sujet, M. des Cilleuls estime que, pour réduire à ses termes les plus simples la réponse qu'appelle la douzième question du programme, on peut dire qu'il y a deux moyens susceptibles de favoriser l'accroissement de la population en France :

1° Atténuer, le plus possible, la mortalité;

2o Éviter les causes d'infécondité.

Sur le premier point, il y a lieu de reconnaître que de grands progrès ont été obtenus, dans le régime alimentaire et les soins. hygiéniques, à l'égard des enfants du premier âge, parmi lesquels tant de précautions sont à prendre, pour éviter la mort.

La loi du 23 décembre 1874, due à l'heureuse initiative de M. Théophile Roussel et qui assure la protection des nouveau-nés, a été un bienfait; mais, il importe qu'elle reçoive, sérieusement, son application et, par malheur, c'est ce qui ne s'obtient pas; d'un côté, la dispersion des nourrices empêche une surveillance efficace;

d'un autre côté, dans la crainte de soulever du mécontentement, l'autorité administrative classe une foule de procès-verbaux.

Mais, alors même qu'il en serait autrement, la préservation de la vie humaine, dans sa première phase, ne suffit pas, pour perpétuer la race il faut conduire les sujets jusqu'à la puberté, jusqu'au mariage. Or, quels sont les écueils à éviter, en vue d'atteindre ce but? Quels sont les obstacles ordinaires qui empêchent le résultat cherché de se produire? On peut disserter, là-dessus, indéfiniment; pour rester dans le domaine des faits pratiques, trois ordres de phénomènes sont à retenir :

1o La répartition des habitants, entre les grandes, moyennes et petites agglomérations;

2o Les circonstances économiques;

3o Les influences sociales et morales.

La manière dont le développement des agglomérations réagit sur la fécondité a été mise en relief, d'une façon magistrale, par notre éminent et très honoré président, M. Levasseur, dans son grand ouvrage sur La population française; après lui, l'orateur n'avait plus qu'à glaner humblement et a recueillir quelques faits instructifs auxquels il ne peut que se référer (1).

Les circonstances économiques ont été décrites, par M. de la Grasserie, et il n'y a plus à y revenir.

Quant aux influences sociales et morales, il en est une qui, depuis longtemps, a été signalée : le service militaire.

Par eux-mêmes, les exercices physiques et réguliers imposés aux jeunes gens favorisent le développement du corps; il n'y a donc pas à s'en plaindre. Mais le casernement des troupes, tel qu'il est compris, et le séjour prolongé, dans des cités importantes, réagissent sur le moral des soldats, favorisent la corruption des mœurs et, très souvent, font naître une répugnance pour la vie rurale et le mariage; ils déterminent des habitudes d'intempérance et répandent des affections syphilitiques; de là, des altérations transmissibles, dans l'organisme, et un déclin de la race.

Ces observations sont bien loin de comprendre tout ce que la question proposée peut suggérer d'idées; mais, l'orateur les croit, néanmoins, utiles et c'est ce qui l'a engagé à intervenir dans la discussion.

(1) Voir la Réforme sociale du 16 avril 1895.

M. RAMEAU DE SAINT-PÈRE recommande la dispense du service militaire accordée à un fils dont le père a un certain nombre d'enfants.

M. DISSARD dit qu'il y a la limitation physiologique et la limitation volontaire à distinguer.

Il rappelle que les enfants du sexe masculin meurent en plus grand nombre que ceux du sexe féminin. Il y a à l'âge du mariage plus de femmes que d'hommes. A mesure qu'une race évolue, la fécondité décroit. Il en est ainsi dans les races animales. Il en est de même dans les races humaines. Au point de vue de la limitation volontaire, l'État ne peut réussir dans son intervention qu'en accordant des avantages dépassant ceux que l'individu a en vue. Les efforts doivent surtout être de nature morale et indirecte.

M. TOMMY MARTIN dit que la loi sur la gratuité et l'obligation de l'instruction est une loi contre les célibataires qui payent et ne reçoivent rien, tandis que cette loi vient en aide aux pères de famille. On ne peut donc dire que la législation française ne favorise pas les personnes ayant des enfants.

M. JORET-DESCLOZIÈRES dit que le célibat et l'infécondité ne sont pas toujours volontaires et que, par suite, les peines pourraient être injustes.

M. LE PRÉSIDENT appuie cette observation.

M. LYON-CAEN demande à M. de la Grasserie à quoi l'on devrait s'attacher dans son système pour savoir si les enfants sont bien ou mal élevés, et quelle autorité sera chargée de faire la distinction pour n'accorder de récompense, comme le soutient M. de la Grasserie, au père de famille que dans le premier cas.

M. DE LA GRASSERIE répond aux objections qui lui ont été faites. Il dit qu'il ne peut être question de l'intervention de l'État au point de vue des causes physiologiques. Il ne croit pas que les moyens moraux soient suffisants. Il ne fait aucune distinction entre les célibataires ou entre les personnes sans enfants. Il y a un intérêt social qui peut expliquer que des innocents soient frappés. Au sujet

des récompenses, il a voulu seulement dire que le fait de la naissance ne saurait suffire. Il y a des enfants qui meurent par insuffisance de soins. Il faudrait exiger que les enfants eussent atteint un certain âge.

M. Frédéric PASSY n'admet ni récompenses ni punitions en cette matière. Il n'appartient pas à l'État d'intervenir pour pousser à l'extension ou à la restriction de la natalité. Les moyens employés seraient nécessairement arbitraires. Ce que l'État a à faire, c'est de faire disparaître les causes artificielles qui nuisent au développement de la population. Ces causes sont assurément nombreuses et de différentes espèces.

M. DISSARD dit que la diminution due aux causes physiologiques n'est pas un mal, mais que la diminution volontaire est un mal.

La séance est levée à 5 heures.

« PreviousContinue »