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l'on croyait voir d'abominables sorciers; le résultat est dù au mouvement des idées, mais aussi aux efforts faits pour élever l'aliéné à la dignité de malade et le soustraire à un traitement barbare.

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L'ÉTAT GLACIAIRE.

QUELQUES MOTS SUR LA QUESTION,

Par M. J. PÉROCHE,

Directeur des Contributions indirectes à Saint-Lô (Manche).
Membre correspondant.

'EXISTENCE des grands froids quaternaires avait généralement été admise. Aujourd'hui on cherche à donner à l'époque glaciaire un caractère particulier assez difficile à comprendre.

Les causes des grands froids qui ont envahi nos régions dans des temps géologiquement si rapprochés de nous, ne sont encore que très-vaguement entrevues, et quelques savants trouvent sans doute plus simple de nier le phénomène que de l'expliquer. Mais tourner la difficulté n'est pas la résoudre. Quelques mots me paraissent nécessaires à cet égard.

Les glaciers actuels avancent ou reculent sous l'influence du plus ou moins d'humidité ou de sécheresse des saisons, et c'est en partant de là qu'on est arrivé à formuler les idées qu'on vou drait faire prévaloir.

Une plus grande accumulation de neige sur les glaciers, en ajoutant à leur poids, doit nécessairement activer leur descente.

Il y a cependant des réserves à faire sur ce point. Les pentes des montagnes, au faite desquelles les glaciers se constituent, ne sont pas d'une complète uniformité. Il doit donc arriver, dans certains cas, que des excès de glaces, au lieu d'accélérer la marche de l'ensemble, l'entravent, au contraire, et la ralentissent. C'est quand la partie accrue occupe les moindres déclivités. Les masses supérieures se heurtent là contre une résistance plus forte, et, les poussées d'en-dessous se trouvant par cela même amoindries, l'écoulement en éprouve forcément le contre-coup. Mais ce n'est pas à ce fait absolument secondaire que j'ai à m'arrêter. Ce qui est indispensable à l'alimentation des glaciers, c'est la neige, et pour qu'ils puissent acquérir un développement plus considérable, il faut bien qu'ils en reçoivent en quantités plus abondantes. Or, si les glaciers de l'époque quaternaire n'ont pu s'étendre que par suite de chutes plus persistantes, n'y a-t-il pas à se demander, avant tout, d'où ces neiges leur seraient venues? Sans doute, on peut recourir à des variations dans les conditions atmosphériques. Mais elles-mèmes n'ont-elles pas dépendu d'autre chose? C'est donc ailleurs et plus loin qu'il faut chercher.

Il n'y a pas que les glaciers actuellement existants qui aient atteint de larges proportions dans l'âge dont il s'agit. Il s'en est formé également de vastes sur des reliefs montagneux qui, depuis longtemps, n'en possèdent plus. Les Vosges et le Morvan, malgré leur faible altitude, sont dans ce cas. On explique ceuxlà par l'extension du froid émané des autres, froid qui aurait fini par s'exercer d'une manière générale, tout en laissant néanmoins, aux vallées abritées, des températures relativement douces.

Si l'action thermique des glaciers primitifs s'est étendue de proche en proche à l'ensemble des régions qui les possédaient, au point d'y agir comme elle l'aurait fait, on ne voit guère comment des vallées quelconques auraient pu y être affranchies du refroidissement. Ce qui se conçoit beaucoup moins encore, c'est qu'après s'être accrus et développés à un tel point, sous leur propre influence, ils se fussent, en quelque sorte d'eux-mêmes aussi, réduits et annihilés, y compris les plus importants, jus

qu'à disparaître dans une aussi large mesure, ne laissant place, cette fois, qu'à un réchauffement de plus en plus marqué. L'abaissement de la température se serait d'autant plus accentué, dit-on, que les glaciers auraient occupé de plus larges espaces. Soit. Mais son relèvement, d'où le fait-on venir? La lacune s'accuse ici beaucoup plus complètement encore. Comment d'ailleurs ne voir dans l'extension des anciens glaciers qu'un simple effet de précipitations aqueuses, quelles qu'elles aient été? Estce que la neige pourrait seule, sans le concours d'autres circonstances, créer des glaciers ou même aider à leur développement? L'Écosse, parmi nos régions septentrionales, a des montagnes d'une assez grande élévation, et, bien que la neige y tombe abondamment, elles n'en restent pas moins dépourvues de ces grandes accumulations de glaces. La Scandinavie, quoique beaucoup plus au Nord, se trouve à peu près dans un cas analogue. La raison en est que l'été, en succédant à l'hiver, liquéfie le tout et le fait disparaître. Pour que des glaciers se forment et se maintiennent, il faut non-seulement les neiges des mauvais mois, il faut aussi, on l'oublie trop, une certaine persistance des froids pendant les jours meilleurs, et là où cette double condition ne se réalise pas, les glaciers ne peuvent que faire défaut. Dans les zones tempérées ou chaudes, l'altitude supplée à la latitude. Des abondances de neige ne sont, au surplus, pas partout indispensables à la progression des glaciers. Les régions polaires n'en reçoivent que dans une proportion relativement restreinte, et cependant nulle part les glaciers n'atteignent des dimensions aussi colossales que celles qu'ils y ont. C'est que le soleil ne fond qu'une très-faible partie de celle qui y tombe et que, s'ils gagnent peu, ils perdent moins encore.

Les glaciers du Chili et ceux de la Nouvelle-Zélande ont été cités comme exemples de ce qui peut se produire sous ce rapport, même sous des latitudes peu élevées. Mais il ne faut pas perdre de vue qu'il s'agit là de glaciers appartenant à de hautes montagnes, voisines de mers constamment brumeuses, et que, s'ils descendent à de très-faibles niveaux, c'est sans s'éloigner de leur centre d'émission. Nos grands glaciers quaternaires se sont répandus à des distances énormes. La fusion ne les aurait-elle

pas rongés cent fois, dans le cours de pareils trajets, si la température des lieux parcourus n'avait pas été très-basse? Ne rongerait-elle pas ceux de la Nouvelle-Zélande et du Chili bien avant leurs limites actuelles, malgré l'abondance de leur alimentation, s'ils s'écartaient tant soit peu, horizontalement, des cîmes d'où ils descendent?

Que de choses, en dehors de ces considérations, qui prouvent bien la rigueur des froids quaternaires ! Le renne et bon nombre d'autres animaux bien plus arctiques encore ont longtemps habité nos contrées, se répandant jusqu'aux Alpes et aux Pyrénées. Ils n'y seraient certainement pas venus, mème dans le voisinage des glaciers, si la température y était restée quelque peu clémente. A Schussenried, dans le Wurtemberg, des plantes, qui ne se rencontrent aujourd'hui qu'au delà du 70° degré de latitude, ont laissé des traces mêlées à celles de l'homme. Ces plantes n'y auraient évidemment pas existé si elles n'avaient trouvé là le climat qui leur convient. Il y a plus, la mer glaciale a déposé ses coquilles jusqu'à proximité de nos frontières : au sud de l'Angleterre, en Hollande, au Hanovre, en Prusse. Comment admettre surtout qu'une pareille mer eût pu s'étendre presque jusqu'au centre de l'Europe occidentale alors que les terres qu'elle aurait baignées, ou celles qui y confinent, seraient restées en possession d'une température qui, au fond, n'aurait eu aucun rapport avec la sienne?

On a comparé les dépôts glaciaires en question à ceux qui se constituent, de nos jours, sur les rivages de Terre-Neuve, refroidis par un courant polaire. On omet une distinction, et pourtant elle est essentielle; c'est que le fait actuel est local, tandis que le fait passé a embrassé toute l'étendue septentrionale des anciennes côtes. L'exception ne saurait évidemment être confondue avec la généralité. On a dit aussi de la mer glaciale que son rapprochement avait pu être pour beaucoup dans l'existence de nos grands froids. Mais, le rapprochement luimême, quelle en aurait été l'origine? La mer glaciale n'est pas plus enfermée aujourd'hui qu'à l'époque quaternaire. Pourquoi, quand toute la mer du Nord demeure ouverte devant elle, reste-t-elle maintenant aussi étroitement cantonnée autour du

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