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les jeunes enfants n'étaient pas atteints de la même façon que les adolescents et les adultes. Eux aussi voyaient le démon, mais le diable avait des ménagements pour eux. De Lancre ne connaît pas d'exemple d'accouplement de Sathan avec des enfants audessous de 12 ans. Il y a plus, tandis que le coït se pratiquait au sabbat en public, les enfants n'y étaient pas présents. Cette vue leur était épargnée. On ne saurait trop admirer cette discrétion de l'esprit du mal et ce respect de l'enfance (1)! Mais en somme rien de plus 'naturel que l'absence de délire érotique chez des enfants qui n'ont pas atteint l'âge de la puberté.

Les aveux ne suffisaient pas toujours pour motiver une condamnation. D'ailleurs, certaines femmes dénoncées comme sorcières niaient obstinément les faits qui leur étaient reprochés. Or, un préjugé régnait à l'époque qui nous occupe. La sorcellerie supposait une initiation. Il fallait effacer la trace du baptême, et il était nécessaire que Sathan pût reconnaître ses adeptes. Alors, il les marquait. Les juges se faisaient un devoir de rechercher cette marque. Le caractère distinctif des points du corps touchés par le démon était d'être insensible à la douleur. Pour rechercher ces points insensibles, on bandait les yeux des sorcières et l'on explorait la surface cutanée à l'aide d'une aiguille ou d'un tranchet très-affilé. Malheur à l'infortunée sorcière chez laquelle on rencontrait un point du corps anesthésié, elle avait été marquée par le démon. Des femmes avaient la triste spécialité de rechercher ces points insensibles, et elles les trouvaient, disent les vieux auteurs, jusque dans les parties les plus secrètes. Or, un fait clinique, faussement interprété d'ailleurs, était relevé à cette époque. On sait qu'il existe chez les hystériques des points douloureux occasionnant à la pression de vives souffrances, et que néanmoins on peut piquer sans provoquer aucune douleur; or nous lisons qu'en vain les sorcières se trémoussaient et accusaient des points douloureux à la pression alors qu'elles ne sentaient aucune souffrance quand l'aiguille

(1) Une autre particularité est signalée : le diable qui transportait les sorcières pour le sabbat à de grandes distances et même dans des les dansseresses, n'avait pas le pouvoir de les faire sortir de prison.

était enfoncée jusqu'à l'os. On ne croyait pas à leur souffrance quand elles accusaient des points douloureux; les contorsions, avaient aux yeux des juges uniquement pour but de détourner l'attention, de faire croire à leur sensibilité alors qu'elles portaient la marque du démon. Les sorcières usaient de malice pour tromper la justice et échapper à leur sort, quand elles se voyaient sur le point d'être convaincues. Il s'agissait là d'une simulation, et c'était une circonstance aggravante.

Tous ces faits appartiennent à l'histoire. Pour nous qui cherchons à les interpréter (sans haine ni colère), nous voyons que dans le pays de Labour, (nous nous en tenons toujours à l'exemple choisi,) régnait au commencement du XVIIe siècle, la ferme croyance à des maléfices. Des convictions délirantes dues probablement à des hallucinations faisaient croire à de pauvres femmes qu'elles étaient transportées souvent à de grandes distances par le démon, et qu'elles se réunissaient en grand nombre pour se livrer à des pratiques coupables; mais ce qui doit nous frapper en même temps, c'est qu'on constate chez ces femmes un ensemble de symptômes appartenant à l'hystérie. Il existait un véritable délire érotique avec fausses sensations voluptueuses, et en outre des phénomènes d'anesthésie et d'hypéresthésie cutanés. Ce que l'on appelait la marque du diable était un symptôme morbide, et cette manière d'envisager les faits explique jusqu'à un certain point le caractère épidémique du délire. On sait que l'exemple est parfois contagieux. Par suite de quelles circonstances l'hystérie était-elle si commune dans la terre de Labour, c'est ce que nous ne pouvons pas préciser, mais bien des conditions pouvaient en favoriser le développement. Le pays était pauvre, peu fertile; les communications y étaient difficiles, car la région est montagneuse. L'alimentation devait être souvent insuffisante et les unions consanguines fréquentes. Ce sont là des conditions éminemment favorables au développement des affections nerveuses. Quoi de surprenant alors à ce que, dans un terrain ainsi préparé, dans un temps où les questions religieuses passionnaient (nous ne devons pas oublier que c'était à l'époque de la réforme et des guerres de religion), certaines imaginations aient été plus vivement frappées des accusations surgissent,

des événements fortuits sont attribués aux maléfices, et les tètes se montent. Les malades, car ce sont alors des malades, finissent par se croire possédés et se considèrent comme réellement coupables; la croyance à la possession se développe de plus en plus, le délire gagne de proche en proche, par une sorte de contagion morale. Et nous n'avons plus besoin d'appeler à notre secours pour expliquer le fait des diables chassés des Indes et du Japon, et réfugiés dans les montagnes de Labour; mais ce qui reste profondément triste dans cette histoire, c'est le rôle du Parlement de Bordeaux ayant pour jurisprudence qu'il faut faire mourir les sorcières pour avoir été simplement au sabbat et fait paction avec le diable, bien qu'ils ne soient prévenus d'aucun maléfice pourvu qu'il y ait preuve contre eux qu'ils ont fait au dit lieu tout ce que les autres sorciers ont accoustumé d'y faire. Cette jurisprudence n'était pas spéciale au Parlement de Bordeaux, c'était la doctrine admise généralement. Toutefois il y avait des nuances et les formes variaient. Ainsi de Lancre, que je cite toujours volontiers parce qu'il nous fait bien connaître les idées de l'époque, rapporte que des sorciers du pays de Labour, feignant des pèlerinages, mirent l'alarme dans la Navarre et l'Espagne, et les inquisiteurs écrivirent au Parlement de Bordeaux pour demander des renseignements afin de renvoyer les fugitifs, « ce qu'ils feroient, disaient-ils, de très-bon cœur. Et nous leur >> rescrivimes encor de meilleur qu'ils les gardassent soigneuse»ment et les empeschassent de revenir, estant plus en peine » de nous en deffaire que de les recouvrer. C'est un méchant meuble duquel il ne faut faire inventaire. D'autres juges étaient moins formalistes et moins scrupuleux; tel par exemple ce lieutenant criminel qui, vers la même époque, faisait de sa propre autorité et contrairement à la coutume, brûler sans appel et pour la plus grande gloire de Dieu, quarante sorciers. L'histoire rapporte qu'il ne se trouva personne pour lui en faire un reproche.

Cette démonolâtrie dans le pays de Labour, n'est qu'un épisode dans l'histoire des sorciers. Au quinzième siècle avait éclaté la folie des Vaudois. En 1459, des condamnations au bûcher avaient été prononcées dans l'Artois. De 1484 à 1500

des sorcières avaient été poursuivies en Allemagne et condamnées à mort. En Italie, les frères de Saint-Dominique poursuivaient les sorciers, de 1504 à 1523, et d'après Barth de Spina, livrèrent aux flammes jusqu'à mille individus par an, dans le seul district de Côme. En 1577, quatre cents sorciers sont condamnés au feu par le sénat de Toulouse. En 1582, l'Inquisition sévit à Avignon contre les sorciers. Je ne relève ici que les faits les plus saillants. Toutes ces épidémies ont des caractères communs. La croyance au sabbat était générale et les hallucinations des prétendus amis du démon ne faisaient que propager l'erreur, et donner plus de force aux idées de l'époque. Il y avait pourtant une autre manière de se donner au diable. Certains individus croyaient pouvoir, à l'aide de certains artifices, se transformer en loups, c'étaient les lycanthropes ou loups-garous. La croyance populaire leur attribuait des méfaits de toute sorte. Les loups - garous erraient dans les campagnes, y inspiraient une vive terreur. Ils se jetaient sur les enfants et les dévoraient; ils détruisaient les animaux domestiques comme de véritables bètes féroces. Aussi on leur donnait la chasse comme à de vrais loups, et ils étaient, croyait-on, d'autant plus dangereux qu'ils avaient pour eux la puissance du démon. En voici un exemple pris encore à Bordeaux (1).

« Le juge ordinaire de la Chastellenie et Baronie de la Roche› Chalais estant averti par le procureur d'office qu'il avoit esté » veu naguières une beste sauvage au village de Paulot, pa» roisse de l'Esparon, qui sembloit un loup et s'estoit jetée de >> plein jour sur une jeune fille appelée Marguerite Poirier.

» Et qu'en ce même village, un jeune garçon de treize à » quatorze ans, serviteur de Pierre Gombaud, se jactoit que » c'étoit luy qui s'estoit jetté sur la dite Marguerite, transformé » en loup, et qu'il l'eust mangée si elle ne se fût défendue avec » un baston, tout ainsi qu'il avoit mangé, disait-il, deux ou >> trois enfans ou filles;

> Il informe le 29 mai 1603.

» Voici, en résumé, la déposition du prévenu je me nomme

(1) De Lancre, De l'Inconstance.

» Jean Grenier; mon père se nomme Pierre Grenier, il demeure » à Saint-Antoine de Pizon, où il exerce la profession de labou

Dreur.

Je l'ai quitté il y a trois mois pour mendier, j'ai été depuis lors au service de plusieurs maîtres dont j'ai gardé les trou» peaux, je loge à présent chez Gombaud, au village de Paulot.

» A l'âge de dix à onze ans, Duthillaire, notre voisin, m'a » présenté à un homme noir, au fond d'un bois, et qui se >> nomme M. de la Forest. Ce monsieur m'a marqué à la fesse >> avec une broche qu'il tenoit en main, il m'a donné, ainsi qu'à » Duthillaire, de la graisse et une peau de loup. Il m'est arrivé » de courir en loup.

» La déposition de Marguerite Poirier est véritable, il la print, » voulant la tuer et la manger, et elle luy bailla un coup de » bâton. Confesse toutes les violences et excez dont il est accusé » sauf qu'il dit qu'il avoit bien tué un chien blanc, mais pas >> beu le sang. Interrogé quels enfans il a tués et mangés, ainsi > transformé en loup, il dit qu'une fois allant de Coutras à » Saint-Auloye, il entra dans une maison où il ne vit personne » et y trouva un enfant d'un an dans le berceau, lequel il print » à la gorge à belles dents, l'emporta derrière une palisse de › jardin, en mangea tant qu'il voulut et bailla le reste à un » loup qui étoit là près; qu'il ne sait le nom du village.

» Que vers la paroisse Saint-Antoine de Pizon il se rua sur » une fille qui gardoit les brebis, portant une robe noire, la tua » et en mangea ce qu'il voulut, comme de l'autre, puis bailla » le reste à un loup qui étoit près de lui..... qu'il pouvoit y >> avoir six semaines qu'il print une fille près d'une pierrière, » et l'ayant traînée dans les bruyères il la mangea.

» Que passant la nuit à Esporon, il avoit attaqué la chienne » de Millon, laquelle il eut tuée si Millon n'eut mis la main à » l'épée.

Que quand il veut courir, il a une peau de loup sur soi, laquelle M. de la Forest lui porte quand il veut qu'il courr; puis qu'il se frotte de certaine graisse qu'il lui a aussi baillée, qu'il tient dans un pot, ayant premièrement ôté ses habits » qu'il porte ordinairement par les chaumes et les buissons,

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