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que dans la plus grande partie de ce territoire le sol était si mauvais et le climat si inclément, que la grande propriété pouvait seule s'y maintenir ou prospérer.

M. Conrad commence par définir le mot latifundium et montre que Pline (Histoire naturelle, L. XVIII, ch. vi) aussi bien que les publicistes modernes lui attribuent un double sens; c'est d'abord une grande ou très grande propriété, c'est aussi la concentration dans les mêmes mains d'un grand nombre de propriétés (ou d'une très grande étendue du territoire). Il est bien entendu que mot grand a ici un sens vague ou relatif, on pourrait dire variable, car 100 hectares d'une terre fertile peuvent valoir 1000 h. d'une terre presque stérile. M. Conrad ne voit aucun mal à l'existence d'une grande propriété; elle est même indispensable aux progrès de la culture; ainsi il y a en Prusse un certain nombre d'hommes bien préparés par leurs études, disposant de capitaux et qui obtiennent des résultats auxquels le paysan le plus laborieux-mais routinier, comme ils le sont pour la plupart - n'atteindra pas de sitôt. Il n'en est pas de même de la concentration de beaucoup de biens dans les mêmes mains. M. Conrad désire que la législation en favorise la dispersion, mais sans violence, ce qui est d'ailleurs en train de se faire, car beaucoup de ces propriétaires ont plusieurs enfants. Il expose ensuite la statistique des propriétés. Les tableaux sont très bien présentés, quelques-uns sont même curieux. Tel de ces tableaux ressemble au Domesday Book, renfermant le nom des propriétaires, le nombre de leurs domaines, avec leur étendue, etc. Il résulte de tous ces documents que la petite et la moyenne propriété sont largement représentées dans ces provinces, mais qu'il y a aussi un nombre trop grand de seigneurs qui possèdent 20, 40 et même 60 domaines ; ce sont ces faisceaux qui auraient besoin d'être défaits. Constatons que plusieurs circonstances contribuent à le défaire; je n'en indiquerai qu'une ; il est des familles où l'on mène la vie à grandes guides et pour la soutenir on vend une terre après l'autre. Ce mouvement va même tellement vite qu'on s'en effraie; il sera probablement suffisant pour détruire les Latifundia. Le reste sera fait par les officiers de cavalerie; on les dit ennemis des biens de leurs familles, et pour s'en débarrasser, ils les font passer dans les mains des usuriers. (Voy. plus loin).

Empruntons à la même livraison un tableau que nous réduisons aux colonnes ci-après :

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Zeitschrift für die gesammten Staatswissenschaften (Revue des sciences de l'Etat), dirigée par MM. Schäffle, de Schönberg, etc. (Tubingue, chez Laupp, 44° année, fasc. 1). Le premier article, de M. G. Ellinger, traite des sources antiques de la théorie politique de Machiavel, c'est-à-dire, chez quels auteurs de l'antiquité Machiavel a-t-il puisé ses principales théories? C'est un travail très intéressant, mais qui sort un peu de notre domaine; nous avons cependant le droit de prendre notre bien où nous le trouvons. Nous dirons donc que Machiavel, s'appuyant sur Aristote, Thucydide, Cicéron, Polybe, Plutarque et autres personnages du même calibre, dit...gli uomini... vissero e morirono sempre con un medesimemo ordine. C'est un simple lieu commun qu'il répète en disant que les hommes sont toujours les mêmes, c'est-à-dire qu'ils ont les mêmes besoins et les mêmes passions. Et savez-vous pourquoi Thucydide, Polybe et d'autres racontent l'histoire ? Parce que, disent-ils, les mêmes causes ayant toujours les mêmes effets, l'histoire montrera comment les événements s'enchaînent, et l'on sera renseigné pour les cas analogues. Or, de nos jours, on prétend avoir découvert que l'homme

change, qu'il n'y a pas de loi naturelle, que M. un tel n'a qu'à soutenir que les choses rares sont à bon marché, et les choses abondantes chères, pour que l'ancienne école économique « disparaisse et fasse place à une nouvelle école », où les hommes feront tout exprès les plus grands efforts pour obtenir les plus petits résultats possibles.

Le 2o article est de M. Schäffle et traite de la politique coloniale. L'article d'aujourd'hui, il s'agit d'une série, traite du bassin du Congo et retrace l'histoire de « l'Etat libre » qui a été fondé dans ce territoire. Pour le moment, dit M. Schäffle en terminant, ce qui est le plus pressé, c'est d'explorer le pays, et pour réussir dans cette tâche il faut réunir (a dit le président de la Société géogr.de Londres) les qualités spécifiques d'un stoïcien, d'un indien, d'un saint et d'un chameau, qualité que réunit, parait-il, M. Stanley.

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Le 3 article, d'un anonyme, est curieux à plusieurs égards. Il a pour titre « La Propriété et l'appauvrissement dans les classes. supérieures.» On s'occupe, dit l'auteur, d'assurer aux ouvriers, à l'aide des contributions des classes supérieures, du pain pour leur vieillesse ; c'est très bien, mais qui s'occupe de la destruction incessante de la propriété des classes supérieures et de leur appauvrissement? Ces classes ne sont pas toujours sympathiques, surtout certains personnages qui en font partie — il est juste de dire que les usuriers qui les ruinent ne le sont pas davantage. Mais qu'ils soient sympathiques ou non, il s'agit de ce fait fréquent qu'un grand propriétaire meurt et laisse plusieurs enfants, dont l'un, mettons l'aîné, reçoit la propriété à la condition de payer à ses frères et sœurs leur part d'héritage sous la forme de rentes. Le jeune héritier n'a rien de plus pressé à faire que de manger l'ensemble de la fortune et les frères et sœurs sont sur la paille. Ces jeunes viveurs sans cœur et sans intelligence, dont l'honneur » est grand comme un point mathématique et leur permet des indélicatesses pires que des crimes, ils ne sont que trop nombreux en Europe, ils sont la cause de bien grandes souffrances peu connues. L'auteur s'étend sur cette matière assez longuement; son langage est souvent original ou bizarre, mais il dit de bonnes et utiles vérités.

Il ne manque pas d'indiquer un remède, mais il ne le formule pas en projet de loi, bien qu'il consiste à modifier la législation familiale << faute de pouvoir modifier les mœurs, qui seraient bien plus puissantes >> dit-il. Il s'agirait d'empêcher l'héritier principal (l'aîné) de dissiper la fortune commune. Un des articles de la loi à faire consisterait à interdire d'acheter la part des cohéritiers sans les payer comptant. On croira peut-être que les parents seront suffisamment protégés en prenant hypothèque sur l'immeuble? Il paraît que non.

La nécessité de soutenir l'honneur de la famille, ou de sauver les apparences dans l'intérêt d'un riche mariage ou des raisons analogues, contribuent généralement à compléter la ruine. La disposition la plus importante à prendre, selon l'auteur, et pour cela une clause testamentaire suffirait souvent, c'est de ne pas distribuer la totalité de la fortune aux enfants, mais d'en laisser une partie sous forme indivise, par exemple, un père qui posséderait 500.000 fr.et aurait 4 enfants, donnerait 100.000 fr. à chacun d'eux en toute propriété, et constituerait 100.000 fr.en caisse de retraite familiale, administrée par un conseil de famille; on ne pourrait jamais toucher au capital, les intérêts seuls pourraient servir à tirer de la misère quelque membre de la famille, surtout dans sa vieillesse (car il est supposé qu'on travaille dans sa jeunesse), le fonds passerait aux petits enfants. Si le titulaire d'un majorat, dit l'auteur, se montre dissipateur, les agnats se réunissent en conseil de famille et le mettent en tutelle, mais ils ne peuvent faire cela que lorsqu'une bonne partie de la fortune a été dissipée; pourquoi le conseil de famille n'interviendrait-il pas plus tôt; pourquoi n'administrerait-il pas le bien de famille au profit de tous et ne créerait-on pas, à côté du droit de succession, des devoirs de succession?

Nous ne pouvons pas entrer davantage dans les vues de l'auteur, vues qui trouveront plus d'adhérents en Allemagne qu'en France; il convient cependant de dire que le fond de la pensée ne s'éloigne pas tant que l'on pourrait croire de l'idée de la famille souche de Leplay et peut-être se soutiendrait-il mieux que la simple liberté

testamentaire.

Statistische Monatschrift (Revue mensuelle statistique de l'Autriche), publiée par la commission centrale de statistique (Vienne, Alf. Hölder). Dans le dernier n° de 1887, c'est surtout le Rapport sur les travaux du séminaire statistique (signé : Jul. de RoschmannHörburg) qu'il faut lire. Il y a là un excellent passage sur le libre arbitre. On se servait du retour régulier des mêmes chiffres dans les statistiques qui semblaient le plus dépendre du caprice pour nier la liberté morale; on soutenait que cette régularité prouvait que l'homme est soumis à des lois générales auxquelles il est obligé de se soumettre sans le savoir. Plusieurs statisticiens, et je suis du nombre, ont prouvé que l'homme agissant avec réflexion, obéissant à des motifs raisonnés, ses actes devaient se ressembler, tant que le milieu et les circonstances qui l'influencent ne changent pas. L'auteur du Rapport dit que le retour régulier des mêmes chiffres est pré

cisément la preuve du libre arbitre, mais seulement, cela va sans dire, quand on a devant soi des masses (de grands nombres). L'auteur est moins heureux dans ses distinctions entre une économie politique descriptive, une économie politique analytique et une économie politique synthétique, c'est du pur à priori; s'il s'agissait d'appliquer ses propositions aux faits, il serait très embarrassé. Et quand il parle de lois économiques qui changent avec l'histoire 1,je le défierais bien de dire à quelle époque les choses abondantes étaient chères et les choses rares à bon marché. Tant qu'il ne me dira pas cela, je serai autorisé à soutenir que sa théorie est fausse. Sa théorie ? Il faudrait dire la théorie à la mode dans « la nouvelle École ». Par une courte transition, l'auteur arrive à parler de la fortune nationale, l'ensemble des biens d'un peuple (tant ceux des individus que ceux de l'Etat). Il nous présente sur ce point le résultat de nombreuses recherches, embrassant les derniers siècles et les principaux pays. Ces recherches sont cependant loin d'être complètes. En ce qui concerne la France, l'auteur s'arrête surtout sur Lavoisier et sur trois auteurs récents, dont deux sans la moindre autorité, et à cette occasion il dit toujours « les Français ». Mais ces trois hommes ne représentent pas la science française, et il a tout à fait tort de dire « les Français ». Du reste, l'auteur cite, p. 612, l'opinion de M. le professeur Neumann de Tubingue, qui dit qu'on ne peut réduire la fortune d'une nation en tant de millions de marks ou de francs, et il adhère à cette opinion qui est aussi la mienne. La langue économique allemande a deux expressions dont l'une, Vermögen, est identique à notre mot fortune (la fortune, l'avoir d'un individu), terme dont nos économistes ne font presque aucun usage; je n'ai pas trouvé que les économistes allemands en aient tiré un effet utile. L'autre mot Volkswirthschaft (littéralement économie du (d'un) peuple qu'on met souvent à la place d'économie politique (Volkswirthschaftlehre, terme usité seulement dans les livres d'enseignement), ce mot, comme je l'ai souvent montré, a fait bien du mal à la science allemande, et les réflexions de l'auteur, quelque intéressantes qu'elles soient à certains égards, n'y feront rien; tous les mots à double sens sont nuisibles.

▲ Relativement au prétendu changement de la nature humaine, malgré le vernis de civilisation qui nous couvre, on peut souvent dire: grattez le civilisé, vous trouverez le sauvage, vous n'avez qu'à comparer le récit du fraticide que vous trouverez dans le journal le Temps du 15 févirer 1888, avec l'antique légende de Caïn et Abel que raconte la Bible. En 1888, la jalousie n'est pas causée par une faveur de la divinité, mais par la préférence des parents. Supposer que les hommes changent, c'est inventer une hypothèse dans l'intérêt d'une thèse, malgré tous les témoignages de l'histoire.

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