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mot de système est bien placé. Eloignons-nous et laissons se continuer l'éternel conflit de la théorie et de la pratique, des économistes et des politiques.

Dans ce débat, il est fort intéressant de signaler la manière dont M. Roscher envisage le commerce des denrées alimentaires, suivant que le corps social est sain ou malade, qu'il est pourvu ou qu'il n'est pas pourvu d'une alimentation suffisante par d'abondantes récoltes ou des réserves de grains. Si la cherté des grains se déclare, M. Roscher décide qu'une maladie vient de frapper le corps social. Il pose le diagnostic et conclut. Il distingue la « nature, les symptômes et les effets secondaires du mal ». Disserter « sur la pathologie et la thérapeutique de la disette », c'est reconnaître que la maladie ne peut se guérir toute seule, qu'elle a besoin de remèdes et de médecins. Les médecins sont naturellement les négociants et l'Etat ; les remèdes sont l'activité d'un commerce florissant et parfois des mesures gouvernementales. Nulle part, ce me semble, M. Roscher n'a mieux fait sentir la sagacité de son analyse, le caractère de ses jugements et l'originalité de sa méthode.

Ce qui donne à tout écrit son cachet, c'est la conclusion, c'est le mot de la fin, conime on dit assez souvent; or, ce mot de la fin est, dans l'Economie politique rurale, le mot du commencement. Si le livre de M. Roscher s'ouvre par un chapitre sur l'Etat, il se termine par un chapitre sur l'économie forestière. Au début et à la fin, la même note domine; il s'agit toujours de l'Etat.

De tout temps et dans presque tous les pays, la culture forestière a été regardée comme un objet d'intérêt général condamné à supporter certaines charges, certaines servitudes, c'est-à-dire l'action directe ou indirecte de l'Etat. Presque partout, l'Etat a fait du défrichement et du déboisement une question à lui propre. Presque partout, il s'est réservé le privilège de prendre, pour les besoins du service public, des arbres d'une certaine essence, d'un certain âge. La nécessité de conserver des bois, comme un trésor offert par la nature, et de les défendre contre les « dilapidations des voisins », a donné hieu à l'établissement d'une législation, d'une administration et d'une police, dont l'autorité est très généralement la même dans l'Europe entière. D'autre part, il ne faut pas oublier que les livres de M. Roscher, comme le livre de Rau, ont nécessairement en première vue la situation de l'Allemagne et que, sur beaucoup de points de l'économie rurale, et particulièrement de l'économie forestière, se font encore sentir les théories féodales qui ont pesé sur l'organisation de la société et du gouvernement pendant le moyen âge.

En bon politique, M. Roscher devait admettre un large contrôle de

l'État sur la sylviculture et l'économie forestière, mais en économiste éclairé, il devait conseiller de limiter ce contrôle au profit du droit de propriété. Il n'a pas manqué à cette double tâche.

En traitant des modes d'exploitation des forêts, comme en traitant de la législation forestière, M. Roscher poursuit assurément le but économique de l'affranchissement du domaine forestier, comme il avait expliqué et justifié l'affranchissement du domaine agricole. Partout il livre le bon combat dans le champ clos de l'économie gouvernementale contre les derniers vestiges des coutumes féodales et des vieilles routines d'État. Ces dernières observations dominent tout l'ouvrage et en résument le but et le caractère. Le Traité d'économie politique rurale de Roscher est, avant tout, une étude historique de législation économique.

Au début de cette préface, j'ai associé les noms de Roscher et de Wolowski. Je ne puis mieux terminer ma tâche qu'en mettant en relief la pensée commune qui a confondu leurs efforts. C'était en 1868. La Société d'économie politique tenait son dîner mensuel sous la présidence d'Hippolyte Passy; une discussion s'engagea sur cette grande question des meilleures méthodes pour l'étude de l'économie politique, et tour à tour entrèrent dans la joute oratoire Courcelle-Seneuil, Baudrillart, Garnier, Hippolyte Passy, Wolowski, Léonce de Lavergne, Batbie, Laboulaye, nos maîtres et nos amis. La méthode historique faisait les frais de la séance et l'introduction que Wolowski avait placée en tête de sa traduction des Principes d'économie politique de Roscher en était la raison. Les orateurs parurent se contredire; au fond ils s'entendaient mieux qu'ils ne le croyaient eux-mêmes. Tous étaient d'accord sur ce point, que l'économie politique est une science d'observation et qu'elle ne peut pas se mouvoir dans son argumentation si elle ne se sert pas des faits, c'est-à-dire des exemples dont l'histoire est l'inépuisable magasin. Quelques-uns, Wolowski et Laboulaye, invoquant le souvenir des belles campagnes qu'ils avaient faites dans l'histoire du droit, semblaient admettre qu'on pouvait tirer de l'histoire des arguments assez solides pour poser des principes, tandis que d'autres, et je crains bien d'être encore de ce nombre, trouvaient que l'histoire fournit des arguments pour toutes les causes et qu'un fait historique n'a que la valeur relative de son temps. Un fait peut être interprété autrement qu'un fait semblable, suivant les circonstances au milieu desquelles ces deux faits se sont produits. Si l'usage de l'histoire doit être l'inévitable fondement de l'étude des sciences

sociales, cet usage ne doit pas tourner en abus par une confiance illimitée dans tous les faits analogues qui forment le cours des événements passés. Ce qui me fortifie dans les réserves que je fais au sujet de la méthode historique adoptée par M. Roscher et prônée par Wolowski, c'est le témoignage de M. Roscher lui-même. M. Roscher a reconnu que l'économie politique expliquée par les témoignages de l'histoire ne peut « donner matière qu'à l'étude et ne constitue pas une science positive ». « La tàche, dit-il, que nous nous sommes proposée n'a point été de rendre ce livre pratique, mais de former des praticiens. Pour tout dire, en un mot, notre intention n'est pas de faire adopter par ceux qui se confient à notre direction des applications toutes tracées dont nous leur aurions montré l'excellence. Ce que nous désirons par dessus tout, au contraire, c'est les rendre aptes à trouver eux-mêmes, en dehors de toute autorité et après avoir pesé consciencieusement chaque circonstance, des règles de conduite pour la pratique de la vie ».

Voici des paroles qui doivent tenir lieu d'épigraphe aux ouvrages de M. Roscher et qui justifient pleinement la liberté que j'ai prise de donner sur certains points mon opinion personnelle et d'indiquer dans ses traits essentiels le cadre d'une THEORIE DE L'AGRICULTURE. Voilà le lecteur dùment averti du but où M. Roscher prétend nous conduire et où il nous conduit, au nom de la liberté des opinons et au grand profit de la science. M. Roscher, dans son Economie politique rurale, pense comme il parle dans ses Principes d'économie politique. A quiconque veut étudier, il livre les trésors de son incomparable érudition, pour que chacun en tire ce qu'il croira devoir en tirer après avoir pesé consciencieusement les faits et les raisons. Le but de l'auteur, qui est un but d'éducation économique, le caractère du livre, qui est un livre de méditation scientifique, ressort clairement de ces paroles, mais je m'empresse d'ajouter que M. Roscher, par le classement de ses preuves, qui sont les témoignages de l'histoire, cherche et réussit à accoutumer le lecteur à ne pas perdre de vue l'ensemble des lois économiques et la transformation des institutions sociales.

Comme ce maître de l'antiquité, comme Thucydide, dont il s'honore d'être le disciple, M. Roscher peut dire avec confiance et autorité, que son travail sera utile à ceux qui voudront connaître avec certitude les événements qui se sont passés et les événements qui seront un jour semblables et analogues en vertu de la nature humaine >>.

LOUIS PASSY.

CONVERSION DE LA DETTE ANGLAISE

I

M. Goschen a succédé à lord Randolph Churchill, comme chancelier de l'Echiquier, dans les premiers jours de janvier 1887. Sa réputation était bien assise; il passait à bon droit pour un financier de premier ordre. On s'attendait à lui voir entreprendre de grandes réformes, notamment sur le terrain des relations de l'Etat avec les autorités locales 1. Son premier Budget a été signalé par un dégrèvement de l'income-tax, par une réduction de l'amortissement et par la séparation de la dette publique et de la dette locale. Dans le cours de son Exposé budgétaire, M. Goschen attira l'attention du Parlement sur le renchérissement continu de l'administration, conséquence directe de l'extension des attributions de l'Etat, et il eut soin de montrer que la responsabilité en remontait au Parlement lui-même. C'est en réduisant l'amortissement de 2 millions de liv.st. que M. Goschen a pu supprimer 1 penny d'income-tax; sir Stafford Northcote avait fait adopter, en 1875, le chiffre fixe de 28 millions de liv. st. pour le service des intérêts et de l'amortissement; grâce à la fixité du chiffre, il y avait un amortissement croissant. M. Goschen a justifié sa dérogation au principe de l'amortissement par la différence des circonstances en 1875 et en 1887. Il y a treize ou quatorze ans, le Budget était dans sa plus belle période d'élasticité, alors qu'en 1887 le revenu était stationnaire. On n'a pas le droit, ajoutait-il, d'imposer en vue de l'amortissement des efforts qui seraient capables d'entraver les classes productrices. M. Gladstone a vivement critiqué M. Goschen. Si un chancelier de l'Echiquier peut réduire une année l'amortissement de 7 à 5 millions, qui empêchera son successeur ou luimême de descendre de 5 à 3 millions? Au nom des principes conservateurs, un fonds d'amortissement, une fois établi, doit être regardé comme sacré, excepté dans des circonstances très graves. Le pays est plus riche qu'en 1860 et cependant, en 1860, on consacrait 28 millions de liv. st. à la dette. M. Goschen a répondu que c'étaient

Le second Budget de M. Goschen modifie profondément les rapports de l'État et des autorités locales, supprime les subventions gouvernementales et soumet la propriété mobilière, indemne jusqu'ici, aux taxes locales, en abandonnant aux conseils des comtés la moitié du droit de preuve (probate duly) sur les testaments.

les contribuables de l'income-tax qui fournissaient les ressources de l'income-tax et qu'il était équitable de leur venir en aide 1. D'ailleurs, grâce à des économies sur les dépenses prévues et à des plus-values de recettes, le chancelier de l'Échiquier a été en mesure de consacrer à l'amortissement en 1887-1888, 7.200.000 €, le montant le plus élevé auquel on soit arrivé depuis 1873.

En même temps M. Goschen a séparé du capital de la dette publique le montant des avances consenties par le Trésor aux localités; il a créé un fonds nouveau dont les fluctuations permettront de suivre le mouvement des créances du Trésor. Le fonds nouveau en représentation des dettes locales s'élèvera à 36 3/4 millions £; il comprend 27 3/4 millions provenant du remaniement de la dette publique et d'autre part 9 à 10 millions avancés sur la garantie du Trésor pour certains besoins locaux. Le nouveau fonds est un 3 0/0, qui aura sur les consolidés l'avantage de ne pas être convertible avant 25 ans. L'émission en a été faite au commencement de 1888. Il est coté entre 105 et 106.

Les charges de la dette ressortaient du nouvel arrangement comme le montre le tableau suivant :

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Les dépenses se répartissent comme suit entre les divers services (moyenne sur plusieurs années) :

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P. 100 1881-86

P. 100

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Les douanes et l'inland revenue (accise, impôts somptuaires) rendent en 1887 le même produit qu'en 1877, malgré l'accroissement de population :

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Le surcroît de recettes provient uniquement de l'income-tax, c'est-à-dire de l'impôt direct supporté par les classes aisées et riches, puisque les petits revenus (au-dessous de £150) sont dégrevés.

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