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La synarchie est « l'alliance de ces deux lois dans le principe social pour un seul et même but la vérité, l'équité et le bien publics, quand la nation est en possession de conseils conformes à son triple pouvoir comme ceux du gouvernement au sien. ·

<<< Alors les conseils sociaux de la nation agissent ainsi sur les conseils politiques du gouvernement: l'enseignement sur le délibératif, le juridique sur le judiciaire, l'ordre économique tout entier sur l'exécutif.

<< Le premier agit par la science et par le savoir national, le second par la conscience publique, le troisième par le consentement général de l'impôt, tous trois par le concours consultatif des spécialités de leur ressort.

« A son tour, le triple pouvoir des gouvernants réagit sur celui des gouvernés, en lui rendant en acte ce qu'il en a reçu en puissance.

« ...

Le problème à résoudre consiste dans tous les temps en une alliance et non en une opposition entre ces deux lois ».

Mais il paraît que cette alliance n'est pas facile à établir, car l'histoire ne nous en montre pas beaucoup d'exemples. M. Saint-Yves nous indique les Etats généraux comme représentant à peu près la loi sociale en alliance avec la loi politique. Il devrait suivre de là que la France aurait été plus heureuse, plus prospère aux XIV et xve siècles que dans les temps antérieurs, opinion très contestable et très contestée. D'ailleurs les Etats généraux ne représentaient pas l'universalité de la nation: le Tiers-État lui-même était un corps privilégié et relativement peu nombreux. Le povre commun et les povres laboureurs de France n'étaient nullement représentés et c'est eux qui payaient les impôts plus ou moins librement votés par les trois Etats, les trois pouvoirs sociaux. Comment s'y prendre pour allier la loi sociale des gouvernés à la loi politique des gouvernants? Est-il possible de synarchiser la France du jour au lendemain ? M. Saint-Yves ne le croit pas, c'est pourquoi il veut procéder graduellement et en commençant par le plus facile et le plus pressé qui consiste à organiser le pouvoir social économique.

« Après l'épuisement de tous les expédients accoutumés depuis des siècles, dit notre auteur, banqueroutes gouvernementales déguisées sous les noms de conversions, d'emprunts nouveaux, etc., il est fatal que la loi sociale méconnue rentre en scène par son exécutif propre, comme en 1789. Les gouvernants eux-mêmes n'auront pas d'autre recours possible pour se dégager comme mandataires, que d'inviter la nation à opérer son dégagement. L'exécutif social s'appelle le pouvoir économique des contribuables en tant que gouvernés, l'un des trois dont la loi est le sujet de la France vraie et de nos Missions. De deux choses l'une: ou cette rentrée sera préparée, puis exécutée progressivement avec science et avec art, conformément à la loi synarchique; ou elle se fera

par opportunisme, par empirisme, par antagonisme des gouvernés, comme en 1789, et alors ce sera le déchaînement de l'anarchie ».

Cest pour éviter cette anarchie qu'il est urgent d'organiser le pouvoir social économique.

Ce grand collège économique doit être composé de cinq conseils, les cinq doigts de la main sociale: finances, agriculture, industrie, commerce et main-d'œuvre. « Ce sont ces cinq facultés réunies qui forment cette université particulière qui s'appelle l'économie. » Ces conseils seront libres, librement et professionnellement élus; ils étudieront les réformes, prépareront la besogne aux pouvoirs politiques, qui n'auront qu'à formuler les lois et à les faire exécuter ».

Le systême synarchique prête sans doute à la critique: qu'est-ce par exemple, que des pouvoirs sociaux qui doivent donner l'impulsion et la direction aux pouvoirs politiques, et qui l'attendent eux-mêmes de ceux-ci depuis vingt-six siècles? Mais il faut attendre, il faut donner à ce système le temps de naître et de se développer. Pour le moment, nous ne pouvons que maintenir notre conclusion d'avril 1887 : les synarchistes ont tout intérêt à s'allier aux économistes dans le but, séculairement poursuivi par ceux-ci de réduire les attributions des pouvoirs politiques. Il est clair, en effet, que les pouvoirs sociaux se développeront d'autant plus facilement que les pouvoirs politiques y mettront moins d'obstacles, et ils y mettront d'autant moins d'obstacles que leurs attributions seront moins étendues.

Dans l'état actuel des choses, les membres du grand collège économique seraient fatalement des politiciens ou le deviendraient, je ne dis pas de parti pris, par intérêt personnel, par égoïsme, mais par la force des choses et dans le but bien intentionné de mieux faire les affaires de la synarchie.

M. Saint-Yves observe que les empereurs de Rome et de Byzance avaient des raisons pour empêcher le mouvement synarchique, qui eût modifié leur loi d'Etat. Tous les gouvernements, quelle que soit leur forme, sont dans le même cas; les gouvernements modernes ont même de bien plus fortes raisons que les anciens de s'opposer au mouvement synarchique, puisque, disposant de bien plus gros budgets, ils ont plus à perdre à son avènement. Il n'est donc ni logique, ni prudent de faire dépendre les pouvoirs sociaux du bon plaisir des pouvoirs politiques. Indépendamment, ou plutôt à l'appui du système synarchique, M. Saint-Yves se livre à des considérations sur l'histoire de France qui ne manquent pas d'originalité et qui intéresseront ceux-mêmes qui n'adopteraient pas les vues politico-sociales de l'auteur. Nous appellerons l'attention en particulier sur le jugement que porte M. Saint-Yves sur les Jésuites, ces Templiers de la Renaissance, bien intentionnés et plus ou

moins synarchiquement organisés et, malgré cela, aristotéliciens en diable et fauteurs infatigables du césarisme, de l'anarchie d'en haut. Voilà à quoi conduit notre scholastique greco-romaine des pratiques perpétuellement en contradiction avec les théories que l'on professe. Nous souhaitons que la Synarchie ne tombe pas dans cette antinomie. En tout cas, nous ne pouvons que féliciter M. Saint-Yves de sortir des sentiers battus avec autant d'originalité que d'érudition.

ROUXEL.

LA SOCIETA COOPERATIVA DI PRODUZIONE NELLE INDUSTRIE, studio economico, giuridico, sociale, dell'avvocato LUIGI RODINO. In-8°, Novara, 1886. La plupart des socialistes nous donnent des systèmes dans lesquels,se perdant dans les nuages, ne voulant voir la société que dans un avenir lointain, ils négligent le présent et laissent dans la douleur ceux qui, en partie, pourraient en être tirés. Les économistes, d'autre part, veulent, d'après ce que nous affirme M. Rodino, maintenir l'ouvrier dans la condition de salarié, c'est-à-dire de dépendance à l'égard de l'entrepreneur. L'auteur de la Société coopérative de production dans les industries procède d'une autre façon il se propose de mettre fin à l'exploitation de l'homme par l'homme en attribuant à l'ouvrier la valeur entière de son travail; et le moyen pour atteindre ce but, c'est la société coopérative de production.

«

M. Rodino nous apprend que les salaires des ouvrières sont insuffisants. A qui la faute? A l'inhumain capitaliste. » Quoiqu'un peu plus élevés, les salaires des ouvriers sont loin d'atteindre un taux satisfaisant; et, naturellement, la faute en est au capitaliste inhumain, qui devrait sans doute payer plus cher les ouvriers des villes, afin d'attirer dans celles-ci le peu qui reste de cultivateurs dans les campagnes.

On pourrait également soutenir que les traitements des employés, des contremaîtres et même des patrons sont dans le même cas, proportion gardée, que ceux des ouvrières et des ouvriers et répéter le refrain : << A qui la faute? A l'inhumain capitaliste.» Malheureusement pour cette thèse, depuis que l'on répète cette ritournelle, il se trouve que les profits. des capitalistes sont descendus à un taux si minime que le meilleur placement qu'ils en puissent faire, c'est de les prêter à l'Etat de là l'interminable crise dans laquelle nous restons en panne. A qui la faute?...

Quoi qu'il en soit, capitalistes et patrons étant réduits à la portion congrue, beaucoup d'entre eux mangeant même leur fonds avec leur revenu, comme le bon Lafontaine, comment faire pour améliorer la condition de l'ouvrier?

M. Rodino montre fort bien que les divers expédients proposés jusqu'à ce jour sont inefficaces; mais le sien vaut-il mieux ?

Que faut-il pour que les sociétés de production s'établissent et prospèrent? Ce ne sont pas les bras qui manquent, abstraction faite de ceux des ouvriers qui ont un poil dans la main: ce sont les capitaux d'abord, les débouchés ensuite.

Les capitaux, où les prendre? Il est clair que les capitalistes préfèreraient les employer eux-mêmes que de les prêter aux ouvriers. Or, ils ne le font pas : il ne faut donc pas compter sur eux. Aussi M. Rodino n'y compte-t-il pas? Mais, entre le système de Schultze-Delitzsch et celui de Louis Blanc et Lassalle, il trouve un moyen terme «< qui satisfait aux justes exigences du positivisme ».

Ce moyen terme consiste en ce que l'Etat doit soutenir, appuyer, subventionner, au besoin, les sociétés coopératives de production, donner de fortes primes aux sociétés bien organisées et de caractère sévèrement démocratique ; les admettre aux adjudications des travaux de l'Etat quand même elles ne présenteraient pas toutes les garanties désirables et demanderaient des prix plus élevés que les entreprises individuelles.

Si l'on m'objecte, ajoute M. Rodino, que l'Etat comme l'individu doit prendre soin de ses propres intérêts, je répondrai que l'intérêt suprême de l'Etat est l'amélioration de la classe ouvrière, classe la plus nombreuse et la plus utile.

Voilà qui est bien; mais, pour que l'Etat fasse de pareils avantages aux sociétés coopératives, il faudra qu'il augmente les impôts, c'est-àdire qu'il faudra que l'Etat commence par prendre à tout le monde ce qu'il donnera ensuite à quelques-uns. Une fois entré dans cette voie, comme il n'y a pas de raison pour accorder ces faveurs aux uns plus qu'aux autres, toutes les sociétés coopératives demanderont à l'Etat de leur fournir du travail, ce qui conduit tout droit aux ateliers nationaux. Le moyen terme de M. Rodino n'est donc qu'un moyen plus ou moins rapide d'arriver à l'extrême, au système de Louis Blanc et Lassalle.

La thèse de M. Rodino repose, comme on doit le sentir, sur ce principe que l'amélioration du sort de la classe ouvrière est le devoir de l'Etat. Voici sur quelles raisons il fonde son argumentation.

Selon la théorie individualiste, l'Etat est le gardien de la sûreté de tous et de chacun. « Or, je le demande, comment sera jamais possible la sécurité des membres et du corps des citoyens (Hobbes), de leur propriété (Bentham) et de leur liberté (Stuart Mill, Spencer), si une tourbe de travailleurs, affamés et souffrant de la condition qui leur est faite par les patrons, se soulève contre eux-mêmes, contre la société? La sûreté des citoyens doit donc justifier une intervention étendue de l'Etat pour l'amélioration de la classe la plus nombreuse et la plus pauvre. »

Comme la discussion de ce raisonnement nous ferait sortir de

l'orthodoxie, nous laissons à ceux qui font cette orthodoxie le soin de les réfuter, et nous terminerons en faisant observer à M. Rodino que le fait de l'extension des attributions de l'Etat dans les temps modernes ne prouve rien contre l'individualisme, puisque, avec cette extension s'accroît aussi l'inégalité économique et la misère, ce qui provient de ce qu'il ne suffit pas de promettre pour tenir. D'ailleurs, lors même que l'Etat socialiste réaliserait ses fallacieuses promesses, il ne serait pas plus avancé, car les désirs sont excités par leur satisfaction même. Les désirs du peuple, c'est le tonneau des Danaïdes.

ROUXEL.

PARIS ET LA LIGUE SOUS LE RÈGNE DE HENRI III, étude d'histoire municipale et politique, par M. P. ROBIQUET, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, docteur ès-lettres. Paris, Hachette et Cie, 1 vol. in-8°.

M. Robiquet a publié plusieurs ouvrages importants sur l'histoire de Paris une Histoire municipale de Paris depuis ses origines jusqu'à l'avènement de Henri III, une étude sur l'Organisation municipale de Paris sous l'ancien régime, une Histoire municipale de Paris jusqu'en 1830 sous forme de scènes et récits historiques. Lorsqu'il eut à choisir le sujet de sa thèse pour le doctorat ès-lettres, il fut naturellement amené à prendre un épisode de l'histoire de notre grande ville et à continuer le récit détaillé qu'il avait conduit jusqu'à l'avènement de Henri III. Telle fut l'origine du livre dont on vient de lire le titre.

Rédigée par une personne dont la compétence est incontestable, qui, aux connaissances de l'historien, joint la science du jurisconsulte, indispensable pour l'étude des anciennes institutions, la thèse de M. Robiquet a été très favorablement accueillie en Sorbonne; le volume ne rencontrera pas moins de sympathie, car il se distingue tant par l'étendue des recherches, la précision et la netteté que par une habile disposition des matériaux et par les qualités du style.

Malgré son apparente spécialité, cet ouvrage doit être signalé dans le Journal des Economistes: on y trouve une foule de détails d'un caractère économique; on peut même dire que c'est un chapitre de notre histoire financière. L'auteur y retrace en particulier la situation du Trésor ainsi que les mesures prises pour parer au déficit. M. Robiquet tire même de l'histoire financière de Paris des déductions d'une grande importance pour l'histoire politique: il fait voir que la grande cause du développement de la Ligue fut la profonde indignation du peuple contre les exactions royales; si ardent qu'ait pu être le fanatisme clérical, si violente qu'on suppose la haine des catholiques pour les protestants, et

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