Page images
PDF
EPUB

Je lis du côté de la tête :

TEADERICAS M

La dernière lettre, initiale de Monetarius, me prouve que c'est un nom d'homme, mais la philologie me montre en

[graphic][subsumed][ocr errors][merged small][graphic]

même temps que TEADERICAS n'est pas possible, que les deux A sont des V renversés, et je me trouve en présence du nom parfaitement tudesque TEVDERICVS.

Je sais maintenant que du côté de la croix je dois chercher un nom de lieu. Je vois, difficilement, mais d'une manière absolument certaine : MAIRECEAIUO (le C couché); voilà ce qui est écrit, mais ce n'est pas ce qu'il faut lire. Disons

seulement en passant que les diverses listes publiées jusqu'à jour par des numismatistes très circonspects ont adopté la forme MAIRECEA O; ils ont cru que les deux avant-derniers caractères appartenaient à la même lettre, un couché.

Si nous tenons compte de ce que le graveur de ce coin avait l'habitude de renverser les V et d'en faire des A, nous pouvons redresser les deux A des revers, et nous nous trouvons en présence de MVIRECE VICO. Voici la qualification topographique qui se détache; il s'agit d'un vicus. Maintenant remarquons que la troisième lettre est inclinée d'une manière anormale, et qu'au lieu d'être un I c'est la partie rectiligne d'un G, dont la partie courbe n'est pas exprimée parce que le flanc était trop étroit. Ainsi la leçon définitive, et qui est, je crois, incontestable, est MVGRECE VICO.

MVGRECE est l'ablatif de MVGREX; mais cette dernière forme, qui a bien pu exister, comme BETOREX, LEMOVIX, n'est qu'une variante de MVGRICVS, comme nous allons être amené à le reconnaître.

Dans la langue des monnaies mérovingiennes, la plus. grande indécision règne sur les déclinaisons des noms de lieux. Beaucoup de ces noms s'appliquent indifféremment à deux déclinaisons. Dès les temps anciens, les géographes ne se mettaient pas d'accord sur ce point. Les uns disaient Turones, les autres Turoni; les uns Carnutes, les autres Carnuta. Les divergences sont bien plus grandes au vi° siècle; Melun, par exemple, dans les textes, s'écrit Milidunum, Miliduni, Miliduno, et, sur les monnaies, Mecleto, Mecletonis, Mecletone; on trouve Betorex, Lemovix au singulier, Betoregas, Lemovecas au pluriel.

La forme correcte de MVGRECE VICO, décliné sur le type MVGRICVS, serait MVGRICO VICO. Il faut chercher le nom de lieu avec lequel cette forme s'identifie; mais, avant de commencer cette opération, le numismatiste doit un moment faire abstraction de la légende et chercher dans l'examen du

style son premier fil conducteur. Beaucoup de localités éloignées les unes des autres portent les mêmes noms, mais chaque région a son faire particulier, et c'est l'étude du style qui doit d'abord restreindre et délimiter les champs d'observation. Une simple remarque me suffira. La monnaie qui m'occupe présente une croix latine soudée sur une base horizontale. C'est un type dont Troyes est le principal foyer, et qui, venu de l'Est, s'est propagé dans l'Ouest en se détériorant. Cette croix, telle que nous la rencontrons ici, s'est manifestée à Étrelles, sur la limite de l'Aube et de Seine-et-Marne, et sur la ligne de Troyes à Meaux par Calagum; il est donc raisonnable de chercher sur cette voie le lieu désigné par la légende MVGRECE VICO. Or la voie traverse un cours d'eau dont le nom ancien était Mugra, le Morin. Combien ne pourrait-on pas citer de noms de lieux déterminés par le croisement d'une voie romaine avec un cours d'eau ? Il était très naturel que le voyageur, quand il dressait des itinéraires, inscrivît les accidents topographiques tels que le passage d'une rivière, comme il indiquait le sommet d'une montagne (summum pyreneum); une écurie de relais, une hôtellerie construite à cet endroit, donnait naissance à un vicus, et c'est au croisement de la voie romaine et du Morin qu'il faut chercher le Mugricus vicus. N'est-ce pas par une raison analogue que la capitale des Bituriges avait d'abord emprunté à la rivière d'Yèvre (Avara) son nom d'Avaricum, et celle des Carnutes, à la rivière d'Eure (Autura) son nom d'Autricum? La forme Mugricus est-elle plus anormale qu'Avaricum ou Autricum?

J'ai maintenant à ma disposition deux méthodes pour trouver le nom moderne de Mugricus, l'une a priori, qui consiste à demander à la philologie ce que ce mot a pu devenir après un intervalle de douze siècles; l'autre a posteriori, qui consiste à chercher sur la carte comment s'appelle aujourd'hui le lieu où la voie de Troyes à Meaux franchissait le Morin. Les deux

méthodes amènent au même résultat. A priori, Mugricus, qu'on prononçait Mougricous, a dû perdre une de ses gutturales, sinon toutes les deux; que reste-t-il? Mourious. Ouvrons la carte, et nous trouvons Mouroux par un x. Ce x est le résultat de la métathèse de la seconde gutturale, qui a tenu bon; la philologie n'étant pas mon métier, je me contente de constater que Mouroux est la parfaite identification de l'atelier dont la légende est MVGRECE VICO.

ORTEBRIDVRE vico, devenu PRVVINS castrum.

[graphic][graphic][subsumed]

J'arrive au deuxième et dernier problème que j'aurai l'hon

neur de soumettre aujourd'hui à l'Académie.

La petite monnaie qui nous impose ce problème porte, du côté de la tête, une inscription que je crois devoir lire: ORTEBRIDVRE; à la suite de ce mot, se trouvent une petite croix et un espace confus où semblent apparaître les trois lettres VIC, indiquant que le nom iuscrit est celui d'un vicus.

Au revers, autour d'une croix chrismée qui supporte les lettres alpha et oméga, on trouve un nom de monétaire, qu'il faut lire incontestablement PROVINVS M (monetarius). Il ne faut pas tenir compte d'un second R qui, bien que contenu dans la zone de la légende, n'est autre chose que le haut de la haste et le crochet du chrisme.

A l'aspect de ce petit monument, tout numismatiste un peu versé dans l'étude des monnaies mérovingiennes reconnaîtra immédiatement qu'il faut chercher le lieu d'émission entre Melun, Lieusaint, Meaux et Troyes, et lui assigner pour date le règne de Clotaire II.

Le nom du monétaire rappelle tout de suite à l'esprit le nom de la ville de Provins; il est certain qu'une ville qui se serait appelée Provinus au vir siècle s'appellerait Provins au XxIxo, car la dernière voyelle est toujours frappée soit de mutisme (Bourges, Chartres, Avranches, Troyes), soit de suppression complète (Meaux, Paris, Reims, Soissons, Tours, Sens, Amiens, Orléans, etc.).

Mais il faut nous garder de la méprise dont je parlais tout à l'heure. Provinus est un nom d'homme, le M qui suit nous l'affirme, et il saute aux yeux que c'est une forme de Probinus, diminutif de Probus (cf. Carinus de Carus, Sanctinus de Sanctus, Firminus de Firmus, Maurinus de Maurus, Quintinus de Quintus, etc.).

Voyons pourtant si cet homme n'aurait pas pu donner son nom à une localité plus ancienne que lui et devenir le parrain de Provins.

Il y a près de Provins un village qui s'appelle Savins; ce

« PreviousContinue »