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sussent exactement, s'adressaient à d'autres saints. Mais alors quels saints? Et comment se fait-il que ces saints, jusqu'ici inconnus, aient leur fête le même jour que saint Marcellin et saint Pierre? Il y a là certainement une coïncidence singulière.

Le plus sage, en face d'un pareil mystère, est, croyons-nous, de confesser son ignorance. Et c'est ce que nous faisons, en effet, sans persister davantage à essayer de scruter l'inscrutable.

De si longues discussions, du reste, n'ont pas été sans nous prendre beaucoup de temps et nous nous apercevons, peut-être un peu tard, que le programme de notre excursion était trop chargé et que nous aurons de la peine à le remplir complètement. Vite, bien vite à Bourbonne !

BOURBONNE

<< Bien vite », ai-je dit. C'est que, de fait, cette ville a plus d'une curiosité à montrer à ses visiteurs.

Tel n'est pas, je le sais, l'avis de M. Jolibois. Cet estimable érudit, dont je suis loin, par ailleurs, de méconnaître les titres et les services scientifiques, n'a-t-il pas écrit, dans sa Haute-Marne ancienne et nouvelle, qu'a Bourbonne, il ne se voit aucun monument digne de remarque ». Pour émettre une pareille contrevérité, il faut, ou bien n'avoir jamais vu la ville dont on parle, ou bien ne l'avoir vu qu'avec des yeux troublés par des préventions.

Desmonuments », historiquement ou artistiquement dignes de remarque » ?Mais Bourbonne en possède une quantité! Et sa belle église du XII° siècle donc, sobre d'ornementation, sans doute, comme le voulait le goût du temps, mais d'une si grande pureté de lignes, que l'Etat l'a fait restaurer à grands frais, il y a un demi-siècle, parce qu'il la considérait, et avec raison, comme une page importante de l'histoire de notre art national? Et son vieux château féodal, aujourd'hui l'hôtel de ville, du haut duquel s'ouvre sur la cité un si charmant panorama, qui a été, il est vrai, presque entièrement rebâti, au cours du dernier siècle, mais dont il reste encore plusieurs fort intéressantes

dépendances? Et ses Thermes, tant civils que militaires, dans les alentours desquels ont été faits, durant le XIX siècle et même auparavant, tant de curieuses découvertes archéologiques qui prouvent que, dès l'époque gallo-romaine, Bourbonne était une très importante station balnéaire? Et son château de Montmorency, qui a été bâti, en 1720, par Guérin, un élève de Lenôtre, sur un plan dont la simplicité n'excluait pas une certaine grandeur et qu'accompagnait une promenade si artistement dessinée ? Et les restes de son ancien prieuré bénédictin de Saint Laurent qui s'élevait au-dessus de la colline de Pleinmont, à laquelle s'appuie le jardin de l'Etablissement des Bains? Et ceux du couvent des Capucins, au bas de la rue de ce nom. Et...

Pour visiter tant de monuments qui, bien qu'en ait pensé Jolibois, sont vraiment « dignes de remarque > et même d'une sérieuse attention, nous disposons à peine de deux heures. Manifestement, c'est trop peu. Et, dès maintenant, il nous faut en prendre notre parti nous ne verrons pas réellement Bourbonne : nous devrons nous contenter de l'entrevoir.

Puisque nous n'avons que peu de temps, efforçonsnous au moins d'en bien employer toutes les minutes, je dirai toutes les secondes.

Un coup d'oeil, d'abord à notre grand regret, encore une fois, ce ne sera qu'un coup d'oeil - sur l'église Notre-Dame de l'Assomption qui se dresse sur un piton assez escarpé qui domine tout le quartier sud de la ville. Son pieux et vigilant gardien, M. le chanoine Leseur, curé-doyen de Bourbonne, est déjà là qui nous attend, prêt à nous en faire aimablement les honneurs.

Je l'ai déjà dit: elle est du style de transition: le roman s'y marie avec l'ogival, le plein cintre avec le tiers point. Je l'ai déjà dit aussi : elle a subi un certain nombre de modifications en 1875 et durant les années suivantes (1). Elle diffère en plus d'une de ses parties

(1) V. dans l'ouvrage déjà cité de Bougard et Demimuid, Géographie illustrée..., les plans de l'église avant et après sa restauration.

de ce qu'elle était autrefois (1). Son clocher a été entièrement rebati. Sa façade ouest et sa façade nord ont dû aussi être retouchées. A l'intérieur également, divers changements ont été opérés. Ce n'est pas ici le lieu de porter un jugement sur la manière dont le restaurateur, M. de Baudot, architecte du gouvernement, a compris sa tàche. Cette tâche, à coup sûr, était fort délicate. De quelque façon qu'on apprécie la restauration, prise dans son ensemble, il faut reconnaitre qu'elle a été exécutée avec beaucoup de talent.

L'église, très évidemment, n'est pas entièrement monostyle. On y observe quelques disparates: les façades ouest et nord sont plus ornées que le reste de l'édifice. Ses piliers, à l'intérieur, ne sont pas tous décorés d'une manière uniforme. Ni non plus ses chapiteaux. C'est une preuve que l'église n'a pas été bâtie d'un seul coup et qu'on s'y est repris à diverses fois pour la construire.

Malgré ces légers défauts si tant est que ce soient là des défauts- elle n'en reste pas moins un fort beau monument dont Bourbonne a grandement lieu d'être fier.

A signaler, à l'intérieur, deux belles statues de la Vierge l'une à l'autel de droite qui, dit-on, a été apportée d'Italie (2), et l'autre, à l'autel de gauche, qui vient du Prieuré et qu'on appelle, à cause de cela, Notre-Dame de Pleinmont (3).

De l'église au château, il n'y a qu'un pas. Hàtonsnous de le franchir.

Ainsi qu'il convenait à des archéologues, c'est, naturellement, par sa porte archaïque, en la rue du Chàteau, que nous faisons notre entrée dans l'ancienne

(1) On peut voir le détail des changements qu'à subis l'édifice d'abord dans Henry Brocard: Eglise Notre-Dame de Bourbonne, in Mémoires de la Société historique et archéologique de L., t II pp. 339-350, puis dans Bougard et Demimuid, op. cit., pp. 162-164.

(2) Elle est classée comme monument historique. N'y a-t-il pas eu confusion et n'est-ce pas la Vierge du Prieuré qui, du reste, est entourée de la vénération universelle, qu'on a voulu placer sous la protection de l'Etat ?

(3) V. à son sujet, Lacordaire, Bourbonne autrefois et Bourbonne aujourd'hui, 1780-1880, in Revue de Champagne et de Brie, t. XV (1883), pp. 56-58.

demeure seigneuriale des Trichatel, des Choiseul, des Vergy, des Bauffremont, des Livron, des Colbert du Terron, des Desmarets de Maillebois, des Chartraire, des d'Avaux et des d'Ogny (1). Fort imposante cette Poterne, comme on l'appelle à Bourbonne, qui était autrefois flanquée de deux tours (2), et dont le style moyenageux éveille nécessairement dans l'àme du visiteur un peu de mélancolie: la mélancolie qui, d'ordinaire, s'attache aux vieux souvenirs.

Malgré la beauté du site, cette mélancolie, nous devons le dire, nous suit, naturellement, durant tout le cours de notre promenade à travers ce parc où Bourbonne a eu la bonne idée de placer dernièrement le monument de ses enfants « morts pour la France ». Où sont les anciens propriétaires (3) de cette demeure féodale, témoin jadis de tant de réunions guerrières et de tant de fêtes mondaines? Mais... Où sont les neiges d'antan?

C'est malgré nous que nous nous arrachons de ce lieu où nous retiendrait volontiers la double poésie du présent et du passé pour aller jeter un coup d'œil — oh! encore un simple coup d'oeil ! - sur le jardin des

Thermes.

Ce jardin, où sont cultivées peut être plus d'une centaine de variétés d'arbres et d'arbustes est, pour ainsi dire, un petit parc botanique. Ce qui, pour nous, aujourd'hui, fait surtout son attrait, c'est qu'il est aussi un parc ou, du moins, un commencement de parc archéologique. On a, en effet, réuni là un certain nombre de fragments de colonnes, de chapiteaux, de dalles, de marbres, de mosaïques de l'époque gallo-romaine trou

(1) Sur les anciennes familles qui, durant le cours des siècles, ont possédé la seigneurie de Bourbonne, on peut voir entre autres : Bougard, Histoire de la seigneurie de Bourbonne (Langres, 1865, in-8°; Bonvallet, Bourbonne-les-Bains et ses seigneurs (Ms. in-4° de 180 pp., conservés à la Bibliothèque de Bourbonne); Lacordaire, Les seigneuries et féaultes de Bourbonne, ensemble les déduitz et desnombremens d'icelles (Langres, 1887, in-3°); Bougard et Demimuid, op. cit., pp. 108-158...

(2) Une seule a été conservée et sert à loger le concierge. V. un croquis de cette porte dans Bougard et Demimuid, op. cit., p. 161.

(3) Des restes d'écussons seigneuriaux se voient encore, en entrant à gauche, sur les murs des écuries. Mais ils sont tellement mutilés qu'il est impossible de les déchiffrer.

vés dans les fouilles auxquelles à donné lieu la reconstitution des Thermes civils et on les a disséminés, un peu partout, à tous les coins de la promenade. L'idée, assurément, est des plus heureuses. Cette collection de témoins du passé de notre vieille station balnéaire est fort intéressante. Mais malheureusement elle est incomplète. Beaucoup des très nombreuses et très précieuses trouvailles (1) qui depuis deux cent cinquante ans et plus ont été faites en cet endroit manquent à l'appel. Elles ont été recueillies, en partie, par le Cabinet des médailles, à Paris, où, évidemment, elles sont admirablement bien conservées. Mais, tout en étant parfaitement rassuré sur leur sort, on ne peut s'empêcher de regretter qu'elles n'aient pas été laissées dans la ville où elles avaient été exhumées.

LE DÉJEUNER

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Pendant que nous nous aitardons ainsi à émettre, et d'une voix unanime, le regret, regret, hélas ! nous le sentons bien nous-mêmes, purement platonique! que beaucoup des monuments de l'histoire de Bourbonne ne soient plus à Bourbonne et que, pour pouvoir les étudier et les consulter, il faille aller à la capitale et même encore plus loin, midi arrive :

Midi roi des étés, épandu dans la plaine.

Si intellectualistes qu'ils soient par état, les archéologues sont, cependant, soumis, comme le dernier des simples mortels, aux lois de la physiologie. Pareils au personnage de Térence, « ils sont hommes et rien de ce qui est humain ne leur est étranger ». Lors même

(1) La plupart des antiquités trouvées à Bourbonne ont été, de la part des spécialistes, l'objet d'études fort savantes. Ce n'est pas ici le lieu de dresser la liste de ces travaux, illustrés pour la plupart. Citons seulement: Berger de Xivrey, Lettre à M. Hase sur une inscription latine du second siècle trouvée à B. le 6 janvier 1833 et sur l'histoire de cette ville (Paris, 183, in 8° de 264 pp.); Renard (A.), Bourbonne, son nom, ses antiquités gallo-romaines, in Mémoires de la Société hist, et arch. de L., t. II, pp. 309-338; Chabouillet, Notice sur des inscriptions et des antiquités provenant de Bourbonne-les-Bains, 1881, in-8° de 74 pp.; Doby (abbé), Bourbonne, Archéologie et numismatique, in La cure thermale à Bourbonne-les-Bains cinquième édition, 1905, pp. 247-279; Bougard et Demimuid, op. cit., pp. 77-94.

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