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complète très heureusement la biographie en nous faisant voir l'homme de pensée à côté de l'homme d'action, malgré ces lacunes, dis-je, le travail de M. l'abbé Prunel n'en reste pas moins, ainsi que je le disais tout à l'heure, un véritable monument. Sa composition lui a coûté d'immenses recherches. Si l'érudit vice-recteur de l'Institut catholique de Paris n'a pas exploité à fond toutes les sources, il les a toutes connues. Il est le premier qui ait essayé de nous rendre la physionomie d'un pontife qu'on admirait plus ou moins de confiance et qui jusqu'ici était chez nous plus vénéré que connu. Et si le portrait qu'il nous en trace est un portrait de profil plutôt qu'un portrait de face, il faut reconnaître que du moins c'est un portrait exact et vivant.

Au total, par la publication de son livre, M. l'abbé Prunel, en même temps qu'il a fait honneur à lui-même. et au clergé, a bien mérité de l'Eglise de Langres, et, je puis ajouter, car c'est notre besogne en somme qu'il a faite, de notre Société.

Je parlais, en débutant, d'« ouvrages sérieux ». Celui dont je viens de vous rendre compte mérite certes, et à un haut degré, cette épithète. Ceux dont il me reste à vous entretenir ne la méritent pas moins.

S'ils n'ont pas été composés avec plus de conscience scientifique, ils ont peut-être encore exigé plus de travail.

Voici d'abord celui de M. Pierre Gautier.

C'est un manuscrit imposant, presque monumental: plus de 800 pages in-folio suivies de nombreuses reproductions phototypiques de manuscrits. Son titre n'annonce pas précisément une œuvre destinée à prendre place dans la Bibliothèque récréative: Etudes diplomatiques sur les actes des évêques de Langres du VIIe siècle à 1136.

C'est une science extrêmement utile que la diplomatique, mais c'est aussi une science extrêmement ardue.

Coirme son nom l'indique, elle a pour objet l'étude des diplômes. On appelle ainsi, vous le savez, les anciens actes publics, qui généralement, et c'est la raison pour laquelle ils sont désignés de la sorte, étaient écrits. sur des feuillets pliés en deux. Elle en examine les éléments techniques.

Orces éléments, vous le devinez, sont extraordinairement nombreux. Supposons un diplomatiste auquel vous présentez, par exemple, un acte ecclésiastique à exa-miner. Avant de se prononcer sur sa valeur, il est nécessaire qu'il voie : 1° En quel état il est venu jusqu'à nous? à l'état d'original, de copie ou simplement d'analyse? 2o D'où il émane? Est-ce un acte de chancellerie et, si oui, de quelles formules usait habituellement la chancellerie d'où il est sorti? Est-ce au contraire un acte synodal, rédigé par les bénéficiaires eux-mêmes, une pancarte, une notice, une simple confirmation. d'acte privé? 3° Quelles en sont les parties constitutives? invocation initiale, inscription, préambule, notification, exposé, dispositifs, clause pénale, signe de validation, protocole final ou eschatocole (souscription autographe ou monogrammatique, souscription des témoins cités, et souscription du chancelier) (1). C'est à une vraie dissection, comme vous le voyez, que le diplomatiste soumet l'acte sur lequel vous l'avez interrogé, avant de l'authentiquer. Ou si vous aimez mieux une autre image qui est peut-être plus expressive encore, il le met, pour ainsi dire, à la question, et il lui arrache, s'il en a, l'aveu de toutes ses tares, même des plus secrètes, même des plus disqualifiantes. Long et délicat examen, direz-vous.

Oui. Or

(1) Voir Giry, Manuel de diplomatique, Paris, Hachette, 1894, in 8 de XVI-944 P.

M. Gautier l'a fait subir à tous les actes de nos évêques, depuis le VIIe siècle jusqu'en 1136. Et savez-vous combien d'actes ont ainsi passé au crible de sa minutieuse critique? Exactement 245, parmi lesquels 67 dont les originaux subsistent encore; 129 dont il ne nous reste que des copies; 49 dont il n'existe plus que des mentions, la plupart insérées dans des actes confirmatifs, auxquels il faut ajouter 9 jugements et 6 lettres que leur caractère particulier l'a déterminé à ranger à part, et enfin 26 chartes fausses.

Ces chiffres sont arides, mais ils sont éloquents. Mieux que n'importe quelles considérations, ils vous donneront une idée exacte de l'énormité du labeur de M. Gautier.

Vous me croirez facilement, après cela, si je vous affirme que le livre que nous présente l'érudit archiviste de la Haute-Marne lui a demandé plusieurs années de travail. Il l'avait commencé, si je puis ainsi parler, dès le temps de sa jeunesse scientifique, entendez, pendant son séjour à l'Ecole des Chartes. Et il l'avait présenté, comme thèse, à la fin de sa troisième année, pour l'obtention du titre d'archiviste-paléographe. Il l'a retouché depuis. Il l'a complété et mis au point. C'est jusqu'ici son unique grand ouvrage. C'est son premier né. C'est, par conséquent, le chéri. Avec toute sa science, il y a mis tout son cœur son cœur d'archiviste, d'abord, - car contrairement à « ce qu'un vain peuple pense», les archivistes ont du cœur! et aussi son cœur de membre d'une famille langroise.

Lorsqu'elle sera achevée, l'étude de M. Gautier comprendra quatre livres. Le quatrième, qui n'est pas encore, que je sache du moins, entièrement terminé, sera purement sigillographique. Voici l'objet de chacun des trois autres. Le premier est subdivisé en quatre parties intitulées: Tableau des sources de la diplomatique des évêques de Langres; Chronologie des évêques de Langres jusqu'au milieu du XII° siècle;

Etude diplomatique des actes des évêques de Langres; Examen des actes faux. Le second contient le Catalogue des actes des évêques de Langres. Le troisième enfin renferme la suite du Catalogue, avec les Preuves et les reproductions. M. Gautier, comme vous voyez, nous donne à la fois deux choses en son ouvrage un répertoire d'actes soigneusement classés et une critique de ces actes.

Qui dit diplomatiste dit nécessairement un peu iconoclaste. Tout diplomatiste, par définition même, est exposé à briser certaines des images devant lesquelles les historiens étaient habitués, avant lui, à s'incliner les yeux fermés. Et c'est ce que fait plus d'une fois M. Gautier. Qui pourrait l'en blàmer? Les images qu'il a renversées, il en est convaincu, étaient des idoles. Je ne voudrais pas garantir cependant qu'il n'y a pas des gens qui s'en plaindront. La quatrième partie de son premier livre: Examen des actes faux est toute remplie, j'allais dire, de décombres et de plàtras pseudo-historiques. Il y détruit la foi en des chartes qui jusqu'ici étaient universellement et religieusement tenues pour authentiques, celles notamment qui sont relatives aux prieurés de Varennes, de Saint-Didier de Langres et de Sèche-Fontaine. Il est bien probable que si ces établissements ecclésiastiques existaient encore aujourd'hui, leurs titulaires pousseraient les hauts cris en le lisant. Qui sait même s'ils ne feraient pas davantage et s'ils ne mettraient pas leurs religieux en prières afin de demander à Dieu d'arrêter la plume dévastatrice de ce petit-fils, jusqu'ici ignoré, de Launoy, qui se permet de disqualifier les diplômes avec la même sérénité d'àme que son aïeul mettait à « dénicher » les saints.

M. Gautier vraisemblablement ne se trémousserait pas plus que de raison, de ces protestations quelque peu intéressées, et il continuerait, advienne que pourra, à ranger inter spuria, - comme disaient jadis

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un peu crûment les vieux moines, les titres et les actes que sa conscience de diplomatiste lui affirme être inauthentiques.

Sa probité scientifique en effet est de celles sur lesquelles aucune considération ne saurait avoir prise. Elle a pour devise la parole du sage de l'Antiquité : << J'aime bien Platon mais je lui préfère la vérité ».

Platon!

Il l'a rencontré, au cours de ses études, sous les espèces et apparences de quelqu'un dont je vais bientôt avoir à vous entretenir et avec lequel il a dù doublement lui en coûter de se trouver en désaccord, car il est à la fois son confrère et son compatriote. J'ai nommé M. Jacques Laurent.

Le savant archiviste de Chaumont n'est pas du même avis que le savant bibliothécaire de Dijon sur l'authenticité de plusieurs des chartes de Molesme, et il le lui dit avec courtoisie, mais aussi avec netteté. Lequel des deux a raison, lequel des deux a tort? Votre rapporteur a trop le sentiment de son incompétence en la matière, pour prendre position, je ne dirai pas dans le conflit, car il n'y en a pas, mais tout au moins dans le débat. La plus vulgaire sagesse lui fait un devoir de se récuser et de s'approprier ce que, - dans une charmante églogue de Virgile, que nous avons presque tous dans la mémoire d'avoir « traduite » pendant nos études et, probablement aussi, sur la conscience d'avoir « trahie », répond le berger Palémon à ses amis Damotas et Ménalcas qui lui demandent de prononcer entre eux :

Non nostrum inter vos tantos componere lites (1).

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Comme M. Gautier, c'est un fruit de l'Ecole des Chartes, un fruit déjà lointain, mais un fruit mùri

(1) Virgile, Eglog., III, 108.

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