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pothèse météorologique ont mis en avant l'objection suivante, à laquelle nous avons déjà répondu par quelques phrases éparses dans nos divers chapitres: parmi une population, jetez les yeux sur la classe pauvre, mal vêtue, mal nourrie, livrée à de rudes travaux, surtout sur celle qui habite de mauvais abris, à la campagne; puis, considérez la classe aisée des villes, jouissant du confortable de la vie et pouvant mitiger l'impression des vicissitudes météorologiques, et vous verrez que la première catégorie est atteinte en bien plus forte proportion que la seconde ; ce sont donc les intempéries qui engendrent la fièvre.

La conclusion est loin d'être juste. D'abord, c'est à la campagne que les influences palustres règnent avec le plus d'intensité. Il faut donc considérer dans une seule et même localité la classe riche et la classe pauvre, et non pas l'une dans les villes comparativement à l'autre dans la campagne. Ensuite, la classe pauvre est naturellement plus impressionnable par tous les agents morbifères. Le choléra ne commence-t-il pas par décimer les quartiers pauvres? Plus tard, lorsqu'il a atteint son apogée, il prend ses victimes un peu partout. Or, c'est précisément ce qui nous arrive pour les fièvres palustres. A Civita - Vecchia, le dicton suivant est monnaie courante : Pendant l'été, n'attrappe les fièvres que celui qui veut ; en automne, s'en sauve qui peut. En septembre et octobre, en effet, des militaires en traitement à l'hôpital, des officiers dont la conduite était réglée, des bourgeois sédentaires et nous même, quoique nous observassions les règles de l'hygiène relatives aux intempéries de l'atmosphère, nous avons été atteints d'accès pernicieux dont nous cherchons en vain la cause dans les météores. M. Dutrouleau a constaté que la fièvre, sur la côte occidentale d'Afrique, n'a pas été en rapport avec les fatigues éprouvées à bord (cause occasionnelle), mais avec la prolongation du séjour sur le rivage palustre (cause déterminante). Nous avons nous-même

cité dans ce mémoire des faits établissant que des travailleurs soumis au même régime de vie, avaient été plus ou moins atteints par la fièvre, selon qu'ils remuaient des terres vierges ou déjà exploitées, humides ou sèches, etc. L'histoire des fièvres de Nancy et celle des endémo-épidémies qui se sont déclarées en Amérique longtemps après l'installation, sont également péremptoires. Nous dirons plus en passant d'une vie active qui expose aux intempéries de l'atmosphère, à une vie sédentaire dans une habitation bien close, en passant de médiocres conditions hygiéniques générales à des conditions beaucoup meilleures, on voit les fièvres survenir et s'agraver, si ce second milieu est intoxiqué par des dégagements palustres. C'est ainsi que dans le confortable hôpital établi à la Jamaïque près d'un marais, les fièvres les plus simples à l'entrée du malade devenaient pernicieuses, comme nous apprend Lind, si bien qu'on fut obligé d'abandonner cet établissement.

C'est en terminant ce chapitre, consacré aux causes occasionnelles des fièvres intermittentes endémo-épidémiques, qu'il convient de dire un mot des fièvres sporadiques. Si les premières n'existent jamais sans émanations palustres, les secondes ne se rattachent pas toujours nécessairement à cette étiologie. On sait que des émotions morales, la douleur d'un cathétérisme urétral, etc.. amènent quelquefois des accès intermittents bien caractérisés. Des accès réguliers sont assez souvent consécutifs à l'introduction de matériaux anormaux dans le sang, à la diathèse purulente, ou bien encore ils se manifestent pendant la fièvre hectique; c'est ce qu'on observe, par exemple, chez certains phthisiques, dans la résorption purulente, lors de la formation de la suppuration, dans les cas d'absorption d'un pus de mauvaise nature, etc. Enfin les fièvres sporadiques de certains pays secs que n'impalude aucune source effluviale, sont justement rapportées à diverses causes sans spécificité, notamment aux vicissitudes atmosphériques; un refroidissement, un bain froid prolongé par

exemple, semblent surtout constituer la perturbation de notre organisme qui amène le plus souvent un ou plusieurs accès.

La science semble aujourd'hui fixée sur ce point, qu'il existe deux classes de fièvres intermittentes, les unes endémoépidémiques et par intoxication, les autres sporadiques, purement nerveuses, exemptes d'intoxication; sans préjudice des symptomatiques, dont nous n'avons pas à nous occuper ici. Le professeur Puccinotti, en Italie, et un grand nombre de médecins français (1) professent nettement ces principes. M. Armand se rit beaucoup des idées du savant professeur de Pise, et ne semble point s'apercevoir qu'elles sont corroborées en France par le témoignage de l'observation contemporaine. D'après notre ami, du moment qu'on a constaté qu'une fièvre peut se développer sans l'intervention du miasme et sous l'influence d'un refroidissement, on est fatalement conduit à étendre cette étiologie à toutes les fièvres intermittentes. D'après ce principe, M. Armand serait également obligé d'accepter le cathétérisme urétral et les menstrues comme les causes générales des fièvres intermittentes, car on cite des cas très nets dans lesquels telle a été l'évidente et unique cause des accès (2). M. Armand, du reste, n'a reculé devant aucune des conséquences de ses théories exclusives: la forme est tout pour lui, et du moment qu'une fièvre est intermittente, il faut qu'elle soit exclusivement et toujours miasmatique, ou au contraire exclusivement et toujours nerveuse et sans intoxication; il ne leur permet pas d'avoir tantôt l'une, tantôt l'autre nature. Aussi voyant des fièvres pernicieuses à forme

(1) Bertulus, loc. cit. Cette thèse est développée longuement et avec talent. Rigodin, Des fièvres intermit. en général, etc., dans Bull. de la soc. de méd. de Poitiers, n° 22, p. 191 et seq. Champouillon, Fièvre intermit. par cause traum., in Gaz. des hôpit., année 1852, p. 275.

(2) M. Nélaton vient encore de rapporter un cas d'accès réguliers et rebelles au quinquina causés par l'inflammation survenue autour d'un rétrécissement de l'urètre, et qui ont cédé à la dilatation. (Monit. des hôpitaux, 1853, t. II, p. 366.)

céphalique, typhoïde, éruptive et sudorale, cholérique, pneumonique, etc., n'a-t-il pas craint de déclarer ce que nul n'avait encore osé dire: que la méningite cérébro-spinale épidémique, la dothinentérie vraie, la suette vraie, le choléra vrai, la pneumonie d'Afrique, etc., ne sont que des fièvres pernicieuses!!

D'après les auteurs les plus modernes et les mieux placés pour observer, auteurs dont nous allons compléter et relier les idées éparses, le miasme palustre semble porter primitivement son action sur le sang qu'il intoxique, et cette intoxication paraît agir sur le système nerveux en vertu d'une action élective et spéciale dont le résultat est de déterminer une forme morbide caractérisée, à son état de simplicité, par trois périodes, l'une de sédation, la seconde de coction, pour ainsi dire, et la troisième d'expansion centrifuge, d'élimination, de détente. Or n'est-il pas d'agents qui puissent produire ces mêmes effets, non plus en vertu d'une puissance spécifique et nécessaire, mais éventuelle? L'introduction de plusieurs toxiques dans la circulation, du pus en nature ou de sa sérosité altérée et résorbée, la formation de la suppuration, la fièvre hectique, etc., produisent en effet assez souvent des accès ordinairement erratiques et peu caractérisés, mais se manifestant quelquefois aussi avec une franche intermit

tence.

Enfin le système nerveux et la calorification peuvent être directement et primitivement impressionnés de manière à susciter des accès, sans que l'intoxication du sang doive nécessairement s'interposer entre l'impression de l'agent morbifique et l'accès produit. C'est dans cette catégorie que rentreraient les accès consécutifs à une émotion morale, au cathétérisme urétral, à un bain très froid prolongé, à l'action des vicissitudes météorologiques, etc. Que certaines conditions météorologiques, climatologiques, topographiques et hygiéniques entraînent un plus grand nombre de cas que certaines autres

conditions, et que, sous leur influence, la fièvre intermittente se reproduise ainsi assez régulièrement chaque année et en certaines saisons par une sorte de confluence de cas sporadiques, qu'on me passe l'expression, confluence comparable aux choléras sporadiques qui, hors de tout règne épidémique, se manifestent quelquefois en nombre notable pendant l'été ; que la constitution modifiée par les climats chauds, de manière à substituer la prédominance nerveuse et l'appauvrissement du sang à la plasticité puissante et à la torpeur nerveuse relative de l'habitant du Nord, rende à la fois plus impressionnable à l'imprégnation maremmatique et aux agents qui agissent directement sur le système nerveux; ce sont là des faits possibles, probables même; mais assurément, si les phénomènes qui caractérisent un accès sont pareils de part et d'autre, la nature de l'affection reste bien différente. Ces observations n'ont point échappé à la pénétration du professeur Puccinotti. MM. Bertulus, Rigodin, etc., ont, après lui, mais plus amplement établi que, dans des fièvres intermittentes, l'une palustre, l'autre non palustre, tout est différent, si ce n'est la forme de l'accès: nature cachectique et anémique des habitants des pays à fièvre palustre, opposée à la constitution sèche des montagnards habitant certains plateaux où règnent des fièvres intermittentes sporadiques non palustres; caractères topographiques bien différents dans l'une et l'autre contrée; anémie et cachexie consécutives à un genre de fièvre, et ne s'attachant pas à l'autre ; ici tout dénotant une intoxication, là absence de tels signes; différences dans les indications thérapeutiques; défaut de concordance des époques de développement; prophylaxie et assainissement à l'aide de moyens différents dans les deux cas; période de latence pour les intermittences miasmatiques, pas d'incubation pour les intermittences amiasmatiques (Bertulus), etc., etc.

La différence de nature sous la similitude des formes est un principe pathologique hors de contestation: toute salivation 2o SÉRIE, 1855. TOME III.

1re PARTIE.

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