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D'UN DIOCÈSE DE SAVOIE AU XVII® SIÈCLE'

L'ARCHEVÈCHÉ DE TARENTAISE

le

X. LES BÉNÉFICES-CURES

Chaque église paroissiale a ses biens et revenus, dont noyau a été constitué, dans des conditions dont le souvenir s'est perdu, par son fondateur, c'est-à-dire presque toujours par l'archevêque, qui l'a dotée en lui assignant une part des terres et des droits qu'avait possédés en bloc le diocèse, à l'origine seul propriétaire ecclésiastique. Ce démembrement est devenu définitif, l'administration et la jouissance des biens alloués à l'église ont passé au prêtre qui la dessert, et qui les possède à titre de bénéfice2 avec toutes les prérogatives d'un usufruitier, conjointement avec ceux qu'ont ajoutés aux premiers les donations postérieures faites par les fidèles. Hors qu'il ne peut rien aliéner sans l'autorisation de l'archevêque, auquel paye d'autre part, tous les cinq ans, la décime de ses revenus 3, il ne lui doit aucun compte de la gestion et de l'emploi qu'il fait des fonds et produits de son bénéfice. Il serait, de certaine façon, moins indépendant à l'égard de ses paroissiens, qui prennent parfois, à son entrée en possession, inventaire notarié des biens meubles et immeubles de la mense paroissiale, ou en retirent les titres de propriété dans leurs archives communales, ou, comme à Cevins, aux visites de 1653, se plaignent qu'un

il

1. Voir la Revue, mars 1913, p. 113.

2. On sait que, suivant la définition de Fleury, « un bénéfice est un office ecclésiastique auquel est joint un certain revenu qui n'en peut être séparé. » 3. Acta Tarentasiensis Ecclesiæ, p. 112, 160.

4. Mâcot, GG 9.

curé, qui n'est plus en fonctions, ait démoli une grange de l'église pour en rebâtir une autre moins bonne, et l'archevêque convoque les parties à son tribunal1. Le droit qu'ont ici les paroissiens ou la commune est d'ailleurs fondé seulement sur le préjudice que leur causerait une dépréciation grave du bénéfice, en leur imposant des charges. C'est ce motif, nous l'avons dit, qu'on oppose aux érections de paroisses nouvelles, et pourtant, s'il s'en fait, l'église qu'on fonde doit être dotée sans rien. distraire du patrimoine de l'ancienne, dont le droit de propriété est tenu pour inviolable. Ce patrimoine est du reste, nous allons le voir, composé très diversement, et sans qu'aucune égalité existe sur ce point entre les paroisses, au hasard des plus-values ou des pertes produites par le temps sur la dotation primitive, et des donations postérieures dont l'importance varie beaucoup.

Les éléments qui peuvent constituer un bénéfice-cure, et dont nous allons étudier la nature, sont au nombre de cinq les biens-fonds, les censes, les droits féodaux, le paroissinage et la dîme. Il n'y a que deux églises qui n'aient pas de biens-fonds, et ce sont les plus récemment créées l'une, celle de Planay, fondée en 1633, a été dotée par les habitants, la commune ayant promis, devant notaire, de payer au curé une rente annuelle en blé, vin et argent; l'autre, celle de La Val, fondée en 1637, est dans la même situation, hors que le revenu que les habitants se sont engagés à lui faire est payé, non en bloc par la commune, mais en détail par chaque famille. Ces deux paroisses mises à part, avec les six paroisses du chapitre et les quatre prieurés, il reste soixante-quatre paroisses, dont toutes ont des terres; une seule3 n'a pas d'autre revenu et, par contre, les cinq éléments que nous avons indiqués figurent pour trois d'entre elles dans la constitution du bénéfice. Le plus grand nombre, comme on voit, possèdent, outre leurs terres, les uns ou les autres de ces éléments, et si on les groupe entre elles de ce point de vue,

1. Arch. de la Savoie, Visites. 2. Arch. de la Savoie, Visites. 3. L'Hôpital.

on arrive à distinguer jusqu'à onze catégories. Il suffira de dire que, des soixante-trois paroisses que nous avons retenues, quinze ont des droits féodaux, vingt-sept ont des cens, quarante-trois ont des dîmes et soixante ont un droit de paroissinage1.

§ 1. Les biens-fonds. Les terres d'églises payent la taille, au xvIIe siècle, comme celles de tous les contribuables, si elles ne font pas partie de ce qu'on appelle l'ancien patrimoine de l'Église, c'est-à-dire si elles ont été acquises postérieurement à l'édit du 27 mars 1584, qui régla cette question, et que confirma celui de 1728. Des états, dressés à cette dernière époque, permettent de voir quelles églises accrurent leur patrimoine foncier entre ces deux dates, ou à peu près au cours du xviie siècle, et l'on constate ainsi que ce cas fut celui d'environ les trois quarts, où des acquisitions furent donc faites en ce temps-là, provenant de donations ou d'achats réalisés par des curés bons administrateurs. Toutefois, ces acquisitions sont ordinairement insignifiantes, et comme, d'autre part, toutes les paroisses, sauf une3, ont des terres d'ancien patrimoine, il suit que le gros de ces patrimoines fonciers s'est constitué avant 1584 et, pour la plus grande partie, à une époque immémoriale, dans des conditions. que nous n'avons pas à définir.

Un fait qui n'est pas propre à les éclaircir, c'est que quantité d'églises sont propriétaires sur le territoire des paroisses voisines. Il y a ainsi, à Bellecombe, des biens d'ancien patrimoine qui appartiennent à la cure du lieu et aux cures d'Aigueblanche, de Saint-Oyen, de Moûtiers, et il y a beaucoup d'autres exemples. Ce cas, toutefois, n'est pas le plus ordinaire, mais il est plus rare encore que le domaine ecclésiastique forme un tout contigu au presbytère. S'il y a des parcelles y attenantes, les Visites le signalent et montrent qu'en général elles ne constituent

1. Arch. de la Savoie, Visites.

2. L'une des paroisses qui acquièrent le plus de terres, pendant cette période, est celle de Longefoy, avec trente-huit parcelles de champs et prés, dont le revenu net total est estimé au cadastre à 15 livres, 6 sols, 5 deniers.

3. Hauteluce.

qu'une petite partie du patrimoine, composé de parcelles disséminées aux quatre coins du pays, et semblable en cela à celui des particuliers, chacun voulant avoir, autant que possible, ses champs, vignes et prés dans les terrains les plus favorables à ces cultures. Le bénéfice de Beaufort, au milieu du siècle, n'a que des prés, et il n'y a que des champs et des vignes à Feissons-sous-Briançon, mais à Notre-Dame de Briançon, il y a champs, vignes, prairies et bois, et si ce dernier article est rare, les bois étant en général biens communaux1, les domaines types comprennent tous des terres et des prés, avec un peu de vigne, hors les quelques paroisses où le climat la proscrit absolument. Les Visites donnent l'énumération des diverses espèces de fonds et leurs contenances respectives 2, indiquent si une partie, récemment acquise, est assujettie à payer la taille3; elles se dispensent toujours d'évaluer en argent le revenu des vignes, très petites, qui sont en général louées à moitié et dont le produit est incertain, outre qu'il ne peut guère dépasser la consommation de la cure. Pour les champs, leur rendement est parfois évalué en blé et argent, quand il y a de longs baux sur ces bases, mais plus souvent en blé seulement, car c'est ainsi que le curé le perçoit, qu'il exploite ou qu'il afferme, et à Longefoy, par exemple, le revenu des 24 seiterées de terre est fixé à 26 setiers de seigle, et celui des 24 seiterées de blé, par contre, à 50 florins, l'usage étant de louer les prés pour de l'argent. Ces produits varient naturellement, mais surtout l'importance du domaine foncier, qui pour citer deux extrêmes-là où, comme à Hauteluce, il s'est constitué tardivement, ne comprend en 1728 que deux champs conte

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1. Et le curé jouit, en général, mais non partout, en raison de sa fonction, du droit de profiter des biens communaux comme les autres habitants.

2. Avec un ordre parfois, aux propriétaires contigus, de convenir avec le curé d'un arbitre qui bornera les biens.

3. A Saint-Laurent, où la commune vient de donner au curé un petit champ pour qu'il célèbre tous les mois dans deux chapelles de hameaux, elle s'est engagée à en payer la taille.

4. Le curé de Montgirod (GG 1), en 1691, et ce cas est typique, afferme sa vigne à moitié, partie de ses champs pour du blé, et de ses prés pour de l'argent, et moyennant que le preneur cultivera en outre les autres biens que le bailleur & tient à sa main ».

nant en tous 88 ares 44, et inscrits au cadastre pour un revenu net de 21 livres et demie, tandis que, à la même époque, aux Allues et d'ancien patrimoine, la cure possède, outre deux granges et une maison, vingt-neuf parcelles de champ d'une contenance totale de 207 ares, trentehuit parcelles de prés et pâturages d'une contenance de 557 ares, onze parcelles de broussailles et pierrailles contenant 10 ares, un verger et un jardin contenant 22 ares, un chenevier en contenant un, et 69 ares et demi de vigne, le tout d'un revenu net total évalué1 à 137 livres 12 sols, déduction faite, comme toujours, des frais de culture et de semence, mais non des frais d'exploitation générale et d'entretien des bâtiments.

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§ 2. Les censes. Les «censes », ou rentes, sont les unes foncières c'est-à-dire payables, soit en argent et soit plus souvent en nature, sur le produit d'un fonds què cette servitude grève, en général, pour un temps indéfini, jusqu'à ce qu'il plaise au possesseur de cette terre de se libérer et les autres, dites ordinairement rentes constituées, toujours payables en argent, sont une charge personnelle pour le débiteur, en dépit de l'hypothèque géné rale qu'il a donnée sur ses biens. Toutes ces censes ont une même origine, en ce qu'elles rémunèrent un capital primitivement prêté au débiteur, et, dans le second cas surtout, rien ne les distingue de notre prêt à intérêt. Aussi, l'autorité ecclésiastique, qui n'a pas oublié ses méfiances à l'égard de ce contrat, encourage-t-elle peu les curés à acquérir des censes, et les Acta..., qui règlent très longuement ce sujet, défendent d'en créer, de peur d'usure, autrement que sur des gages immeubles, productifs de revenus, et nominatim certis finibus designata3.

1. Non comprises 25 livres et demie pour les vignes, qui ne sont pas sur le territoire des Allues; quant à cette commune, il s'y trouve, au total, 34 447 parcelles, 9 113 hectares et 27 583 livres de revenu net.

2. Le curé de Mâcot (GG 9), en 1671, se fait autoriser par l'archevêque à transformer des censes de la première espèce contre des censes de la seconde,' les terres qui servaient de gages à diverses petites rentes s'étant fragmentées excessivement.

3. Acta... Tarentasiensis Ecclesiæ, p. 118.

ANALECTA, 1913, t. iv.

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