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Amours de Jupiter et de Sémelé de Boyer, l'Agésilas de Pierre Corneille et l'Antiochus de son frère Thomas. Cela suffit pour montrer quels éléments d'intérêt renferme ce volume.

La publication de M. de Rothschild présente un progrès sensible sur celle de M. Livet. Chaque volume est précédé d'une table analytique des matières par lettres, et terminé par une table des noms propres dont il est parlé dans les gazettes. Cette disposition sera fort appréciée par tous les travailleurs qui attendent impatiemment la table générale toujours annoncée et toujours fuyante de l'éditeur de Loret. RENÉ KERVILER.

Le maréchal Bugeaud, d'après sa correspondance intime et des documents inédits (1781-1849), par le comte D'IDEVILLE. Tome I. Paris, FirminDidot, 1881, in-8 de XLI-424 p. Prix : 8 fr.

Les documents publiés dans ce premier volume s'arrêtent à l'année 1835. Des notes et souvenirs écrits par la fille du maréchal, la comtesse Feray, et les lettres écrites au jour le jour par Bugeaud sont reliées entre elles par un récit, en général assez bref, pour indiquer les circonstances où il se trouvait. Les lettres presque toutes adressées à Mlles Philis et Hélène de la Piconnerie, sœurs du jeune soldat, engagé volontaire en 1804, caporal à Austerlitz, en 1805, sous-lieutenant en 1806, sont pleines d'entrain et d'humour, mais l'expression d'une pensée sur Dieu est absente et c'est un trait caractéristique de cette époque. Nous voyons aussi le triste résultat de quinze ans de révolution, sans éducation religieuse, dans l'immoralité commune aux troupes françaises. Bugeaud la constate plus d'une fois; pour lui il reste austère; ses lettres sur la guerre d'Espagne sont intéressantes: « Ce que nous avons fait jusqu'ici ne sert presque à rien, » écrit-il,et c'est vrai. Napoléon ne savait pas à quoi il s'engageait en s'attaquant à ce peuple énergique.

En 1814, Bugeaud fut nommé colonel par Louis XVIII et il signa de ce titre une chanson royaliste. Bugeaud servit pendant les CentJours; licencié en 1815, il devint agriculteur et se maria, s'occupant fort peu de politique et refusant d'assister aux conciliabules républicains et bonapartistes qui, à Périgueux et à Limoges, entretenaient le feu de la Révolution : il y a d'ailleurs peu de renseignements sur ce temps passé dans sa famille, où naturellement il n'y a aucune lettre intime. Au lendemain de la révolution de 1830, le colonel Bugeaud demanda et obtint du service; puis il fut envoyé avec le grade de général pour commander à Blaye, où madame la duchesse de Berry venait d'arriver prisonnière; position difficile dont le général s'est tiré mieux que n'auraient fait beaucoup d'autres, mais où il ne put s'empêcher de montrer la passion politique qui alors animait tout le

monde. Il y a là des lettres de Thiers donnant par exemple au commissaire de police ses ordres pour la surveillance à exercer sur madame la duchesse de Berry: ce sont de tristes pages et vraiment j'en dirais autant de ce Journal du château de Blaye où Bugeaud a relaté les incidents et les impressions de son séjour : cette partie de la publication pourra disculper sur certains points le général des accusations portées contre lui, mais je ne crois pas qu'elle honore beaucoup la mémoire du futur vainqueur de l'Isly. Il pouvait se vanter auprès d'un ministre de traiter un peu cavalièrement les amis de madame la duchesse de Berry: je ne sais si ce sont des documents bien historiques, car la passion politique contre les carlistes y apparaît trop pour se rencontrer avec l'expression de la vérité. Cet épisode de Blaye, n'occupe pas moins de 187 pages. M. d'Ideville, qui a cherché ainsi à repousser les accusations lancées contre le geôlier de Blaye s'attache ensuite à montrer que le général Bugeaud ne fut pas le bourreau de la rue Transnonain; Bugeaud ne commandait pas dans ce quartier aucune des troupes sous ses ordres n'y fut engagée. Ce qu'il y a de vrai seulement, c'est que Bugeaud avait la plus grande aversion pour les républicains et les folliculaires, de même, qu'il avait les carlistes « en horreur.» Je regrette qu'on ait publié isolément le premier volume de ces lettres de Bugeaud, car on s'arrête sous une triste impression et l'on attend impatiemment les lettres où le soldat, auquel nous devons le développement et la sûreté de notre conquête d'Afrique, nous dira ses pensées d'alors, et ses projets si patriotes.

H. DE L'E.

Statistique intellectuelle et morale du département de l'Aube, par ARSÈNE THEVENOT. Paris, Henri Menu; Troyes, Léopold Lacroix, 1881, gr. in-8 de 367 p. Prix 10 fr.

M. Arsène Thevenot vient d'ajouter à ses nombreuses publications, consacrées pour la plupart à l'histoire locale, une œuvre nouvelle inspirée par un vif amour de son pays comme le prouve l'épigraphe : Et tu, Campania, superbire potes! Il s'est proposé de dresser l'inventaire de toutes les richesses littéraires, artistiques et monumentales de son département et de constater la marche, les progrès et la situation de l'esprit humain dans cette circonscription. Il donne là un ensemble de documents: statistiques, inventaires et biographies, que nous n'avons pas encore vus réunis. Les deux premiers chapitres sur la topographie et la statistique générale (population, statistique judiciaire, accidents et sinistres, hospices et bureaux de bienfaisance) déterminent le terrain qu'il va explorer; nous y remarquons ses considérations sur la dépopulation (p. 18). Le 3 chapitre est consacré à l'instruction et à la religion qu'il ne sépare pas, « pensant que la reliJANVIER, 1882. T. XXXIV, 5

gion est une partie essentielle de l'éducation humaine, et que l'on ne saurait, sans erreur et sans danger, séparer l'instruction de la religion; » on y trouve, avec la statistique scolaire, les ressources que possède le département pour l'enseignement des divers degrés, puis une courte notice sur l'introduction des différents cultes; catholicisme, protestantisme et judaïsme, de très sages réflexions sur la libre pensée, quelques détails sur le clergé du diocèse avant et depuis la Révolution, et des notices sur les diverses communautés établies dans le diocèse et leurs œuvres. Les sociétés scientifiques, littéraires, agricoles, industrielles, artistiques et philanthropiques occupent le quatrième chapitre; nous nous bornerons à signaler les sociétés dites «< philosophiques »; les loges maçonniques et trois socié tés de libres penseurs, autorisées en 1880 et 1881. Sous le titre d'« Établissements divers, » M. Thévenot fait connaître les principales richesses des Archives nationales concernant le département de l'Aube, des archives départementales, municipales et hospitalières, de la belle bibliothèque municipale de Troyes. Il fait également connaître les différentes bibliothèques communales et populaires; le musée et son histoire; les théâtres, avec une notice sur l'histoire de l'art dramatique à Troyes. Il donne ensuite un inventaire des principaux monuments existants ou détruits, classés par époque. Les imprimeries et librairies anciennes et modernes viennent après avec l'énumération des plus importantes publications, où sont comprises les publications périodiques, relatives au département de l'Aube. Le dernier et le plus considérable des chapitres est consacré aux illustrations locales (pages 214 à 364) et donne sur chaque personnage une courte notice biographique et bibliographique. Nous ne goûtons guère la division en catégories littérateurs, artistes, guerriers, etc., qui rend les recherches. d'autant plus difficiles qu'il n'y a pas de table alphabétique, et qui oblige à des redites. Nous aurions préféré des notices dans l'ordre alphabétique avec des tables par catégorie. Aux articles Cottière (224), Salverte (304), Dampierre (309), la disposition typographique ferait croire que les noms patronymiques Jacob, Baconnière et Picot sont des prénoms. Il eût été intéressant de faire connaître à l'article Dare (224), si ses Mémoires étaient inédits. Il n'est pas fait honneur à Levesque de La Ravallière (276) de la collection qui porte son nom au département des manuscrits de la Bibliothèque nationale. Nous ne voyons pas figurer Nicolas Pithou, auteur de mémoires manuscrits sur l'établissement du protestantisme en Champagne, conservés à la Bibliothèque nationale et qui sont le fond de la publication de M. Recordon (40 et 193). RENÉ DE SAINT-MAURIS.

Histoire de Menin, d'après les documents authentiques par le D' REMBRY BARTH, archiviste de la ville. Ouvrage orné de huit plans et vues gravées. Bruges, 1881, 4 vol. in-8 de 680-522-574 et 478 p. Prix: 30 fr.

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Il y a peu de pays où le culte de l'histoire locale soit aussi profond qu'en Flandre les administrations communales, les sociétés savantes, les simples érudits y rivalisent de zèle à faire revivre le souvenir des gloires patriotiques, et la riche littérature historique de ce noble pays n'est pas un des moindres titres qui le recommandent à l'attention de l'Europe. Ailleurs, on croit faire beaucoup quand on a écrit une modeste brochure sur sa ville natale; ici, des localités obscures ont inspiré de forts volumes, et c'est avec un luxe royal que les Flamands installent leurs ancêtres dans l'histoire. Pour donner une idée des principaux travaux de ce genre qui ont paru dans les derniers temps, je citerai entre autres le magnifique inventaire des archives de Bruges par M. Gilliodts Van Severen, la monumentale histoire d'Oudenbourg, par MM. Feys et Van de Casteele, les nombreuses publications de MM. Diegerick et Vandenpeereboom sur la ville d'Ypres, et les séries de monographies consacrées aux communes rurales par MM. de Potter et Broeckaert. Le livre que j'analyse ici mérite une place d'honneur parmi ces beaux travaux. Enfant de Menin, exerçant depuis nombre d'années, à titre gratuit, les fonctions d'archiviste de la ville, et comptant dans sa famille des membres qui ont pris une part active à l'administration de la cité, M. Rembry, pour toutes ces raisons, était plus apte qu'un autre à devenir l'historien de Menin. Le lecteur pourra s'étonner de voir consacrer quatre gros volumes, c'est-à-dire plus de 2,000 pages, aux annales d'une petite localité qui ne compta pas plus de 5,000 habitants avant ce siècle, et qui n'a jamais occupé une place considérable dans l'histoire du pays. Mais le soin religieux avec lequel la plupart des communes flamandes ont conservé leurs archives, en multipliant les sources d'informations, avait d'avance indiqué les proportions du livre, et, de plus, le procédé généralement suivi en Belgique par les auteurs d'histoires locales ne tend pas à réduire le format de leurs ouvrages. M. Rembry Barth ne s'est pas départi de ce procédé, qui consiste à publier intégralement presque tous leurs documents au milieu de leur narration, sans aucun souci de la forme, ni de la paresse d'esprit de celui qui le lira. Ne vous attendez pas, lecteur bénévole, à trouver une route bien aplanie et soigneusement ratissée; non, ces redoutables érudits vous entraînent sans pitié à leur suite, à travers toutes les toiles d'araignée de leurs archives, et par-dessus tous les débris amoncelés, vous forçant de faire avec eux tout leur travail, à épousseter les liasses, à déblayer les décombres. Ne vous risquez pas dans leur société si vous n'êtes muni d'une bonne dose de

courage, et décidé à avaler beaucoup de poussière ! Si l'histoire de Menin était à refaire, j'aurais conseillé à l'auteur de rejeter tous ces documents dans un volume final, sous forme de cartulaire ou de Codex diplomaticus, après en avoir extrait tous les renseignements. possibles pour les fondre dans son récit, et après y avoir joint ces Analectes meninois dont il se propose de faire une publication spéciale, et dont la place était toute marquée ici. De la sorte il aurait triplé et même quadruplé le nombre de ses lecteurs: car ils sont rares partout, les gens courageux qui, sans y être forcés par une besogne professionnelle, affrontent des centaines de documents français, flamands, latins, de tout âge et de toute dimension, secs, filandreux, barbares, avec leurs phrases d'un pied et leurs formules énormes, pour y trouver d'ordinaire un renseignement que l'auteur aurait pu leur donner en quelques mots.

Cette question de forme vidée, je me hâte de signaler dans cette histoire de Menin une des plus importantes monographies locales que la Belgique ait produites depuis longtemps. Le sujet est intéressant on peut étudier ici toute l'histoire de Flandre dans une des molécules de ce grand corps politique. Comme la Flandre elle-même, comme ses plus grandes villes, Menin apparaît tard: la première mention qui en est faite est de 1087, mais dès le x° siècle elle est en pleine lumière, et les sources où l'on peut aller puiser son histoire ne cessent de couler à grands flots. Sans avoir jamais joué un rôle éclatant, ni avoir mêlé son nom à aucun des brillants faits d'armes, à aucune des révolutions fameuses de ce pays, Menin attirera l'attention de tous ceux qui étudient avant tout, dans l'histoire d'un peuple, celle de ses mœurs et de ses institutions, et la manière dont il a compris et pratiqué la vie. Ceux-là ne déposeront pas les volumes du docteur Rembry Barth sans avoir ajouté quelque chose à leurs notions antérieures, et rempli en plus d'un point une lacune de leurs connaissances. Et le meilleur service que puissent rendre les histoires locales n'est-il pas de contribuer ainsi à compléter le tableau immense et varié du passé ?

Quelques mots maintenant sur la manière dont l'auteur a traité son sujet. Le tome I contient, après les généralités topographiques et étymologiques, un fort intéressant chapitre sur les archives communales, fait, on le voit, avec une certaine prédilection d'érudit: il donne une bonne idée des matériaux disponibles et de l'intelligence avec laquelle ils ont été mis en œuvre. Le reste du volume est consacré aux institutions politiques : Menin était à la fois une commune, une seigneurie, et le centre d'une verge de 14 paroisses. Ce qui lui assigne une place des plus honorables au milieu des communes flamandes, c'est que de toute la Flandre elle était la seule qui eût le

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