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12 et 13. Que penser de ces productions lamentables où le parti pris d'hostilité se jette, avec des airs contrits, dans les exagérations perfides, où la démonstration des caractères blesse à chaque ligne le sens commun, où des événements, partant d'un principe faux et sans base réelle, sont accumulés à la seule fin de faire haïr le prêtre Ainsi nous avons jugé la Nièce du Curé et les Disciples de l'abbé François, de M. Georges Glatron. L'auteur qui n'est, d'ailleurs, pas sans talent, a eu notoirement l'intention d'« étudier les gens d'église ». Il y en avait des milliers de bons à choisir; mais cela ne convenait pas à sa thèse, et il en a imaginé deux, deux surtout, l'abbé Jean Rutebert et l'abbé François, à qui il prête gratuitement des âmes insensibles, froides, dissimulées, orgueilleuses, implacables et humainement repoussantes. Le premier, Jean Rutebert, se croit moralement invulnérable, au-dessus des désirs de la chair, des misères de l'humanité. Sa sœur Marthe lui recommande en mourant sa fille Geneviève. C'est la nièce: elle frappe à la porte du presbytère. Il la rudoie et la repousse ; puis, finit par l'accueillir. Son doyen lui fait observer que Geneviève est trop jeune et que les règlements canoniques lui défendent de la garder sous son toit. L'orgueil de Rutebert se révolte il avait renvoyé Geneviève, il la reprend. Alors, un sentiment coupable s'empare de lui: il n'y succombe pas; mais sa perpétuelle méchante humeur rejaillit sur Geneviève qui souffre le martyre. Pas une minute du jour qu'il ne la torture atrocement. Elle est demandée en mariage par un jeune paysan de la paroisse. Rutebert refuse de donner son consentement. Elle veut partir, il l'en empêche. Bref, la nièce, soupçonnant les sentiments de son oncle pour elle, se noie dans l'écluse d'un moulin. Rutebert ne verse pas une larme. L'abbé François, lui, nous raisonnons toujours, bien entendu, d'après l'auteur, pousse « le fanatisme religieux » à ses dernières limites. Rutebert est un monstre d'orgueil et de cruauté. L'abbé François est un monstre d'impitoyable et funeste ascétisme : le Dieu qu'il sert n'est pas le Dieu de l'Evangile, le Dieu des chrétiens; c'est un Dieu terrible et jaloux qui brise les corps, écrase les âmes, broie les cœurs. Homme à l'œil faux, à la parole mielleuse, à l'humilité feinte, l'abbé François soustrait les enfants du manufacturier Charles Vauxcerais, pour envoyer un de ses fils au séminaire, et sa fille au couvent, ruine la veuve Vauxcerais, la rend mauvaise mère, brouille les deux frères, Henri et Jacques. Henri se défroque, se marie civilement, se pose en apôtre de l'athéisme et du néant, et, après la mort de sa femme, va, quoique athée (comme c'est vraisemblable!) s'enterrer dans un cloître. Le défroqué laisse un fils. Quand l'enfant demande son père, Jacques lui dit en montrant l'abbé François : « Ton père ! il est mort, et voilà l'homme qui l'a tué ! » Franchement, lecteurs, est-ce que cet abbé

François est possible? Notez bien que l'auteur, dans son raffinement de sectaire, a soin de présenter à chaque page son abbé comme un prêtre des plus austères. Cela se conçoit s'il avait fait de l'abbé François un corrompu, celui-ci eût été méprisable. Or, le mépris confine à l'indifférence, et on laisse généralement tranquilles ceux qui provoquent en vous un pareil sentiment. Le but de l'auteur n'eût pas été rempli son but clair, avoué, certain, est d'inspirer pour le prêtre, dans les classes bourgeoises, de la rancune et de la haine, une de ces haines féroces, qui, si elles n'arment pas les mains du fusil homicide, font excuser et approuver les massacreurs d'otages. Rutebert n'est pas plus vrai. Détail caractéristique. Dans la Niece du Curé, comme dans les Disciples de l'abbé François, n'émerge aucune expression violente, injurieuse, grossière. Tout est mesuré, compassé, coupant et sec. Ces deux romans n'en sont que plus odieux et plus dangereux. Le dernier est dédié à M. Challemel-Lacour. Cela seul en indique l'esprit, et même, si nous ne vivions pas à une époque d'anarchie intellectuelle et morale, nous aurait dispensé d'en donner l'analyse.

14. Rutebert et l'abbé François sont tout simplement d'affreuses caricatures. Le vrai prêtre, c'est celui que nous montre M. Jean Grange, dans l'Ingrat; c'est le bon abbé Rollin, curé de Saint-Maurice-sous-Bois. Toute une vie de dévouement, d'abnégation, d'héroïques vertus ! Cet humble curé de campagne adopte le fils d'une malheureuse veuve sans ressources. Il lui apprend à lire, à écrire, à calculer. Puis, voyant que l'enfant ne manque pas de dispositions, il se saigne aux quatre veines pour le tenir au séminaire et fournir à tous les frais de son éducation. Il arrive même une année où le sacrifice est au-dessus des forces de l'excellent prêtre. Douze de ses confrères se cotisent pour lui venir en aide et empêcher qu'Henri Hubert (c'est le nom de l'orphelin) n'interrompe ses études. Si bien que ce petit séminariste est dans le même cas que la « Fille du régiment ». Celle-ci, orpheline, a été adopté par le 21me et elle appelle gentiment les soldats « ses pères ». Henri, s'il avait du cœur, pourrait en faire autant, car il a réellement pour « pères », c'est-à-dire pour bienfaiteurs les douze curés de son canton sans compter le meilleur de tous, l'abbé Rollin, et la généreuse Miette, la vieille gouvernante. Mais Henri Hubert ne sent rien battre sous la mamelle gauche. Froid, correct, dissimulé, jamais d'expansion, jamais de ces mots qui expriment si bien la reconnaissance. Ses études ecclésiastiques terminées, il déclare vouloir être médecin. Cela dérange bien un peu les idées de l'abbé Rollin; mais, enfin, tout le monde n'est pas appelé au sacerdoce. Cette fois, il faut encore plus d'argent et Miette, pour subvenir aux frais nécessaires, reprend son ancien état de couturière.

L'abbé Rollin fait rapiécer ses vieilles soutanes, et, sublime sacrifice! ne se réabonne plus à l'Univers et à la Revue du Monde catholique. Tout cela est bien mal récompensé. Hubert, ambitieux et sans cœur, devient plus tard libre penseur, préside aux enterrements civils, participe à toutes les persécutions dirigées contre le clergé, interdit comme maire les processions publiques et laisse mourir sans remords, dans une chambre d'auberge, son vieux bienfaiteur qui ne voulait pas croire à tant d'ingratitude, et qu'il avait, en quelque sorte, chassé de chez lui, à sa première et dernière visite. L'abbé Rollin mort, Miette entre chez les Petites Sœurs des Pauvres. Et l'ingrat? La belle question: l'ingrat est aujourd'hui député et vote d'enthousiasme toutes les lois liberticides. Il ne pouvait en être autrement, et cette misérable fin est toute naturelle. L'excellente étude de M. Jean Grange est suivie de quelques Nouvelles dont deux: Le petit Frère Jérôme et le Bal de la Préfecture, méritent une mention spéciale. Le Frère Jérôme est un frère des Ecoles chrétiennes qui commence par être cuisinier (frère coupe-choux), puis instituteur communal, puis inspecteur des écoles de sa province, la gloire, la lumière et l'honneur de son ordre. Il se fait tuer en 1870 par un obus prussien. C'est un héros de tous les jours et de toutes les heures. Le Bal de la Sous-Préfecture nous rappelle un intéressant apologue qui se trouve dans Lis Oubreto du félibre Roumanille. Cela est intitulé: Se n'en fasien un avocat. « Si nous en faisions un avocat ? » Il s'agit d'un paysan et d'une paysanne du Comtat, les Sauvaire, qui ont vu s'accroître un peu leurs modestes ressources. L'ambition les gagne, et, au lieu de faire de leur fils unique un paysan comme eux, ils se consultent sur les meilleures carrières à lui donner et s'arrêtent à celle d'avocat. Le fils va au collège, termine ses études et se rend à Paris où il prend ses inscriptions à la Faculté de droit. Les ressources des Sauvaire sont déjà bien ébréchées. Mais ce n'est que le commencement: l'étudiant devient avocat, en effet, tribun de réunions publiques et meurt, en 1848, sur une barricade. Ruinés, les Sauvaire ont vendu leur vigne, leur chaumière et vont maintenant de porte en porte demander l'aumône. Le fermier et la fermière des Vergnes, mis en cause par M. Jean Grange, ne font pas de leurfils un avocat, mais un employé de sous-préfecture. C'est pour eux, surtout pour la fermière, la carrière idéale. Leur fils, éduqué tant bien que mal, est nommé sous-secrétaire de la sous-préfecture de Montmorillon. Il est fat, suffisant, plein de lui-même et se croit déjà un grand personnage. Invité au bal du sous-préfet, il s'y montre gauche, balourd, sot et ridicule sans même en avoir conscience. Et dire que ce prestolet, ce faraud est notre homonyme ! Sans rancune tout de même, M. Jean Grange !... D'autant que le petit Jean Baptiste Boissin, finit beaucoup mieux que le fils Sauvaire. Ramené à

la ferme par une fluxion de poitrine, il prend goût à la vie des champs et ne veut plus retourner à Montmorillon. Eh bien, il a raison, et nous l'aimons beaucoup mieux sous sa blaude limousine et sa casquette de loutre que sous son habit à queue de morue et son chapeau tuyau de poêle. Ne sutor ultra crepidum.

15. Voulez-vous une étude sincère des mœurs de petite ville, doublée d'un action dramatique originale? Lisez Caritas. L'auteur de Caritas signe René de Vic, mais nous savons que ce pseudonyme cache une jeune plume féminine des mieux taillées, un noble cœur qui supporte chrétiennement des souffrances imméritées et qui se console des injustices du sort dans le culte désintéressé des lettres. L'action de Caritas se passe au milieu d'une ville, demi-romaine, demigauloise, qui mire dans le Tarn ses murs antiques, tailladés et éventrés par des soldats de toutes les époques. Dans cette ville que nous appellerons Roubeyrac, habite avec sa fille unique, Marie, surnommée Caritas, parce qu'elle est la charité en personne, le marquis de Brusac. Bien sympathique ce marquis! Petit, maigre, toujours drapé dans un manteau sans forme et sans couleur, il s'est pris de passion pour toutes les antiquailles de sa ville natale. Il les étudie avec amour, en explique les beautés avec conviction et les défend avec énergie contre les vandales, les à bandes noires » et même les badigeonneurs. Cet amoureux du passé a ceci de particulier, qu'il ne jette pas continuellement la pierre au présent et qu'il a foi dans l'avenir. Sa fortune et sa maison sont aussi délabrées que possible; mais sa fierté, quand il a affaire à des sots, est aussi grande que sa noblesse est ancienne. Aux braves gens, aux artistes, aux pauvres, nul ne se montre plus accommodant. Très instruit par-dessus le marché, et fuyant comme la peste tout ce qui est banal. Un homme, vous dis-je! Sous ces divers rapports, Caritas est bien sa fille. Poitrinaire, se sentant condamnée à mourir, elle passe sa vie à panser les plaies de celui-ci, à redresser les entorses de celui-là, à guérir cet autre de la fièvre, à aider ce dernier à bien mourir. Caritas participe à la fois de la femme, de la jeune fille et de l'enfant. Elle a de l'enfant la franchise et la sincérité, de la jeune fille la pureté idéale, de la femme l'expérience sans timidité. La noblesse de son âme se réflète dans ses yeux profonds et doux, dans sa physionomie ouverte, que la souffrance idéalise et qu'éclaire une lumière intérieure. L'auteur n'aurait-il pas ici fait un peu son portrait? Quoiqu'il en soit, Caritas est mêlée à un terrible drame. Son cousin, Gaston de Leymaris, a beaucoup voyagé : il a ramené d'Orient une petite bohémienne, Nina, qu'il aime comme sa fille et qui l'est en effet. Nina est mise au couvent avec Caritas. Les deux jeunes pensionnaires se lient avec d'autant plus de plaisir que la baronne de Leymaris ne peut les souffrir, ni l'une ni l'autre.

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Cette baronne est épouvantable: elle ne pense qu'à redorer son blason en faisant épouser à son fils une riche bourgeoise. Or, Caritas, enfant, a été la promise du jeune Gaston; mais Caritas est pauvre. D'autre part, Nina, de naissance irrégulière, dérange les plans de la baronne et blesse son orgueil. De là sa double haine. Mme de Leymaris fait noyer Nina dans le Tarn, et lance contre Caritas la plus abominable des calomnies, l'accusant devant son fils d'être la maîtresse du jeune peintre Bernard. Il faut que vous sachiez que cet artiste, qui restaure les fresques de l'église de Roubeyrac, est devenu l'ami intime du marquis de Brusac, et il est réellement digne de cette amitié; car il ne se peut rencontrer cœur plus dévoué, âme plus belle. Sans doute, l'amour, un amour chaste et désintéressé, dont Caritas est l'objet, a envahi le peintre Bernard. Mais Caritas ignore absolument cet amour, retenu par un inaltérable respect. A quoi bon d'ailleurs? Caritas sait bien que ses jours sont comptés et que, pour elle, le bonheur n'est pas en ce monde. Cependant Nina ne meurt pas elle, est sauvée par le Bossudet, un nain difforme, qui obéit à Caritas comme un caniche, parce que Caritas seule a eu soin de sa mère agonisante, abandonnée et vagabonde. Nina devient une artiste célèbre et prend le nom de Mlle Saint-Marcel: elle veut revoir son père et va un jour donner des représentations à Roubeyrac. Mais elle a compté sans l'odieuse baronne. Pour enlever à tout jamais à la Saint-Marcel l'affection du baron, elle l'accuse publiquement de vol. Les apparences lui sont contraires, et l'artiste irait infailliblement en prison, sans le dévouement de Caritas et du Bossudet qui la sauvent encore. Mais c'est trop d'émotions pour la pauvre Caritas. Elle s'envole au ciel par une belle soirée d'automne. La Saint-Marcel part pour les Indes comme religieuse hospitalière. Bernard devient un peintre religieux célèbre : Caritas se retrouve dans tous ses tableaux. J'oubliais d'ajouter que le baron Gaston de Leymaris, malgré les millions de sa femme, Léocadie Binet, regretta toute sa vie Nina et Caritas. En résumé, Caritas n'est pas une œuvre ordinaire: elle fait le plus grand honneur à René de Vic (Me Henriette B...) L'histoire est vraie d'ailleurs; les noms seuls sont changés, mais dans la ville où se passe l'action on connaît tous les personnages.

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16. C'est pareillement sur les bords du Tarn, à Alby même, que se passe l'action du roman de M. Jules Rolland: La Statue de saintJacques. On pourrait tirer de ce roman un drame superbe. Jugez-en : Quelques années avant la Révolution, débarque à Alby un jeune auvergnat, de ceux qui font, comme on disait alors, leur « tour de France. » Il s'appelait Vincent. Le marquis de Saint-Sulpice le rencontre un jour, dans une ruelle sombre, couché contre une porte cochère, geignant et se lamentant, dénué de tout, sans la moindre ressource. Ce

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