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en toute autre. Non seulement il doit prouver la démence, mais en prouver l'existence au moment même où l'acte a été passé, car elle n'a d'effet que si elle enlève toute réalité au consentement; or le consentement s'apprécie au moment même où l'acte est fait. Si la démence est continue et permanente, pas de difficulté. Mais elle peut n'être pas un état habituel, n'être que passagère, accidentelle, auquel cas les difficultés apparaissent; l'acte passé une heure avant la crise, ou une heure après, peut être excellent.

2° Si le demandeur réussit à établir la démence au moment de l'acte, l'acte fait en état de démence est nul d'une nullité absolue, car il lui manque un élément essentiel : le consentement. L'apparence du consentement existe; l'élément intentionnel qui le constitue fait défaut. L'acte, dès lors, est inexistant; il n'existe qu'en apparence. De là résulte que la nullité peut être invoquée à quelque époque que ce soit; elle est absolue et perpétuelle. En outre, elle peut être invoquée par tous les intéressés par l'auteur de l'acte revenu à la raison, par ses représentants ou ayantcause, enfin par les tiers avec lesquels il a traité, qui se seraient trompés sur son état, et qu'on ne peut forcer à profiter d'un acte passé dans ces conditions. Nous ne pouvons ici que donner à cet égard des indications générales, et renvoyer pour le surplus au titre Des obligations, spécialement à l'étude de l'article 1108; c'est seulement sous cet article que pourra être précisée la distinction des conventions nulles et annulables 2.

3o La nullité pour démence de fait ne peut être invoquée que du vivant de celui dont la démence est alléguée. Il y a là une dérogation au droit commun. D'ordinaire, quand un droit s'est ouvert, il n'appartient pas seulement à celui en la personne de qui il est né; à la mort de celui-ci, il passe à ses héritiers (article 1122). La règle est différente quand il

1. Certains auteurs et beaucoup d'arrêts contestent ce point, invoquant l'article 1125 alinéa 2, aux termes duquel « les personnes capables de s'engager << ne peuvent opposer l'incapacité du mineur, de l'interdit, ou de la femme « mariée avec qui elles ont contracté ». Voy. Aubry et Rau, I, p. 523. C'est oublier qu'il ne s'agit pas ici d'une question de capacité, mais de consentement; la démence de fait ne soulève pas, nous l'avons déjà dit, des questions de capacité, mais de consentement.

2. Cpr. les développements qui ont été présentés à cet égard à propos des nullités de mariage : suprà, tome I, p. 384 et suiv., spécialement p. 396 et suiv., p 401 et suiv.

s'agit du droit d'attaquer et de faire tomber un acte pour défaut de consentement. Un acte ne peut plus être attaqué pour cause de démence de fait dès que celui qui l'a passé et qu'on prétend non sain d'esprit est décédé. L'article 504 le dit formellement: « Après la mort d'un individu, les actes par lui «faits ne pourront être attaqués pour cause de démence... » Ce texte est bien relatif à la démence de fait, quoique placé dans le chapitre De l'interdiction; en effet, il ne parle pas d'attaquer les actes pour cause d'interdiction, mais pour cause de démence.

Les héritiers du dément ou prétendu dément ne peuvent donc pas attaquer les actes de leur auteur en alléguant sa folie, et nul ne peut les attaquer contre eux. Le décès de l'auteur couvre la nullité, donne aux actes une validité complète. La règle est de grande importance pratique. On en a donné deux motifs.

Si la mort de l'auteur de l'acte couvre la nullité, cela tient d'abord à la difficulté que présenterait la preuve de la démence après le décès de la personne. On ne doit toucher qu'avec ménagement aux actes d'une personne qui n'est plus là pour les expliquer; combien variables sont les motifs qui peuvent les avoir amenés! Puis, apprécier l'état mental d'une personne est souvent chose difficile, même quand cette personne existe et qu'on peut l'observer directement et avec suite. Il y a des fous qui ne paraissent pas l'être; il y a des gens qui semblent fous et ne le sont pas. Apprécier cet état quand la personne est décédée serait une difficulté trop grande; en essayant de le faire, on serait exposé à trop de chances d'erreur. De là l'article 504 la démence de fait ne peut être invoquée comme cause de nullité que du vivant de l'auteur de l'acte.

A cette considération s'en ajoute une autre, qui complète la première. Tant pis, après tout, pour les héritiers ou les représentants de l'auteur de l'acte. L'acte ne pouvant plus être attaqué, ils vont subir les conséquences de l'article 504; mais c'est leur faute; que n'ont-ils provoqué l'interdiction de leur auteur du vivant de celui-ci ? Dans le système de la loi, l'interdiction est une protection due au malade; l'article 490 charge les parents de la provoquer. Sont-ils dignes d'intérêt lorsque, ayant négligé de faire organiser du vivant de leur auteur la protection à laquelle son état lui donnait droit,

ils viennent maintenant, parce que leur interêt se trouve engagé, alléguer un état de folie désormais presque imposs sible à constater?

De là l'article 504, qui s'explique ainsi par une double cause. La mort met obstacle à ce que la demence soit alle guée pour faire tomber les actes d'une personne decedee. La règle est d'ordre public.

Toutefois, cette règle comporte trois exceptions. Les deux premières sont formelles; l'article 504 les énonce aussitôt après la règle. La troisième s'induit d'un autre texte.

a) La première exception se produit quand l'acte porte en lui-même la preuve de la demence, par l'incohérence ou la bizarrerie des dispositions qu'il contient. Il n'y a plus alors à se préoccuper de la difficulté de preuve, puisque la preuve est fournie par l'acte même. L'évidence acquise écarte l'hésitation; la règle ne s'applique pas.

6) La seconde exception a lieu quand, postérieurement à l'acte attaqué et avant le décès, l'interdiction a été prononcée ou au moins demandée. Il y a, dans ce cas, quoique l'acte soit antérieur à la demande d'interdiction, un indice au moins qui rend vraisemblable l'allégation actuelle. Il y a des constatations faites, d'où il est possible de tirer des inductions; par suite, le fait de la démence n'est plus, comme précédemment, dénué de preuves. D'autre part, les héritiers ont fait ce qu'ils devaient; donc il est juste de ne plus leur dénier le droit d'attaquer un acte qui leur serait préjudiciable. Ni l'une ni l'autre des deux raisons qui expliquent l'article 504 ne se rencontre plus dans l'espèce; l'action en nullité est rendue aux intéressés.

Si l'interdiction a été non seulement demandée, mais prononcée, l'article 503 introduit une règle toute spéciale. L'acte n'est pas nul de droit, comme s'il avait été passé postérieurement à l'interdiction; mais le demandeur n'a pas besoin, pour obtenir l'annulation, de prouver que la démence existait au moment même de l'acte; il suffit d'établir qu'à la date de l'acte la démence était notoire, existait notoirement. Nous

1. Cette considération ne suffirait pas à elle seule pour expliquer l'article 504, car l'impossibilité d'attaquer les actes d'un individu après sa mort, pour cause de démence, est applicable même à des personnes qui n'auraient pas pu provoquer l'interdiction, par exemple aux légataires.

2. Caen 27 janvier 1846, D. P. 1853. V. 271, Sir. 1846. 1, 737.

retrouverons cette règle plus loin, car elle est un effet de l'interdiction, un effet que l'interdiction produit non pas dans l'avenir, mais dans le passé 1.

c) Passons à la troisième exception. Elle s'induit de l'article 901.

On admet que l'article 504, en tant qu'il écarte l'action en nullité après la mort de l'auteur de l'acte, ne s'applique pas aux donations testamentaires et entre vifs qu'aurait faites le dément, d'une manière générale aux actes à titre gratuit. La jurisprudence admet l'annulation des libéralités pour insanité même après la mort du donateur ou du testateur.

Voici comment se justifie cette nouvelle exception à la règle. D'abord on conçoit qu'on admette plus largement la nullité pour une libéralité que pour un acte à titre onéreux; le bénéficiaire de l'acte, donataire ou légataire, qui réalise un bénéfice purement gratuit, est moins favorable que la personne qui paie le bénéfice réalisé dans un acte onéreux. D'ail leurs, relativement aux testaments, il faut inévitablement qu'il en soit ainsi, car le testament n'a d'effet qu'à la mort de celui de qui il émane (article 875); dès lors, ne pas admettre l'action en nullité pour insanité d'esprit après la mort, ce serait l'écarter radicalement, ce qui est inadmissible.

De là l'article 901, commun à la donation et au testament: « Pour faire une donation entre vifs ou un testament, il faut « être sain d'esprit. » Cette condition est suffisante, mais indispensable; donc il y a lieu à nullité dès et par cela seul qu'il y a eu démence de fait, ce qui écarte l'application de l'article 504. Nous retrouverons ces solutions sous l'article 901; elles ne font pas doute en pratique.

Sous réserve de ces trois restrictions, la nullité pour démence de fait disparaît par la mort de l'auteur de l'acte.

1. Infrà, p. 603. La nullité prévue par l'article 503, étant un effet de l'interdiction, est une simple nullité relative, à la différence de la nullité ordinaire pour cause de démence, qui est absolue. Relative, elle ne peut pas être invo quée par la personne qui a traité avec le dément; cette personne ne peut obtenir l'annulation de l'acte qu'en apportant la preuve précise de la démence au moment de l'acte.

2. Fuzier-Herman, Code civil annoté, articles 503, no 41, et 504, no 3. 3. Voy. dès à présent la jurisprudence et les autorités citées par Fuzier-Herman, Code civil annoté, article 504, no 3; Cpr. Dalloz, Supplément au Répertoire, Vo Interdiction, no 181.

CHAPITRE II

DES SITUATIONS DIVERSES AUXQUELLES LA
DÉMENCE PEUT CONDUIRE.

954. Ces situations, selon que la démence est plus ou moins complète, continue et persistante, sont celles qui résultent : 1o de l'interdiction, - 2o de la nomination d'un conseil judiciaire, — 3o de l'internement dans un asile d'aliénés.

Reprenons-les pour les comparer: 1° quant aux causes qui peuvent en motiver l'avènement, 2o quant aux formalités qu'elles nécessitent, - 3° quant aux effets qu'elles produi

sent.

SECTION I. L'interdiction.

955. Il s'agit ici de l'interdiction dite judiciaire, ainsi qualifiée parce qu'elle ne peut résulter que d'une décision judiciaire, jugement ou arrêt ; tous les textes du titre le supposent (articles 498 et 502). On l'appelle interdiction judiciaire par opposition à l'interdiction légale, peine accessoire encourue de plein droit par les condamnés à des peines criminelles, et dont nous avons précédemment parlé sous les articles 25 et suivants 1.

Les articles 489 et 509 fournissent les éléments d'une définition simple de l'interdiction judiciaire. Le premier dit: « Le majeur qui est dans un état habituel d'imbécillité, de « démence ou de fureur doit être interdit.... » — « L'inter« dit, ajoute l'article 509, est assimilé au mineur pour sa «personne et pour ses biens; les lois sur la tutelle des mi«neurs s'appliqueront à la tutelle des interdits. » Donc l'interdiction est une extension de la tutelle; c'est la situation d'une personne qui est mise en tutelle parce qu'elle est dans

1. Suprà, tome I, p. 108 et suiv.

III.

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