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TITRE XI

DE

LA MAJORITÉ, DE L'INTERDICTION ET DU CONSEIL JUDICIAIRE.

939. La rubrique du titre XI indique que trois sujets discincts sont traités dans ce titre; de là les trois chapitres dont 1 se compose.

940. Le chapitre I, sous la rubrique De la majorité, ne contient que le seul article 488. Sur ce sujet, nous n'avons ien à ajouter à ce que nous avons dit précédemment '. Nous vons caractérisé la majorité en parlant de la minorité, qui st son contraire; l'article 488 fait double emploi avec l'artile 388, qui, lui aussi, forme à lui seul tout un chapitre, celui De la minorité, le premier du titre De la tutelle. Nous avons ndiqué ailleurs comment se fait la supputation de l'âge de ajorité ; il se calcule de momento ad momentum 2.

L'effet général de la majorité est indiqué en ces termes par article 488: « A cet àge, on est capable de tous les actes de la vie civile... » La formule est défectueuse sous deux raports.

a) Quant aux actes civils, ce n'est là que le droit commun; comporte des exceptions, des restrictions.

Le texte même de l'article 488 en énonce une, qui est reative au mariage: « A cet âge, on est capable de tous les

1. Suprà, p. 328-329 et 398-399.

2. Ibid., p. 154 et 521.

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« actes de la vie civile, sauf la restriction portée au titre du << mariage. » Cette restriction fait l'objet des articles 148 à 150. Elle n'est pas la seule; il aurait mieux valu dire: «Sauf <«<les restrictions apportées par la loi. » Voici quelles sont les principales.

D'abord, l'article 346 étend à l'adoption une partie des règles édictées quant au mariage par les articles 148 à 150: «<.... Si l'adopté, ayant encore ses père et mère ou l'un des « deux, n'a point accompli sa vingt-cinquième année, il sera << tenu de rapporter le consentement donné à l'adoption par «ses père et mère, ou par le survivant, et, s'il est majeur de vingt-cinq ans,de requérir leur conseil. » Il faut rapprocher de ce texte le décret du 28 février 1810, dont l'article 4 est ainsi conçu : « Le fils qui n'a pas atteint l'âge de vingt-cinq <«<ans ne peut être admis dans les ordres qu'en rapportant le « consentement de ses père et mère. »

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En second lieu, nous avons rencontré déjà certains faits accidentels qui modifient la condition normale des personnes quant aux droits civils: les condamnations judiciaires, qui entrainent certaines privations de droits (articles 22 et suivants), puis l'absence, qui modifie les conditions d'exercice des droits.

Enfin, deux autres restrictions résultent de l'interdiction et de la nomination d'un conseil judiciaire. Même, c'est là le lien qui rattache les deux derniers chapitres du titre IX au premier; ils contiennent des restrictions à la règle énoncée dans l'article 488.

Bref, l'article 488 n'énonce pas une règle absolue quand il dit que les majeurs sont capables de tous les actes de la vie civile, sauf la restriction portée au titre Du mariage. La règle comporte d'autres exceptions. Toutefois, l'article 488 forme le droit commun; en dehors des textes qui y dérogent, il reçoit son application.

b) L'article 488 a tort de limiter l'effet de la majorité aux actes de la vie civile, en d'autres termes aux droits civils. Cet effet s'étend également aux droits politiques. En principe. la majorité politique se confond avec la majorité civile, ce qui confirme l'idée précédemment énoncée, d'après la quelle la qualité de citoyen n'existe plus distincte de la qualité de français.

1. Suprà, tome 1, p. 83 et suiv.

Ici encore, la règle comporte des exceptions. Il est plusieurs droits politiques dont la jouissance est subordonnée à un àge autre que celui de la majorité; ainsi, on ne peut être substitut qu'à vingt-deux ans, juge à un tribunal ou conseiller d'une cour qu'à vingt-cinq ans, juré à trente, député à vingt-cinq, sénateur à quarante. Mais, de même que tout à l'heure, ce sont là des exceptions; en dehors d'un texte formel, le majeur a l'exercice des droits politiques.

941. Telles sont les brèves observations qu'appelle le premier chapitre du titre XI.

942. Les deux chapitres suivants traitent De l'interdiction chapitre II, articles 489 à 512) et Du conseil judiciaire (chapitre III, articles 513 à 515). Il faut y joindre une loi qui a complété et modifié en quelques points le Code civil, loi fortement attaquée depuis bien des années et qu'il est aujourd'hui plus que jamais question de modifier, sans qu'on arrive à s'entendre sur les modifications à y apporter la loi du 30 juin 1838 sur les aliénés. On interdit les fous, on soumet à un conseil judiciaire les faibles d'esprit et les prodigues,on interne les aliénés. Ce sont là des nuances qui seront expliquées plus tard.

943. Dans leur ensemble, le titre XI et la loi de 1838 règlent les effets que produit, les mesures qu'autorise ou nécessite l'insuffisance ou l'altération des facultés mentales. Le lien entre ce sujet et celui du titre précédent est fort apparent.

L'homme arrivé à l'âge de responsabilité, le majeur, a le droit strict de ne dépendre que de lui-même. C'est la portée vraie de l'article 488, quand il ajoute, ayant dit que la majorité est fixée à vingt et un ans accomplis : « A cet âge on est capable de tous les actes de la vie civile. » Liberté et responsabilité, telle est et doit être la loi des majeurs.

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Mais ce principe de droit commun cesse et doit cesser d'être applicable, plus ou moins complètement selon les cas, quand l'homme, quoique majeur, n'est pas sain d'esprit. Le fou est un incapable, inhabile à se conduire, à se protéger lui-même, et souvent dangereux pour les autres ; il ne saurait avoir ce qui constitue par excellence le droit de l'homme, la faculté de ne dépendre que de lui-même. De là vient précisément la qualification générique d'aliénés; l'aliéné est celui dont la

raison a disparu plus ou moins complètement, qui ne se possède plus, qui est réduit, par suite, à dépendre des autres : alienus, aliéné; l'aliénation mentale est l'état de l'aliéné. Sa faiblesse lui vaut le droit que possède l'enfant : celui d'être protégé ; d'autre part, son état exige que l'on protège les autres contre lui. De là les mesures exceptionnelles que la loi prescrit ou permet de prendre.

944. Ces mesures sont de deux sortes, ou du moins s'inspirent d'une double idée.

Les unes sont prises dans l'intérêt de celui qu'elles atteignent; elles s'inspirent d'une pensée de protection individuelle; la loi protège l'aliéné, puisqu'il est inhabile à se protéger lui-même. C'est le principe dominant de l'interdiction, qui peut être définie l'état d'une personne mise en tutelle à raison de l'altération de ses facultés mentales : « L'in<«<terdit est assimilé au mineur, dit l'article 509, pour sa « personne et pour ses biens; les lois sur la tutelle des mi«neurs s'appliqueront à la tutelle des interdits. » La nomination d'un conseil judiciaire tend au même but; on nomme un conseil aux faibles d'esprit et aux prodigues afin qu'ils ne soient pas dupes des embûches qui leur seraient tendues (articles 499 et 513).

Les autres sont des mesures d'intérêt public, prises non plus au profit de l'aliéné, mais contre lui, dans l'intérêt général. Elles s'inspirent d'une pensée de protection sociale; la loi protège le public contre l'aliéné, parce que celui-ci est parfois dangereux pour les autres. C'est le principe de l'internement des aliénés d'après la loi de 1838.

Telles sont, dans leur ensemble, les mesures que l'altération des facultés mentales autorise ou nécessite, et dont nous avons à nous occuper.

945. Commençons par résoudre une question préalable. Ces mesures sont rendues possibles ou nécessaires par l'aliénation mentale. Que faut-il entendre par là ? Cette question ne comporte malheureusement pas de solution en droit ; elle n'est susceptible que de solution d'espèces.

L'aliénation mentale consiste dans l'absence ou l'altération du discernement, d'où résulte que l'homme, au lieu de se gouverner, est le jouet de lui-même et est exposé à devenir celui des autres. Cet état peut se produire avec des symp tômes et des caractères qui varient à l'infini. L'article 489

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ramène à trois les divers genres d'aliénation mentale : « Le « majeur qui est dans un état habituel d'imbécillité, de dé«mence ou de fureur doit être interdit, même lorsque cet « état présente des intervalles lucides. »

L'imbécillité est la faiblesse de l'esprit, avec ses nombreux degrés, l'absence d'idées, dont le dernier degré est l'idiotisme. Le plus souvent, elle est originelle et résulte d'un défaut de conformation des organes; quelquefois, elle est la suite d'excès, de commotions violentes, ou de l'âge, qui parfois amène la décrépitude à lui seul.

La démence est le désordre des idées. L'imbécile n'a pas d'idées ou en a peu; le dément en a, il en a même parfois d'éclatantes, si bien que certains auteurs ont avancé qu'entre le génie et la démence il y a seulement une nuance; ils ont été jusqu'à dire que le génie est une névrose; au moins faut-il convenir que c'est une névrose sui generis1. Seulement, si le dément a des idées, il ne les gouverne pas; il en est le jouet et elles l'égarent.

Enfin la fureur est l'imbécillité ou la démence avec un caractère particulier : l'imbécillité ou la démence exaltée, qui se porte à des excès dangereux pour celui qui les commet, dangereux aussi pour les tiers.

Telles sont les trois variétés légales de l'aliénation mentale, les trois caractères qu'elle peut prendre. L'imbécillité simple et la démence simple exposent principalement celui qu'elles atteignent; c'est dans son intérêt que des mesures doivent ètre prises, afin qu'il ne devienne pas le jouet de ses semblables. La fureur expose à la fois celui qu'elle atteint et la société; c'est dans un double intérêt, privé et public, que des mesures doivent être prises.

946. Sous ce rapport, la classification de l'article 489, en tant du moins qu'elle oppose l'imbécillité et la démence d'une part à la fureur d'autre part, a une certaine portée pratique. Toutefois, on reconnaît communément qu'elle n'a aucune valeur scientifique, et qu'elle a, au point de vue légal, le double défaut d'être incomplète et inutile.

Elle est incomplète. En effet, si l'imbécillité, la démence et la fureur sont des variétés de l'aliénation mentale, elles sont bien loin d'être les seules. Les médecins aliénistes dis

1. Voy. sur ce sujet G. Valbert, M. Lombroso et sa théorie de l'homme de génie, dans la Revue des Deux-Mondes du 1er juin 1897, p. 685 et suiv.

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