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704. Que vaut maintenant la seconde critique dirigée contre le droit actuel celle d'avoir énervé l'autorité paternelle, de l'avoir affaiblie outre mesure? Cela nous conduit, entrant davantage dans le détail, à étudier non plus l'esprit général de la loi, mais les attributs précis de l'autorité paternelle, afin de rechercher s'ils sont vraiment insuffisants. Peut-être convient-il de conclure, ici encore, que le reproche n'est pas fondé, et que, si l'autorité paternelle n'est ni assez forte, ni assez vigilante, cela tient non pas à la loi, mais aux mœurs, qui portent trop souvent les père et mère à ne pas user ou à n'user qu'avec mollesse des droits que la loi leur donne.

Pour justifier cette manière de voir, il faut résoudre successivement deux questions.

1° Quels sont, dans le droit actuel, les attributs de l'autorité paternelle? En cela, la loi de 1889 n'a rien innové, au moins directement; le Code civil reste seul et exclusivement applicable.

2o Comment l'autorité paternelle prend-elle fin? C'est à ce propos surtout que la loi de 1889 a innové. Aux causes d'extinction régulières et normales, admises dès le début, elle a ajouté la déchéance; elle en a énuméré les causes et réglé

les suites.

CHAPITRE I

LES ATTRIBUTS DE L'AUTORITÉ PATERNELLE.

705. Ces attributs sont à la fois les droits et les charges qui sont inhérents à l'autorité paternelle. Elle est, avonsnous dit,l'ensemble des pouvoirs reconnus nécessaires à l'accomplissement des devoirs de paternité. Quels sont ces pouvoirs?

L'énumération complète des textes les visant se trouve dans l'article 1 de la loi de 1889; le législateur les a groupés dans le dessein de marquer exactement les effets des déchéances encourues et d'écarter toute incertitude quant à leur portée : « Les père et mère et ascendants sont « déchus....... de la puissance paternelle, ensemble de « tous les droits qui s'y rattachent, notamment ceux énon«cés aux articles 108, 141, 148, 150, 151, 346, 361, 372 à « 387, 389, 390, 391, 397, 477 et 935 du Code civil, à l'ar«ticle 3 du décret du 22 février 1851 et à l'article 46 de la loi « du 27 juillet 1872. » Le texte dit notamment ; en fait, il n'y en a pas d'autres. Le décret du 22 février 1851 est un décret-loi sur les contrats d'apprentissage; il autorise les père et mère à les passer au nom de l'enfant. Quant à la loi du 27 juillet 1872, c'est la loi sur le recrutement de l'armée ; l'article 46 est relatif aux autorisations nécessaires pour les engagements volontaires avant vingt ans. Cette loi a été citée à tort par le législateur de 1889, car, à la date de la loi du 24 juillet 1889, elle était déjà abrogée et avait été remplacée par la loi du 15 juillet 1889, dont l'article 59 remplace et reproduit l'article 46 de 1872. Il n'y a là qu'un oubli; si la citation est inexacte, le renvoi est fort clair.

Les applications de l'autorité paternelle sont donc multiples. Cependant elles se groupent autour de quatre pouvoirs principaux, qui forment, dans le droit actuel, les quatre attributs de la puissance paternelle.

Les trois premiers sont les corollaires directs des devoirs de paternité: 1° le droit d'éducation, ou droit de diriger l'éducation de l'enfant (articles 372 et suivants), droit qui dérive de ce que les père et mère sont obligés d'élever l'enfant (article 203), -2° le droit de correction (articles 375 et suivants), qui est la sanction du droit d'éducation, — 3o l'administration légale (article 389), qui est plutôt une charge qu'un droit,et se présente comme la conséquence de l'obligation de prendre soin non seulement de la personne, mais des intérêts de l'enfant, de ses biens, s'il en a.

Le quatrième attribut est le droit de jouissance légale (articles 384 et suivants). Il a un caractère différent; il s'explique du moins par des considérations d'un autre ordre; on peut douter qu'il réponde, comme les précédents, à la notion moderne de l'autorité paternelle.

Reprenons ces quatre attributs, qui, dans leur ensemble, forment l'autorité paternelle.

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706. Les articles 372 à 374 y sont relatifs. Ils ont pour objet de conférer aux père et mère les pouvoirs nécessaires à l'accomplissement du devoir d'éducation dont ils sont tenus envers leurs enfants.

707. L'article 203, au titre Du mariage',consacre ce devoir : « Les époux contractent ensemble, par le fait seul du ma«riage, l'obligation de nourrir, entretenir et élever leurs « enfants.» L'obligation de nourrir et d'entretenir comprend tout ce qui est nécessaire à la vie matérielle; celle d'élever tout ce qui est nécessaire au développement moral et intellectuel.

De ce principe de morale naturelle, consacré comme règle le droit, découlent plusieurs conséquences. D'une part, ce ›rincipe implique obligation stricte pour les père et mère de nénager à l'enfant les preuves de sa filiation, afin qu'il puisse aire valoir son droit à l'éducation; il devient ainsi le point e départ de la théorie des actions en réclamation d'état (aricles 56, 323, 334, 340, 341 C. civ., 346 C. pén.)2. D'autre

1. Suprà, tome I, p. 417 et suiv.

2. Suprà, tome I, p. 189, et suprà, no 476.

part, il commande que certains pouvoirs soient mis aux mains des père et mère, afin que ceux-ci soient en état de remplir efficacement leurs devoirs; il devient ainsi le fondement théorique de l'autorité paternelle.

708. Le devoir d'éducation, dans la large acception du mot, est commun aux père et mère; il incombe à chacun d'eux à titre égal et au besoin pour le tout. Ils sont tenus ensemble, dit l'article 203. Sous tous les régimes, il est vrai, c'est le mari qui paie et supporte les frais d'éducation et d'entretien. des enfants, soit comme charge de communauté s'il y a communauté (article 1409), soit comme charge personnelle à laquelle la femme contribue par son apport (articles 1448 alinéa 1, 1530, 1537 et 1540); mais ce n'est là que le résultat d'un règlement entre époux. Sous quelque régime que ce soit, si le mari n'a pas les ressources nécessaires, la femme est tenue personnellement des dépenses faites ou à faire, tant à l'égard des enfants qu'à l'égard des tiers. L'article 1448 alinéa 2 le décide en cas de séparation de biens judiciaire; il en doit être de même sous les autres régimes; c'est une conséquence du principe posé par l'article 203.

709. La jurisprudence parait admettre que les père et mère sont tenus solidairement des frais d'éducation et d'entretien, de telle sorte que chacun d'eux pourrait être poursuivi principalement et devrait être condamné pour le tout, sauf à recourir contre l'autre. Il n'y a là qu'une méprise de langage. En effet, sans doute la femme est tenue personnellement des frais faits pour l'éducation et l'entretien des enfants si le mari n'a pas les ressources nécessaires (article 1448 alinéa 2); mais ce n'est pas à dire qu'il y ait solidarité entre les père et mère à cet égard, de telle sorte que chacun d'eux puisse toujours être poursuivi pour le tout et condamné pour le tout, sauf à recourir ensuite contre son conjoint.

«La solidarité ne se présume point, dit l'article 1202; il «faut qu'elle soit expressément stipulée. Cette règle ne cesse «que dans le cas où la solidarité a lieu de plein droit, en « vertu d'une disposition de la loi. » Or la jurisprudence. quand elle déclare que les époux sont tenus solidairement

1. Fuzier-Herman, Code civil annoté, article 203, no 6 et suiv.; Cass 21 mai 1890, D. P. 1890. I. 337 (note de M. de Loynes), Sir. 1891. I. 81 (note de M. Bourcart).

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des frais d'éducation et d'entretien, n'entend évidemment pas dire que la solidarité a été stipulée d'une manière expresse, qu'elle est conventionnelle; car où trouver la trace d'une convention de solidarité ? L'article 203 dit bien que « les époux contractent ensemble... l'obligation de nourrir..... « leurs enfants » ; mais cela ne veut pas dire qu'il y ait convention de solidarité. Cela signifie d'abord que les époux ont action l'un contre l'autre pour se contraindre au besoin à l'exécution de leurs obligations', en second lieu que la femme même peut être actionnée et condamnée pour le tout si le mari n'a pas les ressources nécessaires, comme le répète l'article 1448 alinéa 2. Donc rien là qui ressemble à une convention de solidarité.

La jurisprudence, parlant d'obligation solidaire, ne peut vouloir parler que d'une solidarité légale ; or aucun texte n'établit cette solidarité et il faudrait un texte pour qu'elle existât. Vainement on invoquerait l'article 203. Le législateur, s'il avait entendu grever les père et mère d'une obligation solidaire, aurait dit qu'ils sont tenus solidairement ; il a dit seulement qu'ils sont «< tenus ensemble ». L'expression n'est pas assez nette pour qu'elle puisse être considérée comme ayant établi un cas de solidarité légale ; elle a été choisie précisément pour écarter l'idée de solidarité et elle est éclairée par l'article 1448 alinéa 2 ; elle signifie que la femme, qui ne peut pas en principe être actionnée, peut l'être, même pour le tout, si le mari n'a pas de ressources suffisantes 2.

710. En règle générale, la loi met donc les dépenses d'éducation et d'entretien à la charge des parents. Dans un cas cependant, ces dépenses cessent d'être à leur charge: quand l'enfant a des biens personnels. Il se peut que les père et mère aient la jouissance légale de ces biens (article 384); aux termes de l'article 385, les charges de cette jouissance sont : «..... 2o la nourriture, l'entretien et l'éduca«tion des enfants, selon leur fortune. » Si l'enfant a des biens dont les père et mère n'ont pas la jouissance, les dépenses d'éducation peuvent être prélevées sur les revenus et portées

1. Suprà, tome I, p. 417.

2. Voy. Laurent, Principes, III, no 43. D. P. 1895. I. 199, Sir. 1894. I. 416.

Cpr. en ce sens Cass. 6 août 1894,

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