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CHAPITRE III

EFFETS DE L'ADOPTION.

674. Les trois adoptions (ordinaire, rémunératoire et testamentaire), qui diffèrent quant aux conditions et quant aux formes, produisent toutes trois les mêmes effets.

Quels sont ces effets? Les textes en révèlent cinq qui sont formels; mais ces textes ne sont pas suffisamment explicites sur la nature et les caractères du rapport général que l'adoption crée entre l'adoptant et l'adopté.

675. Voici d'abord les effets précis, formels et prévus. 1er Effet. L'adoption fait acquérir à l'adopté le nom de l'adoptant; il le joint à son propre nom, dit l'article 347. Avec le nom, l'adopté acquiert les titres de l'adoptant; on l'a mis en doute', mais sans raison, car le titre est une partie du nom.

Ce nom de l'adoptant, la descendance de l'adopté le porte; là est le signe de cette parenté fictive. Il faut ajouter que tous les enfants de l'adopté ont droit au nom de l'adoptant; la règle, qui ne fait pas doute en ce qui concerne les enfants nés après l'adoption, est plus contestable relativement à ceux qui sont nés avant, mais la jurisprudence décide que tous indistinctement y ont droit 2.

Si l'adoption est faite par une femme mariée, elle transmet son nom patronymique, son nom de fille. Si l'adoption est faite par deux époux, leurs deux noms sont transmis à l'adopté, de sorte qu'il se trouve avoir un nom compliqué. 2 Effet. - L'adoption crée entre l'adoptant et l'adopté l'obligation alimentaire (article 349). C'est une extension des

1. Paris 18 juillet 1893, D. P. 1894.II.7, Sir. 1894.II.85. plément au Répertoire, Vo Noblesse, no 24.

Cpr. Dalloz, Sup

2. Conseil d'Etat 12 janvier 1854, rapporté dans Lallier, De la propriété des noms et des titres, p. 52 et 53. V. Adoption, no 42.

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Secus, Dalloz, Supplément au Répertoire,

articles 205 à 207'. Cela découle de ce que la loi considère l'adoption comme une paternité civile. Cette règle doit être rapprochée de celle que renferment les articles 299 et 312 du Code pénal, aux termes desquels le meurtre des père et mère adoptifs est assimilé à un parricide.

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30 Effet. L'adoption crée certains empêchements de mariage (article 348). Ce sont des empêchements simplement prohibitifs; ils tiennent à de pures considérations de bienséance, et ne sont pas mentionnés au chapitre IV du titre Du mariage, lequel relève toutes les causes de nullité 2.

40 Effet. L'adoption donne à l'adopté, dans la succession de l'adoptant, les droits qu'y aurait un enfant légitime (article 350). Cet effet est le plus caractéristique de ceux que produit l'adoption; à vrai dire, elle se résume en un double don celui du nom et de la succession.

Ce n'est pas à dire, il importe de le remarquer, que l'enfant adoptif ait tous les droits d'un enfant légitime. Il a seulement les droits d'un enfant légitime « sur la succession de <«< l'adoptant». Ainsi les donations faites par une personne qui n'a pas de descendants vivants au moment de la donation sont révoquées de plein droit par la survenance d'un enfant légitime du donateur (article 960). Cette révocation se produit-elle lorsque le donateur fait une adoption? Non, car le droit de voir tomber les donations faites avant sa naissance n'est pas, pour l'enfant légitime, un droit de succession; or l'enfant adoptif a seulement les droits de succession qu'aurait un enfant légitime.

Quant à ces droits de succession, il les a tous droit de succession proprement dite (article 731), droit de réserve (article 913). D'autre part, l'existence d'un enfant adoptif met obstacle au retour légal prévu par les articles 351, 747 et 766. La question est discutée de savoir si elle met obstacle au retour conventionnel de l'article 951; question d'espèce et dont la solution doit être recherchée surtout dans l'intention probable des parties 3.

Que l'enfant adoptif ait tous les droits de succession d'un enfant légitime, l'article 350 le dit formellement. Mais il est

1. Suprà, tome I, p. 505.

2. Ibid., p. 331.

3. Fuzier-Herman, Code civil annoté, article 951, n° 28 et 30.

un point que ce texte laisse indécis. Le rapprochement de deux hypothèses l'indique suffisamment.

Il se peut que les décès de l'adoptant et de l'adopté se suivent dans l'ordre naturel; l'adoptant, qui est plus àgé que l'adopté, meurt le premier, et sa fortune passe à l'adopté ; puis l'adopté meurt à son tour et la fortune passe à ses descendants avec le nom. Mais supposons l'hypothèse inverse. L'adopté meurt avant l'adoptant, laissant des enfants. Si l'adopté avait survécu à l'adoptant, il lui aurait succédé ; s'il prédécède, ses enfants succèdent-ils à l'adoptant?

C'est au moins fort douteux. L'adoption moderne n'est plus du tout l'adoption romaine, qui faisait entrer l'adopté dans la famille de l'adoptant; elle se borne à établir des rapports entre l'adoptant et l'adopté; elle est un moyen de lui faire passer nom et fortune. L'adopté reste étranger aux parents de l'adoptant, même aux plus proches, à tel point qu'il ne succède pas aux père et mère de l'adoptant (article 350). Réciproquement, l'adoptant reste étranger aux parents de l'adopté, même aux plus proches. Alors à quel titre les enfants de l'adopté succéderaient-ils à l'adoptant? Il y a des enfants adoptifs, mais il n'y a pas de petits-enfants adoptifs, de même qu'il y a des pères et mères adoptifs, mais non des aïeuls ou aïeules adoptifs; les enfants de l'adopté ne sont pas les petits-enfants de l'adoptant. Aussi les articles 349, relatif à la dette alimentaire, et 350, relatif aux successions, ne parlentque de l'adopté lui-même. Pourquoi, sinon parce que les rapports créés par l'adoption sont limités et n'existent qu'entre l'adoptant et l'adopté ? Quand les textes veulent étendre un effet de l'adoption au delà de cette limite, ils le disent expressément, comme par exemple l'article 358 en matière d'empêchements de mariage. Donc les enfants de l'adopté n'ont aucune vocation personnelle à la succession de l'adopant. Les effets de l'adoption ne leur profitent qu'autant qu'ils se sont réalisés aux mains de l'adopté ; ils les reçoivent alors le lui.

ils

Tel est, en effet, le sentiment des auteurs les plus autoisés. Cependant, la jurisprudence est contraire 1. Il y a, en e sens, quatre arrêts de cassation, dont le dernier est du

1. Voy. les auteurs et les arrêts dans Fuzier-Herman, Code civil annoté, artie 350, nos 4 et 5. Adde: Agen 1er juin 1885, Dalloz, Supplément au Réperpire, Vo Adoption, no 46, note 1, et Sir. 1886.II.63.

10 novembre 1869, plusieurs arrêts de cours d'appel et pas un en sens contraire. Ils portent tous que le lien qui se forme entre l'adoptant et l'adopté s'étend aux enfants de celui-ci; en conséquence, si l'adopté meurt avant l'adoptant, les descendants de l'adopté viennent à la succession de l'adoptant. Ce qui a décidé la jurisprudence, c'est que le but de l'adoptant a été de se créer une descendance fictive et qu'il faut dès lors regarder l'adoption comme produisant les effets nécessaires pour qu'elle atteigne son but. Donc les effets de l'adoption s'étendent à l'adopté et à la descendance de celuici. N'est-ce pas d'ailleurs ce qui résulte de la transmission du nom? Les descendants de l'adopté recueillent le nom de l'adoptant, puisqu'il est devenu celui de l'adopté et qu'ils prennent incontestablement le nom de celui-ci.

Aucune question ne met mieux en présence l'idée ancienne et l'idée moderne de l'adoption. La jurisprudence s'explique par l'influence de l'idée ancienne.

5o Effet. L'adoption donne à l'adoptant et à ses descendants le droit de retour légal (articles 351 et 352). Voici en quoi il consiste.

Le droit de succession résultant de l'adoption n'est pas réciproque; l'adopté succède à l'adoptant, mais l'adoptant n'est pas éventuellement appelé à succéder à l'adopté ; la succession de l'adopté, sa fortune propre est dévolue à sa famille naturelle, comme si l'adoption n'avait pas eu lieu. C'est la conséquence de l'article 348, aux termes duquel l'adopté reste dans sa famille naturelle et y conserve tous ses droits. L'article 351 alinéa 2 le dit d'ailleurs expressément.

Toutefois, l'adoptant ou ses descendants ont éventuellement un droit à faire valoir dans la succession soit de l'adopté, soit de ses descendants. Si l'adopté meurt sans enfants, ou si les enfants qu'il laisse meurent eux-mêmes sans postérité, l'adoptant à droit de reprendre dans leur succession les biens qu'il a donnés à l'adopté et qui y sont encore en nature. Quant aux descendants de l'adoptant, ils ont le droit de reprendre, dans la succession de l'adopté, les biens recueillis par lui dans la succession de l'adoptant ou que celui-ci lui avait donnés; mais ils n'ont le droit de reprendre ces biens que dans la succession même de l'adopté, non dans celle des descendants de l'adopté morts eux-mêmes sans postérité (article 352).

C'est ce qu'on appelle le retour légal, véritable droit de succession, dont la théorie sera étudiée sous l'article 747. Il est conforme à l'intention probable qui a présidé à la création des rapports résultant de l'adoption. En effet, où iraient les biens provenant de l'adoptant, si l'adoptant et ses descendants ne les reprenaient pas quand l'adopté ou ses enfants meurent sans descendants? Ils iraient aux parents de l'adopté, à ses collatéraux. Or, dans la pensée de l'adoptant, le bienfait s'adressait à l'adopté, par lui à sa descendance, non à ses collatéraux. Le retour légal est donc conforme à l'intention des parties.

La succession de l'adopté se divise alors en deux parts; sa fortune propre passe à ses parents et les biens provenant de l'adoptant reviennent à lui ou à sa famille (article 351).

Il reprend les biens donnés qui existent en nature, lors du décès de l'adopté, dit l'article 351, sans préjudice du droit des tiers. En d'autres termes, il les reprend dans l'état matériel où ils sont. De plus, il est tenu de respecter les aliénations consenties par l'adopté donataire, ainsi que les droits réels établis par lui: hypothèque, usufruit, etc. Mais on s'accorde à compléter l'article 351 par l'article 747, relatif au droit de retour légal de l'ascendant donateur. Dès lors, si les objets donnés ont été aliénés, l'adoptant recueille le prix qui peut en être dû; il succède aussi aux actions en reprise que pourrait avoir l'adopté: actions en résolution, en rescision, etc. Enfin l'article 351 ajoute que l'adoptant n'exerce son droit de retour qu'à la charge de contribuer aux dettes. Il y contribue proportionnellement à la valeur des biens qu'il reprend, comparée à celle de la masse des biens de la succession.

Ce droit de retour s'exerce à titre de succession; on l'appelle quelquefois droit de succession anomale, parce qu'il déroge à une règle générale en matière de succession, celle de l'article 732, dont le texte est ainsi conçu: « La loi ne considère ni la nature ni l'origine des biens pour en régler la succession. >>

Au surplus, l'existence du retour légal ne peut être ici que signalée; il se rattache à une théorie dont le siège est ailleurs et dont l'étude sera faite au titre Des successions.

676. Tels sont les cinq effets précis, formels, prévus que

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