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laire décédé ; c'est bien encore un privilège d'aînesse, dont la dévolution, dans l'hypothèse signalée, doit être réglée comme il vient d'être dit1.

657. Tel est le système du droit moderne sur la légitimation des enfants naturels par le mariage subséquent de leurs père et mère. Nous avons dit déjà que c'est le seul mode de légitimation reconnu de nos jours. Ce système législatif a peut-être quelque chose d'un peu étroit; nous verrons bientôt que la jurisprudence a pallié cet inconvénient en déclarant légale l'adoption des enfants naturels.

1. Valette, Cours de Code civil, p. 421.

2. Infrà, p. 298 et suiv.

TITRE VIII

DE L'ADOPTION

ET

DE LA TUTELLE OFFICIEUSE

658. A la suite du titre De la paternité et de la filiation, il n'y a plus, dans le livre I du Code civil, que des titres d'importance infiniment moindre. Non pas qu'ils manquent d'importance au point de vue pratique; car, si le titre De l'adoption n'en a guère, ceux De la puissance paternelle, De la tutelle et De l'interdiction sont d'application quotidienne. Mais ils n'ont qu'une faible importance au point de vue doctrinal; on n'y rencontre plus de systèmes compliqués, plus de théories ou constructions juridiques, rien que des règles pratiques, des dispositions réglementaires. Aussi convient-il de passer rapidement sur ces titres, en s'attachant d'une manière exclusive aux idées les plus générales, sans s'attarder aux détails.

Le titre VIII, qui traite De l'adoption et de la tutelle officieuse, ne nous retiendra qu'un instant. Il complète, s'ajoutant aux trois qui précèdent, la série des titres relatifs à la formation des rapports de famille, à la constitution de la famille. La parenté en est le fondement. Elle peut être légitime; de là le titre Du mariage (titre V), avec celui Du divorce (titre VI), qui en est l'annexe. Elle peut être naturelle; de là les distinctions rencontrées au titre De la paternité et de la filiation (titre VII). Dans les deux cas elle résulte des liens du sang; c'est la parenté proprement dite. Enfin elle peut être fictive, artificielle, et résulter de l'adop

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tion; de là le titre VIII. La suite et l'enchainement des idées sont très apparents.

659. L'adoption, envisagée comme servant de base à des relations de quasi-parenté, est de date récente dans la pratique française. L'ancien droit ne l'a pour ainsi dire pas connue'; c'est seulement en 1792 qu'elle a été introduite. La loi du 18 janvier 1792 porte: « L'Assemblée nationale dé«< crète que son comité de législation comprendra dans son plan général des lois civiles celles relatives à l'adoption. » A quelle pensée cette innovation répondait-elle ?

660. Elle fut d'abord, à n'en pas douter, une manifestation d'ordre politique. L'adoption fut envisagée comme appelée à être une forme de récompense patriotique et nationale. De là l'adoption qu'on a parfois nommée depuis lors adoption publique, c'est-à-dire faite par l'Etat.

L'adoption publique fut pratiquée pendant la période révolutionnaire; la nation adopta la fille du représentant du peuple Lepelletier (décret des 25-27 janvier 1793), le jeune Latour (décret du 15 vendémiaire an II, 6 octobre 1794), le citoyen Jouy (décret du 16 vendémiaire an II), les six enfants de Richer (décret du 23 nivôse an II, 12 janvier 1794). Sous l'Empire, par décret du 7 décembre 1805, Napoléon adopta les enfants des militaires français morts à Austerlitz.

Plus tard, une loi du 13 décembre 1830 décida que la France adoptait les orphelins dont le père ou la mère avait péri dans les journées de juillet 1830, ou par suite de ces journées.

Plus tard encore, un décret du 26 février 1848 déclare que les enfants des citoyens morts en combattant sont « adoptés par la patrie ». La loi du 13 juin 1850 intervient à son tour et dit : « La France adopte les orphelins dont le père « a péri dans les journées ou par suite des journées du 15 mai « et des 23, 24, 25 et 26 juin 18482. »

Il faut signaler enfin le décret du 30 octobre 1870 et la loi du 26 mars 1871. Le décret est ainsi conçu: « La France adopte les enfants des citoyens morts pour sa défense; elle << pourvoira aux besoins de leurs veuves et de leurs familles.

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1. Voy. Viollet, Histoire du droit civil français, p. 486 et suiv.

2. La loi de 1850 a été complétée par un décret du 26 novembre 1851, relatif aux commissions municipales chargées de gérer les intérêts et de diriger l'éducation des orphelins de mai et juin 1848.

«< qui réclameront les secours de l'Etat. » Quant à la loi de 1871, qui est le dernier acte de ce genre, elle statue en ces termes : « La famille du général Lecomte, assassiné à Paris. « est adoptée par la nation. »

L'adoption dont il est question dans ces divers actes est l'adoption publique; le mot est détourné de son sens historique et mème grammatical. Les effets de cette adoption publique sont peu précis ; ils se réduisent en définitive à des pensions ou secours pécuniaires'.

661. A côté de cette adoption publique se place l'adoption privée, faite par les particuliers, celle que le Code civil, en exécution de la loi précitée de 1792, a réglementée. L'adoption privée, en 1792, fut une réminiscence de Rome, à une époque où ces réminiscences étaient de mode. Elle fut, en outre, un rêve philanthropique; on comptait qu'elle servirait à étendre la tutelle des personnes riches sur les orphelins pauvres.

L'adoption ainsi comprise, si elle a pris place dans la loi, n'a pas pris une grande place dans les mœurs; elle n'a, dans la pratique, qu'une importance très restreinte.

Dans les sociétés anciennes, au contraire, notamment à Rome, elle a eu une importance considérable; elle paraît avoir été usuelle et de pratique habituellement répandue. Cela tenait à ce que la famille était constituée civilement; le lien civil y comptait plus que le lien du sang. Elle s'absorbait dans son chef, le paterfamilias; c'est à lui qu'il appartenait, en quelque sorte, d'en régler la composition. De là deux conséquences. D'une part, le descendant émancipé sortait de la famille et perdait tous les droits qu'il y avait; de l'émancipation résultait une capitis deminutio minima, entraînant perte des droits dans la famille naturelle. D'autre part, l'enfant adoptif entrait dans la famille et y prenait,

1. Voy. cependant l'article 3 du décret du 7 décembre 1807, relatif à l'adoption des enfants de soldats morts à Austerlitz : « Indépendamment de leurs noms de baptême et de famille, ils auront le droit d'y joindre celui de Napoléon. Notre grand juge, ministre de la justice, fera remplir toutes les for<< malités voulues à cet égard par le Code civil. » En réalité, l'adoption prononcée par le décret de 1807 est moins une adoption par l'Etat qu'une adoption personnelie faite par Napoléon en dehors des formes et des conditions prévues par le Code civil. Du reste, le décret ne dit pas que les enfants dont il s'agit sont adoptés par la nation, par l'Etat ; il dit : « Nous adoptons, » Voy. le texte dans Dalloz, Répertoire, Vo Adoption, no 22, en note.

à tous égards, la place et les droits d'un enfant véritable; l'adoption était l'imitation parfaite de la nature. Dans un état social ainsi constitué, on comprend l'importance de l'adoption; elle était un mode normal de recrutement de la famille, par suite un des principaux ressorts de ce puissant mécanisme qu'on appelait la famille romaine'.

De nos jours, des idées différentes ont prévalu. Les liens du sang forment la famille. On n'admet pas qu'ils puissent être brisés; l'émancipation n'a plus ses effets d'autrefois; elle ne fait plus perdre aucun droit et modifie seulement l'autorité des père et mère ou du tuteur sur l'émancipé. On n'admet pas davantage qu'ils puissent être imités artificiellement; l'adoption, elle aussi, n'a plus ses effets d'autrefois. Quoique rétablie sous son ancien nom, elle reçoit un caractère tout autre que celui qu'elle avait jadis. D'une part, l'adopté ne sort pas de sa famille naturelle (article 348); il y garde ses droits, il y conserve ses devoirs; rien n'y est changé pour lui. D'autre part, il n'entre pas dans la famille de l'adoptant, en ce sens au moins qu'il reste un étranger pour les parents de l'adoptant (article 350). La parenté adoptive, si tant est qu'il faille lui donner ce nom, n'existe que dans les rapports de l'adoptant et de l'adopté; encore ce rapport limité diffère-t-il notablement de celui qui provient de la parenté naturelle, notamment en ce que les droits qui en résultent ne sont pas réciproques: l'adopté est bien appelé à succéder à l'adoptant (article 350), mais l'adoptant n'est pas appelé à succéder à l'adopté (article 351).

Dès lors, l'adoption moderne n'a plus rien de l'ancienne, si ce n'est le nom. Elle n'est plus que la forme d'un bienfait, un lien qui unit le bienfaiteur à l'obligé. On peut la définir ainsi un moyen de s'attacher par un lien légal une personne plus jeune, à laquelle on veut donner son nom et laisser sa fortune. C'est à cela, en effet, qu'elle se borne aujourd'hui. Elle laisse l'adopté dans sa famille naturelle; elle crée entre lui et l'adoptant un rapport analogue à celui qui résulte de la filiation en ce qui concerne la transmission du nom (article 347) et de la fortune (article 359).

662. Même ainsi transformée dans son caractère et notable

1. Voy. Girard, Manuel élémentaire de droit romain, p. 162 et suiv., Daremberg et Saglio, Dictionnaire des antiquités grecques et romaines, • Adoptio.

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