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CHAPITRE II

DES ACTIONS AUXQUELLES PEUVENT DONNER LIEU LES QUESTIONS DE FILIATION.

621. Nous les avons toutes rencontrées incidemment en traitant des preuves. Elles sont au nombre de trois : 1° l'action en réclamation d'état, 2° l'action en contestation d'état, 3o l'action en désaveu. Rapprochons-les pour leur assigner exactement leur caractère respectif.

L'action en réclamation d'état est celle par laquelle on prétend se faire attribuer un état de filiation auquel on soutient avoir droit.

Les actions en réclamation d'état sont: l'action en recherche de filiation légitime, aux termes de l'article 323, -- et l'action en recherche de paternité ou de maternité naturelle, aux termes des articles 340 et 341. Ce sont là des actions en réclamation d'état proprement dites.

Quelquefois, l'action en réclamation d'état se présente sous le nom et sous la forme de l'action en réclamation de légitimité. Elle suppose la filiation établie ou non contestée; le réclamant prétend seulement prouver que sa filiation est légitime, c'est-à-dire, en définitive, que ses père et mère étaient mariés ou se sont mariés après la reconnaissance, ce qui l'aurait légitimé. L'action en réclamation de légitimité n'est donc pas autre chose que l'action en preuve du mariage de la part de l'enfant.

L'action en contestation d'état est celle par laquelle on prétend enlever à une personne l'état qu'elle possède en fait, soutenant qu'elle n'y a pas droit.

Elle est ouverte dans deux cas : 1o en matière de filiation légitime, quand la filiation est établie par titre, sans qu'il y ait possession d'état,ou quand elle est établie par possession d'état, sans qu'il y ait titre (article 322), — 2o en matière de filiation naturelle,quand la filiation est établie par une reconnaissance

et que cette reconnaissance est contestée (article 339). Dans les deux cas, on est en présence d'une action en contestation d'état proprement dite.

Quelquefois, l'action en contestation d'état se présente sous le nom et la forme de l'action en contestation de légitimité. Elle suppose que la filiation n'est pas mise en question, mais seulement la légitimité. Le demandeur soutient que les père et mère n'étaient pas mariés ou que leur mariage n'est pas valable; en d'autres termes, il conteste la validité ou l'existence du mariage. De même que l'action en réclamation de légitimité n'est pas autre chose que l'action en preuve du mariage de la part des enfants, l'action en contestation de légitimité n'est, le plus souvent, que l'action en nullité du mariage.

Cependant il peut y avoir lieu à contestation de légitimité sans que le mariage soit mis en cause. Il en est ainsi dans deux cas.

1o Dans le cas de l'article 315. Un enfant est né plus de trois cents jours après la mort du mari de la mère ; il a été inscrit sous le nom du mari et prétend aux droits qu'il aurait comme fils de celui-ci. Les intéressés lui contesteront utilement sa légitimité (article 315), sans avoir besoin de faire prononcer la nullité du mariage. S'ils réussissent dans leur action, l'enfant restera enfant naturel de la mère.

2o Dans le cas de l'article 331. Un enfant né hors mariage a été légitimé par le mariage subséquent de ses père et mère. Les intéressés, sans nier ni attaquer le mariage, contesteront utilement la validité de la légitimation en soutenant qu'une des conditions exigées fait défaut. La filiation n'est pas mise en question, le mariage non plus; cependant il y a action en contestation de légitimité.

L'action en désaveu a un caractère mixte; elle est à la fois une action en contestation d'état et en contestation de légitimité. Par rapport au mari, elle est une action en contestation d'état, car, si elle réussit, l'enfant désavoué cessera d'être l'enfant du mari; donc elle met en question la paternité. Par rapport à la mère, elle n'est qu'une action en contestation de légitimité, car, si elle réussit, l'enfant n'en restera pas moins enfant de la femme; seulement il ne sera plus légitime; il sera, selon les cas, enfant naturel simple, enfant adultérin ou incestueux.

622. Telles sont les trois actions relatives à la filiation. Elles ont toutes trois une importance considérable, parce que les rapports de filiation sont le fondement des droits de famille, et, par suite, de la plupart des droits civils. De là quelques particularités que présente l'exercice de ces actions. Parmi ces particularités, les unes sont communes à toutes les actions relatives à la filiation, les autres sont spéciales à quelques-unes seulement. Elles sont au nombre de cinq; les deux premières sont déjà connues et nous ne les rappelons que pour mémoire.

623. La première n'a qu'un intérêt de procédure, intérêt secondaire par là même. Elle consiste en ce que les actions. soit en contestation, soit en réclamation d'état, soit en désaveu, si elles sont portées en appel, doivent être jugées en audience solennelle (décret du 30 mars 1808, article 22)', c'est-à-dire, d'après la loi actuelle d'organisation judiciaire, par neuf juges au moins (loi du 30 août 1883, article 1). Comme elles ont une grande importance, le décret de 1808 exige, pour statuer en dernier ressort, un plus grand nombre de juges; il y a présomption qu'on réunit alors plus de lumières. En résulte-t-il des garanties réellement plus grandes de bonne justice? Il est permis de le contester. Au point de vue pratic'est une particularité digne de remarque.

que,

La règle, d'ailleurs, n'est pas précisément spéciale aux actions relatives à la filiation; il en est de même pour toutes les actions relatives à l'état des personnes : questions de nationalité, de mariage, etc. Nous avons vu précédemment qu'il est fait exception quant aux demandes en divorce, qui sont portées à l'audience ordinaire (article 248, modifié par la loi du 18 avril 1886)2.

Les termes du décret de 1808 sont généraux et semblent dès lors devoir être toujours appliqués. Toutefois la jurisprudence fait une distinction. Elle admet que la règle cesse Têtre applicable lorsque la question n'est soulevée qu'incidemment à une demande qui reste l'objet principal du débat, par exemple incidemment à une question de liquidation de succession. Le juge du principal reste alors compétent pour statuer sur la question incidente; à moins cependant que cette question, quoique soulevée incidemment, ne fasse l'ob1. Suprà, tome I, p. 164.

2. Suprà, n° 416.

jet de conclusions spéciales, de manière à devenir alors un chef distinct de demande devant être discuté et jugé séparément, auquel cas la règle redevient applicable '. Il y a là diverses distinctions à faire, pour le détail desquelles nous ne pouvons que renvoyer à l'étude de la procédure 2.

624. La seconde particularité, que nous ne rappelons aussi que pour mémoire, est spéciale à certaines actions relatives à la filiation. Elle a trait à la prescription. L'action en réclamation d'état, aux mains de l'enfant qui réclame son état, est imprescriptible (article 328); elle est prescriptible aux mains de tout autre que lui. L'action en désaveu ne peut être intentée que dans un délai très court; nous avons vu pourquoi et quel il est (articles 316 et 317) 3.

625. La troisième particularité est plus importante. Elle résulte de l'article 327: « L'action criminelle contre un délit « de suppression d'état ne pourra commencer qu'après le ju«gement définitif sur la question d'état. » Elle consiste en ce que, toutes les fois qu'une question de filiation se pose par suite d'un fait qui constitue une infraction à la loi pénale, le civil (cette formule est consacrée) tient le criminel en l'état. Voici ce que signifie cette formule, quelle en est la portée pratique et quels en sont les motifs.

626. Précisons les faits. On peut en citer plusieurs.

1° Un officier de l'état civil a commis un faux en rédigeant l'acte de naissance; par exemple, il a inscrit un enfant sous le nom d'un père et d'une mère autres que ceux qui lui ont été indiqués par les déclarants. L'enfant, par suite du faux commis, se trouve n'avoir pas son état véritable; il y a suppression d'état quant à la famille véritable, et supposition d'état au regard de la famille à laquelle l'enfant est faussement rattaché. C'est un crime (article 146 C. pén.).

2o Ce sont les déclarants qui ont donné de fausses indications et attribué à l'enfant une filiation qui n'est pas la sienne. Ici encore, toujours à raison de la manière dont l'acte a éte rédigé, il y a suppression de l'état véritable et supposition de

1. Cass. 9 juillet 1879, D. P. 1879.I.413, Sir. 1880.1.241 (note de M. Labbé). 14 décembre 1880, Le Droit du 6 mai 1881, Chambéry 23 février 1883, Le Droit du 11 avril, Cass. 18 janvier 1888, Sir. 1888.I.256.

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2. Voir l'étude déjà citée de M. Balleydier sur Les questions d'état devant les cours d'appel, dans les Annales de l'Université de Grenoble, tome IV (1893).

3. Suprà, p. 195 et suiv.

l'état attribué. C'est encore un crime (article 363 C. pén.). 3o L'acte ayant été bien dressé, l'enfant a été enlevé, et possède un autre état que le sien; ou bien il y a eu substitution d'un enfant à un autre. Il y a encore suppression et supposition d'état.

"

Tous ces cas et autres semblables sont prévus concurremment par l'article 345 du Code pénal: « Les coupables d'enlèvement, de recélé ou de suppression d'un enfant, de subs«titution d'un enfant à un autre, ou de supposition d'un <«< enfant à une femme qui ne sera pas accouchée, seront punis de la réclusion.....

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Le fait prévu, sous quelque forme qu'il se produise, donne lieu à deux actions: 1° une action civile, l'action en réclamation d'état au profit de l'enfant et en contestation d'état contre lui, 2o une action publique, ouverte pour faire punir l'auteur du fait coupable.

627. D'après le droit commun, quand un fait donne ainsi lieu à une action civile et à une action publique, ces deux actions sont, en principe, indépendantes l'une de l'autre, car elles se meuvent dans des sphères différentes. D'une part, elles n'ont pas le même but: l'action civile est relative. à l'intérêt civil engagé, l'action publique à l'application de la peine; d'autre part, elles ne sont pas exercées par les mêmes personnes l'action civile appartient à la partie intéressée, la partie civile, l'action publique au ministère public. Elles sont indépendantes en ce sens que la partie civile et le ministère public peuvent agir librement, chacun dans la sphère qui est la sienne; le droit de l'un n'est nullement subordonné au parti que prend l'autre (article 4 C. d'inst. crim.). En n'exerçant pas l'action civile, la partie civile ne fait pas obstacle à ce que le ministère public agisse au criminel; réciproquement, le ministère public, en n'exerçant pas l'action publique, ne fait pas obstacle à ce que la partie civile agisse au civil. Seulement, lorsque les deux actions sont intentées concurremment, l'une par la partie civile devant les juges civils, l'autre par le ministère public devant les juges de répression, le juge civil, quoique régulièrement saisi, doit surseoir jusqu'à ce qu'il ait été statué par le juge criminel sur l'action publique intentée et actuellement pendante. On dit en ce sens et en ce sens seulement que, d'après le droit commun, le criminel tient le civil

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