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DESCRIPTION DU PAYS.

Quelques mots sur le village de Peyrolle, par M. GIRAUD, docteur en médecine, Membre actif de la Société.

Depuis sa source jusqu'à son embouchure, la Durance d'abord léger ruisseau, acquiert de l'importance à mesure que les torrents des Alpes viennent se jeter dans son lit. Son cours rapide et vagabond traverse tantôt des espaces resserrés par des rochers, tantôt des plaines assez vastes, où son impétuosité lui a fait tracer des sillons nombreux à dimensions gigantesques, au fond desquels se trouve un gravier siliceux dont les galets à bords arrondis témoignent de la turbulence dé la rivière.

Il est admis comme expression de la vérité que toutes ces plaines n'ont été jadis que des fonds recouverts par des amas d'eau formant une série de lacs dont les digues se sont usées suivant une marche linéaire indiquée par le cours lui-même de la Durance, laissant ainsi peu à peu à sec ces fonds spacieux où l'on trouve maintenant des villes, des villages, des bourgs et des campagnes fertiles.

De toutes ces plaines successives, il en est une sur laquelle mes yeux se portent avec un sentiment plus élevé que la simple curiosité, parce qu'elle fut témoin de ma naissance, de mes premiers jeux d'enfant et de mes premières pensées d'art et de science.

Cette plaine limitée au nord par la chaine du Léberon, à l'est par les rochers escarpés et la brêche de Mirabeau, au sud par les collines de Jouques, de Peyrolle, de Meyrargues et de Venelle, et tout-à-fait à l'ouest par le plateau du Puy Ste-Reparade et la brêche un peu large dans laquelle passe la rivière, peut avoir environ trois lieues. de long sur une lieue de large.

C'est dans cette étendue de terrain que sont bâtis, vers la partie orientale, le village de Peyrolle; vers le midi, celui de Meyrargues et vers le couchant St-Canadet et le Puy Ste-Reparade.

Chacun de ces petits endroits offrirait bien quelqu'intérêt de description; mais les circonstances me forcent pour le moment à ne dire que quelque chose du premier. Peyrolle. Ce village dont la population est de douze cents ames, est situé à une lieue de Jouques, à une lieue de Meyrargues, à deux lieues de Pertuis et du Puy SteReparade, et à trois lieues de la ville d'Aix. Sa distance de la Durance n'est que d'un quart de lieue.

Son territoire est en partie montagneux et en partie en plaine. La partie montagneuse, assez boisée, est établie sur un terrain silico-calcaire sur lequel végètent assez bien les chênes verts et blancs, les pins, les oliviers, les amandiers, les vignes et quelques plantes légumineuses qui ne redoutent pas la sécheresse, car cette portion du territoire n'a pour ressource d'arrosage que celle de la pluie. Il en est tout autrement de la plaine. Elle offre un aspect riant de verdure continuellement alimentée par l'abondance des eaux qui lui viennent de Jouques et de la Durance. Ces eaux se distribuent presque partout au moyen de canaux d'irrigation et des ruisseaux qui en dérivent et vivifient les nombreuses prairies qui avoisinent le village et qui s'étendent au loin dans la plaine. Les arbres fruitiers n'y sont pas rares; mais il est douloureux d'être obligé de dire que la population ne fait pas mettre à profit les avantages du terrain qui pourrait être couvert de magnifiques vergers dont les produits seraient pourtant une source de plus de prospérité. Ce qui le prouve, ce sont ces belles pépinières qu'y avait établies un horticulteur distingué de la ville d'Aix, M. MICHEL de Calissane qui a fourni un si grand nombre de sujets de toute espèce au territoire même de Marsei"

Les habitants se livrent de préférence à la culture du murier qui leur fournit une double récolte: l'une pour l'éducation des vers à soie et l'autre pour augmenter les paturages d'hyver, d'ailleurs si abondants et dont ils trouvent un si facile débouché sur la ville d'Aix.

La route royale de seconde classe qui conduit aux basses et hautes Alpes, traverse les faubourgs du village et ajoute aux produits en céréales, en vin, en huile, en fourrage et autres denrées, le produit éventuel provenant du passage des étrangers.

Les gens du pays sont en général peu portés aux ambitions scientifiques; contents du patrimoine dont-ils jouissent et qui suffit à leurs besoins de sobriété, ils vivent ordinairement d'une manière patriarchale. L'exiguité d'instruction qu'ils acquièrent les rend accessibles à la crédulité et à la superstition. L'histoire bien connue de certain sourd et muet, qui n'était ni l'un ni l'autre, et que la population se complut à canoniser sans le secours du St-Père, vient à l'appui de mon assertion. Cependant, de puis ce temps là, les miracles n'ont plus été de saison dans le pays.

Les principales distractions de cette bienheureuse colonie sont pour les jeunes gens: la danse à laquelle ils se livrent avec une sorte de frénésie, les jeux de boule et le cabaret; pour les vieux, c'est presqu'exclusivement le cabaret et les jeux de carte arrosés de force bouteilles de vin.

On trouve dans le pays qui est chef-lieu de canton, un juge de Paix, un receveur d'enregistrement, un notaire, un curé, une brigade de gendarmerie et un bureau des postes.

A l'extremité ouest du territoire, est un terrain actuellement complanté en vignes où le défrichement a fait découvrir des tombes formées avec de grandes briques vernies en partie. Les fouilles n'ont jamais été assez profondes,

assez étendues,ni conduites d'une manière assez intelligente pour avoir pu profiter à l'archéologie. Un jour viendrapeutêtre où ces fouilles pourront apporter quelque lumière sur l'histoire de la contrée. J'ai en ma possession les ossements d'un squelette complet recueilli aux environs d'une chapelle située non loin des tombes dont il a été parlé ; mais ce squelette qui n'était pas le seul dont j'aie pu appercevoir des vestiges, ne parait pas appartenir au même temps que les tombes désignées. Il parait être l'un des sujets qui avaient été inhumés au cimetière de la chapelle, tandis que les tombeaux semblent remonter à une époque plus reculée et pourraient bien être les indices de quelque combat entre des peuples rivaux.

A propos de la chapelle qui est sous le patronage de Notre-Dame des tours, il n'est pas hors de propos de dire un mot de la fête à laquelle elle donne lieu chaque année.

C'est le dimanche après le huit septembre, qui est ordinairement désigné pour la fête patronale du lieu.

Tout ce qu'il y a de luxe possible au pays, se montre lors au grand jour. Chacun, depuis le ministre de la relizion jusqu'au plus mince habitant, se pare des vêtements les plus recherchés de sa garderobe, et cette parure reflue jusques sur le modeste compagnon des champs. Le mulet, le cheval et l'âne même, sont revêtus des housses improvisées dont on dépouille momentanément chaque lit. Les couvertures de diverses couleurs dont on affuble ces divers coursiers, ne laisse pas d'offrir un coup d'œil pittoresque qui a quelques charmes pour celui qui sait apprécier la simplicité des mœurs champêtres.

Dés le matin, au lever du soleil, les tambours monstres des romerages invitent de leur roque roulement les habitants du pays à se diriger en pélérinage vers le lieu saint situé à demi lieue du village. Chaque famille dispose les

moyens de transport dont elle peut jouir. Des tentes sont placées sur les charrêtes les plus légères et les uns dans ces modestes équipages, les autres sur les montures enjolivées se dirigent à la file vers le lieu sacré du rendez-vous. A pied ou à cheval, presque tous les citoyens du village s'acheminent; grands et petits, tout marche la joie dans le cœur.

Aux alentours de la chapelle, tout couverts de gazon, se trouvent çà et là des rafraichissements de différente sorte, des fruits d'été parmi lesquels la pastèque tient le premier rang, des gateaux plats et ronds ornés de faveurs roses et d'amandes sucrées. Des marchands foraias y étalent des boutiques de quincaillerie.

Devant la porte de la chapelle s'élève un gigantesque alisier qui rehausse le coup d'œil de ce paysage mouvant où chacun se presse, s'agite et finit par se recueillir; car l'office de la messe but du pélérinage commence. L'intérieur de la chapelle quoique spacieux, ne suffit pas à contenir la foule empressée et la messe est entendue en grande partie sous la vaste coupole azurée. Les instruments qui doivent servir aux cérémonies profanes de la danse et des courses font entendre leur bruyant concert: c'est le moment de l'élévation et d'un mouvements pontané, tout le monde fléchit le genou devant le rédempteur. Cette génuflexion qu'accompagne le silence de la foule prosternée, vaut à elle seule une fervente prière.

L'office terminé, chacun reprend sa gaité folâtre, sa monture et son équipage pour regagner le chemin du logis. Heureuse est la matinée, lorsque nul conducteur trop distrait ne laisse verser sa voiture chargée de jeunes filles, lorsque nul cavalier ne laisse emporter sa monture poussée par la trop grande envie d'arriver à l'étable et lorsque le langage bruyant et répété comme un écho sans fin des tardigrades aux longues oreilles ne les fait pas livrer

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