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L'abbé tisse un dialogue entre Paschase, Aliton et Ménippe et le premier interlocuteur expose le plan de la théodicée et le but qu'elle se propose : toucher, convaincre, convertir avec des arguments émotifs tirés même des « Pensées ». Or Aliton réfrène le prosélytisme de Pascal, car lui dit-il : « il ne faudroit pas vouloir gagner les hommes par l'esprit, mais il faudroit les prendre par le cœur et le sens commun, s'emparer adroitement de ces deux parties de notre âme par où nous aimons toujours à estre vaincus ». Il démontre à Pascal tout le danger des preuves scientifiques; l'ironiste est dur à vaincre, l'anatomie du ciron lui semble plaisante et il demande si Pascal croit ainsi l'effrayer. Le mot est joli et adroit. Montfaucon de Villars mangeait et buvait avec capacité; il n'avait pas d'entérite et ne pratiquait point l'austérité. Pour lui, Pascal a de l'esprit jusqu'au prodige : « mais il fait toujours une manière de défi à notre esprit de trouver de quoi se défendre ». Il suppute avec Pascal « la conséquence de son mépris des raisons métaphysiques et les suites de cet aveu si surprenant que vous ne vous sentiriez pas assez fort pour trouver dans la nature de quoy convaincre les athées... Voulezvous fonder une secte contre le raisonnement en faveur de l'instinct naturel, renverser les bancs de Sorbonne et démolir les Universités? » L'abbé plaisante; nul esprit sérieux ne se plaindrait de renverser un enseignement doctoral, des étroitesses d'école qui ont une vertu rétrograde et une force passive dans tous les temps. Pour Montfaucon, les preuves de saint Thomas et de saint Bonaventure suffisent. La Providence a charge

de satisfaire les mystères du cœur. « Il suffit, conclut-il, de chercher Dieu de tout son esprit. » Quant au problème du pari, le jeu de croix et pile, il les juge une idée basse et puérile, et pour peu, il traiterait Pascal de casuiste; c'est un comble!

Sainte-Beuve, généralement exact, commet à l'égard de Villars une erreur homonomastique; il le confond avec Henry de Villars, archevêque de Valence, et lui consacre une brève mention : « Cette critique assez fine et assez justement touchée est faite au point de vue chrétien et au sens des Jésuites... Mais cette flèche légère venant d'un homme léger fut peu remarquée et ne porta point. » Le dialogue et son auteur valaient mieux; mais il s'était affiché ennemi des singuliers et de Port-Royal, par réaction contre le rigorisme et aussi par habileté, il fit cause commune avec les Jésuites « Les Entretiens d'Ariste et d'Eugène » du P. Bouhours dépassèrent l'usage et l'étymologie des mots. Il y eut des polémiques, et Montfaucon prit part à l'une, à son désavantage avec l'avocat janseniste Barbier d'Aucour, à une autre avec Ménage qui infligea une leçon méritée au père jésuite. Barbier d'Aucour académicien disserta contre le P. Bouhours. Dans les « Sentimens de Cléante sur les Entretiens d'Ariste et d'Eugène », il y malmenait le grammairien pour ses emprunts non cités et ses démarcations à peine contrefaites. Montfaucon de Villars eut tôt fait de prendre sa défense dans ses dialogues « De la Délicatesse ». Malgré la promesse du titre, il s'abandonna à sa verve sans songer que les Jansénistes n'aimaient pas le rire et auraient le tour amer quand ils

se défendraient. On y relèvera cependant des traits bien piquants; son début dut ébahir : « En est-il des auteurs comme des femmes galantes? » Et Paschase de répondre « On trouverait peut-estre plutost une femme qui n'eut fait qu'une galanterie qu'un auteur qui n'eut fait qu'un livre. » Ce n'est qu'une amorce et Villars se retrouve en de tels propos : « Il ne faut écrire que pour la postérité surtout en ce siècle. Il est si délicat qu'il est impossible de faire un livre qui lui plaira. Les romans ne sont pas du goût du siècle; c'est que comme on les a faits, les romans ne prennent pas le tour du cœur, ils inventent une manière d'amour que la seule imagination autorise; ceux qui n'aiment pas pour se marier n'y trouvent pas leur compte. Le mariage est un ouvrage de la raison toute seule ; le cœur n'a guère eu de part à cette invention... » Voilà des opinions hardies et frustres qui durent étonner plus d'un, même ceux qu'elles voulaient défendre. Plus loin, Montfaucon, discourant sur le roman, genre littéraire pour quoi il a du goût, avoue qu'il est difficile d'écrire un roman licencieux qui réussisse. « La Princesse de Montpensier» est à son sens un petit chef d'œuvre; plus loin, il esquisse l'économie du succès des livres; elle est tout entière, selon lui, dans « l'adresse avec laquelle nous savons mettre le cœur de nostre costé ». Enfin, il en vient à défendre le P. Bouhours en avançant qu' « un jésuite a autant de louange à bien discourir de la mer, des devises, du bel esprit, qu'un capucin à bien parler de la pénitence ». Et maintenant qu'il a en main son arme : l'ironie, il frappera à coups plus ou moins justes sur

Barbier d'Aucour, parfois avec un esprit et un art qui montrent la finesse de son raisonnement et la délicatesse de sa langue. Qu'on en juge.

<< Pourquoi n'est-il pas permis de railler les Allemans de leur passion déréglée pour le vin et d'en détourner les François qui pourroient y avoir quelque pente, en disant que l'yvrognerie hébête et oste l'esprit ? Cléante ne boit point d'eau sans doute, car il prend le parti du bel esprit des Allemans et dit qu'ils ont trouvé l'artillerie, l'imprimerie et le compas de proportion... Quoy qu'il ne s'en suive pas de là qu'on soit bel esprit, il faut contenter Cléanthe et luy dire qu'apparemment le moyne qui inventa l'artillerie ne s'enyvroit pas ; que celuy qui apporta l'imprimerie de la Chine avoit desaccoutumé le vin dans son voyage et que celuy qui a trouvé le compas de proportion ne buvoit peut-estre que de la bière. De sorte qu'à cette question d'Eugène, il faut distinguer, un Allemand peut-il estre un bel esprit? S'il est yvrogne, non ; s'il ne l'est pas, à la bonne heure en faveur du bon voisin Cléanthe, à condition toutes fois que l'Allemand mettra de l'eau dans son vin... »

Ces galejades trop nombreuses chez l'abbé furent sévèrement relevées. M. de la Monnoye, tout en reconnaissant le talent de Villars, lui reproche de s'être « cru nécessaire au P. Bouhours et (n'avoir) pas jugé à propos de suivre ce père dans l'indifférence où il s'est mis pour souffrir généreusement les reproches des critiques »... et Montfaucon de Villars qui félicita le père jésuite d'avoir montré aux gens de cœur comment

ils doivent parler, sans libertinage des femmes et de la galanterie : " en gens du monde, en gens de cour et non pas en jésuites », reçoit ainsi sa récompense : « Voilà ce que M. l'abbé semble avoir dit de plus régulier dans son livre, et tout ce qu'il a avancé sur les autres points pour faire mine de repousser les accusations du critique, ne paraît guère moins cavalièrement débité. Il pouvait ne point se donner tant de peine ou faire quelque chose de meilleur... » Ces reproches ne sont pas tous immérités; Barbier d'Aucour y revient dans sa 4e édition.

Quant à la placidité du P. Bouhours, elle est contestable. Ce bourgeois de Paris fut très sensible à la défense de Villars et lui en écrivit une lettre reconnaissante dont Ménage a reçu l'original des mains du destinataire. Le père jésuite montra une spécifique petitesse d'esprit dans une chicane de mots. Ménage qui publiait ses Observations sur La Langue française était en relations avec le P. Bouhours qui souhaita son amitié et échangeait avec lui des remarques. Or le doux (?) P. Bouhours se retourna avec violence contre Ménage à l'occasion du mot Salemandre, Salamandre ou Salmandre ('); Ménage le trouve employé sous ces diverses formes dans Rabelais, Belleau, Ronsard, l'abbé de Villars et... le P. Bouhours. Trouver du talent à Rabelais, aux yeux du P. Bouhours, c'est un crime; aussi vitupéra-t-il contre Ménage à qui il reproche en tant que grammairien (!) d'avoir lu Coquillard le poète rémois et Rabelais,

1. Annexe III.

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