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en plus, on se secoua un peu; nobles et francs-archers comprirent la nécessité de s'arracher de leurs foyers pour défendre leur pays. Tandis que les uns s'éparpillaient dans les garnisons, les autres se dirigeaient vers l'ost du duc. Celui-ci avait convoqué à Nantes les Etats de son duché pour leur exposer les nécessités de la chose publique ils votèrent un nouvel impôt de guerre de 73 s. 6 d. par feu, recouvrable en deux termes, 1er septembre et 1er novembre prochains. Et comme il fallait de l'argent comptant, ils décrétèrent un emprunt forcé de 207,000 livres, réparti entre les neuf diocèses de Bretagne, exigible des nobles comme des roturiers, et dont le clergé devait immédiatement fournir le quart. Le duc promulgua ces décisions et il en régla l'exécution par deux ordonnances du 12 juillet 1488, longuement motivées, presque en mêmes termes. Celle de l'emprunt forcé dit : « Comme.... soit ainsi que à » present le Roy... ayt fait et face assembler plus grant nombre de » gens de guerre que oncques mais, pour aller mectre le siége de>vant nostre place et ville de Foulgières ou ailleurs lequel siége » entendons... à l'ayde de Dieu et de noz bons parens, amys et > alliez, et service de noz bons et loiaulx subjectz, lever, et com» batre nosdiz adversaires et les expulser et mectre hors nostre >pays. Pour quoy faire ayons fait assembler et mectre sus nostre »ost et armée qui à present est aux champs, et sont venuz à nostre » secours et ayde pluseurs noz bons parens, amys et alliez, avec » grant nombre de gens de guerre des pays subjectz à nosdiz > alliez pour la soulde et entretenement de tout quoy soyt très >> necessairement requis avoir presentement grandes sommes de » finance... » etc.1.

L'armée que le duc rassemblait ayant pour objectif la levée du siége de Fougères, sa base d'opération et son principal lieu de réunion fut nécessairement Rennes.

Quant aux gens de guerre envoyés au secours du duc par ses amis et alliés, ce sont les auxiliaires étrangers qui figuraient dans l'armée bretonne. Il est bon de déterminer combien et qui ils

Reg. de la Chane. de Bret. de 1487-88, f. 221 r. L'ordonnance ou mandement du fouage de 73 s. 6 d. est au même registre, f 219 vo.

étaient, d'autant que, sur ce point encore, la Correspondance de Charles VIII fournit de curieux renseignements.

ΧΙ

Il y avait d'abord les 1,500 lansquenets allemands envoyés dės le mois de juillet 1487 par Maximilien d'Autriche, roi des Romains', sous les ordres de Baudouin, bâtard de Bourgogne. Depuis un an qu'ils guerroyaient en Bretagne, ils étaient réduits de près d'un tiers. Le duc en avait quelques-uns près de sa personne; dans l'armée de Rennes, selon Alain Bouchart, ils n'étaient pas plus de 800.

Le secours amené d'Espagne par le sire d'Albret était plus nombreux. Un curieux type ce d'Albret, toujours mécontent el guerroyant avec une petite armée de Gascons et de Basco-Navarrais, au moyen de laquelle il prétendait échanger son petit domaine, ses landes grillées de Gascogne, contre le beau duché de Bretagne. Dès le mois de mai 1487, il s'était mis en marche pour venir joindre en Bretagne les autres mécontents de France, mais assiégé dans Nontron (30 mai 1487) par le lieutenant du gouverneur de Guienne, il fut forcé de congédier sa troupe, de jurer fidélité au roi et de rentrer chez lui. Il y resta quelques mois sans bouger. En novembre et décembre, les mécontents français lui dépêchèrent de Bretagne message sur message pour lui promettre s'il amenait à leurs secours une bonne troupe la main de l'héritière de Bretagne. Elle avait moins d'onze ans, lui près de cinquante; il était veuf, ventru, couperosé, chargé d'enfants. Il mordit de suite à cet appas. En janvier 1488, il se mit de nouveau en marche vers la Loire, les troupes royales de nouveau lui barrèrent le passage; cette fois il leur échappa, mais fut obligé de rebrousser chemin.

V. Choir de documents sur le règne de la duchesse Anne, n° LXII, dans le Bulletin de la Société Archéologique d'Ille-et-Vilaine, t. VI, p. 336.

* Voir à ce sujet les lettres du roi Charles VIII publiées par M. Marchegay dans la Revue des Provinces de l'Ouest, 1o année (1853-54), 2′ partie, p. 188-197, et spécialement p. 190 et 195. Ces lettres prouvent que la capitulation de d'Albret à Nontron eut lieu du 31 mai au 3 juin 1487. Jaligny la place pendant le siége de Nantes, qui ne commença que le 19 juin (Godefroy, Hist. de Charles VIII, éd. 1684, p. 36-37); il se trompe donc d'une vingtaine de jours.

Au mois de mars, il se jeta dans la Navarre, où il refit sa petite armée, puis alla solliciter le roi de Castille d'envoyer aussi des troupes au duc de Bretagne. Il eut quelque peine à l'y décider; le 12 avril 1488, Charles VIII écrivit à La Trémoille: « Le roy » de Castille a respondu au sr d'Albret, qui estoit allé devers lui » pour lui demander des gens, qu'il ne prendra point picques à » nous pour lui ni pour ses aliez » (no 41, p. 45). Sauf cela, il était prêt à partir pour la Bretagne avec ses propres troupes; Graville crut devoir en prévenir, le 16 avril, le général français : « Tenez» vous tout sûr que, du premier vent d'aval, vous aurez Monsr » d'Albret sans nulle faulte » (n° 46, p. 49.) Le vent d'aval tarda de souffler, d'Albret eut le temps de décider le roi de Castille à envoyer un secours au duc de Bretagne : le bruit courait en France, le 29 avril, que c'était un corps de mille hommes, déjà débarqué (no 62, p. 72). Sur ce dernier point on se trompait: d'Albret, peu avant le 15 mai, était encore à Saint-Sébastien (no 82, p. 99). Il prit la mer et arriva en Bretagne quelques jours après. Le 21 mai, le duc de Bretagne donnait « commission pour faire envoier des vivres > au seigneur d'Albret la part où il est » 2, et l'archevêque de Bordeaux, qui était à Nantes pour conclure la trêve, écrivait, le 25 mai, à La Trémoille : « L'on dit icy pour vray que Mons d'Al> bret est à Quimper- Corentin » (no 96, p. 113).

Selon Bouchart, il amenait avec lui un secours de 4,000 hommes; les lettres de rémission, données par le roi de France à d'Albret en 1491, réduisent, sur le témoignage de ce dernier, ce chiffre à 3,000, qui est le bon. Dans ce nombre figuraient les mille hommes du roi de Castille, commandés par messire Mosen Gralla, grand-maître d'hôtel de ce prince 3. D'Albret possédait en outre une compagnie de cent lances c'est-à-dire 600 hommes,

Lettres de rémission pour le sire d'Albret, du mois de mars 1491 (Archives Nationales).

2 Reg. de la Chanc, de Bret. de 1487-88, f. 183 r*. s'embarqua vers Fontarabie

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Jaligny dit que d'Albret ", mais il le fait venir en Bretagne en février 1488, c'est-à-dire trois mois trop tôt. V. Godefroy, Hist. de Charles VIII, édit. 1684,

p. 45-46.

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3 D'Argentré, Hist. de Bret, édit. 1618, livre XIII, ch. 45.

commandée par deux lieutenants, Saint-Cirq et Forçays, et qui servait dans l'armée française: dès que son capitaine fut en Bretagne, celle compagnie presque entière et ses deux lieutenants vinrent le rejoindre, passant comme lui au service du duc 1. On peut donc estimer à 3,500 hommes le renfort fourni par d'Albret à l'armée bretonne.

Enfin, cette armée comprenait un corps d'auxiliaires anglais, dont il reste à dire un mot.

L'intérêt de l'Angleterre était si naturellement opposé à la conquête de la Bretagne par la France, que dès le commencement de cette guerre (avant juin 1487) le duc François II réclama avec confiance le secours du roi Henri VII. Mais ce prince, sortant d'une guerre civile dont les passions n'étaient point encore apaisées, avait goût au repos, et il aimait trop l'argent pour aimer la guerre. Il crut, ou du moins il voulut croire la Bretagne capable de résister à la France par ses propres forces; il se laissa prendre volontairement à la feinte modération de Mme de Beaujeu; au lieu de donner secours au duc, il offrit sa médiation, qui fut refusée. Le Parlement anglais ne pouvait être dupe, il décréta, le 9 novembre 1487, la guerre contre la France et vota des subsides par la faire. Le roi perçut les subsides et ajourna la guerre. Après la prise de Châteaubriant et d'Ancenis, François II lui ayant de nouveau représenté l'urgent besoin qu'il avait d'être secouru, Henri VII éconduisit les ambassadeurs bretons, et conclut même avec le roi de France une trêve qui devait durer du 24 juillet 1488 au 17 janvier 1490. Mais la nation réprouvait hautement la politique obtuse de son roi : rebutés par celui-ci, les ambassadeurs bretons s'adressèrent aux

Dans les lettres de rémission de 1491, on lit: Le roy de Castille, pour aider et favoriser nostre cousin d'Elbret en icelui mariage (son mariage prétendu avec Anne de Bretagne), envoya avec luy ung nombre de gens de guerre oudit pays de Bretaigne au secours du feu duc Françoys, et passa icelui d'Elbret par mer à tout troys mil hommes de guerre ou environ. Et lui arrivé ésditz pays de Bretaigne, en intencion et esperance dudit mariage,... icelui d'Ebret fit tant que les cent lances dont il avoit eu charge de par nous, habandonnèrent nostre service et prindrent le party du duc Françoys. - Jaligny se trompe donc (p. 46), en portant à 50 hommes d'armes seulement la compagnie de d'Albret.

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seigneurs anglais; l'un des plus considérables, sir Edouard de Woodville, comte de Scales, gouverneur de l'île de Wight et oncle de la reine, répondit de suite à cet appel. Malgré les défenses de Henri VII, il vint, avec un corps de bonnes troupes débarquer à Saint-Malo, dans le même temps que d'Albret à Quimper, c'est-à-dire du 20 au 25 mai 1488 2.

Quel était le chiffre de ce secours? Le roi Henri VII, en écrivant le 27 mai à Charles VIII pour désavouer cette entreprise, met ce chiffre, par politique, au plus bas, c'est-à-dire à 400 hommes. Celui de 700, donné par divers chroniqueurs, entre autres par Jaligny est préférable la Correspondance de Charles VIII le prouve. On y trouve une lettre du 31 mai, où Graville raconte à La Trémoille que le corps de Scales étant allé de Saint-Malo prendre gîte à Dinan, le vicomte d'Aunay, capitaine de la garnison française de Dol, lui dressa, le 29 mai, une embuscade. Il alla avant jour se cacher à quelque distance de Dinan avec 120 chevaux, puis en envoya 30 autres courir jusqu'aux portes de la ville. Les Anglais, sortant sur eux en grand nombre et se débandant à leur poursuite, tombèrent en plein dans le traquenard, si bien tendu que les Français en auraient fait prisonniers 114 et coulé plus de 240 pour morts sur la place 3. Tel est le récit du vicomte d'Aunay, reproduit par Graville. Il sent un peu l'exagération; mettons qu'il soit resté là seulement 200 Anglais : comme, au rapport de Bouchart et des autres chroniqueurs contemporains, Scales en avait encore 300 au moins avec lui à la bataille de Saint-Aubin du Cormier, il faut bien qu'il en ait eu plus de 400 quand il débarqua à Saint-Malo, ce qui tend à confirmer le chiffre donné par Jaligny.

La copie de la lettre de Henri VII à Charles VIII en date du 27 mai 1488, porte « Wideville » (Corresp. de Charles VIII, no 213, p. 238); mais Bacon dans son Hist de Henri VII suit l'autre orthographe, qui est préférable. (V. D. Morice, Hist. de Bret., II, p. 177.) C'est de cette double source que nous tirons le récit de cette affaire.

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2 Le 25 mai, l'archevêque de Bordeaux écrit de Nantes à La Trémoille: Des nouvelles de ce quartier, l'on dit icy pour vray que M. d'Albret est à Quimpercorentin et M. de Squales à Saint-Malo. (Corresp. de Charles VIII, no 96, p. 113.) 3 Ibid. No 106, p. 122.

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