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Nous avons dit que, quelque temps avant la composition du Palais des plaisirs, l'abbé de Montigny possédait la charge d'aumônier ordinaire de la reine Marie-Thérèse, qu'il s'était décidé sur de nouvelles instances à accepter. On sait que la maison ecclésiastique de la reine se composait d'un grand aumônier, d'un premier aumônier, d'un aumônier ordinaire, de quatre aumôniers servant par quartier, d'un confesseur, etc. L'Etat de la France, pour cette époque, nous apprend que Jean de Montigny avait, en qualité d'aumônier ordinaire, les mêmes gages que le confesseur, soit 180 livres. Cela ne lui constituait pas de bien forts appointements, surtout avec l'obligation de suivre la reine dans les voyages de la cour; mais les conditions matérielles de l'existence lui étaient assurées par le fait même de l'entrée dans la maison de la reine, et les gages venaient par surcroît.

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C'est aussi à cette époque qu'il devint chanoine de la cathédrale de Vannes, par la résignation de son oncle Pierre de Montigny. Ce Pierre de Montigny, doyen de Péaulle et docteur en la faculté de théologie de Paris, était un savant homme, qui, élu député du second ordre pour la province de Tours à l'assemblée du clergé de 1665, prit une part très-influente aux délibérations de cette session, ouverte à Pontoise, le 6 juin, pour être transférée deux mois après à Paris, où la clôture n'eut lieu que le 14 mai 1666. Pierre de Montigny fut même élu promoteur, le 17 juin, avec l'abbé de SaintPouanges, et l'on sait que ces fonctions n'étaient pas une sinécure, les promoteurs, d'après le règlement de 1660, rapportaient toutes les requêtes présentées à l'assemblée; ils avertissaient lorsqu'on demandait l'audience et introduisaient les demandeurs, s'ils étaient du second ordre ou laïques; ils tenaient un état de toutes les commissions élues, et, de temps en temps, ils avertissaient l'assemblée du retard apporté dans les rapports; ils parlaient dans toutes les affaires importantes et devaient requérir et conclure pour le bien de l'Eglise; ils pouvaient assister à toutes les conférences, et dans les grandes assemblées, à cause de la longueur de la tenue, leurs appointements, outre leurs taxes spéciales, étaient fixés à 200 livres par mois. Les procès-verbaux constatent l'ardeur au travail de Pierre de Montigny : nous le voyons demander des lettres d'Etat en faveur de tous les députés que l'assiduité aux séances empêchait de vaquer à leurs propres affaires; et rapporter dans le différend de préséance élevé entre les archevêques d'Auch et de Paris. Mais, vers la fin de l'année, l'excès de travail le fatigua beaucoup; il se sentit près de sa fin, et comme son neveu, l'abbé Jean, l'avait sans doute aidé dans les fonctions de sa charge depuis le transfert de l'Assemblée à Paris, il résolut de se démettre en sa faveur de son canonicat de Vannes. Jean de Montigny vint en

Les autres députés étaient, pour le 1" ordre: Victor Le Bouthelier, archevêque de Tours, et François de Villemontée, évêque de Saint-Malo; pour le second ordre, avec l'abbé de Montigny, Alexandre de Garande, grand archidiacre et chanoine de l'église d'Angers. (Procès-verbaux des Ass. du clergé pour 1665).

prendre possession dès le 27 janvier 1666, et, le surlendemain 29, son oncle Pierre rendait son âme à Dieu. Il fut enterré dans la chapelle de Saint-Vincent, à la cathédrale de Vannes *.

C'est sans doute à Pierre de Montigny qu'était arrivée, sept ans auparavant, une mésaventure digne de remarque, car l'abbé Jean était alors trop jeune pour que nous puissions la lui appliquer; les pièces justificatives des procès-verbaux des assemblées du clergé pour les affaires reçues par la commission permanente, entre les sessions de 1655 et 1660, se contentent de nommer l'abbé de Montigny saus autre désignation, et Jean n'avait alors que vingttrois ans. Néanmoins l'affaire pourrait, à l'extrême rigueur, le concerner; voici le fait, sans autre commentaire :

« Déclaration contre l'abbé de Montigny, commis par le pape pour exercer les fonctions épiscopales au Canada, qui fait partie du diocèse de Rouen, du 25 septembre 1659. — Mgr l'archevêque de Rouen a dit qu'ayant eu avis que M. de Montigny avoit obtenu de Sa Sainteté, par surprise et sous un faux prétexte, des bulles de l'évêché de Pétrée en Arabie (in partibus), qui est un titre sans peuples et sans fonctions; et que dans lesdictes bulles, il avoit fait glisser une commission portant pouvoir d'exercer les fonctions épiscopales dans le Canada, qui fait partie de son diocèse, sans son consentement et sa participation; que lui et son prédécesseur ayant toujours gouverné cette Église par leurs vicaires généraux, telles commissions ayant leur effet, seroit introduire une maxime contraire aux priviléges de l'Eglise gallicane, qui pourroit s'étendre, avec le temps, dans tous les autres diocèses du royaume, qu'il supplioit Nos Seigneurs les évêques par la considération de leur propre intérêt, de lui vouloir donner conseil de ce qu'il auroit à faire dans cette rencontre, d'autant même que l'affaire pressoit, ayant eu avis que Mer l'évêque de Bayeux avoit pris le jour de Saint-François pour imposer les mains audit sieur abbé de Montigny.

» Ce rapport fait par Mer l'archevêque de Rouen, la compagnie, conformément à la délibération de l'assemblée générale dernière 1 Voy. l'abbé Luco, Société polym. du Morbihan. Bull. du 2′ semestre 1874.

et à la lettre circulaire sur un même sujet, a arrêté qu'on écriroit présentement à tous Nos Seigneurs les évêques du royaume : et pour faire la lettre a été prié Mør l'archevêque d'Embrun, président, lequel s'est mis au bureau et en même temps a été par lui dictée, et après lue et approuvée de la Compagnie, qui a ordonné à MM. les agents de l'envoyer promptement à Mer de Bayeux et à tous Nos Seigneurs les évêques du royaume par le premier ordinaire.

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Nous n'avons retrouvé aucune trace des suites de cette affaire. Quoi qu'il en soit, Jean de Montigny, chanoine titulaire de Vannes et aumônier de la reine Marie-Thérèse, eut, à partir de 1666, une situation ecclésiastique très-suffisante pour paraître avec avantage dans le monde. Il essaya d'abord de se faire un nom dans la chaire, et, comme il passait à Rennes en revenant de Vannes à Versailles, il s'y arrêta, au bruit de la mort d'Anne d'Autriche, pour prononcer devant le parlement l'oraison funèbre de la reine-mère.

Cette oraison funèbre est l'un des rares opuscules imprimés du futur académicien, et nous eussions vivement désiré pouvoir en donner connaissance à nos lecteurs; mais nos recherches les plus minutieuses pour retrouver cette plaquette, dans toutes les bibliothèques publiques de Paris et de la Bretagne, ont été absolument vaines en sorte que nous sommes réduit à ne citer que les œuvres inédites de l'abbé de Montigny. A ce point de vue, nous n'avons pas à nous plaindre de nos démarches.

L'abbé de Montigny suivit la cour dans les campagnes de Flandre, depuis l'année 1667 jusqu'à son élévation à l'évêché de Saint-Pol de Léon, et pendant ces voyages il entretenait avec ses amis de Paris une correspondance qui pourrait figurer avec le plus grand avantage auprès des Lettres historiques de Pellisson, écrites dans les mêmes circonstances. Ce dernier, du reste, rendait souvent justice à son rival : « Le séjour de Lille, écrivait-il de Dunkerque, le 29 mai 1670, finit par une fête galante que M. et Mme d'Humières donnèrent

• Procès-verbaux des Ass. du clergé, 17. Pièces justificatives pour 1660, p. 150. 2 Il a été imprimé à Rennes, chez Vatar. Ce discours fut sans doute prononcé devant le parlement de Bretagne.

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C'est pour

au roi et aux dames. Je me trouvai mal et ne la vis pas. quoi j'en laisse la description particulière à M. l'abbé Montigny, qui ne manquera pas de s'en acquitter mieux que moi, quand même je l'aurois veue >> Nous n'avons pas retrouvé ce récit de l'abbé, mais les portefeuilles de Conrart nous ont conservé quelques relations du même genre, que nous sommes heureux d'offrir aux lecteurs; outre l'attrait de l'inédit, quelques-unes de ces lettres présentent un intérêt historique véritable, et leur style nous fera étudier sous un nouveau jour le talent plein de souplesse de l'abbé de Montigny.

En voici une, en particulier, qu'il écrivait d'Arras, le 2 août 1667, à la duchesse de Sully et à la comtesse de Guiche, fille et petite-fille du chancelier Séguier 2; elle renferme, sur la vie intime de la cour pendant les voyages à la suite de Louis XIV, une foule de détails curieux et peu connus, dont l'intérêt s'ajoute à la manière piquante dont l'abbé nous en a fait le récit. Nous appelons surtout l'attention sur le coucher de la maison de la reine à Mailly, sur les fêtes de Douai et sur la nuit passée au camp de Turenne, où l'illustre maréchal sert lui-même le souper royal, l'assiette à la main et la serviette au bras, pendant que Monsieur fait venir les violons pour donner le bal. Tout cela est écrit avec entrain, et, s'il se mêle dans la narration quelques réflexions précieuses, elles sont loin de fatiguer le lecteur comme dans les lettres de Voiture. Les jolies épîtres de La Fontaine à sa femme pendant son voyage du Limousin, nous sont plusieurs fois revenues à l'esprit en lisant celles de notre abbé, qui n'épargne pas les détails sur la gent féminine des pays où il passe et qui semble la rabaisser, pour mieux faire sa cour à ses belles protectrices. Le début de la lettre est étudié: on y sent la précaution oratoire, mais bientôt l'abbé se laisse emporter sans réserve par sa belle humeur et l'on n'a vraiment pas le temps de s'ennuyer en route avec un si joyeux compagnon, soit qu'il n'ait pour couchette que les sacs de

1 Lettres historiques de Pellisson, édit. de 1729, 1, 50.

2 Voyez, sur la duchesse de Sully et sa fille, notre histoire du chancelier Séguier.

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