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Rawlinson et Layard, mais non encore achevée. On sait qu'entre autres monuments de toute sorte déjà exhumés, éloquents témoins d'une civilisation dès lors si raffinée et si avancée dans les arts et l'industrie, les fouilles ont mis à découvert d'innombrables documents écrits, la plupart sur briques cubiques ou cylindriques, en caractères dits cludiformes où cunéiformes (à cause de leur ressemblance avec un clou ou un coin). A Ninive notamment, on a découvert, dans le palais du roi, toute une bibliothèque de briques, intactes encore ou brisées, dont les dix mille fragments, véritables livres d'argile, viennent de livrer à l'érudition d'inestimables trésors. Malheureusement le problème de l'interprétation n'est pas encore complétement résolu. Procédant comme Champollion du connu à l'inconnu, en comparant l'une à l'autre les langues de diverses inscriptions bilingues ou trilingues, les interprètes sont arrivés, à force de sagacité, à fixer la valeur de la plupart des signes; mais ils sont venus se heurter à une double difficulté la variabilité du sens, tantôt phonétique et tantôt idéographique, des mêmes caractères, et la diversité fondamentale des langues, les unes sémitiques, les autres touraniennes, écrites en traits cunéiformes. Toutefois, assez d'inscriptions ont déjà reçu une traduction qu'il est permis d'estimer fidèle et authentique, pour qu'elles aient renouvelé et même recréé en partie l'histoire de l'Assyrie et de la Chaldée. Inutile d'ajouter que ces inscriptions présentent avec la Bible des rapprochements, de plus en plus nombreux, de noms d'hommes et de peuples, de faits, de dates, qui

Un seul chiffre donnera une idée de cette civilisation quasi monstrueuse dans certaines de ses manifestations: on a calculé que l'enceinte de Babylone ne mesurait pas moins de 500 kilomètres carrés, soit sept fois celle de Paris! Véritable colosse, dont la tête et le corps gisent en débris sous la terre, et dont il ne reste plus que les pieds d'argile dont parle le prophète. En réalité, tête, corps et pieds étaient également d'argile, cette ville immense, plus grande que Paris et Londres ensemble, étant bàtic tout entière en murs de terre revêtus de briques cuites au feu ou seulement séchées au soleil.

Ninive avait des proportions analogues.

V. Histoire ancienne des peuples de l'Orient, par M. Gaffarel, excellent résumé élémentaire, qui vient de paraitre à la librairie Lemerre.

sont autant de nouveaux témoignages en faveur de la véracité des Ecritures'.

Mais revenons au livre de M. Julien, dont nous ne nous sommes d'ailleurs éloigné qu'en apparence, et que nous avons, sinon toujours suivi, du moins côtoyé.

Prenant tour à tour pour guides M. Max Müller surtout el, après lui, MM. Menant, Oppert, Lenormant père et fils, de Rougé, Mariette, etc., sans parler de nombreux livres ou périodiques consultés à l'occasion, M. Julien passe en revue les principales branches de la philologie, et expose, en les discutant à l'occasion, les résultats les plus nouveaux de cette science encore conjecturale en partie, mais d'un si capital intérêt pour la reconstitution des archives perdues de l'humanité.

Nous ne pouvons suivre notre sympathique auteur dans l'exposé, encore moins dans la discussion d'une question aussi complexe et aussi ardue. Qu'il nous suffise de reproduire ici les conclusions de son très intéressant travail :

1o Les langues, soumises au creuset de l'analyse, se réduisent à un petit nombre de termes simples irréductibles, correspondant au nombre, également petit, des idées élémentaires, et appelés racines;

2. Les racines linguistiques se divisent elles-mêmes en trois groupes représentés par les idiomes indo-européens, sémitiques et touraniens. (Dans ce dernier terme, on comprend tout à la fois le chinois, resté à la période du monosyllabisme, et les autres langues asiatiques dites agglutinatives, système morphologique auquel se rattachent également les langues africaines, les américaines et les océaniennes.)

Ces trois groupes de racines sont-ils eux-mêmes réductibles entre eux? En d'autres termes, nous est-il permis, dans l'état actuel de nos connaissances, de conclure à leur unité originelle? Pas encore.

1. Au simple point de vue de l'ethnographie et de l'histoire, la Bible est un menument de premier ordre, ou plutôt le premier des monuments.. (Communication de M. Delaunay à l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, août 1874.)

Toutefois, s'appuyant de la haute autorité de Max Müller, l'auteur admet tout au moins cette unité comme scientifiquement possible, et défie les adversaires d'en démontrer l'impossibilité.

Ai-je besoin d'ajouter que M. Julien n'a rien de commun avec les disciples de l'école matérialiste à la mode, pour lesquels toutes ces merveilles si variées de la création animée ne sont que des évolutions, plus ou moins spontanées et inconscientes, dues à une cause modificatrice unique, à la fois aveugle et prodigieusement intelligente et puissante, décorée du nom de sélection naturelle, mot qui veut être profond et qui n'est en réalité qu'un synonyme nouveau du vieux hasard d'Epicure et de Lucrèce, l'erreur ne faisant guère que rajeunir l'étiquette de ses systèmes. On sait que, suivant cette école, c'est l'homme qui, dans le passage de son animalité primitive à l'humanité, toujours sous l'action de cette fameuse sélection, a créé de toutes pièces son langage. Si, comme on l'avait cru jusqu'ici, et comme cela paraît être, la langue et la pensée sont contemporaines et concomitantes, comment l'homme a-t-il pu penser sans parler, et penser, lui encore à demi animal, avec une précision, une profondeur, une puissance telles qu'il aurait créé le langage, cette merveille des merveilles, que les plus grands génies déclarent humainement inexplicable, qui, suivant le mot de M. de Bonald, « est le plus profond des mystères de notre être et que l'homme ne parvient même pas à comprendre, loin de pouvoir l'inventer? Comment s'est opéré ce prodige? Rien de plus aisé, répondent les sectateurs de l'école matérialiste les cris inarticulés que poussait l'homme alors qu'il n'était encore qu'un singe, se sont tout simplement transformés peu à peu en un langage articulé, avec voyelles et consonnes, vocabulaire, grammaire, syntaxe et le reste! Le chemin a dû être d'autant plus long à parcourir que, parmi les cris d'animaux, il se trouve que celui du singe, notre grand-père supposé, est précisément l'un de ceux qui s'éloignent le plus de la voix humaine. - « Et voilà comment votre fille est » non pas << muette celle-là, mais parlante!

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C'est avec la même désinvolture et la même aisance que les Sganarelles du matérialisme contemporain résolvent, en se jouant, les

autres mystères de la création, et toujours à l'aide de ce même merveilleux passe-partout de la sélection naturelle. Sélection naturelle répond à tout c'est le tarte à la créme de nos marquis du darwinisme.

Passant au côté religieux du sujet (car ce livre est un voyage, non-seulement à travers les langues, mais encore à travers les religions), M. Julien en arrive à conclure que, de même qu'aucun peuple n'a été trouvé sans une religion quelconque, il n'a été non plus découvert jusqu'ici aucune langue athée.

Bien plus, le monothéisme paraît être le dérnier mot de l'étymologie comparée des langues, depuis le monosyllabique chinois', que l'invention prématurée d'une imprimerie rudimentaire trouva dans la première période de sa formation, et fixa ou mieux pétrifia dans ses quarante mille sigues, jusqu'à l'antique idiome égyptien, qui chantait des hymnes monothéistes mille ans avant Moïse 2.

L'une des parties les plus intéressantes du livre de M. Julien est celle où, prenant pour guide le savant traité de La science des religions de Max Müller, l'auteur poursuit à travers les langues le mot Dieu ou ses équivalents, comme il nous arriva un jour à nous-même d'essayer de le faire ici, en étudiant le grand Dictionnaire de Littré.

Comme si le sublime spectacle du firmament étoilé eût révélé son créateur à l'homme, que dut frapper tout d'abord ce principe de causalité si évident pour la raison et si dédaigneusement repoussé par nos philosophes matérialistes, il se trouve que, dans nombre de langues, les mots Ciel et Dieu sont identiques. En alliant à ce mot

1. Comme il n'y a qu'un ciel, comment peut-il y avoir plusieurs Dieux? » dit un vieux texte chinois, cité par M. Julien d'après Max Müller.

2. Au sommet du panthéon égyptien, nous dit M. Mariette, plane un Dieu unique, immortel, incréé, créateur du ciel et de la terre. Les plus anciens hymnes de la grande épopée sanscrite des Védas respirent egalement un monotheisme aussi decidé qu'élevé. V. notamment cet admirable cantique védique, l'un des plus beaux qui aient jailli de l'âme humaine pour glorifier son créateur, cité par M. L. Carreau dans un travail sur l'Origine des cultes primilifs. (Revue des Deux-Mondes du 1 avril 1876.)

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celui de Père, le sanscrit Dyaus-Pitar, le grec Zeus-pater, et le latin Jupiter, trois vocables d'origine commune, présentent le mot Dieu avec le double sens de Ciel et de Père. C'est, à la lettre, l'équivalent du Notre Père qui êtes aux Cieux, de l'Évangile, servant déjà d'invocation aux Aryâs, nos ancêtres, il y a quatre mille ans !

Le Tien des Chinois, le Teng-ri des Mogols, le Tang-ri des Turcs, le Tang-li des Huns, le Tenga-ra des Yakoutes et des Sibériens, tous mots d'une évidente parenté : le Nam des Thibétains, le Num des Samoïèdes, le Juma des Finnois, etc., présentent également le triple sens de Ciel, de Dieu du Ciel et de Dieu en général.

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Le mot Zend Ormuzd des Iraniens (l'Ahura-Mazda de Zoroastre, l'Aurmzda des inscriptions cunéiformes, l'Oromane de Platon) signifie: Il est celui qui est, comme le Jéhovah biblique.

On voit à quelles hauteurs s'élèvent les problèmes de la philo'ogie, quelles perspectives ils ouvrent, et dans quel esprit M. Julien les expose.

Nous en avons assez dit pour appeler l'attention de nos lecteurs sur ce livre, petit de format mais gros de choses, vivant et substantiel résumé de l'une des plus importantes en même temps que l'une des plus intéressantes questions de ce temps-ci où il s'en agite tant et de si graves!

LUCIEN DUBOIS.

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LA LYRE A SEPT CORDES, tel est le titre du nouveau volume de M. J. Autran, de l'Académie française le Ve de ses œuvres complètes que vient de publier la librairie Calmann-Lévy (gr. in-8°, de 412 pp. 6 fr.) 11 renferme quatre recueils: Paroles de Salomon; La Fin de l'épopée ; La Légende des paladins et Musique moderne.

Nous nous bornons à mentionner l'apparition de ce beau et remarquable livre, dont nous parlerons prochainement, dans l'étude que nous préparons sur l'ensemble des poésies de notre sympathique et éminent collabora

teur.

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