Page images
PDF
EPUB

de formes grêles et nullement en rapport avec les proportions de la nef. Toutefois, ce meuble présente un curieux intérêt par la décoration de ses panneaux, attribuée à l'évêque Pierre de Nivelle, qui aimait beaucoup les arts et les pratiquait ; il s'adonnait spécialement à peindre les fleurs, comme le jésuite d'Anvers, Daniel Seghers, et, sans atteindre à la supériorité du célèbre élève de Breughel de Velours, ne peignait pas trop mal, si l'on admet les panneaux de la chaire comme étant bien de lui. Je dis les panneaux ornés de fleurs, car les petits sujets de peinture, encastrés au dossier de la chaire, sont de l'école de Franck; ils ont plus d'aspect que de fond, et doivent provenir d'un rétable de la fin du XVIe siècle 2.

Dans l'ancienne chapelle Saint-Symphorien, se remarque une sépulture dont l'inscription se rapporte non pas à l'évêque Pierre de Nivelle, qui fut enterré, déterré et réenterré finalement, sous le chœur de la Cathédrale, du côté de l'évangile, mais à son neveu, mort chanoine et grand archidiacre, le 16 septembre 1648. Dans les autres chapelles latérales et dans le pourtour du sanctuaire, sont exposés plusieurs tableaux modernes et peu recommandables, exception faite du Saint Hilaire, écrivant contre l'Arianisme, signé : Alaux 3. Jean Alaux est le plus célèbre de toute une famille d'artistes du même nom, originaire du Tarn, mais très-honorablement connue à Bordeaux. Alaux, dit le Romain, dont il est ici question, a été directeur de l'Ecole française à Rome, de 1848 à

Il occupa le siége de Luçon de 1637 à 1660; il aurait été le donateur et le décorateur de cette chaire dans laquelle ont prêché le P. Baudouin, le P. Montfort et peut-être saint Vincent de Paul.

Dans la sacristie du chapitre se trouvent deux tableaux attribués à Pierre de Nivelle La Pêche miraculeuse et Saint Hubert; les Disciples d'Emmaüs, de l'école du Titien, comme le grand Christ de l'autel du Crucifix, seraient des œuvres d'art dues à sa munificence. (Voir les Affiches du Poitou de 1780 et l'Histoire des Moines et des Evêques de Luçon.)

3 Ce tableau doit être celui qui parut au salon de 1836.

4 Voir Dictionnaire général des artistes de l'Ecole française, par E. B. de la Chavignerie.

1853, époque où se trouvaient, entre autres, comme pensionnaires de l'Ecole, deux jeunes artistes bien connus. en Vendée : William Bouguereau, de La Rochelle, et Paul Baudry, de la Roche-surYon; tous deux lauréats en 1850 et maintenant tous deux membres de l'Institut! Sur ces noms célèbres, qui me sont chers, j'arrête, pour cette fois, mes notes de voyage... Et, du reste, le véhicule que j'attendais est prêt; il m'attend à son tour sur la place NotreDame et s'impatiente même. Hâtons-nous donc de partir; car l'impatience de mon automédon pourrait bien gagner mes lecteurs.

[merged small][graphic]

DEUX ACADÉMICIENS

JEAN DE SILHON, l'un des quarANTE FONDATEURs de l'académie FRANÇAISE, par René Kerviler. JEAN-FRANÇOIS-PAUL LEFEBVRE DE CAUMARTIN, ABBÉ DE BUZAI, ÉVÊQUE DE VANNES, PUIS DE BLOIS, DE L'ACADÉMIE FRANÇAISE ET DE CELLE DES INSCRIPTIONS; étude historique et biographique sur sa carrière administrative et sur sa famille d'après des documents inédits, par le même. — Deux brochures in-80 de 76 et 99 pages.

M. Kerviler poursuit énergiquement et heureusement l'œuvre de ses résurrections. Il nous a déjà rendu les deux Hay du Châtelet, Ballesdens, Priézac, Esprit, Cureau de la Chambre, etc., etc. Il a dégagé de ses bandelettes cette momie de Chapelain, dans laquelle il nous était si difficile de reconnaître le bon démon, l'ange gardien de Balzac. Aujourd'hui vient le tour de Jean de Silhon et de Lefebvre de Caumartin, deux académiciens, c'est-à-dire, en langage convenu, deux illustres. Mais je vous entends: En quel siècle vivaient ces illustres là? Tout simplement au XVIIe siècle. L'un fut le contemporain de Richelieu, l'ami de Balzac, le secrétaire de Mazarin; l'autre était filleul du cardinal de Retz; il fut confrère de Bossuet à l'Académie française, confrère de Mabillon à celle des Inscriptions, confrère de Massillon dans l'épiscopat; et ni l'un ni l'autre cependant n'ont pu conserver dans le public cette ombre de vie qui s'attache au souvenir.

Après tout, connaissez-vous mieux Parceval-Grandmaison, un académicien d'hier, un poète épique que le vieux Lacretelle célébrait en vers, les seuls qu'ait jamais commis sa plume, comme un descendant de Virgile? et Baour-Lormian, dont les Poésies galliques faisaient les délices du vainqueur de Marengo; et Esménard,

que Chateaubriand citait avec éloges; et Viennet, l'auteur de l'Épître aux Mules, qui prétendit successivement nous rendre et l'Arioste et La Fontaine : tous académiciens! tous, disait-on, immortels! Vous souvient-il du Tyran domestique, des Deux Gendres, de Médiocre et Rampant, de l'Ami de tout le monde, qui tenaient lieu du Misanthrope et du Légataire à la société lettrée du premier empire? Quelques fables ont suffi pour la gloire d'Ésope, une idylle pour celle de Bion, un quatrain pour celle de Saint-Aulaire, et des pièces, applaudies, recherchées de leur temps, n'arrivent souvent qu'à l'oubli.

Ne nous étonnons done point du silence qui s'est fait autour de Jean de Silhon, dont les connaisseurs trouvaient, sous Louis XIII, le style beau et soutenu, auquel ils reconnaissaient du savoir et de l'éloquence, et qui ne leur semblait pécher que par défaut d'ordre et de méthode. Les ouvrages de Silhon eurent plus de vogue que ceux de la plupart de nos académiciens d'aujourd'hui; on les imprimait à Paris, à Lyon, à Venise. M. Kerviler, pour qui toutes ces vieilles imprimeries n'ont pas de secrets, nous énumère les éditions, nous analyse les livres, ne nous laisse ignorer aucun détail, soit de la vie de l'auteur, soit de la composition de son œuvre.

Ce travail patient, d'une érudition toujours sûre, offre un sérieux intérêt à tous ceux qui aiment à suivre la marche des idées et des esprits. Il ne faut pas croire d'ailleurs que les réputations soient jamais complétement usurpées, et, lorsqu'on fouille bien ce qu'elles couvrent, on trouve toujours quelques perles. C'est ce que fait M. Kerviler avec persévérance et avec succès.

Les études auxquelles il se livre ont, en outre, pour nous le double avantage d'être à la fois littéraires et historiques, de nous faire connaître plus exactement les phases successives de notre langue et de nos mœurs. Sous le rapport de la langue, Silhon vient immédiatement après Malherbe, qui ne voulait plus de locutions plébées, et après Balzac, qui mettait de l'éloquence à tout, et même, d'après Silhon, en avait, le premier, rendu notre langue capable. Cette prétention est-elle bien fondée? N'y a-t-il pas une éloquence

naturelle, la seule qui soit vraie, chez saint François de Sales, que les locutions plébées n'effrayaient jamais cependant, et chez Commines, chez Joinville? Balzac arrive parfois au grand, peut-être même au sublime, mais plus souvent au factice et à l'outré. Bossuet recommandait sa lecture aux jeunes clercs, comme pouvant leur donner l'idée du style fin et tourné délicatement; il reconnaissait qu'il avait enrichi la langue de belles locutions et de phrases très-nobles; mais, ajoutait-il aussitôt : Il le faut bientôt laisser, car son style est le style du monde le plus vicieux, en ce qu'il est le plus affecté et le plus contraint.

Silhon n'a pas la contrainte de son maître, mais il n'a pas non plus ses grands traits. Ce qu'il lui a pris, ce me semble, c'est ce style chaste et réglé que préconisait Balzac dans une de ses lettres à Chapelain, et qui, avec l'Académie, va devenir le style académique. Notre langue y a gagné en précision, en netteté; n'y a-t-elle pas perdu en richesse ??

Mais Silhon ne s'est pas borné à prendre à Balzac quelqu'une de ses formes littéraires, il lui a pris aussi l'idée de certains traités de politique spéculative tournés à la louange des puissances du jour. Balzac avait écrit le Prince pour Louis XIII; Silhon écrivit le Ministre d'Estat pour Richelieu. Dans l'un et l'autre ouvrage, les bons conseils ne manquent assurément pas; mais ce qu'on ne souffrirait pas aujourd'hui, c'est que ces conseils étaient donnés comme des portraits, que le prince type était toujours Louis XIII, l'homme d'État complet toujours Richelieu.

Il est assez curieux de voir comment Silhon comprenait l'étendue et la limite des deux puissances ecclésiastique et séculière. Suivant

1 Lettre à M. l'abbé de Bouillon, 1669. p. 615.

Floquet, Études sur Bossuet, t. II,

2 Comment ne pas regretter, par exemple, tous ces mots composés qui se comprenaient à première vue et que nous ne savons plus rendre que par des périphrases: cheraucher, dévaller, s'entravertir, s'aheurter, nonchaloir, arouté (être en route), s'envieillir, prudhommie, outrecuidance, et cent autres non moins heureuses ? Leur absence se fait tellement sentir qu'on y revient chaque jour.

« PreviousContinue »