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d'aborder cette question, il me semble utile d'entrer dans quelques détails biographiques sur un si grand évêque. Ici même, j'aurai plus d'une occasion de venger cette noble mémoire contre les insinuations malveillantes et les imputations injustes du janséniste Travers, historien de la ville de Nantes.

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1o Philippe Cospéan naquit en 1571 à Mons, en Belgique, de parents qui, sans être nobles, tenaient à ces familles de la haute bourgeoisie que les villes de Flandre nomment encore familles patriciennes 1.

La grand'mère de Cospéan était noble et s'appelait Jeanne de Boussut. Sa famille a donné des magistrats à la ville de Mons dès l'an 1443. Il y en a eu du premier rang, et aussi des archidiacres de Cambrai. Cette remarque doit être empruntée à Boussut, un des petits-neveux de Mgr Cospéan et auteur d'une histoire de Mons.

Le nom du prélat que nous voulons faire connaître s'est écrit de différentes manières, même de son vivant: Cospean, Cospéan, de Cospéan, Coëspean et Caspeau.

Tout le monde sait que rien n'est plus variable que l'orthographe des noms propres, surtout à certains siècles.

M. Livet penche à croire, d'après l'acte public de sa naissance, que le vrai nom en question est Corpean, et il adopte cette orthographe. Voici cet acte, cité dans sa notice :

« Februarius 1571.

» Le même jôr (15 février, d'après ce qui précède), Ph1i (Philippe), filz Loys Cospean et de Michiele Mainsent, pôr parin Jehan Memren, pôr mae Philipote Lebrun. >>

Mais qui n'a vu dans des registres publics le même nom de

M. Livet, n° de juin 1854, et Pacot, Memoires pour servir à l'Histoire littéraire des Pays-Bas, in-12, 1763, Louvain.

famille écrit de diverses manières, par des secrétaires différents et quelquefois par le même 1?

Du reste, le laconisme et les abréviations de l'acte du baptême en question dénotent un rédacteur plus pressé d'en finir que d'être bien exact.

Mais supposons que Cospeau ait été admis en Belgique, le nom Cospéan a prévalu en France et surtout en Bretagne. Si quelquefois on a écrit Cospean, c'est qu'on oubliait l'accent, comme il arrivait souvent alors pour plusieurs autres noms.

Désormais nous nous en tiendrons donc à la forme Cospéan.

<< Philippe, dit M. Livet, dans sa notice (que nous suivrons habituellement en l'abrégeant), fit ses études au collège d'Houdain, à Mons, et y fut reçu avec honneur maître ès-arts. De là, attiré par la réputation de Juste Lipse, il se rendit à Louvain, où il étudia en philosophie au collège du château; il se distingua parmi ses compagnons d'études, et, à la promotion générale, il obtint une des premières places. Ce fut alors qu'il prit l'habit ecclésiastique et dirigea ses études vers la théologie.

» Son mérite, déjà reconnu, fit oublier son âge, et à dix-sept ans à peine, dès 1588, il fut pourvu, à l'église de Saint-Germain, à Mons, d'un canonicat, qu'il résigna en 1597 en faveur de son frère aîné Jean. Puis il fut nommé chanoine de l'église métropolitaine de Cambrai.

« A cette époque, l'université de Paris brillait d'un vif éclat; Henri IV, désireux d'en relever encore la gloire, préparait une réforme qu'il imposa en 1602, et qui donna à ce corps savant une nouvelle vie. Cospéan fut séduit par l'attrait des fortes études qu'on y faisait, et, en 1604, il y était reçu docteur en théologie. »

Alors il fut chargé d'un cours de philosophie au collège de Tréguier, à Paris. Le succès de ses leçons le fit appeler au collège de Lisieux de la même ville, par le principal Adrien Bavien (Bavenius),

1 fly a encore maintenant dans une ville de Bretagne un curé archiprêtre qui m'a affirmé que les noms de ses frères et sœurs étaient écrits d'une manière toute différente du sien, sur les registres de naissance, par l'officier civil.

.

qu'il vénérait comme un père. Son enseignement faisait bruit : ce n'était pas du haut d'une chaire que le jeune docteur exposait avec chaleur son opinion; mais, comme Aristote, dont il était d'abord partisan, il se plaisait à se promener au milieu de ses écoliers, discutant avec eux, prêt à les écouter, prompt à leur répondre. Cette nouveauté fit la fortune de ses cours et du collége, qui ne fut plus assez grand bientôt pour recevoir les élèves que ses intéressantes leçons y attiraient'.

Cospéan cependant ne tarda pas à quitter l'enseignement de la philosophie pour professer la théologie. Sa science n'y brilla pas d'un moindre éclat, et l'on vit bientôt ses élèves occuper et illustrer les principaux siéges du royaume. C'est alors qu'il se lia avec un gentilhomme domestique ou familier du duc d'Épernon. Celui-ci, nommé Le Plessis-Baussonnière, fit à son maître un si bel éloge de Cospéan, que le duc alla l'entendre et devint bientôt son auditeur assidu. Confondu presque avec les écoliers, sans vouloir occuper un siége particulier, comme il convenait à sa dignité, il ne manquait pas une leçon et se fit de son professeur un ami.

Le marquis de Rambouillet fit plus encore. Admirateur de cette éloquence, il tira Cospéan de l'enseignement public et lui donna une retraite honorable dans sa maison, afin qu'il pût se livrer à une étude de plus en plus approfondie de la philosophie et de la théologie.

Fort de ces deux sciences, qui se prêtent un mutuel appui, et cédant aux sollicitations de Le Plessis Baussonnière, Cospéan commença à se livrer à la prédication. Dès l'année 1603, il consacra sa première oraison funèbre à la maréchale de Retz...

Il y avait quatre ans à peine que Cospéan habitait la France. Quand il y arriva, « il était muet pour le français et ne pouvait prononcer un seul mot de ce doux langage, » comme il le déclara dans son oraison funèbre de Henri IV. Il ne tarda pas à en posséder lous les secrets et à en montrer toutes les beautés. Aussi devint-il bien

Tiré de M. Livet.

tôt un des prédicateurs les plus célèbres de la capitale, et les grands faisaient foule pour l'entendre.

Dans la joie de ces premiers succès, il n'avait point oublié son professeur Juste Lipse. Il entretenait correspondance avec ce savant, et celui-ci, vers cette époque (avril 1606), le remerciant d'une lettre récente et de l'envoi de ses essais (tentamenta), lui disait entre autres choses flatteuses: « Donnez-moi votre amitié. Continuez ainsi à vous illustrer dans la mémoire des hommes et à illustrer en vous votre patrie. »

Combien de temps Cospéan resta-t-il l'hôte du marquis de Rambouillet? Nous ne saurions le dire; mais bientôt nous le voyons à la Sorbonne; c'est là qu'il a vécu jusqu'à sa nomination à l'évêché d'Aire, s'il faut en croire Jean Roën, qui ne dit pas en quelle année il y entra, et qui ne nous le montre gouverneur de Charles de Rambouillet, fils unique de Nicolas, et aussi d'Achille de Harlay, fils de Nicolas Harlay de Sancy, qu'après l'avoir conduit à l'épiscopat.

Le duc d'Épernon, qui avait fait prendre à toute la cour le chemin de l'Université, ne se contenta pas d'avoir favorisé la réputation de l'éloquent abbé. Il voulut encore rehausser par ses bienfaits. une vertu qu'il avait le premier tirée de l'obscurité. L'évêché d'Aire étant devenu vacant, le duc, qui en avait la disposition, «< préféra de bon cœur le mérite de cet ami à la considération et au respect de plusieurs personnes de condition qui lui touchaient d'alliance. Il lui fit expédier à son déçu le brevet de l'évêché, il luy fit venir les bulles de Rome à ses dépens et lui donna les meubles et l'équipage nécessaire pour soutenir sa dignité, laquelle sans cela eust pu lui être à charge *. »

Cospéan se fit sacrer par l'archevêque de Paris, Henri de Gondi, en Sorbonne, le 18 février 1607. Quand il dut s'éloigner, il laissa å

1 Philippi Cospeani, Alurensium episcopi, nupera in urbem reversio, auctore Joan. Roenno Rotomagensi. Paris, Est. Provoteau, 1607. 1 vol. in-4o, pp. 1-39

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(Bibl. Mazarine, n° 20615), d'après M. Livet.

2 Girard, Hist. du duc d'Epernon, cité par M. Livet.

la cour les plus vifs regrets. Il n'est pas jusqu'à Henri IV qui ne fût affligé de ce départ, car il aimait à s'entretenir familièrement avec lui.

Aussi, lorsqu'en 1610, ce prince succomba sous le poignard de Ravaillac, la reine, qui connaissait l'éloquence du nouvel évêque et qui savait combien il était cher au roi, le chargea de l'oraison funèbre. Il en fut prononcé ou écrit jusqu'à trente-trois autres, en français, en italien et en espagnol; mais celle de notre évêque, malgré quelques défauts inhérents au temps, l'emporta sur toutes les

autres 1.

En 1617, Mer Cospéan rédigea, au nom du clergé, et présenta au roi un mémoire contre le duel. Il y parlait à Louis XIII avec une vigueur et une éloquence qui obtinrent leur effet.

«On trouve dans ce mémoire, dit M. Livet, les mêmes qualités que dans l'Oraison funèbre de Henri IV, mais moins de défauts et aucune de ces citations profanes qu'il s'est encore plus d'une fois permises dans celle-ci. Cependant, on lui sait gré d'avoir peu à peu purgé la chaire de ce fatras d'extraits des auteurs grecs et latins. >

Nous connaissons peu de faits relatifs à l'administration du jeune évêque dans le diocèse d'Aire. Cependant une biographie manuscrite, conservée à Aire et communiquée à M. Livet, nous apprend trois choses que nous relatons ici. Et d'abord, pendant la minorité de Louis XIII, les religionnaires ayant pris la maison épiscopale, qui était, paraît-il, une véritable forteresse, le marquis de Poyanne, qui la reprit sur le sieur de La Force, arrêta qu'elle serait rasée, mais que le pays indemniserait l'évêque, qui consentit à cette

mesure.

En second lieu, Mer Cospéan travailla aussi beaucoup à réparer les églises de son diocèse. On lui doit le portail de la cathédrale d'Aire, où l'on voit encore actuellement ses armes, trois fusées d'argent, dit l'auteur que nous suivons.

M. Livet, qui en fait une critique judicieuse, l'a publiée tout entière dans la Revue des Provinces de l'Ouest, no de janvier, mars, avril 1854.

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