herbe, séduite, non pas même par les beaux yeux, mais par le charmant uniforme d'un jeune capitaine de hussards, admirablement ganté. Si Horace, attaqué par les trois Curiaces, n'avait plus qu'à mourir, le pauvre homme d'État, tiraillé par cinq ennemis de sa conscience, par sa faiblesse et son ambition, n'avait qu'à succomber, et c'est ce qu'il finit par faire. Encore n'y a-t-il là qu'une insigne et déplorable faiblesse. Mais, avec l'Alcade de Tampico, nous nageons dans la fange et dans la corruption. Zapata, l'Alcade, est vendu d'avance au pouvoir qui triomphera. Nous n'avons rien cité de la première pièce, quoiqu'il y ait là des vers purs comme des diamants, mais qui perdraient à être sortis de leur sertissure. Dans l'Alcade, se trouve un double manifeste, qui est un vrai chef-d'œuvre. Lorsque Zapata croit le... Prince Président perdu et la République assurée de vivre, il écrit cette proclamation: Citoyens, un tyran que le Mexique abhorre On combattit trois jours. Le peuple a triomphé! Alerte et crions tous: Vive la république! Mais, au même instant, on apprend que la scène a changé; que le monarque est victorieux, et, sous la dictée d'un juif, son créancier, désireux de sauver, non l'Alcade, mais son argent, Zapata écrit ce nouveau manifeste: Citoyens! un héros que le Mexique adore On combattit trois jours. Le prince a triomphé! Du calme et crions tous: Vive la monarchie! Mais comme Zapata hésite à signer cette nouvelle rédaction, le juif insiste: Ce siècle a trop bon cœur pour jamais s'indigner. Or le prince lui-même arrive dans les murs de Tampico. Reçu par des vivats unanimes, sous des arcs de triomphe, il assiste au bal, il nomme l'Alcade duc de Zapata, et daigne même prendre un bain. Ici se développe une scène, le comble de l'adulation burlesque. Zapata réunit l'ayuntamiento et distribue à chacun des membres des bouteilles contenant..... Proh! pudor! l'eau du bain, dont chaque molécule A touché la poitrine et les jambes d'Hercule !.... Il ne faut plus s'étonner, après cela, qu'aucun imprimeur n'ait osé livrer à ses presses, du temps que le preneur de bain régnait encore, cette épique reproduction d'une scène dont on ne se répétait qu'à voix basse les détails, malicieusement embellis. Je ne sais pourquoi, entre les deux comédies aristophanesques dont il est encadré, le drame antique du Procès de Thruséas m'a particulièrement attiré. Est-ce la grande figure de Thraséas qui le relève à mes yeux ? Est-ce le prestige que l'histoire emprunte à l'éloignement des siècles? Major è longinquo reverentia, comme dit Tacite, à qui le récit est emprunté. Ces dénonciateurs, drapés dans le laticlave, semblent moins ignobles que sous l'habit noir et le frac brodé d'or. L'ombre gigantesque et monstrueuse de Néron s'allonge sur cette foule, et les crimes d'alors sont grands comme l'empire romain. Enfin, la troisième partie est tout entière peuplée de grands et héroïques personnages, qui forment à Thraséas condamné, puis mourant, un cortége de vertus, païennes encore, mais sur lesquelles se reflète déjà cette première aube qui précéda le christianisme naissant. Cette belle scène hante ma mémoire et je voudrais pouvoir la citer tout entière. Je suis forcé de me borner à en détacher un lambeau. DÉMÉTRIUS. A nous ta dernière heure et tes derniers conseils. RUSTICUS. Que faire en la gardant pour frapper sans faiblesse, THRASÉAS. Gardez-moi seulement place en votre mémoire. RUSTICUS. Quel est-il donc ? THRASÉAS. L'histoire. A l'heure où mon sang coule en ce dernier frisson, Elle a ses fiers témoins qu'elle exerce dans l'ombre, Dans ces beaux vers, M. Victor de Laprade a entendu faire allusion à Tacite, mais il nous est permis d'y chercher un autre écrivain, non moins puissant, et d'y voir le poète lui-même. PROSPER BLANCHEMAIN. FLEURS DE FRANCE. - SONNETS ET FANTAISIES, par M. Prosper Blanchemain. 2 vol. in-18. Paris. Aug. Aubry, rue Séguier, 18. Les livres ont pour nous un singulier attrait: notre attentio nest toujours éveillée par une œuvre nouvelle, et, les yeux fixés sur les pages, nous oublions sans peine le lieu, le monde où nous sommes, si le sujet du livre est de ceux qui bercent l'âme ou élèvent l'esprit. Qu'une bonne fortune nous donne l'œuvre d'un poète, nous ouvrons au hasard l'ouvrage encore inconnu; nous lisons une page ici, là une stance; et si nous sommes satisfait de l'auteur, qui devient alors notre ami, nous reprenons la lecture du livre à son commencement, et nous en suivons les pages comme on suit un guide expérimenté dans une exploration qu'on a choisie. Et c'est précisément ce qui nous arrive à propos de deux volumes de poésies - Fleurs de France, Sonnets et fantaisies, que vient de publier M. Prosper Blanchemain, un auteur bien connu des lecteurs de la Revue de Bretagne et de Vendée. Ces poésies nous ont plu sans effort: aussi les recommandons-nous avec confiance à ceux qui aiment les beaux vers, les pensées gracieuses, les sentiments élevés. M. Blanchemain est un poète plein de naturel; il a le sentiment délicat et il dit les choses comme il les sent, simplement, sans prétention. Il aime la rêverie, il a des sourires pour la beauté et des caresses pour la bonne poésie d'autrefois. Le premier de ses deux nouveaux volumes, c'est-à-dire le quatrième de ses œuvres, a pour titre : Fleurs de France; il renferme des poésies diverses, des idylles, des élégies, des poèmes, où s'encadrent une pensée, une scène, un paysage. C'est surtout dans la rêverie et le sentiment que le talent de notre auteur est plein de charme. Lisez le Crépuscule, dont nous citons quelques vers: La nuit ...... sème Les perles de son diadème," Sur le manteau d'azur des cieux. Que songer est doux à cette heure! La fleur s'endort sous l'ombre douce, « Courtisan du malheur », M. Blanchemain a des chants amis pour ces braves cœurs, ces poétiques figures, ces Fleurs de France, qu'une tempête précipita du faîte où les avait fait monter le destin, et dont le lecteur devinera bien les noms à travers le voile transparent qui les recouvre. Il reconnaîtra sans peine le prince légendaire ; C'était le héros ignoré; Et le chef qui l'a décoré N'a rien su que son nom de guerre. Un peu plus loin, comme l'Excelsius justifie bien son titre ! Mon âme se rappelle ou pressent, comme en rêvè, Et quels nobles sentiments dans ces vers, A l'âme de ma mère : Par notre joie et nos alarmes, Par nos vœux que nous unissions, Par nos pleurs même, non sans charmes, Lorsque ensemble nous les versions, Si, dans une éternelle aurore, Les âmes, où règne la foi, Se doivent réunir encore, Réponds! oh! réponds-moi! |