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Pleumeleuc, au XVIe siècle, figurent Glaume Fauchoux et Jean Gautier.

Les paroisses limitrophes de Pleumeleuc, Romillé, Partenai, Clayes, Saint-Gilles, reviennent souvent dans les récits de du Fail; il ne se borne pas à les nommer, il conte des détails précis, des anecdotes caractéristiques, entre autres sur le village du BasChamp et de la Costardière en Partenai, sur Louaybaut, le lutteur de Partenai, sur Guillaume Hervé, le docteur de Clayes 3. Clayes semble être pour lui le centre d'un petit pays, d'un petit monde rural, qu'il oppose à celui de Saint-Erblon: après avoir raconté une mésaventure arrivée aux gens du village de Places, situé au bord de la Seiche, non loin de Château-Létard, il ajoute : « Le lendemain > il ne couroit autre bruit partout, qui vola jusques bien > loin hors le pays, à Clayes,

> le loup-garou*. »

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que ceux de Places avoient trouvé

Du Fail nomme Saint-Gilles, dans les Baliverneries; il connaissait très-bien cette paroisse, il en cite plusieurs villages, même des plus modestes, entre autres Huchepoche, Guicholet, la Perrière, Tramabon. Il nous révèle à Huchepoche l'existence d'un étang, aujourd'hui à sec, dont la chaussée fut le théâtre d'une des scènes les plus curieuses des Propos rustiques. Il nous conte l'industrie un peu véreuse d'un paysan de la Perrière, qui trouva pendant dix ans moyen de payer ses fouages et ses tailles avec un pigeon, toujours le même. Il nous montre, en tête d'une bande rustique armée en guerre, le meusnier de Guicholet avec son hautbois, qui faisoit › rage de souffler *. » — Quant à Tramabon, il faut citer. A propos d'un fait qui s'était passé de l'autre côté de Rennes, à Nouvoitou,

• Eutrapel, VII, ibid., I, 294.

2 Propos rustiques, X, et Eutrapel, VII, édit. 1874, I, 91 et 293.

3 Eutrapel, XXVI, ibid., II, 193; cf. II, 143 (Eutrap. XX).

* Id., XI; ibid., II, 12.

s Ibid.

• Propos rustiques, édit. 1874. I, 91, 95, 98.

Eutrapel, VII, edit. 1874, I, 293.

• Propos rustiques, IX, édit. 1874, I, 81

près Châteaugiron, du Fail dit : « Il s'en bastit une chanson mondaine, » qui trotta par tout le monde, c'est-à-dire jusques à Chantepoie, » Tramabon, Mordelle '. » Tramabon, comme Guicholet, est un lieu à peu près imperceptible, même pour qui connaît le pays. Comment notre auteur est-il allé le choisir pour marquer, avec deux bourgs paroissiaux fort importants (Chantepie et Mordelle), le point le plus éloigné où pût parvenir un bruit parti de Nouvoitou? C'est que cette maisonnette microscopique était, comme Guicholet, bien connue de du Fail, toutes deux bordant une route que du Fail faisait souvent et savait par cœur, celle de la Hérissaie à Rennes.

XI

En sortant de la Hérissaie, cette route rencontrait d'abord Tremerel, puis Clayes; se rendait vers Saint-Gilles en suivant à peu près le chemin actuel, à moitié duquel, un peu sur la gauche, est Tramabon; descendait jusqu'au bourg de Saint-Gilles (que la grande route laisse aujourd'hui à 200 mètres sur la droite), et presque en sortant de ce bourg, trouvait Guicholet. Tremerel, Clayes, Tramabon, Saint-Gilles, Guicholet, en recueillant ces cinq noms dans ses contes, le seigneur de la Hérissaie a pris soin de jalonner très-exactement la première partie de son itinéraire vers Rennes.

Pour la seconde il a fait mieux: il l'a décrite dans un récit pittoresque, qui a d'ailleurs le mérite d'être la première version française de la fable du Meunier, son fils et l'âne. Le voici :

<< Titius va en voiage, mène son fils, jeune garsonnet, et la jument pour tant les porter que leurs hardes pélerines. Faisans chemin, rencontrent au Pont-de-Pacé une troupe d'hommes couchez sur le ventre au soleil :

>> - Comment! mon ami (dirent-ils), vous allez à cheval, et ce pauvre enfant est à pied: qui n'est aucunement raisonnable et bienséant.

› Titius, à ceste repréhension, descent et fait monter son fils, Eutrapel, XI, édit. 1874, II, 15.

tirans outre. Mais, en l'endroit de ce meschant chemin de la mestairie de Méaux, se trouva une autre bande de censeurs, qui au contraire soustint que c'estoit un moqueur et sans entendement, vieil qu'il est, souffrir un jeune galand, frais et alègre, estre de cheval, où n'y avoit propos ny apparence.

>> - Sainte Marie! dit le bonhomme (voiant que tous essais, consultations, instructions et entreprises desplaisoient), je m'en cheviray bien!

> Car il laissa sa jument aller seule sans aucune charge, suivans luy et son fils. Mais, estans à la Communaie, ouïrent certains joueurs de paume disans:

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Combien vous estes pauvres gens, travaillez et las que vous estes, laisser reposer vostre jument, qui aisément vous peut porter tous deux!

-

» — Infortuné ! s'escria Titius, en chose si mal accordante que ferai-je? Il faut remuer toute pierre!

» Lors luy et son fils montent sur la jument. Mais, vis-à-vis le Potd'Estain, leur fut prononcé :

- Comment n'avez-vous point de honte? Est-ce honnêstement fait d'ainsi fouler ceste pauvre beste ? Vraiement, vous l'avez desrobée.

» De façon que, sujet à la sotte et vulgaire dévotion du peuple, ne sachant plus de quel bois faire flèches, fut contraint se loger et heberger au mieux qu'il peut '. »

Le Pont-de-Pacé est un gros village à une lieue de Saint-Gilles, groupé autour du pont sur lequel la route de Rennes franchit la petite rivière de Flume. A trois quarts de lieue du Pont-de-Pacé, la métairie de Méaux ou de Méault (aussi en la paroisse de Pacé) existe toujours, mais à 400 mètres au sud de la route actuelle, qui, en se redressant, a sagement abandonné « ce méchant chemin » dont Noël du Fail se plaignait. — Entre Méaux et la Communaie, à

Contes d'Eutrapel, chap. XXVII, édit. de 1585, fol. 151 R° et V°; édit. 1874, II, 216-218.

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peu près à moitié chemin (à 2700 mètres de Méaux), la route a de tout temps traversé un long village répandu sans ordre sur ses deux bords, et appelé le Pont-Lagot; du Fail n'a pu le faire entrer ici dans le cadre de son récit, mais il le mentionne ailleurs, comme un lieu bien connu de lui et de toute la population rennaise 1. — Quant à la Communaie, c'est une ferme située à un demi-quart de lieue de Rennes, au nord et tout à fait sur le bord de l'ancienne branche de la route qui pénètre dans la ville par le faubourg de Brest, autrefois faubourg l'Évêque, précisément à l'intersection de cette route et du chemin de fer de Saint-Malo. Mais le jeu de paume qu'on y voyait au temps de du Fail a disparu. Il en est de même du cabaret du Pot-d'Étain. Il y en a bien encore un de ce nom dans la banlieue de Rennes, sur la route de Châtillon-surSeiche, à un kilomètre de la gare. Il y eut aussi, au XVIIe siècle, un logis dit le Pot-d'Estain» dans la rue de la Fannerie, détruite par l'incendie de Rennes de 1720, et qui traversait diagonalement le terrain dont on a fait la place actuelle du Théâtre. Ces situations ne peuvent convenir. C'est devant le Pot-d'Étain que Titius et son fils, venant de la Communaie sur leur jument, subissent leur dernière attaque avant de pouvoir se loger dans Rennes; le Pot-d'Étain devait donc être à l'entrée de la ville du côté où ils arrivaient, c'est-à-dire vers l'extrémité du faubourg l'Évêque. Ce nom de cabaret est d'ailleurs assez commun.

Si maintenant l'on reprend en ordre inverse les noms de lieux qui viennent d'être énumérés, on a cette série: le Pot-d'Étain, la

Du Fail dit d'un écolier fanfaron: Il vantoit et trompetoit sa noblesse, combien qu'il fust issu de la plus vilaine pautraille qui fust d'icy au Pont-Lagot. · - Contes d'Eutrapel, XV, édit. 1874, II, 53-54.

2 Et å 2300 mètres du Pont-Lagot.

3 L'autre branche est celle qui entre dans Rennes par la promenade du Mail; cette nouvelle arrivée fut ouverte vers 1843. Au temps de du Fail, il n'existait, bien entendu, que l'ancienne route.

D'après la réformation de la ville de Rennes de 1646, cette maison appartenait à la damoiselle de la Villeblanche, et se trouvait située entre deux autres maisons, dites l'une le Cerf-Volant et l'autre la Bannière de Bretagne. (Renseignement fourni par M. Paul de la Bigne-Villeneuve.)

Communaie, le Pont-Lagot, Méaux, le Pont-de-Pacé, Guicholet et Saint-Gilles, Tramabon, Clayes et Tremerel, ce qui forme l'itinéraire complet de Rennes à la Hérissaie.

Pourquoi du Fail a-t-il préféré ces noms pour les enchâsser dans ses récits? Pourquoi surtout, en contant la fable de Titius et de sa jument, l'a-t-il localisée avec tant de soin sur la route de Saint-Gilles à Rennes, sinon parce que c'était là celle qu'il connaissait le mieux, celle qu'il arpentait sans cesse pour aller de la ville à sa chère maison des champs et réciproquement?

Nouvelle preuve, et non pas la moins curieuse, de son séjour habituel à la Hérissaie.

XII

Noël du Fail, né vers 1520, publia en 1547 les Propos rustiques, ⚫et en 1548 les Baliverneries. Dans ces deux petits livres, nombre de localités, voisines de la Hérissaie, se trouvent nommées; l'auteur, dès sa jeunesse, connaissait donc très-bien ce pays-là. Toutefois il ne possédait point encore cette terre, qui était, en 1548, aux mains de son frère aîné François du Fail, le Polygame des Baliverneries et des Contes d'Eutrapel.

Cet aîné, qui habitait la terre de famille, c'est-à-dire ChâteauLétard en Saint-Erblon, donna la Hérissaie à Noël en partage de cadet, mais plus tard, de 1560 à 1570, et probablement peu de temps avant la seconde de ces dates. En effet, c'est en 1570 que fut rédigé le dernier chapitre des Contes d'Eutrapel, où Noël du Fail nous apprend qu'il vient de faire accommoder sa maison des champs aux termes d'une vraie habitation philosophale », et nous peint la bonne vie qu'il a commencé d'y mener. C'est le passage que nous avons cité en tête de ce travail..

A cette époque, il siégeait comme conseiller au Présidial de Rennes, ses loisirs n'étaient pas très-nombreux et son frère aîné François, qui vivait encore, en réclamait une part pour lui-même et pour le manoir patrimonial de Château-Létard. En 1571, Noël

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