Page images
PDF
EPUB

Dans une lettre insérée dans le même bulletin, j'appuyai la proposition de notre sayant collègue, et j'essayai de démontrer de quelle utilité serait, pour l'arboriculture de notre circonscription agricole, la création de nombreuses pépinières d'arbres à fruits qui permettraient d'effectuer la transplantation, alors que les jeunes sujets, fraichement enlevés de leur berceau, sont accompagnés de leur terre natale, plus favorable, comme on sait, à leur développement que celle qui provient des fonds étrangers. Je proposai, en conséquence, d'accorder, à titre d'encouragement, une prime en argent à M. Pierre Jourdain, agriculteur et jardinier, à Saint-Renan, pour le zèle et le succès avec lesquels il s'occupait de la propagation des pommiers à cidre. A cette époque, en effet, M. Jourdain possédait, tant dans son jardin que dans un champ qu'il destinait en partie à cette culture, plus de huit cents sujets en bonne venue, et il avait l'espoir fondé de voir s'accroître chaque année l'importance de cette exploitation.

On connaît l'efficacité des primes d'encouragement pour exciter l'émulation des propriétaires et des cultivateurs. C'est en grande partie grâce à l'emploi judicieux qu'on a su en faire, que notre circonscription agricole est enfin sortie de l'état d'immobilité où elle s'est tenue pendant si longtemps.

Communément, ce sont les jurys nommés par les Comices qui, à la suite des concours, décernent les récompenses, soit qu'elles proviennent des cotisations des sociétaires, ou des subventions. accordées par le Ministre, par les départements et par les communes. A seule fin de favoriser le reboisement, je propose la modification suivante :

< Le Ministre, les départements et les communes n'alloueraient à l'avenir des subventions aux associations agricoles qu'à la condition expresse d'en affecter une partie à la fondation d'un prix, au moins, qu'on décernerait chaque année, dans chaque circonscription, au propriétaire ou au fermier qui aurait semé ou planté en bois la plus grande étendue de terres incultes, landes, bruyères, montagnes, etc.

En fait d'agriculture, de prévoyance et d'intérêts publics bien entendus, suivons l'exemple de l'Angleterre, qui, après avoir rendu un bill, en 1765, pour le reboisement d'une étendue considérable de terrains, décernait solennellement, à ceux qui se distinguaient dans cette patriotique entreprise, une médaille nationale portant celte simple inscription: « Pour avoir semé du gland. »

Dans l'un de ses numéros du mois de juin 1874, un journal de Paris publiait une note relative au boisement, dans laquelle l'auleur, dont je regrette vivement d'avoir oublié le nom, proposait d'établir dans chaque commune un registre où chaque propriétaire ou fermier s'engagerait, en le signant, à planter sur son terrain dix arbres par an. Cette note, perdue dans les colonnes d'un grand journal, aura sans doute passé inaperçue pour la plupart des lecteurs, à cause de sa brièveté, bien qu'elle me paraisse susceptible de développement et digne d'attirer l'attention de tous ceux qui s'intéressent au progrès de la sylviculture. En effet, le personnel agricole de la France se compose de quinze cent mille propriétaires ou fermiers environ 2. Or, supposons que la moitié de ce nombre prennent l'engagement de planter dix arbres au moins par individu et par an, on aura sept millions cinq cent mille plants par année. Supposons un are de terrain pour dix arbres ou cent arbres par hectare, on pourrait boiser par conséquent cent cinquante mille hectares de terrain par an, quantité égale à celle des landes et friches de notre département.

La proposition dont il s'agit, me semble d'une application d'autant plus facile que, dans les baux à ferme, quelques propriétaires de notre département imposent à leurs fermiers l'obligation de planter, chaque année, un certain nombre d'arbres fruitiers ou forestiers, et s'obligent, de leur côté, à fournir les sujets nécessaires à ces sortes de plantations. Ce' moyen est considérable et devrait être spécialement recommandé par les notaires chargés de régler

Ainsi que le titre du journal.

2 En y comprenant ceux des deux provinces que la guerre nous a fait perdre et qu'elle nous rendra peut-être un jour.

les conditions des contrats. Mais le chemin est long avec les préceptes, et le moyen d'arriver promptement au but appartient essentiellement à l'État. Que par une disposition accessoire à la loi du 28 juillet 1860 sur le reboisement des montagnes, il rende obligatoire ce qui n'est que conditionnel dans la proposition, et l'on finira par remédier aux calamités sans nombre qui résultent du déboisement de notre territoire. Notre code rural serait-il donc moins prévoyant que cette législation conservatrice des Tartares du Daghestan, qui impose à ceux qui se marient l'obligation de planter cent arbres à fruits?

Néanmoins, quelle que soit l'insuffisance de la loi du 28 juillet 1860, elle doit être considérée comme un acte éminemment utile, et qui honore la législature de notre pays. L'adoption de cette loi a été volée à l'unanimité et presque sans discussion, par le Corps législatif, qui a sanctionné ainsi cette maxime agricole du plus grand sage de l'antiquité : « Quand il s'agit de bâtir, il faut longtemps délibérer, et souvent ne point bâtir; mais, quand il s'agit de planter, il serait absurde de délibérer : il faut planter sans délai .»

Caton, la Vie rustique.

TOME XXXIX (IX DE LA 4° SÉRIE).

DUSEIGNEUR.

LA HÉRISSAIE DE NOEL DU FAIL

VIII*

Pour bien établir l'identité de la Hérissaie et de la maison aux champs de Noël du Fail décrite au dernier chapitre des Contes d'Eutrapel, il reste quelques difficultés à résoudre.

Où trouver, par exemple, « ces petites eaux » dont du Fail avait environné sa maison, et « sous le crédit » desquelles il espérait braver l'effort des voleurs, des coureurs, et même de l'ennemi en cas de guerre civile ?

Ces petites eaux ne pouvaient être que des douves dont il avait enceint son habitation. Il n'était difficile ni de les creuser ni même, avec quelque soin, de les tenir suffisamment pleines. Tout ce pays est fort mouillé. Le cadastre, parmi les parcelles dépendant de la Hérissaie, indique un « ancien vivier »'. Dans les vieux titres, une autre pièce en lande dite les Marebües (les Mares bues ?) est qualifiée < terre inculte et aquatique », c'est encore aujourd'hui un marécage. Contre la grande prée de la Hérissaie, nous trouvons le pré Pourri ou Vieil-Elang. Tout près du jardin de la ferme actuelle, il y a une source qui forme, pendant une partie de l'année, une sorte de petit vivier. La Hérissaie pouvait donc avoir des douves et même assez inondées pour empêcher un coup de main. Mais il y fallait du soin et de l'entretien. Du Fail le dit: c'étaient de «petites eaux ». Et il met, quelques lignes plus bas, au nombre de ses occu

Voir la livraison de décembre, pp. 417-431.

N° 401 de la section C de Pleumeleuc, ancien plan cadastral.

pations habituelles, celle de « tirer, de faire découler et venir

ces eaux ».

Du Fail mort, la Hérissaie resta un demi-siècle désertée par ses maîtres. Les douves, livrées à elles-mêmes, séchèrent, puis se comblèrent à moitié. Sous Louis XIV et même sous Louis XIII, du moins en Bretagne, elles étaient parfaitement inutiles. Les petits cadets entre qui s'était émiettée la Hérissaie, trop pauvres pour perdre un seul sillon de terre, achevèrent de combler ces fossés, et y firent pousser du blé, du chanvre ou des légumes. Voilà pourquoi on n'en trouve plus trace dans l'aveu de 1676.

[ocr errors]

[ocr errors]

Autre embarras. Eutrapel, quand il peint si joliment ses passetemps rustiques, se représente « aux rivières, amusé et solitaire sur le bord d'icelles, peschant à la ligne » ou même y < tendant rets et filets. Or, dans le voisinage de la Hérissaie, pas de rivière. En prenant ce mot de rivière au pied de la lettre, l'objection vaut. En l'entendant comme on le doit ici de toute eau où l'on peut pêcher, y compris les étangs et les ruisseaux, l'objection tombe. Il y a, à trois-quarts de lieue environ de la Hérissaie, le bel étang de la Motte-Henri ; à un quart de lieue, le gros ruisseau, qui descend de Perronay à la Motte et qui s'élargit beaucoup au moulin du Moine. Du Fail avait de plus à sa disposition, l'un et l'autre à une demi-lieue de sa demeure, les deux étangs, maintenant détruits, de Vaunoise et de Huchepoche. Enfin il avait, à quelques pas de lui et à lui probablement, un étang baignant la prairie de la Hérissaie et qui, converti en pré au XVIIe siècle, s'appelait encore le VieilÉtang. -L'ermite de la Hérissaie pouvait donc, sans aller loin, pêcher à la ligne et au filet.

Enfin, on peut s'étonner de voir Janvier, le gentil maçon, appelé de Saint-Erblon pour travailler en Pleumeleuc, à six ou sept lieues de chez lui. Au moyen âge et le moyen âge durait encore en Bretagne en 1570,- à moins de circonstances exceptionnelles, on se servait, dans chaque localité, des ouvriers du crû; on eût craint avec raison d'exciter la haine et la jalousie des indigènes en appelant des étrangers. Notez que Janvier n'est point un nom de fan

« PreviousContinue »