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il faut admettre jusqu'à preuve contraire, que le garage d'amont de la première pile a été remanié après 1612; le cordon qui le contourne serait de cette époque.

Duviert nous montre aussi deux constructions établies sur les piles extrêmes.

Leur aspect n'indique pas que ce fussent là des fortifications au vrai sens du mot, capables d'offrir une résistance sérieuse à un assaillant quelconque. C'étaient, sans doute, de simples corps de garde. Ces bâtisses avaient-elles servi autrefois à la perception des droits de péage? C'est possible. La plupart des ponts du moyen âge étaient en effet munis, quand ils ne possédaient pas de fortifications véritables, d'édicules destinés à cet usage.

Quant au pont-levis que Duviert indique comme donnant accès dans la bâtisse située près de la riche gauche, et qui repose abaissé sur la dernière arche, ce n'était probablement pas non plus un pont-levis dans le sens propre du mot, mais une porte en charpente ouvrant et fermant à bascule au moyen de chaines.

Dans tous les cas, si ce tablier tombait sur une tranchée, celle-ci devait être de peu d'importance. C'était une saignée sans profondeur pratiquée sur le rein de voûte. Comme d'ailleurs cette saignée eut constitué un danger pour les maçonneries sans offrir un obstacle sérieux, on ne voit pas pourquoi elle eut existé.

Disons maintenant un mot de la construction au point de vue technique.

Le gros œuvre se compose de maçonnerie de moellon granitique, portée, en ce qui concerne les arches, sur des arcs extradossés (1) en pierre de taille.

Les tympans, les avant-becs et les contreforts sont aussi revêtus d'un parement en pierre de taille, les premiers jusqu'à hauteur du sommet des arcs seulement. Cette dernière particularité nous semble résulter de remaniements qui auraient fait disparaître une partie de l'appareil primitif. De nombreuses reprises, toutes en maçonnerie de blocage, sont d'ailleurs visibles dans le parement des contreforts et des avant-becs. Les parapets ont aussi été remaniés à diverses reprises et pas toujours avec goût.

Les sondages exécutés par la municipalité de Limoges ont prouvé, ce qu'on soupçonnait déjà, que les avant-becs et contreforts sont composés, tout au moins dans la partie supérieure et sans doute

(1) Un arc est extradossé quand ses claveaux sont taillés à la courbe supérieure. Ce système excellent fut toujours employé par les constructeurs des x et xe siècles. Il a cet avantage de conserver aux arches toute leur élasticité et d'empêcher les trépidations de s'étendre à l'ouvrage tout entier. Les constructeurs modernes sont revenus à l'emploi de ce système, le seul logique.

jusqu'au niveau de la construction primitive, de murs entourant un vide dans lequel on a pilonné de la pierre mélangée de tuf. Il est probable qu'il en est de même pour les énormes massifs des piles.

Ce mode de construction est commun à de nombreux ponts du Limousin, du Quercy et probablement des régions circonvoisines dans lesquelles l'art de la construction s'inspirait généralement des mêmes méthodes. Il a été signalé pour la première fois par M. Félix de Verneilh dans ses études sur l'architecture civile du moyen âge (1).

Quoique ce parti ait été dicté, évidemment, par un motif d'économie, il a cependant résisté aux injures du temps.

C'était encore une raison, pour nos constructeurs, de donner à leurs piles les larges sections dont nous avons parlé.

Celles du pont Saint-Etienne varient de 485 à 4-30. Quant à leur longueur, elle est de 10-13 à 1060. La largeur du tablier est de 5 mètres.

Toutes ces mesures comprennent les épaisseurs des parapets.

Le tablier du pont au point le plus élevé qui est au droit de la pile séparant la quatrième arche de la cinquième, en partant de la rive droite, se trouve à la côte d'altitude 224,86; l'extrémité NordOuest, rive droite est à la côte 222; l'extrémité Sud-Est, rive gauche, à la côté 222,85. Il y a, par conséquent, une différence de niveau de 286 dans un sens, de 2TM01 dans l'autre (2).

Quant à la hauteur au-dessus du niveau moyen des eaux, elle est au point le plus élevé, d'environ 6m50, de 7 mètres environ aux basses eaux. La longueur du pont, d'une extrémité à l'autre, prise à l'angle des murs de soutènement qui forment retour aux culées, en aval, est de 13475.

La hauteur et la largeur des arches, sont variables pour chacune d'elles. Nos lecteurs pourront s'en rendre compte en examinant les dessins qui accompagnent cette étude et qui forment une planche avec quatre figures.

Le dessin inférieur donne le plan du pont pris au-dessus des parapets. Le tracé des piles est indiqué par un pointillé. Le deuxième dessin donne l'élévation du pont en aval; le troisième, l'élévation en amont; le quatrième est une coupe passant par l'axe de la quatrième arche.

Tous ces dessins ont été exécutés à l'échelle de 0,005 par mètre, la reproduction en photogravure a réduit cette échelle de moitié, c'est-à-dire à 0,0025.

(1) Voir Annales archéologiques.

(2) Ces côtes qui sont celles du plan côté de la Ville de Limoges, ont été vérifiées par nous en 1889. Les mouvements du macadam n'ont pu les modifier d'une manière sensible.

Il nous reste un mot à dire d'une question un peu délicate. L'administration municipale de Limoges se propose de démolir et de réédifier le pont Saint-Etienne sur des proportions plus en rapport avec les besoins modernes.

Certes, malgré notre désir de conserver intacts les monuments qui nous restent comme de vivants témoins de notre histoire, nous ne saurions méconnaître que les exigences du présent et le souci de l'avenir nécessitent parfois de douloureux sacrifices; que les nécessités de cette nature doivent avoir le pas sur les préoccupations archéologiques. Existe-t-il une nécessité de cette nature en ce qui concerne le pont Saint-Etienne?

En 1889 (1), sur la demande d'un groupe de conseillers municipaux, nous avons élaboré un avant projet de travaux de voirie dont l'exécution eut exigé une transformation du pont Saint-Etienne.

Il s'agissait d'un élargissement et d'un redressement du tablier, lesquels, d'une façon économique, eussent permis d'améliorer dans une certaine mesure les voies d'accès.

Cette opération nous paraissait alors possible, sous réserve des vérifications toujours nécessaires (2) avant d'entreprendre des traxaux de cette nature.

Après quelques objections, la municipalité s'était sans doute rangée à notre avis, puisqu'elle avait fait élaborer un projet de transformation que nous avons eu sous les yeux et qui, dans ses grandes lignes, était conforme à celui que nous avions établi nous-même.

Depuis lors, les idées de notre administration se sont modifiées; une nouvelle étude lui a sans doute démontré un danger et des besoins qui n'avaient pas été soupçonnés tout d'abord, ou qui, tout au moins, avaient paru moins impérieux.

Nous nous inclinons devant ces considérations, mais nous estimons que s'il est nécessaire pour satisfaire aux exigences édilitaires, de reconstruire entièrement le pont Saint-Etienne, ce serait une faute de le rétablir sur l'emplacement actuel.

Il ne saurait évidemment être question d'élever le tablier à un niveau supérieur à celui du carrefour du clos Sainte-Marie.

Dans ces conditions, il sera encore impossible d'obtenir pour les voies d'accès, du côté de la ville, les conditions de bonne viabilité qu'on est en droit d'attendre d'une opération de telle importance. Nous ne pensons pas, en effet, que l'administration municipale soit disposée à renouveler au pont Saint-Etienne ce qui a été fait pour la construction de la nouvelle Préfecture, et à raser en bloc tout un quartier.

(1) Rapport adressé au comité d'initiative pour l'exécution de travaux de voirie dans la quatrième section. Limoges, Chatras et Cie, 1889, in-4o. (2) Voir le rapport précité page 14.

Le voulût-elle, d'ailleurs, que l'opération bien autrement vaste que celle dont nous venons de parler, se heurterait à des difficultés d'ordre financier de longtemps insurmontables.

Il est donc préférable, au lieu de démolir le pont Saint-Etienne, d'employer aux travaux réconfortatifs des parements la somme que coûterait sa démolition (1).

On pourrait aussi, sans augmentation de dépense, conserver ce débouché, tout en construisant un deuxième pont dont l'emplacement nous parait toujours devoir être fixé au point que nous indiquions en 1889, c'est-à-dire sur une ligne joignant l'avenue du Sablard, à hauteur du chemin de Panazol, avec l'entrée inférieure de l'avenue des Bénédictins. La voie d'accès existe du côté de la ville; il suffirait de modifier légèrement les pentes de la rue Vacquand qui longe la façade de la caserne. La voie d'accès de la rive gauche est à créer évidemment; la dépense nécessaire ne saurait être très considérable eu égard au but à atteindre.

On aurait solutionné le problème au mieux des intérêts de la ville, sans causer de préjudice aux abords du pont actuel. L'expérience faite au pont Saint-Martial en fournit la preuve la valeur des immeubles qui l'avoisinent n'a pas été diminuée par la construction du pont bâti à une faible distance, distance moindre, en tout cas, que celle qui séparerait le pont Saint-Etienne de celui que nous proposons.

Si ces considérations étaient à leur place dans cette étude, nous pourrions développer longuement les motifs d'ordre général qui militent en faveur d'un tel projet et tout le parti qu'on en pourrait tirer pour l'embellissement de notre ville et le développement industriel et commercial des régions intéressées.

Nous y reviendrons sans doute ailleurs. En tout cas, nous voulons espérer que notre administration municipale voudra bien écouter la voix des citoyens désireux de lui épargner une faute qu'elle regrettera sans doute plus tard, qu'elle étudiera sérieusement le projet que nous venons de lui soumettre à nouveau, qu'elle appréciera les motifs qui l'ont inspiré.

Elle préservera ainsi les vrais intérêts de Limoges, tout en donnant satisfaction aux vœux des amis du pittoresque et de nos vieux monuments.

A. JUDICIS.

(1) Un projet analogue a été indiqué dans un récent article du Courrier du Centre et que nous croyons émaner d'un de nos confrères.

HISTOIRE

DE LA

PORCELAINE DE LIMOGES

CHAPITRE I

La Région Limousine

AU POINT DE VUE INDUSTRIEL

Par une rencontre qui peut paraître singulière, mais que l'histoire explique, le Limousin primitif coïncide fort exactement sur tout son pourtour avec l'énorme masse de granits qui flanque au nord-ouest le Massif Central de la France.

Situé presque tout entier à l'ouest du méridien de Paris et au nord du 45° de latitude, à une altitude moyenne de 450 mètres, co vaste pays mesurait environ 18,000 kilomètres carrés. C'est lui que nous envisagerons ici sous le nom de « région limousine », englobant aussi par convention des localités qui comme Bourganeuf, Persac et Rochechouart appartenaient en dernier lieu au Poitou, ou à la Marche comme Sauviat, ou à l'Angoumois comme Brigueil, ou même au Périgord comme Saint-Jean-de-Cole et Teindeix.

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Ainsi délimitée la région limousine correspond aux départements de la Haute-Vienne (ch.-I. Limoges), de la Creuse (ch.-1. Guéret), et de la Corrèze (ch.-1. Tulle), embrassant en outre quelques lisières du Périgord (dép. de la Dordogne), de l'Angoumois (dép. de la Charente) et du Poitou (dép. de la Vienne).

T. LIV

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