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propre compte. Dans presque tous les États, elles sont surveillées par un commissaire royal. Ces circonstances, jointes à l'amortissement semestriel du capital par une contribution ajoutée au service des intérêts, et qui, selon les pays, varie de demi à 2 pour cent par an, offrent une sécurité complète aux capitalistes, qui sont naturellement assez craintifs. En septembre 1830, un ordre de cabinet du gouvernement prussien enleva aux porteurs la faculté d'exiger le remboursement, pour donner exclusivement à l'association le droit de l'offrir; et cependant la prime sur ces obligations, qui s'élevait à Breslau à 7 1/3 pour cent, n'était tombée en octobre 1831 qu'à 5 1/3 pour cent. Elle s'était maintenue à ce taux, qu'elle avait même quelquefois dépassé, jusqu'en 1838. A cette époque, on réduisit l'intérêt de 4 à 3 et demi pour cent, et cependant la prime ne tomba qu'à 5 pour cent. Dans tous les États où ce sont les associations elles-mêmes qui empruntent directement du numéraire au lieu de remettre aux emprunteurs des obligations que ceux-ci négocient à leurs risques et périls, on trouve généralement de l'argent au taux de 3 pour cent, comme nous l'avons dit. C'est le taux qui est fixé par les statuts du 16 février 1790 pour le Lunebourg, et, dans ce pays, on peut se libérer en trente-six ans, sans payer jamais plus de 5 pour cent par an, pour tous frais d'intérêts, d'administration, de service de fonds de réserve et d'amortissement.

Nous sommes entrés dans ces détails pour faire voir combien les placements de cette nature doivent inspirer de confiance aux capitalistes et quels grands avantages ils offrent à l'agriculture. En moins de quarante ans un propriétaire peut rembourser, sans pour ainsi dire s'en apercevoir, les sommes qu'il aura consacrées à améliorer ses domaines, à doubler, à tripler son revenu, pendant que cette extinction progressive de sa dette rend annuellement des capitaux disponibles pour le service des améliorations à exécuter sur les propriétés de ses voisins. Faut-il maintenant s'étonner du degré de prospérité auquel est parvenue l'agriculture en Allemagne, tandis qu'elle est relativement beaucoup plus arriérée dans notre France privée du bienfait de semblables institutions?

L'association se réunit tous les ans pour examiner les opérations de l'année précédente et discuter les modifications qu'il peut être nécessaire d'introduire dans la société. Elle élit un directeur-président, quelquefois un vice-président, un secrétaire, un caissier, un contrôleur ou syndic représentant les créanciers, un conserva

teur chargé de l'enregistrement des opérations, et des censeurs chargés de vérifier minutieusement tous les comptes avant la réunion annuelle de l'association et de présenter le résultat de leurs investigations. Ce comité nomme un conseil judiciaire et les employés nécessaires. Tous les membres de l'association sont obligés d'accepter les fonctions qui leur sont conférées. Ces fonctions sont rétribuées, mais généralement assez peu, sans en excepter celle du directeur. Dans le Wurtemberg même cette direction est purement honorifique.

HISTOIRE DE L'ESCLAVAGE DANS L'ANTIQUITÉ, par H. WALLON, licencié en droit, maître des conférences à l'École normale, professeur suppléant d'histoire moderne à la faculté des lettres de Paris. - Imprimerie royale, 1847. — Tome I; in-8° de CLXVI et 487 pages.

En ce temps de travail facile et d'érudition empruntée, où il y a tant de savants et si peu de science, voici un livre qui a mis sept ou huit ans à passer de l'état de mémoire couronné par l'Institut à celui d'un bon et solide ouvrage qui a l'honneur très-mérité de sortir des presses de l'Imprimerie royale.

En 1837, l'Académie des sciences morales et politiques avait mis au concours cette double question : « 1° Par quelles causes l'esclavage ancien a-t-il été aboli? 2o A quelle époque cet esclavage, ayant entièrement cessé dans l'Europe occidentale, n'est-il resté que la servitude de la glėbe? » Le prix fut décerné, en 1839, au mémoire présenté par deux anciens élèves de l'école normale, MM. Wallon et Yanoski. Le sujet, comprenant deux époques, se prêtait à la division. M. Wallon prit la partie ancienne, M. Yanoski traita la question du moyen âge. Ces deux portions distinctes du mémoire couronné en 1839, sont devenues deux ouvrages considérables. Le premier, c'est-à-dire l'histoire de l'esclavage dans

l'antiquité, paraît en ce moment; M. Yanoski publiera bientôt le second, qui exposera l'histoire des races serviles au moyen âge. Réunis, ces deux livres formeront le tableau le plus complet qui existe en aucune langue sur cette grande question, qui, jusqu'à présent, n'a été l'objet que de travaux partiels, sans enchaînement et sans suite, à ce point qu'on peut dire qu'elle n'avait jamais été sérieusement traitée.

L'ouvrage de M. Wallon formera trois volumes. Les deux premiers présenteront dans un ordre analogue, les origines, les conditions et les effets de l'esclavage: 1o en Orient et surtout en Grèce; 2o à Rome et dans les pays de l'Occident. Dans le troisième volume seront décrites les influences qui, dès les premiers siècles du christianisme et de l'empire, attaquent le droit et l'usage, et commencent à transformer l'esclavage ou à le restreindre. Nous n'avons encore que la première partie, l'esclavage en Orient et en Grèce, dont nous allons présenter l'analyse, en citant les faits ou les passages saillants.

L'auteur pose d'abord en principe, après l'avoir démontré historiquement, que

« L'esclavage, soit qu'il résulte de la puissance paternelle ou d'une puissance étrangère, soit qu'il ait été accepté ou subi, est toujours un abus de la force, et que, s'il a pu dominer, comme un fait accompli, les institutions des législateurs et les théories des philosophes, jamais il ne dut s'établir en droit au tribunal de la raison.

M.Wallon a commencé par rechercher quelle fut la condition des esclaves chez les Juifs. On le sait, nul peuple ne proclama si haut l'égalité de tous les hommes; les esclaves ne pouvaient donc, chez les Hébreux, former une classe à part, à jamais déshéritée du bienfait de la liberté. L'esclave juif sortait de servitude au bout de sept années. Par une coïncidence singulière, nous retrouvons la même douceur à l'autre extrémité de l'Asie. « Deux ordonnances de Kouang-Wou (35 de J. C.) protégeaient la vie et la personne de l'esclave en un langage plein du sentiment de la dignité humaine: Parmi les créatures du ciel et de la terre, l'homme est la plus noble. Ceux qui tuent leurs esclaves ne peuvent dissimuler leur crime. Ceux qui osent les marquer avec le feu seront jugés conformément à la loi. Les hommes marqués par le feu rentreront dans la classe des citoyens. Ainsi la marque de l'esclavage devenait un gage

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de liberté. » — « Dans l'échelle des vertus théologales des Chinois, gronder fortement un esclave compte pour une faute; les voir malades et ne pas les soigner, les accabler de travail, dix fautes; les empêcher de se marier, cent fautes; leur refuser de se racheter, cinquante. » Aussi ne rencontre-t-on pas une seule guerre servile dans les annales de la Chine, pas plus que dans celles de la Judée. M. Wallon trouve, pour expliquer cette douceur de l'esclavage dans l'empire du milieu, une raison que nous appliquerons aussi à la Palestine c'est, dans les deux pays, le petit nombre des esclaves et la prépondérance du travail libre.

L'Inde et l'Égypte avaient des esclaves; mais c'est dans l'Asie occidentale, dans cette partie du monde tant de fois bouleversée par les révolutions, que l'esclavage semble avoir pris de colossales proportions. C'est là surtout que pullula une classe particulière d'esclaves, les eunuques, nécessaires pour la garde du sérail, et dont la présence annonce la polygamie autour du foyer domestique, et, dans le palais du prince, les intrigues et les conjurations dont ils furent toujours les actifs instruments. Comme l'auteur ne marche partout qu'appuyé sur les textes, et que les textes sont peu nombreux pour l'Orient, cette première partie ne forme qu'une cinquantaine de pages, suffisantes cependant. Mais pour l'esclavage dans les temps primitifs de la Grèce, les documents abondent: Homère, Hésiode, les tragiques, etc. M. Wallon, dont l'érudition est aussi étendue qu'elle est sûre, a fait un bon emploi de ces riches matériaux, discrètement toutefois; car, comme il le dit avec grande raison,

«L'épopée prise pour histoire a ses règles particulières de critique, et pour dégager la vérité de la fiction dans les tableaux de mœurs qu'elle nous retrace, il faut soigneusement distinguer ce qui est du dessin et ce qui est du coloris. Le dessin est vrai en général, et les traits qui le forment sont empruntés à la réalité même; mais la couleur est due à l'imagination du poëte, qui idéalise et embellit ce qu'elle touche. »>

Aussi la douceur des maîtres dans l'âge héroïque, cette communauté de travaux avec leurs esclaves, que l'Iliade et l'Odyssée nous montrent, et les naïves peintures de Nausicaa au milieu de ses femmes, du fidèle Eumée, le surveillant des pâtres et des troupeaux, etc., ne lui font pas illusion sur les douleurs que le poëte laisse à peine entrevoir, mais qui devaient être souvent bien profondes:

« Je vais mourir esclave, s'écrie Polyxène, et j'étais née d'un père libre! J'ég

tais souveraine parmi les femmes, belle entre toutes les jeunes filles, égale aux déesses, moins l'immortalité, et maintenant je suis esclave! Ah! ce nom inaccoutumé commence à me faire aimer la mort. Ne pourrais-je point tomber aux mains d'un maître qui, m'achetant à prix d'argent, moi, la sœur d'Hector et de tant d'autres princes, m'imposerait la nécessité de lui préparer son pain dans sa demeure, de balayer sa maison, de m'asseoir au métier, de traîner enfin des jours pleins d'amertume? Et peut-être qu'un vil esclave viendrait profaner ma couche, enviée jadis par les rois! Non, je ferme les yeux à la libre lumière, et j'abandonne volontiers mon corps à Pluton (1). »-« Que l'on vante autant qu'on voudra, ajoute M. Wallon, la mansuétude du maître, qu'on exalte cette condition heureusement dépendante qui affranchit l'esclave des soucis de la misère, et sauve à son imprévoyance les tristes hasards de l'avenir; c'est un mal que d'ôter absolument à l'homme l'enseignement du besoin et le principe des efforts légitimes qu'il doit tenter pour le vaincre, parce qu'on lui ôte en même temps la conscience de sa force et le vrai sentiment de sa dignité... Si d'ailleurs, sous l'empire d'une civilisation naissante encore, l'homme libre, rapproché, par la simplicité des mœurs, de la vie de son esclave, le traite à peu près comme un des siens, le temps marchera, qui rompra cette association passagère. Comment conclure touchant l'esclavage, quand il est encore dans sa première période ? Juge-t-on de l'arbre par sa fleur? La fleur passera, laissant un fruit amer : c'est par le fruit qu'il en faut juger. »

Le troisième chapitre, un des plus importants de tout le livre, est consacré à l'étude du servage en Grèce. M. Wallon nous montre cette servitude politique, ou plutôt sociale, comme un des résultats du grand mouvement qui, soixante ou quatre-vingts ans après la guerre de Troie, ébranla toutes les populations helléniques. Quand les Thessaliens envahirent l'Hæmonie, les Perrhæbes, les Magnètes et les Achéens Phthiotes perdirent leur indépendance; d'autres peuplades tombèrent plus bas, et composèrent une classe de serfs véritables, attachés au sol, mais payant une redevance à leurs vainqueurs. Ceux-ci formèrent au-dessus d'eux une aristocratie militaire, et souvent, comme les chevaliers du moyen âge, donnèrent des armes à leurs serfs, parfois même les admirent dans leurs rangs, sur le champ de bataille, au risque, comme il arriva plus d'une fois, de préparer des insurrections.

Ce qui s'était passé dans la Thessalie eut lieu dans la Béotie après l'invasion des Béotiens d'Arné; dans l'ancienne Égialée, où les Achéens formèrent la population dominante des villes, et les Ioniens vaincus celle des campagnes; dans l'Attique, où les Eupatrides tinrent longtemps au-dessous d'eux et reléguée dans les bourgs la population agricole et industrielle; dans les colonies de l'Asie Mineure; chez les Macédoniens, les Dardaniens, les Illyriens;

(1) Eurip., Hecub., 417, 352 et sqq.

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