Page images
PDF
EPUB

L'occasion s'en est présentée naguère; pourquoi n'y songe-t-on pas dans les contrées où ces cryptogames abondent? Il n'y a peut-être pas de meilleurs succédanés des céréales. On a nié l'action nutritive de la betterave, à cause de l'absence de l'azote, élément qui réside dans le gluten de la farine. Si cette objection est fondée, les champignons sont, comme aliment, bien supérieurs à la betterave. Ils contiennent, en effet, une grande quantité d'azote: tout l'atteste, l'analyse aussi bien que leur mode de décomposition qui laisse dégager des quantités considérables d'ammoniaque, composée d'hydrogène et d'azote. De plus, on y trouve un principe sucré, la mannite, qui renferme les éléments du sucre. Qu'est-ce qui empêche qu'on substitue, dans les années de disette, au pain les champignons? D'abord l'habitude; puis, la crainte des empoisonnements. Contre l'habitude, il n'y a pas de remède. Quant à la crainte des empoisonnements, c'est la faute de ce qu'on appelle aujourd'hui la science. La distinction précise entre les végétaux utiles et les végétaux nuisibles devrait être le commencement de la botanique; et comme les cryptogames passent avant les phanérogames, on devrait débuter par apprendre à connaître, pour les séparer, les champignons comestibles et les champignons vénéneux. Tous les Traités (celui de M. le docteur Tonini est de ce nombre) qui ont cette distinction pour but, rendent plus de service à l'humanité que les plus savants livres de phytographie et de taxonomie.

L'étude des champignons, ou, comme on l'appelle, la mycologie, laisse encore beaucoup à désirer, d'après l'aveu même des botanistes. Nous ne dirons rien ici des nombreux synonymes qui sont appliqués souvent à un seul genre ou à la même espèce, et qui, s'ils flattent l'amour-propre du maître, font le désespoir de l'élève. Nous découvrirons cette plaie dans une autre occasion.

Les genres qui doivent nous intéresser le plus, parce qu'ils contiennent au moins les trois quarts des champignons comestibles et vénéneux, sont l'Agaricus L. et le Boletus L. Un champignon dont le dessous du chapeau (hymenium) est formé de lames ou de feuillets, est un Agaricus. Le champignon comestible (Agaricus edulis) en est un exemple. Si ces lames ou feuillets sont remplacés par des tubes plus ou moins soudés, c'est un Boletus; le plus souvent, à ce caractère, se joint l'absence d'un pédicelle, et le chapeau paraît immédiatement appliqué sur le sol ou sur le tronc d'un arbre. Nous prendrons comme exemple le Boletus fomentarius L., qui fournit l'amadou.

M. Tonini examine les caractères et donne les dessins coloriés des agarics suivants :

1o A. cæsareus Scopoli. C'est l'Agaricus aurantiacus de Bulliard, ou l'oronge vraie. En Toscane, on l'appelle Uòvolo rosso. Le dessus du chapeau est lisse et rouge orange; le dessous et le pédicelle sont jaunes. C'est l'oronge vraie, chantée par Juvénal, et regardée par Néron comme l'aliment des dieux. Elle est aussi agréable au goût qu'à l'odorat.

2o A. muscarius L. (fausse oronge). Ce champignon (Fliegenschwamm des Allemands), qui ressemble beaucoup au précédent, est

très-vénéneux. Haché en petits morceaux et mêlé avec du lait, il sert, dans toute l'Allemagne, à tuer les mouches. Il se distingue de l'oronge vraie en ce que le dessus du chapeau est garni de petites éminences blanchâtres sur un fond rouge, tandis que le dessous est blanc. Le peuple, en Lombardie, l'appelle coch velenos. C'est l'Agaricus pseudo-aurantiacus de Bulliard, l'Amanita muscaria de Schoeffer, l'Amanita formosa de Persoon. Nous pouvons dire, en passant: Pourquoi tant de mots pour exprimer une seule et même chose?

3o A. ovoïdeus Bull., farinaccio des Toscans. Il est blanc, de la forme d'un œuf, et strié au bord de son chapeau. Autour du pédicelle on remarque les restes du volva (membrane mince, blanchâtre, qui enveloppe la plupart des champignons très-jeunes). Sa chair est d'un goût très-agréable, un peu mucilagineuse. On le trouve en automne, dans la forêt de Fontainebleau. Il ne faut pas le confondre avec le suivant.

4° A. phalloides Fries. (Amanita bulbosa Persoon., Agaricus virosus Vittadini). Il se distingue du précédent par son chapeau conique un peu allongé; il a le pédicelle grêle et plus long. La couleur du chapeau varie du blanc au vert olive.

5o A. citrio-albidus Vittadini (A. citrinus Schoeff.). Le chapeau, très-mince, d'un jaune citron, est porté sur un pédicelle très-grêle. Quelques personnes le croient vénéneux. Cependant M. Tonini ne lui reconnaît aucune propriété nuisible, et le range parmi les agarics comestibles.

6o A. asper Persoon. (A. verrucosus Bull.). Il est très-suspect. Son chapeau est hérissé de petites papilles d'un bistre rougeâtre; sa chair est ferme et d'un rouge vineux. Son pédicelle présente intérieurement un canal lisse, tandis que, dans l'espèce précédente, ce canal est garni de petites saillies.

7° A. vaginatus Bull. (Bilzet des Lombards). Chapeau campanuliforme; pedicelle fistuleux, sans collet; le canal du pédicelle présente, de distance en distance, des espèces de cloisons. Le volva, qui l'enveloppe entièrement dans sa jeunesse, a une forme allongée. La couleur varie du blanc au gris.

8° A. pantherinus de Candolle. Ce champignon, qui est vénéneux, se distingue du précédent, lequel est comestible, par son chapeau qui est couleur olive, un peu brunâtre, et tacheté d'écailles blanches. Le pédicelle est entouré de collets.

9° A. procerus Scopoli. (A. solitarius Bull. ?). Chapeau très-large, garni d'écailles d'un brun rougeâtre ; feuillets très-blancs. On le mange cuit sur le gril, et assaisonné avec du beurre frais, du poivre et du sel.

10° A. racheodes Villadini. C'est l'A. asper de Fries. Ce champignon suspect ressemble beaucoup au précédent. Son chapeau, cependant, est moins large et concave au centre (la concavité est tournée en haut).

11o A. ruber Schoeffer. Ce champignon, dont le chapeau est d'un

beau rouge écarlate au-dessus, et d'un blanc pur au-dessous, est trèscommun dans les bois. Peut-être est-il le même que l'A. sanguineus de Vittadini, seulement à une période de végétation différente.

12° A. campestris L. C'est l'A. edulis ou le champignon de couches, qu'on emploie journellement dans nos cuisines.

Les tableaux de M. Tonini présentent, sur la même page, le champignon comestible et le champignon vénéneux qui lui ressemble le plus. L'auteur italien a ainsi singulièrement facilité une étude qui, dans certains pays, intéresse le pauvre bien plus encore que le gastronome. Les montagnards, aussi malheureux qu'honnêtes, de la Thuringe, mourraient de faim s'ils n'avaient pas la ressource des champignons et des airelles ou Heidelbeere (fruits du Vaccinium myrtillus). Malgré les privations qu'ils endurent, ils parviennent à un âge très-avancé. Nous avons connu un de ces montagnards qui, pendant trente ans, n'a mangé tous les jours que des champignons, et qui est mort centenaire. Cet exemple, sans doute, ne prouve pas que les champignons aient la vertu de prolonger la vie de l'homme; mais il montre que cet aliment est sain, et qu'il n'offre rien de nuisible, pourvu, toutefois, qu'on sache distinguer les espèces comestibles d'avec les espèces vénéneuses. Et, à cet égard, nous indiquerons, en deux mots, quelques préceptes généraux. Ils seront, à coup sûr, bien accueillis par tous ceux que le besoin ou la gourmandise pourrait inviter à manger des champignons.

1er précepte: Tenez-vous en garde contre tous les champignons dont la chair, étant écrasée, passe plus ou moins rapidement par différentes teintes, du jaune et du vert au bleu foncé ou au noir. Une odeur vireuse, nauséabonde, trahit aussi leur action délétère. Les insectes et les limaçons ne s'attaquent pas, en général, à ces cryptogames

vénéneux.

2o précepte: Faites subir à tous les champignons que vous voulez manger une série de manipulations ayant pour but de les priver entièrement de tout principe âcre et malfaisant. La dessiccation et une macération prolongée dans de l'eau, d'abord salée, puis vinaigrée, produiront les meilleurs effets. On prétend même que, grâce à ce traitement, on peut manger impunément les champignons les plus vénéneux.

Enfin, si nos conseils ne suffisent pas à nos lecteurs, nous les engageons à consulter les planches très-exactes et soigneusement coloriées de M. Tonini.

SCIENCES MORALES ET POLITIQUES.

DE L'INSTRUCTION INTERMÉDIAIRE et de ses rapports avec l'instruction secondaire; par M. SAINT-MARC GIRARDIN, député. In-8° de 148 pages. A la librairie de Jules Delalain, 1847.

[ocr errors]
[ocr errors]

Qu'est-ce que l'instruction intermédiaire? Et quelles sont les études littéraires ou scientifiques que ce nom comprend? C'est une question que l'autorité universitaire n'a pas encore résolue. L'instruction primaire, l'instruction secondaire, l'instruction supérieure, ont été définies par des lois ou des ordonnances. L'instruction intermédiaire ne l'est pas encore. Elle est de date trop récente, pour avoir pu être l'objet d'un programme général; elle n'existe, jusqu'ici, qu'à l'état d'essai; et c'est ce qui fait que l'administration ne l'a ni définie, ni limitée. Quant à l'idée que M. Saint-Marc Girardin attache à ce nom, la voici . i entend par enseignement intermédiaire la réunion des cours qui servent de préparation, soit aux écoles spéciales du gouvernement, soit aux carrières industrielles et commerciales. Ces cours peuvent être organisés de différentes manières : on peut y faire la part du latin plus ou moins grande; on peut même, pour de futurs industriels et de futurs commerçants, remplacer le latin par les langues vivantes, ou tout simplement par l'étude du français. Quoi qu'il en soit de ces divers systèmes sur lesquels nous aurons tout à l'heure occasion de nous expliquer, l'instruction intermédiaire (son nom le dit assez) tient par certains côtés à l'instruction primaire, par d'autres côtés à l'instruction secondaire, sans être précisément ni l'une ni l'autre ; et ce qui la distingue de l'instruction professionnelle avec laquelle on l'a souvent confondue, c'est qu'elle convient, par sa généralité même, à toutes les professions qui n'exigent pas la connaissance des langues et des littératures anciennes, tandis que l'instruction professionnelle doit être considérée comme une préparation directe et spéciale à une profession déterminée.

Personne, en France, ne s'est plus occupé de l'instruction intermédiaire que M. Saint-Marc Girardin, et personne n'a plus d'autorité pour en parler. Dans ses livres, dans ses discours de tribune, dans ses articles même de journaux, il est souvent revenu sur ce grave sujet; et c'est à lui surtout qu'on est redevable des progrès que cette question a faits depuis douze ans. Dans son excellent ouvrage sur l'instruction intermédiaire du midi de l'Allemagne, 1835-1839, M. Saint-Marc

ע

Girardin disait : « Le défaut de notre éducation actuelle, c'est qu'elle est trop exclusive. Elle est bonne pour faire des savants, des hommes de lettres, des professeurs; c'est ce qu'il fallait au quinzième et au seizième siècle. Mais aujourd'hui il nous faut aussi des marchands, des manufacturiers, des agriculteurs; notre éducation ne semble point propre à en faire..... Écoutez ce que disent un grand nombre de pères de famille : Nos fils ne sont pas destinés à être des savants; nous ne voulons pas en faire des poëtes, des hommes de lettres; la poésie et la littérature sont des métiers trop chanceux; nous ne voulons point qu'ils soient avocats; il y en a assez; nous voulons qu'ils soient bons commerçants, bons manufacturiers, bons agriculteurs. Or, pour ces états qui forment le corps de la société, à quoi sert à nos fils le grec et le latin que vous leur enseignez et qu'ils oublient si vite?... Nous avons, il est vrai, réponse à cela dans l'Université, et nous disons aux parents qui nous parlent de cette façon : Si vos fils doivent auner de la toile ou labourer la terre, pourquoi les mettez-vous dans nos colléges? » Cette réponse que M. Saint-Marc Girardin plaçait, en 1835, dans la bouche de l'Université, et qui accusait une fâcheuse lacune de l'instruction publique', il ne la ferait plus aujourd'hui. I' constate, au contraire, dans l'ouvrage que nous annonçons, que l'Université a beaucoup fait depuis quelque temps pour l'instruction intermédiaire, et que dans plusieurs établissements, à Versailles, à Rouen, à Marseille, à Metz, à Caen, à Douay, à Angers, à Montpellier, à Rennes, à la Rochelle, à Brest, à Lorient, à Cherbourg, etc., elle a créé, à côté de l'enseignement classique, un enseignement préparatoire pour les écoles spéciales de l'État et les professions Industrielles. Ces créations, déjà nombreuses, ne témoignent pas seulement de l'esprit de progrès qui anime l'Université; elles prouvent encore, comme nous le disions tout à l'heure, que les travaux de M. SaintMarc Girardin sur cette matière ont porté leurs fruits. Son livre sur l'instruction intermédiaire dans le midi de l'Allemagne a servi de guide dans les tentatives du même genre qui ont été faites en France; et l'auteur lui-même, à l'époque où il prenait à l'administration de l'Université une part plus active et plus efficace qu'aujourd'hui, n'a eu qu'à suivre la route que ses écrits avaient tracée.

La nouvelle publication de M. Saint-Marc Girardin n'est pas complète ; c'est seulement une première partie. L'auteur traite, en commençant, un certain nombre de questions qui se rattachent plus ou moins à son sujet : celle de l'alliance des sciences et des lettres dans l'enseignement secondaire; celle de savoir s'il faut admettre des cours facultatifs à côté des cours obligatoires; celle du baccalauréat ès lettres et des changements que certaines personnes voudraient introduire dans le programme. Écartons ces questions préliminaires, et voyons comment M. Saint-Marc Girardin entend l'organisation de l'enseignement intermédiaire dans l'Université.

Il y a, suivant l'auteur, trois systèmes entre lesquels on peut choisir le système classique qui fonde l'enseignement grammatical et

« PreviousContinue »