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qu'à la redevance en nature, signe de la dépendance. Il jouissait, pour lui et sa famille, d'une grande sécurité, et acquérait même sur les tribus une certaine influence inhérente aux fonctions qu'il remplissait. Il avait encore quelques priviléges accessoires, dont plusieurs se traduisaient en indemnités pécuniaires payées par les tribus.

<«< Tels étaient les avantages assurés aux colons. Voici maintenant ceux de l'Etat :

« Moyennant la concession de la terre, qui non-seulement ne lui coûtait rien, mais lui rendait encore la dime des produits, il disposait d'une gendarmerie nombreuse, mobile, guerrière, qui maintenait l'ordre sur tous les points du territoire, et assurait l'exercice de la justice et la perception de l'impôt. »

Ces colonies étaient établies sur les principaux marchés; tous ceux de la province d'Alger étaient ainsi gardės; ou sur les communications les plus importantes, par exemple, sur les routes d'Alger à Oran, à Constantine et à Bougie; sur celles de Constantine à Philippeville (Skikda), à Bone, à Tanir, au désert; sur celles d'Oran à Mascara, et de Médéa au Sahara. Nous voulons, sans doute, faire mieux que les Turcs; nous ne devons pourtant pas dédaigner d'étudier au moins le moyen employé par eux pour tenir en bride, avec des forces très-minimes, une population nombreuse et guerrière. C'est, au reste, à peu près le moyen dont Rome s'était autrefois servie, et que les Turcs avaient retrouvé par instinct de peuple conquérant.

Les tribus algériennes se distinguent par d'autres caractères encore. Il y a des tribus nobles, surtout dans l'Est, qui ont une origine militaire, et des tribus serves qui sont dans la dépendance des premières. Il y a aussi des tribus religieuses formées des descendants d'un pieux personnage, et qui, à cause de leur origine, sont entourées d'un grand respect.

« Lorsque les tribus de marabouts sont un peu considérables, il existe toujonrs, sur le territoire qu'elles occupent, un petit édifice surmonté d'une coupole, blanchi à la chaux, entretenu avec soin : c'est le tombeau du saint personnage, ancêtre et fondateur de la tribu. Cette tribu porte le nom du marabout dont il renferme la dépouille, nom qui est toujours précédé de la qualification respectueuse de Sidi (monseigneur); c'est, pour toutes les populations du ressort ecclésiastique, un lieu de pèlerinage et de dévotions.

« Souvent à côté du marabout s'élève la zaouia, autre établissement qui forme le lien entre la tente et la mosquée. C'est là que, sous les auspices de la religion, les enfants du voisinage viennent apprendre à lire; ils ont pour maîtres des Taleb ou hommes lettrés, entretenus aux frais de la mosquée, sur le produit de la zekkat ou impôt religieux. C'est là que siége le kadi, dont la juridiction, en matière civile, s'étend à toutes les tribus du ressort ecclésiastique. Souvent aussi la zaouia est habitée par des uléma ou docteurs, que les kadis eux-mêmes consultent sur les cas difficiles.

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Le voyageur qui se présente à la zaouia y trouve la nourriture et le gite; le pauvre y reçoit des vêtements et du pain. C'est encore le budget de la zekkat qui pourvoit à cette double dépense.

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La tribu religieuse renferme donc en elle la plupart des établissements nécessaires à la vie sociale: la paroisse et le clocher, l'école et le tribunal, le bureau de bienfaisance et l'hôtellerie, mais l'hôtellerie gratuite pour le voyageur et le

pauvre. Le point central autour duquel ces divers établissements se groupent est la tombe d'un homme de bien. »>

On voit combien de faits curieux et importants renferme cette notice. Dans notre temps, où l'on met si peu de choses dans les plus gros livres, c'est une rareté qu'un résumé succinct où l'on trouve presque autant de faits et d'idées que de mots. On voit que les auteurs ne sont point des écrivains de profession, mais des hommes habitués à beaucoup faire, et qui ne veulent pas plus perdre leur temps quand ils tiennent la plume, que lorsqu'ils tiennent l'épée.

Nous ne dirons rien de la carte de M. Boussart, si ce n'est qu'elle est une réduction des cartes publiées par le dépôt de la guerre pour les parties du territoire visité par les Français, et de la carte de MM. Carette et Warnier, pour les parties inexplorées, pour la délimitation du Tell, du Sahara et des provinces, ainsi que pour la distribution des tribus. M. Boussart s'est également servi d'une discussion inédite de la partie méridionale de l'Algérie, par M. Renou, membre de la commission scientifique.

En employant habilement de tels matériaux, on ne pouvait faire qu'un excellent travail, qui rectifie et complète ou plutôt rend inutiles toutes les cartes antérieures de l'Algéric. Ajoutons que cette carte renferme encore de très-utiles tableaux et légendes statistiques dus à MM. Carette et Warnier.

NOTICE des découvertes faites au moyen âge dans l'océan Atlantique, antérieurement aux grandes explorations portugaises du xve siècle, par M. d'AVEZAC. NOTE sur la première expédition de Béthencourt aux Canaries, et sur le degré d'habileté nautique des Portugais à cette époque, par le même. NOTE sur la véritable situation du mouillage marqué au sud du cap de Bugeder dans toutes les cartes nautiques, par le même. Trois brochures in-8° de 86, 27 el 12 pages.

Paris, 1846.

Peu de questions ont été plus controversées, dans ces dernières années, que celle à laquelle se rapportent les trois mémoires dont le titre précède. Aussi peut-on dire d'elle, avec toute raison: Ingens

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qui

disputandi argumentum. L'amour-propre national est venu prêter un nouvel intérêt, ajouter une nouvelle vivacité à une discussion déjà bien importante par elle-même. Un homme d'Etat portugais, consacre à l'histoire et au droit public de sa patrie les loisirs que lui ont faits les vicissitudes politiques,» s'est efforcé, dans un ouvrage spécial, de revendiquer pour ses compatriotes la découverte des côtes de l'océan Atlantique. C'est à réfuter ces prétentions exclusives que sont destinées les trois brochures de M. d'Avezac; et le nom de ce savant nous semble déjà un préjugé favorable pour la thèse dont il a embrassé la défense. En effet, peu de personnes ont étudié avec autant de soin et de conscience que lui la géographie de l'Afrique septentrionale et occidentale; personne peut-être n'est plus familiarisé avec l'histoire des travaux dont ces vastes régions ont été l'objet. Aussi pouvions-nous espérer de le voir traiter à fond et d'une manière définitive la question en litige, et nous ne craignons pas d'affirmer, dès à présent, que cette attente n'a pas été trompée.

M. d'Avezac abandonne, sous toutes réserves de droit, mais pour y revenir plus tard (§ X), les prétentions des Dieppois à la découverte de la côte d'Or, prétentions qui, bien que très plausibles, ont aux yeux de la critique moderne le tort de ne s'appuyer que sur des documents relativement très-récents. Mais il établit que d'autres reconnaissances, plus difficiles à contester, précédèrent de beaucoup celles que fit exécuter don Henri de Portugal. Il commence par rappeler que, d'après Jean de Barros, ce ne fut qu'après la prise de Ceuta, en 1415, que l'infant don Henri, ayant obtenu des Arabes des renseignements sur l'intérieur du pays, résolut la conquête de la Guinée. Puis il établit, l'aide d'une chronique contemporaine, que les Français, conduits par à Béthencourt, avaient doublé le cap de Noun et le cap de Bojador dès l'année 1402; et que, trois ans plus tard, Béthencourt, dans une descente qu'il fit près du port de Bugeder (Bojador), s'avança de huit lieues dans l'intérieur des terres. Mais, loin de s'arrêter à ce premier résultat, M. d'Avezac s'empresse de déclarer que les Français avaient été devancés dans ces parages par d'autres navigateurs. A défaut de relations certaines et suivies des explorations antérieures, l'auteur invoque le témoignage des cartes du XIVe siècle, où l'on trouve un tracé très-exact et très-détaillé de la côte africaine jusqu'au cap de Bojador, et, en outre, une indication moins précise du littoral ultérieur jusqu'au fleuve de l'Or. Il mentionne successivement les tentatives du mayorquin Jacques Ferrer, d'un frère mendiant espagnol, cité par les chapelains de Béthencourt, de l'Arabe Ebn Fathimah, et des Génois Thédisio d'Oria, Hugolin, et Guy de Vivaldo.

Les cartes du XIVe siècle, en remontant jusqu'au portulan médicéen de 1351, offrent tout l'archipel des Açores dessiné avec précision et détail, et avec une exactitude très-approximative dans le groupement des îles. Les cartes italiennes et catalanes du XIVe siècle contiennent également le tracé de tout l'archipel de Madère, et ces cartes nous offrent uniformément une nomenclature italienne, dont les dénomi

nations imposées au xv° siècle par les Portugais, ne sont que la reproduction pure et simple, ou la traduction littérale. Pour les îles Canaries, nous avons le témoignage du père Abreu Galindo, qui place entre les années 1326 et 1334 l'arrivée en ces îles d'un navire français poussé par la tempête. M. d'Avezac démontre que l'on peut remonter à une date antérieure, quoique incertaine. En effet, c'est à des vaisseaux de Gênes, et particulièrement au noble génois Lancelot Maloisel qu'est due l'expédition européenne la plus ancienne que nous connaissions vers les Canaries.

Dans sa note sur la première expédition de Béthencourt aux Canaries, M. d'Avezac prouve, contre le sentiment de M. le vicomte de Santarem, que Béthencourt avait pris la haute mer, en quittant Cadix, sans adjoindre des matelots ou des pilotes espagnols à son équipage, réduit à cinquante-trois hommes. Il démontre aussi que le gentilhomme normand n'avait, dans le principe, qu'un seul navire ; que les interprètes de l'expédition, Alphonse et Isabelle, n'étaient pas plus espagnols que les mariniers et le vaisseau, mais deux naturels des Canaries amenés de France. Il s'attache à justifier l'assertion de Jean de Barros, d'après lequel, antérieurement à 1419, les mariniers portugais n'étaient point accoutumés à voguer en pleine mer. Enfin, dans un post-scriptum, il réfute l'équivoque provenant d'une confusion du second voyage de Béthencourt avec le premier..

La troisième brochure de M. d'Avezac est consacrée à prouver que le port où Béthencourt débarqua, le 6 octobre 1405, était situé au sud du cap Bojador; et que les cartes du XIVe et du XVe siècle n'ont pas eu tort d'indiquer un port au sud de ce cap, comme l'ont fait de nos jours l'amiral Roussin et l'African Pilot.

Le mémoire et les deux notes de M. d'Avezac nous paraissent faits pour ôter toute incertitude sur la vérité de la thèse embrassée par l'auteur. On y trouve constamment réunis une grande justesse de raisonnement, une discussion solide et érudite, et une exposition pleine de netteté et de précision.

DICTIONNAIRE DE GÉOGRAPHIE ancienne et moderne, par M. E. G. BÉRAUD, avec la collaboration de M. ExRIES; I vol. in-18 de 857 pages sur deux colonnes. Chez Firmin Didot frères. - Paris, 1847.

Cet ouvrage contient, en un seul volume d'un petit format, bien des noms et de précieuses indications, qu'on chercherait en vain dans

les dictionnaires non-seulement les plus vastes par leurs dimensions matérielles, mais encore les plus savants et les plus vantés.

Ce n'est pas là son seul mérite.

Il tient compte, et cela au grand profit de ceux qui se livrent à de curieuses recherches, de tous les progrès que la science a faits jusqu'à ce jour. « La géographie, dit M. Béraud, a fait, depuis le commencement de ce siècle, et notamment depuis une vingtaine d'années, des progrès rapides. Notre but a été d'offrir, en même temps que l'ensem. ble des connaissances des anciens et des modernes sur notre globe, le tableau des découvertes accomplies par les voyageurs contemporains les plus célèbres, et de faire connaître les rectifications qu'ils ont apportées aux notions acquises antérieurement. >>

C'est une heureuse idée que d'avoir réuni ainsi dans ce dictionnaire abrégé, quoique très-complet, les notions de la géographie ancienne à celles de la géographie moderne. Par là l'auteur a pu répondre particulièrement, en quelque sorte, à tous les besoins de l'enseignement que l'on donne dans nos écoles.

M. Béraud a bien fait, dans l'intérêt de son œuvre, de se féliciter de la collaboration de M. Eyriès; mais il a eu tort, peut-être, de signaler, parmi les travaux géographiques qu'il a consultés, certains livres de médiocre importance, qui, à notre sens, ne valent pas le sien.

JOURNAL of a FEW months residence in Portugal, and glimpses of the south of Spain (Journal d'un séjour de quelques mois dans le Portugal, etc.). By a Lady; 2 vol. in-8°. — Londres, 1847.

Au moment même où nous parcourons les pages de ce livre écrit avec tant d'abandon et de grâce, la main qui les a tracées vient de tomber froide et inanimée.

Madame Quillinan, fille accomplie de Wordsworth, le célèbre poëte, a fait le voyage du Portugal dans l'espoir de rétablir sa santé; mais l'épuisement ne lui a permis que d'apercevoir un instant le chaud soleil du pays qu'elle était allée visiter. Elle n'a pu en rapporter qu'une courte prolongation de vie ; et il y a quelques jours, le 9 du mois de juillet, la tombe s'est refermée sur ses restes mortels, au mont Rydal, propriété de Wordsworth. Certes

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