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en un engagement perpétuel, dès qu'un Etat se trouve tellement lié qu'il perd à jamais la faculté de se détacher de l'union, la question de souveraineté devient infiniment plus grave. On prétend que la souveraineté de chaque État, grand ou petit, reste intacte lorsque les résolutions sont prises à l'unanimité des suffrages. Pour tout ce qui tient essentiellement au but du Zollverein, il faut, dit-on, que chaque État soit souverain; et il ne peut l'être qu'en demeurant libre d'écarter par sa voix toute décision contraire à ses vues. Cependant, s'il pouvait repousser ainsi tout moyen d'exécution, le Zollverein se trouverait paralysé dans sa marche il faut donc, en ce qui concerne l'exécution, que toutes les questions soient décidées à la pluralité des voix. D'abord, les cas où l'auteur du projet demande la pluralité ne nous paraissent pas moins frapper le droit de souveraineté que ceux où l'unanimité continuerait à être exigée. Lorsqu'on décide à la pluralité dans toutes les circonstances où il s'agit de désigner les matières imposables, de déterminer la quotité de l'impôt, de faire des lois pénales, on touche évidemment aux attributs les plus essentiels de la souveraineté. Sans doute, si chaque État voulait faire prévaloir sa propre volonté, le Zollverein, ainsi que le fait remarquer la Revue, deviendrait un être fantastique. Mais cela existe dans les deux systèmes. Du reste, rien ne nous paraft moins fondé en principe que le raisonnement de la Revue. On porte toujours atteinte à la souveraineté, soit quand un État est forcé de se soumettre à une résolution prise contre son gré, soit quand il est contraint de renoncer, par la voix négative d'un autre État, à une mesure qu'il croit utile et nécessaire. Le Zollverein, de même que toute association en général, a principalement pour but le bonheur commun des membres associés; et, dans les cas où l'unanimité des avis ne peut s'obtenir, on se rapproche beaucoup plus de ce but en satisfaisant au vœu de la majorité, qu'en cédant à l'opposition d'un seul. Sous la loi de l'unanimité, un petit État d'une centaine de mille âmes peut résister à la souveraineté de vingt-cinq autres États, et empêcher une résolution conforme à l'intérêt commun d'une population de vingt-huit millions d'âmes. Ce fut, dit l'auteur du projet, la loi qui régna dans les diètes de Pologne, et qui forme aujourd'hui l'épitaphe ensanglantée de ce malheureux pays. Cependant, une résolution prise en Pologne était aussi durable que l'État; tandis qu'une

résolution du Zollverein expire avec lui, à jour fixe, à un moment convenu; elle n'a tout au plus que douze ans à vivre! La seule objection concluante, ainsi que nous l'avons déjà remarqué, contre le système de la pluralité, c'est que, dans l'état des choses, ce système conduirait à la suprématie de la Prusse. Le projet cherche à résoudre cette difficulté. On met en présence les deux parties de l'Allemagne qui pourraient avoir des intérêts opposés; on convient qu'en comptant les voix en raison de la population, la pluralité absolue ne saurait être admise sans danger; mais on établit en même temps qu'en adoptant une pluralité relative formée de deux tiers des suffrages, les États du midi auraient toujours un nombre de voix suffisant à opposer aux États du nord, et particulièrement à la Prusse, pour rendre impossible une décision contraire à la prospérité et à l'indépendance de l'Allemagne méridionale. Un juste équilibre pouvant être introduit par ce

il n'est pas facile de se rendre compte de la contradiction dans laquelle tombe la Revue, en proposant de conserver en partie cette même loi de l'unanimité, qu'elle vient de condamner comme funeste au maintien et au développement d'un intérêt national.

Au surplus, l'intégrité du droit de souveraineté ne dépend pas seulement de la manière de prendre les voix. Au milieu d'une civilisation fondée sur le travail et la libre industrie de l'homme, ce droit se résume principalement dans la faculté d'établir, d'augmenter ou de réduire l'impôt; c'est de l'impôt que l'on tire aujourd'hui le revenu nécessaire pour assurer le maintien de l'ordre public, la protection des personnes et des propriétés, enfin l'existence même du corps politique. Or, les États allemands sont forcés, d'un côté, par la Confédération, d'entretenir un nombre déterminé de soldats, et par conséquent de s'imposer à cet effet, bon gré, mal gré. D'un autre côté, ils doivent s'en tenir aux taxes adoptées par le Zollverein, sans qu'ils puissent les modifier selon les circonstances; et ce n'est pas seulement pour le tarif des douanes, mais pour tout impôt qui peut entraver l'industrie et le commerce, c'est-à-dire, pour toute sorte d'impôt. Dans tous les cas où il s'agit de favoriser les progrès économiques de l'Allemagne, le Zollverein ne doit pas hésiter à intervenir même dans le système des contributions indirectes des divers États associés. Entre deux corps qui tendent à absorber directement ou indirectement le droit de l'impôt, que devient la souveraineté d'un État pris isolément?

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Cette demande peut se faire, il est vrai, aussi bien pour les plus grands États que pour les plus petits; mais il est inutile de relever les conséquences inévitables de leur position relative; on n'a qu'à suivre la marche de la formation du Zollverein. Ce n'est pas pour contracter un lien attentatoire à ses droits souverains que la Prusse a fait de grands sacrifices sous le rapport de la finance. Au contraire, elle a naturellement acquis en influence morale et physique ce qu'elle a perdu en revenu; tandis que les autres États ont gagné, au point de vue économique, ce qu'ils ont laissé, dans l'association, de leur souveraineté. Cependant ils n'en ont pas moins exercé à leur tour une influence salutaire. Par suite de la formation du Zollverein, dit la Revue de Tubingen, il y a eu plus de changements en Prusse que dans toute autre contrée de l'Allemagne. Des changements plus grands encore s'y préparent. Les esprits sont portés vers une suprématie politique; mais ce n'est là qu'une idée qui ne pourra se réaliser que par les sympathies des peuples allemands; et alors ce ne sera pas l'Allemagne qui passera en Prusse, ce sera la Prusse qui passera en Allemagne. Ainsi la Revue se reporte ici de la question de droit à la question d'utilité. Elle fait très-bien ressortir la nécessité de consolider le Zollverein; elle ne croit pas que ce corps, comme on l'a dit, soit un obstacle au développement du système représentatif; elle pense au contraire qu'il lui faut à lui-même une véritable représentation, en conciliant les formes anciennes des confédérations des villes, des ordres chevaleresques et d'autres associations allemandes, qui trouvaient jadis un point de ralliement dans l'unité de l'Empire, avec les formes économiques modernes. On pourra saisir nettement son système à l'aide du passage suivant : L'organisation nationale que nous pouvons obtenir et développer, au moyen de notre union commerciale, doit nous donner, avec l'indépendance de notre vie intérieure, la liberté et la force qui sont nécessaires à l'existence d'un grand peuple..... Il n'y a point de progrès possible tant que nos efforts pour marcher en avant ne se rattacheront pas à l'idée vivante du siècle.

Aujourd'hui le congrès se compose des commissaires ou des plénipotentiaires des gouvernements; c'est, à proprement parler, une réunion diplomatique. Le Zollverein devenant un corps parlementaire, la représentation pourrait avoir lieu, soit par une délégation de députés choisis dans les chambres des États consti

tués, soit directement par une élection populaire. La Revue se prononce en faveur de ce dernier mode d'élection. S'il était accepté partout et adopté, on aurait probablement à s'occuper d'une question toute neuve dans les fastes constitutionnels, celle de l'éligibilité d'un prince qui, par le choix de son peuple, serait nommé député auprès du Zollverein; et peut-être on en rencontrerait un qui aurait plus de satisfaction à faire entendre sa voix au sein d'une grande assemblée nationale, qu'à exercer chez lui son pouvoir souverain. Nous voyons ainsi, en ce moment même, des princes médiatisés chercher, au milieu des états généraux convoqués dans la capitale de la Prusse, à se dédommager de la perte de leur souveraineté. Cependant l'association allemande parviendrait à se modifier, à se renouveler, à se déclarer permanente, et à se constituer définitivement, qu'elle ne serait pas encore sûre de vivre et de durer. Il y a en effet d'autres questions à résoudre.

ALLGEMEINE AUSWANDERUNGS-ZEITUNG. Gazette générale d'émigration, publiée par M. FROEBEL. Année 1846-1847. In-4°.- Rudolstadt.

Tel est le titre d'un journal fort intéressant, qui a pour but de favoriser de tout son pouvoir l'émigration des Allemands. L'Irlande et les populations germaniques présentent actuellement un spectacle peut-être unique dans l'histoire. Ces populations, si intelligentes et si industrieuses, quittent sans regret leur sol natal, pour se régénérer sur une terre étrangère. Cette émigration n'a rien de commun avec celle des Huns, des Goths et des Vandales, qui, conquérants barbares, voulaient se substituer à des peuples civilisés. Les milliers d'ouvriers et d'artisans qui s'embarquent pour l'Amérique n'aimeraient-ils pas mieux rester dans leur patrie, s'ils y gagnaient de quoi nourrir leurs familles ? Si l'instinct du patriotisme est éteint dans leurs cœurs, à qui la faute? Chez les Romains, un bon citoyen était celui qui aimait sa patrie; l'amour de la patrie, c'était sa religion (pietas). Pourquoi n'y a-t-il plus aujourd'hui de bons citoyens, dans le sens antique de ce mot? Les gouvernements de l'Allemagne morcelée pourront nous dire le mot de l'énigme ; ils auront bien des reproches à se faire, si, dans leur intérêt particulier, ils ont négligé de faire naître, par de bonnes lois, le

bien-être de tous. Ils comprendront un jour, máis peut-être trop tard, que les États les plus prospères sont ceux qui reconnaissent pleinement les droits imprescriptibles de l'homme.

Le journal de M. Froebel renferme des documents qui ont nonseulement un but d'actualité, mais que l'historien, désireux de scruter les causes du déplacement des populations, pourra consulter avec intérêt. Si l'émigration continue toujours dans les mêmes proportions, l'Allemagne finira par devenir, dans un avenir prochain, aussi dépeuplée que l'Espagne; seulement, les causes auront été différentes, De 1841 à 1846, on a vu s'embarquer, dans le seul port de Brême, 115,644 émigrants pour l'Amérique du Nord. En y ajoutant les émigrants allemands qui, dans le même espace de temps, se sont embarqués à Hambourg, dans les ports de Hollande, de la France et de l'Angleterre, on aura un total de plus de 230,000 individus. Ce chiffre dépasse de beaucoup celui des naissances qui ont eu lieu, dans le même intervalle, dans tous les États de la confédération germanique. Il est à remarquer que le déplacement des populations se dirige presque exclusivement vers les États-Unis; ce qui semble accréditer l'opinion d'après laquelle la civilisation se porte de l'ancien continent vers le nouveau : partie des bords du Gange, elle s'avance, à travers les plaines de la Mésopotamie, sur les côtes du bassin de la Méditerranée; de là, elle marche vers les contrées septentrionales de l'Europe; enfin elle franchit l'océan Atlantique, pour aller se fixer aux États de l'Union américaine.

Si le gouvernement français a l'intention bien réelle de coloniser l'Algérie, il devra employer tous ses moyens pour attirer toutes ces populations laborieuses, rompues à la patience et à la fatigue. Pour cela, il devra se mettre en rapport avec les comités d'émigration établis dans différentes villes de l'Allemagne, et prendre connaissance de tous les renseignements que pourraient lui fournir les organes de la presse, principalement l'Allgemeine Auswanderungs-Zeitung, qui se publie, au delà du Rhin, sous la direction habile et éclairée de M. Froebel.

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