Page images
PDF
EPUB

modifications toutefois, en les rapprochant des déterminations acoustiques, n'altèrent en aucune manière leurs rapports.

Il nous a fallu du courage pour suivre dans tous ses détails cette métaphysique trop enveloppée de nuages; mais nous tenions à prouver que nous saurions dans tous les cas remplir avec conscience notre mission de critique. Ajoutons, en terminant, que dans un avenir prochain la lumière se fera, que la théorie des consonnances et des dissonances ne sera plus un mystère, même au point de vue psychologique. Les calculs et les raisonnements de M. Drobisch ont pour point de départ la gamme telle qu'elle est universellement admise aujourd'hui. Or cette gamme, tout artificielle et faussée par l'introduction du nombre 5 dans l'évaluation des nombres de vibrations correspondants aux divers sons, n'est pas la gamme de la nature, et les accords auxquels elle donne naissance ne sont pas essentiellement harmonieux. Dans la formation des sons qui doivent composer la ganıme vraiment naturelle, on ne doit avoir recours qu'aux nombres 2 et 3 et à leurs multiples, comme M. de Jouffroy l'a prouvé dans un mémoire soumis récemment au jugement de l'Académie des beauxarts. Quand on est ainsi rentré dans le vrai, quand on n'a plus à analyser que des sensations produites par la perception simultanée des rapports simples entre deux puissances de 2 et de 3, le problème psychologique est incomparablement plus facile à résoudre. Nous ne l'aborderons pas ici, nous n'avions à rendre compte que de l'analyse, fatalement stérile, avouons-le, de M. Drobisch; nous l'avons fait surabondamment.

SCIENCES MORALES ET POLITIQUES.

SOIRÉES DE CARTHAGE, ou Dialogues entre un prêtre catholique, un muphti et un cadi, par M. l'abbé BourGADE, aumônier de la chapelle royale de Saint-Louis,

à Carthage. In-8° de 192 pages. -Paris, typo

graphie de Firmin Didot frères, 1847.

M. l'abbé Bourgade, l'auteur de cet ouvrage, voudrait voir en Europe une association religieuse, ayant pour but de civiliser l'Afrique.« Saint Louis, dit-il, avant d'expirer, prononça

ces mots : Qui enverrons-nous à Tunis? Que chaque Français, que chaque Européen entende ce vœu comme adressé à lui-même, et se rende à Carthage et à Tunis par le concours de la science et l'effusion de ses largesses. » C'est pour coopérer, suivant ses moyens, à la réalisation de son projet, que l'aumônier de la chapelle Saint-Louis, à Carthage, a composé les dialogues que nous signalons ici à l'attention de nos lecteurs.

Rien n'est plus facile, suivant M. l'abbé Bourgade, que de commencer et d'accomplir, sans les armes, l'œuvre civilisatrice qu'il a rêvée. Ne voit-on pas aujourd'hui Achmet, le bey de Tunis, prendre l'initiative de toutes les réformes ? C'est lui qui a déclaré libre pour l'avenir tout enfant qui naîtrait de parents esclaves. C'est dans une idée de civilisation que ce prince est venu en France, au centre de toutes les lumières, cherchant la sagesse comme un autre Anacharsis. L'élan est donné. La croix a été plantée, des établissements français ont été fondés là où saint Louis mourut sur la cendre. On rencontre aujourd'hui, dans la régence de Tunis, quatre écoles de petites filles, trois écoles de garçons, une autre école gratuite, un collége, une salle d'asile ; établissements européens d'une haute utilité, qui sont fréquentés par plus de trois cents élèves de diverses nations et de divers cultes. Ajoutez à cela deux établissements de sœurs de la charité, et un hôpital, qui distribue des soins à domicile. N'est-ce donc point là, pour ceux qui veulent civiliser l'Afrique musulmane, un beau commencement?.... Mais revenons à l'ouvrage de M. l'abbé Bour

gade.

Dans les dialogues que nous avons sous les yeux, l'auteur aborde une foule de questions sociales et religieuses. Il les traite, non point d'une manière systématique, mais comme elles peuvent se présenter dans une conversation, avec une sorte d'abandon et de désordre. Cela ne nuit en rien, hâtons-nous de le dire, à l'évidence des preuves et à la clarté des déductions. Le long extrait qui va suivre (c'est un parallèle entre la femme chrétienne et la femme musulmane, suivi de considérations sur le divorce) donnera, nous le croyons, à nos lecteurs, une juste idée de l'œuvre de M. l'abbé Bourgade.

Dialogue I. Entre une sœur de la charité et un muphti. La sœur de la charité vient de soigner la femme du muphti; avant qu'elle sorte de chez lui, le muphti engage ainsi la conversation :

Salut! tu es venue soigner ma femme; que Dieu multiplie ses bénédictions sur toi, et soit propice à l'âme de tes parents.

Sœur. A toi salut, ia Sidi (ô Monsieur)! que Dieu exauce tes vœux, et répande aussi ses abondantes bénédictions sur toi et sur les tiens.

Muphti. Comment trouves-tu ma femme aujourd'hui ?

Sœur. Ta femme va bien. Le remède qu'elle a pris hier a bien opéré; encore quelques jours, et ta femme sera guérie, s'il plaît à Dieu.

Muphti. Louange à Dieu! Ma femme te devra la vie. Que pourrais-je faire pour toi, en reconnaissance des services que tu nous rends?

Sœur. Nous rendrons grâces à Dieu. Ce n'est pas moi qui aurai guéri ta femme; nous donnons les remèdes, et Dieu opère la guérison.

Muphti. Tout vient de Dieu, sans doute; rien ne se fait que ce qui est écrit. Mais tes soins n'en sont pas moins dignes de reconnaissance. Je voudrais trou ver le moyen de te prouver que je ne suis pas ingrat. Ton père et ta mère viventils encore?

Sœur. Par la grâce de Dieu, mon père et ma mère vivent encore.

Muphti. Comment as-tu pu te résoudre à t'éloigner d'eux? quitter ta patrie et tes parents, t'exposer aux dangers de la mer, pour venir vivre parmi des étrangers et soigner des plaies étrangères; c'est ce qui me remplit d'étonnement. Sœur. Je me suis imposé ces sacrifices pour mieux servir Dieu et être plus utile à mes semblables; et, quelques sacrifices que nous fassions pour Dieu, Dieu se trouve toujours plus généreux que nous.

Muphli. Dieu est plus généreux que les plus généreux; tu as raison. Mais qu'il me soit permis de te faire part d'une pensée qui m'est venue à ton sujet : peut-être n'as-tu pas trouvé à te marier dans ton pays, faute d'argent? Car, chez vous, c'est la femme qui doit apporter une dot dans la maison de son mari; chez nous, c'est le contraire. S'il en était ainsi, je te donnerais de l'argent pour que tu puisses te marier avec qui tu voudras.

Sœur. Ia Sidi, si un Européen me tenait un tel langage, la rougeur me monterait an front, et ce serait toute ma réponse. Toi, tu es dans la bonne foi, tu parles par bonté; je ne suis pas offensée de ton langage. Mais sache que ta maison serait-elle convertie en or, les fleurs de ton jardin seraient-elles changées en diamants, me les offrirais-tu pour dot de mariage, je mépriserais ton or et tes brillants, et resterais ce que je suis. Mon mariage est le plus beau des mariages. Muphli. Tu es donc mariée ?

Sœur. Oui, je le suis. Et auprès de mon époux pâlissent tous les autres époux; le soleil et la lune admirent sa beauté; ma famille est innombrable, mon domaine est sans limites.

Muphti. Serais-tu la femme du grand sultan? Ton langage est nécessairement hyperbolique.

Sœur. Loin d'emprunter l'hyperbole, mon langage est simple, et se trouve au-dessous de la vérité. Elève un moment ta pensée vers celui qui est beau; ouvre ton cœur aux sentiments qu'inspire le Généreux, le Clément, le Miséricordieux, et tu comprendras. Un jour je priais et demandais la sagesse.....

Muphti. Dieu donne la sagesse à qui il veut; et quiconque a obtenu la sagesse, a obtenu un bien immense; mais il n'y a que les hommes doués de sens qui y pensent.

Sœur. Je demandais la sagesse. Je pesai une à une dans mon esprit les choses d'ici-bas tout me parut vide, illusion d'un jour. Mais Dieu!... Dieu me parut l'unique bien solide; il me parut aimable!... et je résolus de l'aimer sans réserve. Le soin de plaire à un époux, les affaires d'une maison, auraient partagé les affections de mon cœur ; j'ai voulu le donner tout entier à Dieu, et Dieu est le meilleur des époux. Je promenai mes regards sur cette multitude d'enfants

d'Adam, pauvres, souffrants, trop souvent délaissés, et cependant créatures de Dieu comme moi; leur état parla à mon cœur, et j'ai cru être agréable à Dieu en vouant mon existence au soin des pauvres et des malades. Je les appelle mes frères, ils m'appellent ma sœur ; je leur dis mes enfants, ils me répondent ma mère. Les affections de famille ont leur douceur, sans doute; mais soulager celui qui souffre, donner du pain à celui qui a faim, vêtir celui qui est nu, essuyer les larmes de celui qui pleure, a des charmes aussi pour ceux qui le comprennent.

Un époux aurait pu m'entourer de plaisirs et de richesses, faire de moi sou orgueil, faire de lui le mien; mais Dieu m'assure de plus douces délices, des richesses plus précieuses, la paix, le paradis ; et la paix est la première des jouissances, le paradis le plus beau des patrimoines.

Muphti. Le paradis est le plus beau des royaumes. On dirait que tu as voulu prendre pour règle de conduite ce verset du Koran: Tout ce que vous avez donné aux pauvres, non par un motif humain, mais en vue de l'autre vie, dans le désir de contempler la face de Dieu, vous sera payé.

Tu as seulement eu tort d'aller plus loin que le verset. Un époux ne t'empêcherait pas d'aller au ciel. Le ciel est promis à toutes les conditions, à tout le monde.

Sœur. Le ciel est promis à tout le monde, cela est vrai; mais il est facile de s'endormir dans le chemin qui y conduit, ou de prendre celui qui en détourne. Le pèlerin sage se débarrasse des lourds fardeaux, se contente des provisions nécessaires. Dans le court pèlerinage de cette vallée de larmes, je regarde comme un bon marché que d'arriver d'un pas sûr à la patrie éternelle, au prix des plus grands sacrifices.

Muphli. Par le prophète ! la sagesse est avec toi.

<< Celui qui entreprendra le pèlerinage, dit le Koran, doit s'abstenir du commerce des femmes.

La meilleure de ses provisions, c'est la piété, c'est la crainte de Dieu. » Toi, dans le grand pèlerinage, dont celui de la Mecque n'est que la figure, tu évites le commerce des hommes; tu ne veux que la piété et la crainte de Dieu pour provisions et pour compagnes.

En vérité, tu es bien différente de nos femmes ; je pourrais ajouter, et de nos hommes.

Sœur. Ia Sidi, excuse ma franchise: c'est à tort que vous blâmez vos femmes; la femme, chez vous, est ce que vous la faites; par suite, hommes, vous êtes ce que la femme vous fait.

Muphti. Ton langage est nouveau. Explique ta pensée.

Sœur. Quelle est chez vous l'éducation de la femme? Que faites-vous pour cultiver son intelligence? Rien. Que faites-vous pour ennoblir son cœur et en diriger les sentiments? Rien. Quels principes religieux lui donnez-vous? Elle va souvent au bain, jamais à la mosquée. Vous croyez avoir tout fait pour l'éducation de la femme, quand vous l'avez engraissée de couscous avant son mariage. Muphti. Continue.

Sœur. La femme se venge de votre ingratitude sans vouloir le faire.
Muphti. Comment ?

Sœur. Auprès de qui restent les enfants, pendant les six, les huit, les dix premières années de leur vie? Auprès de la mère. Que peut leur enseigner cette mère, qui ne sait rien elle-même ? Quels sentiments peut-elle leur inspirer, elle qui en a si pen? C'est comme la gazelle auprès de ses petits : du lait, de la nourriture matérielle, voilà tout ce qu'elle peut leur donner. Quelquefois, et trop souvent, c'est auprès de la mère que les enfants trouvent de funestes apprentis

sages. Cependant, les sentiments qui se sucent avec le lait sont les plus durables.

Muphli. Je suis muphti, tu n'es qu'une femme, et je ne puis m'empêcher d'a. vouer la justesse et la supériorité de ton langage. Est-ce que chez vous toutes les femmes sont comme toi?

Sœur. Je ne suis qu'une simple sœur de la charité, la servante des pauvres ; que Dieu ait pitié de moi ! Nous parlons de la femme mariée; eh bien, par l'effet de l'éducation de l'Evangile, la femme chez nous est comme un ange dans la maison. Son cœur a la blancheur du lait qui jaillit de son sein; sa parole est comme un rayon de miel, qui tombe goutte à goutte dans le cœur de son enfant. La mère fait aimer la vertu avant de la faire connaître. A son école, les domestiques deviennent meilleurs. Le mari est-il de mauvaise humeur, une parole de sa femme suffit pour rétablir le calme dans sa tête et dans son âme; est-il embarrassé au milieu des affaires, l'épouse devient son aide et souvent son conseil, car elle est instruite. Ainsi, dans la maison, l'homme est la tête qui dirige, le bras qui protége; la femme, l'âme qui vivifie et console.

Muphti. C'est beau! Les femmes qui nous sont promises dans le paradis ne sont pas plus parfaites. Chez nous, la femme est ignorante, il est vrai; mais elle n'est pas aussi mauvaise qu'on pourrait le croire. Elle n'ose pas faire la méchante, car elle sait que nous avons plusieurs moyens de correction; elle n'ignore pas que nous avons même un moyen de la congédier, le divorce.

Sœur. En vérité, permets-moi de te le dire, ia Sidi, un tel remède est pire que le mal.

Muphti. Tu oses le dire!

Sœur. Je t'ai demandé la permission, et le droit de la vérité me la donne. La femme sait qu'elle peut ne pas être pour toujours dans la maison où elle est entrée; que, dans cette maison, elle n'est pas absolument chez elle. Cela suffit pour arrêter les sentiments nobles et généreux qui font en partie l'ornement de l'épouse et de la mère de famille. Elle est réduite à une manière de vivre timide et rampante, comme l'esclave qui la sert; si cette femme est renvoyée, que devient-elle ? que deviennent ses enfants?

Muphti. Elle les prend avec elle, le mari paye leur entretien, ou bien le mari les garde avec lui.

Sœur. Tu ne réponds pas. Ce que devient la femme, nous ne le savons que trop! Quant aux enfants, vous croyez avoir assez fait pour eux en leur assurant le morceau de pain prescrit par le Koran. Savez-vous bien la position d'un en fant expulsé du toit paternel, qui ne peut plus courir des bras de sa mère aux genoux de son père, recevoir les bénédictions de celui-ci, les caresses de celle-là? Dans un tel isolement, plutôt dans un tel abandon, où sont les exemples, où sont les leçons qui doivent former le cœur de cet enfant, lui inspirer les sentiments envers un père, une mère, afin qu'un jour il sache les inspirer lui-même à ses enfants? Ah! mieux fondée me paraît la parole de Jésus-Christ parlant du mariage: Que l'homme ne sépare point ce que Dieu a uni.

Muphti. Ces paroles sont dans l'Évangile ?

Sœur. Oui, Sidi.

Muphli. L'Evangile est grand dans notre esprit ; c'est le livre appelé par seid Mahomet, que la prière de Dieu soit sur lui! le livre de la lumière.

Sœur. Louange à Dieu! c'est la lumière de ce livre qui m'a éclairée jusqu'ici; puissé-je toujours marcher à la lueur de son flambeau !

Muphti. « Dieu est la lumière des cieux et de la terre... Cette lumière ressemble à un flambeau placé dans un cristal, cristal semblable à une étoile brillante. Ce flambeau s'allume avec l'huile de l'arbre béni, de cet olivier qui n'est ni de l'orient ni du couchant, et dont l'huile brille quand bien même le feu ne la

« PreviousContinue »