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des ordonnances de Louis X, de Charles V, de Charles VII, des lettres de la commune de Paris à celle de Londres, etc., et la relation détaillée de l'entrée solennelle de Henri VI à Paris.

Ces archives de Guild-Hall contiennent d'ailleurs tant et de si curieux documents sur l'histoire de Londres, qu'en les parcourant, M. Jules Delpit s'est laissé entraîner à prendre quelques notes. Il en a formé dans son livre un chapitre à part: au premier aspect, ce morceau semble un hors-d'œuvre, mais il est moins étranger qu'il ne paraît au plan de l'ouvrage. Il contient une foule de renseignements utiles à l'interprétation des textes publiés d'après ces archives. Ces notes sur Londres sont d'autant plus précieuses, que personne ne s'est encore occupé d'étudier d'une manière sérieuse l'histoire municipale de cette ville.

Dans les archives du duché de Lancaster, que nul Français n'avait encore visitées, M. Jules Delpit a été assez heureux pour rencontrer quelques détails curieux sur la levée, l'organisation et la solde des armées au moyen âge. Il résulte de ces faits nouveaux, ou qui du moins n'avaient jamais été mis en saillie, que très-souvent les principaux chefs des armées, et jusqu'aux simples chevaliers, avaient des intérêts matériels diamétralement opposés à ceux des souverains pour lesquels ils combattaient. Ainsi le duc de Lancaster, lieutenant général de son père Edward III, s'étant fait donner par celui-ci la ville de la Rochesur-Yon, afferma cette ville aux sénéchaux de Saintonge et de Poitou à des conditions telles, que si les seigneurs du voisinage faisaient la paix avec le roi d'Angleterre, le prix de ferme devait être considérablement diminué. Les sénéchaux et le lieutenant général lui-même avaient donc intérêt à ce que Edward III n'entrât pas paisiblement en possession de la couronne qu'il réclamait. Ce fait singulier coïncide d'ailleurs avec une série de faits analogues, qui prouvent qu'au moyen âge les révoltes des vassaux n'étaient pas envisagées sous le même aspect que dans les temps modernes. Les rébellions étaient alors un des principaux revenus des princes, et la royauté féodale devait voir avec une satisfaction secrète naître les occasions d'exercer un droit qui pouvait seul la soutenir.

Dans la bibliothèque des avocats de Londres à Lincoln'sinn, où personne n'avait encore travaillé, M. Jules Delpit a été moins heureux qu'à Guild-Hall. A part quelques manuscrits dont il suffisait de signaler l'existence, il n'a rencontré que des copies de pièces qui sont trèsprécieuses peut-être, mais auxquelles il n'est permis d'avoir recours qu'après s'être assuré de la disparition des originaux.

Pour compléter ce premier volume, M. J. Delpit a eu recours aux archives de l'échiquier. Brequigny avait travaillé pendant longtemps dans ce dépôt Rymer et quelques autres l'avaient aussi exploité. Il fallait donc procéder à ce nouveau dépouillement avec des précautions d'autant plus minutieuses qu'il s'opérait alors de grands changements dans les archives royales d'Angleterre, et que si les sections explorées n'avaient pas été désignées avec soin, il eût été impossible de les re

connaître ou de les retrouver dans les dépôts nouveaux où l'on allait les transporter.

La portion des archives de l'échiquier, visitée par l'auteur, occupait alors l'élégante et remarquable salle du chapitre de l'ancienne abbaye de Westminster, et cette seule salle renfermait une masse de parchemins qui s'élevait à plus de cinq cents mètres cubes. Il n'était pas difficile de trouver là des documents que Brequigny n'avait pas vus, ou plutôt qu'il avait dédaignés, sans qu'on puisse lui en faire un reproche bien sérieux; car une grande partie des progrès que la science historique a faits depuis cette époque tient peut-être moins au génie des hommes qui l'ont cultivée, qu'à la forme du gouvernement sous lequel nous vivons. On n'étudie pas aujourd'hui l'histoire sous le même point de vue qu'au temps de Brequigny : le célèbre académicien se serait bien gardé, par exemple, de transcrire la liste des hommages qu'un millier de vassaux d'Aquitaine rendirent au Prince Noir; il eût craint de porter atteinte à cette inaltérable fidélité que les nobles familles de cette province prétendaient avoir constamment gardée envers leur souverain : et si ce scrupule ne l'avait pas arrêté, il aurait du moins retranché de cette liste, comme l'avait fait le savant du Cange, le nom de ces bourgeois assez entichés de leur roture pour protester, comme le fit P. Calhau, que, malgré son hommage, il n'entendait se déporter en rien de sa borguesie. Cependant le procès-verbal de ces actes est un document d'un haut intérêt. On y trouve, indépendamment des renseignements qui intéressent plus de mille familles, le témoignage des réformes politiques que le prince de Galles apporta dans l'administration de l'Aquitaine. Il ne se bornait pas à se déclarer, en Angleterre, le protecteur des communes et du bon parlement, il essayait d'introduire aussi une sorte de représentation nationale dans ses possessions d'outre-mer en forçant les députés des villes d'Aquitaine à venir lui prêter hommage dans sa capitale, il les obligeait en réalité à prendre place, à un certain degré, dans la hiérarchie du gouvernement.

Brequigny avait aussi négligé de transcrire les comptes de l'administration financière de l'Aquitaine sous le Prince Noir: cependant ces comptes donnent un démenti complet et formel à toutes les conjectures ingénieuses et savantes avancées par les bénédictins et les érudits modernes, à l'occasion des célèbres tablettes de cire de Philippe le Bel. Désormais il est démontré que les souverains du moyen âge pouvaient, comme ceux de nos jours, se rendre un compte exact de la situation de leurs finances. La publication de ces comptes fournit encore une multitude de renseignements utiles à plusieurs branches de la science historique. Un grand nombre de détails se rapportent à la généalogie des familles; ils ne manquent pas d'importance. Quand le trésorier d'Aquitaine mentionne qu'une prévôté ou une baillie a été donnée au Captal, à Chandos, etc., il nous en apprend beaucoup plus que s'il nous eût conservé les formules de la donation originale, puisque au nom du donateur il ajoute la valeur de la chose donnée. Cette valeur du revenu des diverses localités, à différentes époques, n'est pas un

des tableaux les moins curieux de ces comptes. Les chiffres s'y transforment en une véritable carte topographique, où l'œil peut suivre, plus sûrement que dans les récits des chroniques, les résultats de la guerre: la cote des revenus est dans un rapport exact avec les succès des deux partis. Du reste, on ne pouvait laisser plus longtemps en oubli des comptes où, à côté du prix de la morue et des poissons salés, figurent en recette le prix des joyaux de la couronne de Castille, la finance d'un du Guesclin, et celle d'un roi de France.

Des documents non moins curieux, et aussi peu connus, se trouvent encore dans les archives de l'échiquier. On y a découvert récemment des lettres adressées à l'infortuné favori d'Edward II, Hugues Ledespenser; elles n'avaient jamais été ouvertes, et offraient encore, pour ainsi dire, les prémices d'une pensée qui ne s'était révélée à personne depuis plus de cinq siècles. L'une de ces lettres, écrite de Gascogne, contient un trait de mœurs caractéristique. Les seigneurs anglais ennemis de Despenser, se trouvant à Bordeaux, s'étaient conjurés ensemble, avaient mis le feu en plusieurs endroits de la ville, égorgé leurs hôtes, et commencé le pillage comme dans une place prise d'assaut.

Nous n'avons pas besoin d'insister davantage sur l'importance des documents renfermés dans le volume de M. J. Delpit. L'éditeur s'est chargé lui-même, dans la troisième partie de son introduction, de rassembler et de faire connaître à part les différents genres de renseignements qu'on peut trouver dans cette collection. Convaincu qu'un recueil de pièces historiques n'est réellement utile que lorsque chaque lecteur peut y découvrir aisément tout ce qui intéresse ses recherches particulières, M. Jules Delpit s'est imposé un genre de travail tout à fait nouveau; il a entrepris un résumé des principales matières contenues dans les textes publiés par lui. Quoique ce travail fût bien différent de la mise en œuvre des matériaux, il était pourtant assez difficile de signaler tous les renseignements utiles, sans répéter des détails trop connus. M. J. Delpit a mis à part tout ce qui se rapporte à l'histoire particulière des provinces, à l'histoire ecclésiastique, au commerce, à l'agriculture, à la numismatique, etc., etc.; en un mot, il n'a pas seulement voulu être utile en publiant des textes, il a surtout cherché à rendre ces textes aussi profitables qu'ils peuvent l'être. L'exactitude consciencieuse qu'il a apportée dans cette tâche ingrate lui donne droit aux remercîments de tous les amis des études historiques.

LETTRES, INSTRUCTIONS ET MÉMOIRES DE MARIE STUART, reine d'Écosse, publiés sur les originaux et les manuscrits du State Paper Office de Londres et des principales archives et bibliothèques de l'Europe, et accompagnés d'un résumé chronologique; par le prince Alexandre LABANOFF. 7 vol. in-8°. Londres, chez Charles Dolman; Paris, au Comptoir des imprimeurs-unis, quai Malaquais, 15.

(Deuxième article (1).)

:

Tandis que Marie Stuart était passée successivement des bras de François II à ceux de Darnley et au lit de Bothwell, l'assassin de son second époux, Élisabeth, la Vierge du Nord, s'obstinait à repousser toute union officielle et politique. Les prétendants se présentaient de toutes parts, car l'Espagne et la France avaient plus d'un prince à établir et à pourvoir la Suède même se mettait sur les rangs; mais le roi de Suède, la maison d'Autriche et les Valois devaient échouer contre l'inflexible fermeté d'Élisabeth. En vain M. de la Mothe-Fénelon, ambassadeur de Charles IX, parlait du roi son maître et de Monsieur, frère du roi; Élisabeth répondait : « Que le roy ne vouldroit poinct d'elle, et qu'il se tiendroit tout honteux de monstrer, à une entrée à Paris, une royne pour sa femme qui parût si vieille qu'elle feroit.» (La Mothe-Fénelon,' t. II, p. 118.) L'amitié de Leicester suffisait à cette måle souveraine; mais ce n'était pas le compte des Anglais. Le duc de Norfolk entreprit de mettre fin aux irrésolutions de la reine. «Il se vollut esclarcyr de ce qui estoit entre la dicte dame et le comte de Lestre; » il somma Leicester de déclarer «< s'il y avoit quelque chose si advancée entre la dicte dame et luy, qu'il se peult asseurer de l'espouser; » dans ce cas, il lui promettait son secours ; mais autrement, il l'avertit « de se déporter dorsenavant de la familiarité et trop grande privaulté dont il avoit usé jusques icy, et

(1) Voyez le premier article dans la dernière livraison, numéro de mai, p. 92-106.

de se contanter d'estre grand escuyer,... sans attampter à l'honneur de la coronne, ny gaster celluy de leur mestresse...; et le taxa de ce qu'ayant l'entrée, comme il a, dans la chambre de la royne lorsqu'elle est au lict, il s'estoit ingéré de luy bailler la chemise au lieu de sa dame d'honneur, et de s'azarder de luy mesmes de la bayser, sans y estre convié.» (Ibid., p. 120.) Leicester voulut profiter de l'avis; mais Élisabeth répondit par un refus très-positif. D'ailleurs, la reine d'Angleterre, s'il faut en croire les médisances du temps, avait de bonnes raisons pour résister au désir « de procréer des hoirs de son corps. » Les Anglais, qui attendaient un héritier de leur souveraine, avaient tort d'accuser sa mauvaise volonté. « Les grandz de ce royaulme, dit la Mothe-Fénelon, tiennent pour chose résolue qu'elle ne prendra jamais mary; et quant bien elle en prendroit, qu'il n'y aura toutesfois lignée d'elle, estant mal sayne, et que mesmes, pour quelque accidant qu'elle a aux jambes, elle ne sera de longue vie. » (Ibid., p. 122.)

La reine d'Angleterre devait donc mourir sans enfants (Marie Stuart, pour plus de précision, ajoute, dans une de ses lettres, sans enfants légitimes; cette observation, au moins superflue, a l'air d'un outrage ou d'une dérision). Or, dans ce cas, à qui passerait la couronne? La question était embarrassante à résoudre. D'après l'ordre naturel de la succession, le trône revenait à la reine d'Écosse. Mais une princesse catholique, alliée de Philippe II, amie du pape et des papistes, pouvait-elle gouverner un pays protestant, où l'État et l'Église se confondaient sous l'autorité d'un même chef? Entre les priviléges de la légitimité et les droits de la nation, la contradiction était manifeste. Un tiers parti se forma pour les concilier. A sa tête se plaçait le duc de Norfolk. Ce seigneur, « le premier et le plus autorisé du royaulme » (la MotheFénelon, t. II, p. 120), voulait s'unir avec la reine d'Écosse, et prendre la place laissée vacante par Bothwell. L'assassin de Darnley vivait encore; mais la cour de Rome pouvait casser son mariage, et consacrer celui de Norfolk. Cet accommodement ménageait à la fois tous les intérêts. Maintenir l'ordre de la succession, fonder, par l'union d'un Anglais protestant avec Marie Stuart, une dynastie nationale, et fermer tout accès aux prétentions des princes étrangers et catholiques, tel était le but avoué de Norfolk et de ses amis. Quelques-uns même « des principaulx de la nouvelle religion » étaient gagnés à la cause de Maric Stuart (ibid., p. 127).

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