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lution de 1830, plus il la voulait pure de tout excès, et surtout, lui dont on a dit qu'il brûlait du plus saint enthousiasme de l'humanité, plus il la voulait pure de tout excès sanglant. Voilà le double mobile qui, le 29 juillet, l'entraîna, lui inconnu à l'archevêque de Paris, à s'associer aux généreux efforts qui tentaient de le soustraire à la colère du peuple. Sauvé une première fois à Conflans par le dévouement de son médecin, M. Caillard, et maintenant caché à l'hôpital de la Pitié, chez M. Serres, le prélat, dont les traces avaient été suivies, se trouvait de nouveau en danger. Geoffroy Saint-Hilaire vint offrir, ou de le conduire déguisé chez un de ses amis d'Étampes, ou de le recevoir dans sa maison. « Comptez « sur moi, » disait-il à M. Serres en des termes que leur simplicité toute familière ne rend que plus dignes d'être cités : « Passez-le-moi ; vous savez que je suis cou « tumier du fait. » Le 30, M. de Quélen hésitait encore; mais, le 31, l'imminence du danger le décida: sous ses fenêtres mêmes un groupe hostile s'était formé, et les paroles les plus menaçantes avaient été proférées. On ne devait plus songer à sortir de Paris; mais, à la chute du jour, l'archevêque, déguisé, gagna la rue par une porte de derrière, parvint heureusement jusqu'à la demeure de Geoffroy Saint-Hilaire, et y pénétra avec la presque certitude de n'avoir pas été reconnu. Rien, en effet, ne le troubla dans cet asile, où, jusqu'au complet rétablissement de l'ordre, il vécut calme, résigné, et se plaisant dans cette consolante pensée que, si l'infortune enlève des amis, elle en donne aussi quelquefois.

« L'archevêque de Paris quitta le Jardin des Plantes le 14 août, date déjà mémorable pour Geoffroy Saint-Hilaire. C'est le 14 août qu'il courait, trente-huit ans auparavant, à la prison de l'abbé Haüy, porteur de l'ordre de délivrance. Heureux ceux dans la vie desquels on trouve à citer de telles éphémérides! »

Les actes que nous venons de rapporter sont les plus beaux panégyriques.

Jusqu'au dernier souffle d'une vie si bien remplie, Geoffroy Saint-Hilaire était constamment préoccupé de ces idées d'ordre, d'unité, d'harmonie, qui sont à la fois la base de la science et de la morale. C'était là son culte : les intérêts et les honneurs mondains n'étaient pour lui que vanité. En un mot, c'était une grande intelligence entée sur un noble cœur.

Vieillard plus que sexagénaire, il recherchait encore avec avidité tout ce qui se publiait en philosophie, pour y trouver la confirmation des principes de son école :

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« Vous ne pourriez, nous écrivit il quelques années avant sa mort, rien m'offrir de plus important dans la disposition d'esprit où je me trouve en ce moment et à la campagne (1), de savoir ce qu'ont produit nos grands philosophes

(1) Nous avions envoyé à M. Geoffroy Saint-Hilaire, alors retiré à Saint-Thibaut, près Laguy, quelques numéros d'une Revue (l'Époque), où nous avions inséré des extraits de la Critique de la Raison pure de Kant. La lettre porte la date du 3 juillet 1835. Comme elle renferme des appréciations sur des person. nages encore vivants, nous n'en citerons ici que des fragments.

d'Allemagne ; et la philosophie de Kant est placée en tête des grandes pensées sorties du pays de la philosophie..... Mes yeux lisent les lignes des ouvrages, et mon esprit y cherche un développement de mes pensées.... Je ne connais Kant que par ses biographes, et aussi pour avoir fourni à la philosophie éclectique. Selon moi, c'est un pauvre service qu'il nous aurait rendu. Dans un temps où Cuvier vivait, et où il croyait avoir le droit de nous imposer des opinions.....

Ailleurs, revenant sur son jugement, il dit :

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« Je viens de me remettre à la lecture de votre admirable Kant. Que de choses je parviens à comprendre, que mes actes intuitifs avaient déjà entrevues!... »

Ainsi, la philosophie, qui, bien comprise, formule les lois de toutes les sciences, remplissait jusqu'aux derniers instants de la vie de l'illustre chef d'école dont les doctrines, loin d'être affaiblies, seront fortifiées avec le temps. Ces doctrines se développeront, parce qu'elles sont comme le reflet même de l'intelligence humaine, et qu'elles satisfont le mieux l'instinct de notre raison, qui demande, comme nous l'avons montré, l'unité dans la variété des choses.

OEUVRES COMPLÈTES DE CONDORCET, publiées par le lieutenant général O'CONNOR; précédées de l'ÉLOGE DE CONDORCET, par M. ARAGO, secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences. Paris, chez Firmin Didot. Deuxième et troisième livraisons.

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Au moment même où nous écrivons ces lignes, on achève l'impression des douze volumes qui composent l'édition des œuvres complètes de Condorcet. Nous ne parlerons cependant ici que des deuxième et troisième livraisons (vol. IV, V, VI et VII), les seules que nous ayons sous les yeux.

Cette fois encore, nous nous bornons à donner à nos lecteurs de courtes indications.

La deuxième livraison renferme la vie de Voltaire, avec les notes et dissertations insérées dans l'édition de Kehl, dont Condorcet fut le directeur, et qui produisit une si grande sensation en Europe; la vie de Turgot; un rapport à l'Académie des sciences, sur la réformation du cadastre de la province de la haute Guyenne; les lettres d'un théologien

à l'auteur du Dictionnaire des trois siècles (1774); une dissertation rédigée en 1779, et publiée en 1790, sur la question de savoir s'il est utile aux hommes d'être trompés; enfin, un recueil de pièces sur l'état des protestants, 1781.

La troisième livraison se compose de l'esquisse d'un tableau des progrès de l'esprit humain, rédigé par Condorcet pendant sa proscription (1793-1794), et publié sur un rapport de Daunou, par ordre de la convention. La deuxième partie de cet ouvrage, inédite jusqu'ici, ainsi que les première, cinquième et dixième époques de la première partie, forme donc un ouvrage nouveau, et se trouve dans le sixième volume, qui a près de sept cents pages. Le tome VII se compose principalement de cinq mémoires sur l'instruction publique, d'un rapport et d'un projet de décret d'organisation générale, 1791-1792.

On y trouve aussi des réflexions sur la jurisprudence criminelle, 1775; une réponse à un plaidoyer de M. d'Éprémesnil dans le procès du comte de Lally, 1781; des réflexions sur l'esclavage des nègres, 1787, et des réflexions d'un citoyen non gradué sur un procès trèsconnu (1786).

L'esprit éminemment philosophique du secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences s'étendait à toute l'organisation sociale. Toutes les questions qu'il aborde sont traitées largement au point de vue le plus général; et c'est par ce motif qu'on les lira avec fruit dans tous les temps et dans tous les pays.

Condorcet a été en France, en quelque sorte, le précurseur de la société des noirs; et, après Montesquieu, c'est lui qui a eu la gloire de dire, contre leur esclavage, les choses les plus fortes. Encore, dans l'ironie amère de Montesquieu, ne voit-on pas toujours quelle était la pensée du plus grand publiciste du XVIIIe siècle; tandis que les vues de Condorcet sont claires et pratiques. Aussi le célèbre Clarkson avait-il conservé précieusement la fameuse adresse aux assemblées électorales de 1789, adresse qui ne fut pas sans influence sur les opinions émises par Necker dans le discours d'ouverture des états généraux. C'est par la copie communiquée par Clarkson qu'on a pu donner de l'authenticité à cette pièce.

Les abus de la jurisprudence criminelle dénoncés par Condorcet, et le plus cruel de tous, la question ou la torture, furent condamnés par Louis XVI et les états généraux, en 1788 et 1789.

L'état civil fut rendu aux protestants par un édit de novembre 1787. C'était là un des plus grands hommages qu'on pût rendre à l'esprit de tolérance. Condorcet eut une grande part dans ce qui se fit alors. Nous avons à relever ici une erreur grave, commise dans une note de la page 137, tome VII, où les éditeurs supposent que l'édit de tolérance remonte à 1778, c'est-à-dire, à une époque antérieure aux écrits de Condorcet; tandis qu'en 1778 il n'y eut, en réalité, qu'une proposition faite le 15 décembre à l'assemblée des chambres du parlement de Paris, proposition qui était demeurée sans résultat, puisque le parlement déclara n'y avoir lieu à délibérer.

Aussi Louis XVI, dans le préambule de l'édit donné à Versailles en novembre, et enregistré au parlement le 29 janvier 1788, se borne-t-il à dire qu'il l'avait longtemps médité dans ses conseils, avant de trouver un moment opportun pour le rendre.

Nous renvoyons aux écrits de Condorcet tous les hommes sérieux qui recherchent avec calme et sans passion les moyens de réformer l'instruction secondaire, et d'organiser l'éducation professionnelle. Ils y trouveront une foule d'idées vraies, justes et larges, dont ils pourront faire leur profit. Nous sommes bien loin, aujourd'hui, d'avoir obtenu tout ce que proposait et demandait l'illustre philosophe. Il voulait la liberté pour tous, mais une sage liberté, qui n'eût pas pour unique résultat de faire passer le monopole des mains des uns à celles des autres; de ceux, par exemple, qui, comme les membres de certaines corporations religieuses, désirent moins l'égalité des droits pour tous que le privilége pour eux-mêmes.

Nous croyons inutile de nous étendre sur les biographies de Voltaire et de Turgot, ainsi que sur les éclaircissements que Condorcet a joints aux œuvres du premier, éclaircissements que les éditeurs ont sagement classés par ordre alphabétique, comme supplément au Dictionnaire philosophique. Il n'est pas jusqu'à la dissertation sur le cadastre de la haute Guyenne, qui ne puisse être aujourd'hui encore de quelque utilité.

Nous persistons à croire que la collection des œuvres de Condorcet a sa place marquée dans toutes les bibliothèques choisies, et qu'elle mérite au plus haut degré de fixer l'attention des esprits sérieux et éclairés, non-seulement en France, mais encore dans tous les pays étrangers.

KINÉSITHÉRAPIE, ou Traitement des maladies par le mouvement, selon la méthode de Ling; par A. GEORGII. Paris, 1847. In-8° (347 pages). Germer-Baillière.

La méthode de Ling, que l'auteur essaye de mettre ici en relief, consiste dans la perfection physique et morale de l'homme à l'aide de la gymnastique. Cette méthode n'est certes pas nouvelle; elle était suivie dans toute l'antiquité, et, de nos jours, elle a trouvé des partisans zélés dans tous les pays. L'enthousiasme que M. Georgii, sousdirecteur de l'Institut royal et central de Stockholm, manifeste pour « les découvertes de M. Ling, »> ne nous paraît pas suffisamment jus

tifié; et le reste de l'Europe n'a ici rien à envier à la Suède, quoi qu'en dise l'auteur (p. IX):

<< Si les découvertes de Ling n'ont pas eu jusqu'ici plus de retentissement en Europe, il faut en rapporter la cause à l'isolement de la Suède, et surtout aux progrès tardifs de la physiologie, qui n'est sortie que dans ces derniers temps du vague des hypothèses. L'idée de Ling, comme toutes les vérités utiles, ne peut périr; mais il est à craindre que les pratiques multipliées qui constituent l'application de ce vaste système, ne se dénaturent par une transmission incomplète, s'il continue à se dérober à l'attention du corps médical; et qu'ainsi les bienfaits qui en découlent ne soient indéfiniment ajournés. Les quarante dernières années ont été, pour ainsi dire, une période d'incubation pour la nouvelle science.... »

Il n'y a là de nouveau que le nom de Kinésithérapie (de xívnois, mouvement, et Osрañɛíα, traitement), appliqué à la gymnastique médicale. Il est vrai que l'auteur attribue (p. 3) au génie de Ling la découverte de la gymnastique médicale :

« Le génie de Ling a découvert la gymnastique médicale. »

Mais tous les médecins orthopédistes pourront réclamer la priorité de cette découverte, en admettant, ce qui est contestable, que les Grecs n'ont pratiqué la gymnastique que pour former des athlètes. Au reste, c'est moins dans l'application que dans la théorie des forces vitales qu'il faut chercher le secret « du génie de Ling. »

Eh bien! nous nous inscrivons en faux contre cette théorie, qui assimile l'organisme vivant à un instrument de mécanique, ou à un appareil de chimie et de physique. C'est une de ces erreurs que les médecins s'acharnent à propager, et qu'il faudra combattre à outrance. Sans doute << l'idée de vie implique l'idée du mouvement. » Mais ce mouvement n'obéit pas aux lois physiques et mécaniques, et c'est pourquoi il diffère essentiellement de la matière inerte.

Ainsi vous n'expliquerez jamais la station et la marche par la loi de la mécanique; vous aurez beau faire intervenir l'action des muscles fléchisseurs et extenseurs, vous ne parviendrez pas à en donner une explication satisfaisante. Construisez donc, je vous prie, un mannequin, et faites-le, si vous pouvez, marcher d'après vos lois physiques.

« La circulation, dites-vous (p. 19), est une sorte d'appareil hydraulique complet, au centre d'un système de tuyaux élastiques, flexibles et perméables, pour distribuer un fluide organisateur et vivifiant dans les diverses parties de l'organisme.»

Mais, je vous le demande, quelle est la force qui fait cheminer le sang « dans les tuyaux élastiques d'un appareil hydraulique ? » Est-ce la systole ou la diastole du cœur? Mais quelle est alors la force qui produit les mouvements du cœur? La question subsiste toujours intacte. Le premier chaînon de cette série de phénomènes qui consti

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