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turelle. Si Cesar n'eust dedaigné d'ecouter ou lire la plainte d'un avertisseur, il n'eust succombé. Pourquoy doivent les oreilles des princes estre bouchées, puisque l'on les paint si longues; signifiant qu'ils doivent tout ouyr et bien penser avant que respondre. Je ne suis de la nature du basilique ny moins du cameléon pour vous convertir à ma semblance, quant bien je seroye si dangereuse et mauvaise que l'on dit; et vous estes assez armée de constance et de justice, laquelle je requiers à Dieu, et qu'il vous donne grace d'en bien user, avecques lon, gue et heureuse vie. » (T. II, p. 134.)

Élisabeth persistait dans son refus, et, loin de se laisser adoucir par les protestations de son infortunée prisonnière, elle lui faisait un crime de l'amertume de ses plaintes. C'était pousser loin le mé. pris pour une reine malheureuse. Mais Marie Stuart était forcée de subir cet affront, dans l'espoir de désarmer enfin le ressentiment de son implacable ennemie, et d'acheter, par sa soumission, une hospitalité qui lui était due à tant de titres.

Le 7 août 1568, elle écrivait, de Bolton, à Élisabeth :

« Madame, j'é resceus hier avèques grand deplesir une lettre de vous, pour voir qu'avés pris autrement que je n'avoys jamais entendu les miènes. J'advoue bien que, n'ayant entendu auqune certayneté de vostre bonne voullontay vers moy, je vous ecrivois trop libremant, si je n'eusse protesté que me pardonneriés, si je apeloys de vous à vous-mesme. Dieu me soit juge si jamay sje vous feus ingrate, si je ne me ressente de vos bons offices! mais qui (a) enuie, la pasiance fayt perdre beaucoup de respects, comme je m'en estoys accusée plusieurs fois. Mais vous l'avvés pris en trop mauvayse part d'une qui vous a choisie entre touts aultres vivant, pour se mettre elle et tout ce qu'elle a entre les meins. Si je vous ai offencée, je suis issi pour vous en fayre amande à votre discretion: mays si vous m'injuriés, je n'ay que la royne d'Angleterre à qui me pleindre de ma bonne sœur et cousine, qui m'accuse de fuir la lumiere. Et, au pis aller, je vous avois offert Vesmesterhal; mays je voys bien ce que vous distes est vray : vous tenés du lion, qui veult ordonner des autres par amour et en avvoir l'honneur et le bon gré, faysant de vous-mesme, ou vous couroussés. Et bien, je le vous donne, je vous acsepte pour grand lion; reconnoissés-moy pour segond de ceste mesme race. Or j'ay tout mis entre vos mains: faytes pour moy de fasson que je vous puisse valoir, m'an resantant; et je vous feray desdire de m'avvoir nommé ingrate, car je vous prefereray à toultes les personnes du monde. Or j'ay resceu une autre lettre de vous, où je vois que votre cholere ne vous fayt pas oublier vostre bon naturel. Madame, ne vous imprimés legierement mavayse opinion de moy, vous auriés tort: vous le connoistrés....» (T. II, p. 147 et suiv.)

Au milieu de ses infortunes, Marie Stuart trouvait encore quelque consolation dans ses relations avec ses anciens alliés. Elle reçut de la reine Élisabeth d'Espagne quelques amyables et confortables lettres. Elle y répondit le 24 septembre 1568. Dans sa lettre, après avoir rappelé l'étroite amitié qui l'unit depuis son enfance à l'épouse de Philippe II, elle ajoute :

"... Je vous diray une chose en passant, que si les roys, votre signeur et frere,

estoyent en repos, mon desastre servirait à la chrestiantay, car ma venue en ce pays m'a fayt faire aqueintance issi, par laquelle j'ay tant apris de l'estat issi, que, si j'avois tant soit peu d'espérance de secours d'ailleurs, je mètroys la religion subs, ou je mourois en la poyne. Tout ce quartier issi est entierement dédié à la foy catolique, et pour ce respect, et du droit que j'ay issi à moy, peu de chose aprandroit cette royne à s'entremètre d'ayder aux subjects contre les princes. Elle en est en si grande jalousie, que cela, et non aultre chose, me fera remètre en mon pays. Mays elle vouldroit par tous moyens me fayre porter blasme de ce dequoi j'ay estay injustemant acuséc, comme vous voirrés en brief par un discours de toutes les mesnées qui ont estay faytes contre moy depuis que je suis née, par ces traistres à Dieu et à moy. Il n'est encore aschevé. Cependant je vous diray que l'on m'ofre beaucoup de belles choses pour changer de religion; ce que je ne feray jamais. Mays si je suis pressée d'acorder quelques points que j'ay mandé à vostre embassadeur, vous pouvés jusger que ce sera comme prisonniere. Or je vous asure, et vous supplie, asurés en le roi, que je mouray en la religion cattolique romaine, quoy que l'on en dise. Je ne puis l'exerser issi, car l'on ne le me veult permettre; et, seullemant pour en avoir parlé, l'on m'a menassée de me retenir, et me donner moings de credit.

«< Au reste, vous m'avez entamé un propos, en vous jouant, que je veulx prandre en bon essiant: c'est de mesdames vos filles. Madame, j'ay un fils. J'espere que si le roy, et le roy vostre frere, auquel je vous supplie ecrire en ma faveur, veullent envoyer une embassade à ceste royne, en declarant l'honeur qu'il me font de m'estimer leur sœur et alliée, et qu'il me veullent prandre en leur protection, la requerrant, dautant que leur amitié lui est chiere, de me resmètre en mon royaume, et m'ayder à punir mes rebelles, ou qu'ils s'esforceront de le fayre, et qu'ils s'assurent qu'elle ne vouldra estre de la partie des subjects contre les princes, elle n'oseroit le refeuser, car elle est assez en doubte elle mesmes de quelque insurrections. Car elle n'est pas fort aymée de pas une des religions; et, Dieu merssi, je pance que j'ay guaigné une bonne partie des cueurs des gens de bien de ce pays depuis ma venue, jusques à hasarder ce qu'ils ont avecques moy, et pour ma querelle. Si cela se faysoit, et quelques autres faveurs nessessaires dont j'advertis vostre dit embassadeur, estant en mon pays et en amitié avèques ceste royne, que les siens ne veullent permettre me veoir, de peur que je la remète en meilleur chemin, car ils ont ceste opinion que je la gouverneroys; lui complesant, j'espèreroys nourrir mon fils à vostre dévossion, et, avèques votre ayde, lui acquerir ce qui nous apartient ; et, en cas que Dieu me soit si misericordieulx, je proteste que m'acordiés l'une de vos filles pour lui, laquelle qu'il vous playra, il sera trop heureulx. L'on m'offre quasi de le fayre naturaliser, et que la royne l'adoptera pour son fils. Mais je n'ay pas envie de le leur bayller et quister mon droit, qui seroit cause de le randre de leur religion meschante; mays plustost, si je le ray, je le vous voudroys envoyer, et me soubmetre à tous dangers pour establir toute ceste isle à l'antique et bonne foy. Je vous supplie, tenés cessi segret; car il me cousteroit la vie : et, quoy qu'oyés dire, assurés-vous que je ne changeray d'opinion, bien que par force je m'accomode au temps.

« Je ne vous importuneray de plus longue lettre pour le present, sinon vous suplier de fayre ecrire en ma faveur. Si j'acorde aveques ceste royne, je vous en advertirai. Mais il fauldroit que l'ambassadeur feut commandé d'avoir uns chypfer aveques moy, et de m'envoïer visiter quelque foys; car les miens n'osent aller vers eulx.

«En cest endroit, je vous presanteray mes très humbles recommandations à vostre bonne grace, priant Dieu vous donner, en santé, longue et heurheuse vie. J'auroys bien plus à vous ecrire, mays je n'ose. Encores ays-je la fievre de ceste. ci. Je vous supplie, envoïés moi quelque un en vostre particulier nom, en qui je

me puisse fier, affin que je lui fasse entandre tous mes desaints. » (T. II, p. 184 et suiv.)

Si cette lettre fût tombée entre les mains d'Élisabeth, nous doutons que la reine d'Écosse eût pu facilement se justifier aux yeux des Anglais. Marie Stuart développe ses plans avec une complaisance fort naturelle sans doute, mais peut-être un peu présomptueuse. Qu'elle ait songé à relever en Angleterre le parti catholique, qu'elle se soit adressée à la France et à l'Espagne pour organiser ce que nous pourrions appeler la contre-révolution, le fait est évident, la pièce même que nous venons de citer en est une preuve manifeste. Ces projets nous semblent cependant assez prématurés en 1568. Il est permis de croire que la reine d'Écosse se flattait elle-même d'une espérance exagérée et d'une fâcheuse illusion, quand elle disait : « Si j'avois tant soit peu d'esperance de secours d'ailleurs, je mètroys la religion subs... »

Son zèle même pour la religion catholique était suspecté par ses ennemis; et, dans une lettre datée de Bolton le 30 novembre 1568 (1), Marie Stuart fut obligée de se disculper sur ce point auprès de Philippe II:

« .... Je ne me doutois, lui dit-elle, en aucune manière qu'on cherchât à me calomnier auprès de vous, quoique j'eusse une longue expérience de la méchanceté des rebelles et de quelques autres personnes de ce pays-ci, qui les souffrent parce qu'ils sont tous de la même secte; mais je n'aurois jamais pu penser que la calomnie eût autant d'attraits pour des personnes professant la religion catholique, qui sont celles qui, à ce que je crois, l'ont déversée contre moi. Je dois vous dire maintenant que, quel qu'ait été l'individu qui se soit rendu l'instrument d'un aussi mauvais service, je vous supplie de ne le point croire, attendu qu'il ne peut qu'être mal informé ; et s'il vous plaisoit de me faire assez d'honneur pour faire prendre des renseignements, par des individus dignes de votre confiance, près des personnes qui sont ici avec moi, et qui peuvent mieux répondre et parler sur la matière que qui que ce soit, je suis assurée qu'elles certifieront tout le contraire, parce qu'elles ne m'ont jamais entendu dire un mot, ni vu faire la moindre chose, qui pussent leur donner une idée aussi sinistre de moi.

« Si je n'exerce pas ma religion, on ne doit pas croire pour cela que je balance entre les deux. D'ailleurs, depuis mon arrivée dans ce royaume, j'ai demandé qu'on me permit au moins de pouvoir l'exercer, comme on l'accorde à l'ambassadeur d'un prince étranger; mais on m'a répondu que j'étois parente de la reine, et que je ne l'obtiendrois jamais. On a introduit ensuite chez moi un ministre anglois, qui récite simplement quelques prières en langue vulgaire; ce que je n'ai pas pu empêcher, parce que j'étois et que je suis encore privée de la liberté, et

(1) M. Labanoff a publié cette pièce sur une copie du temps qui se trouve aux Archives du royaume (K, 1391; liasse B. 23, p. 128 des Arch. de Simancas.) C'est une traduction française faite sur une traduction espagnole. L'original français est sans doute resté en Espagne.

étroitement entourée de gardes. Mais si l'on trouvoit que j'eusse failli en prenant part à ces prières, auxquelles j'assistois parce qu'on ne me permettoit aucun autre exercice de ma religion, je suis prête à faire telle amende nonorable qu'on croira nécessaire, pour que tous les princes catholiques du monde soient convaincus que je suis une fille obeissante, soumise et dévouée de la sainte Église catholique romaine, dans la foi de laquelle je veux vivre et mourir, sans que j'eusse jamais eu d'autre volonté que celle-ci, volonté qu'avec l'aide de Dieu je ne changerai jamais en aucune manière.... » (T. II, p. 239 et suiv.)

Nous ne voulons pas attaquer par d'injurieux soupçons la sincérité de Marie Stuart, quand elle parle de son dévouement à la foi catholique. L'histoire lui doit cet éloge, qu'elle est restée fidèle à la religion de ses pères en présence même de l'échafaud. Mais en certaines questions, il faut le dire, le témoignage et la parole de la reine d'Écosse ne méritent pas une grande confiance; elle savait, parfois, mentir à propos pour le besoin de sa cause: ainsi, accusée d'avoir cédé à un prince étranger ses droits à la couronne d'Angleterre, elle répondit, le 15 mai 1569:

« Madame, ayant entendu, par l'evesque de Rosse, mon conseiller, que quelques objections estoient faictes pour empescher la prompte demonstration de vostre bonne volonté vers moy, allégant que j'avois faictz quelques contractz avecques monsieur d'Anjou, le frere du roy monsieur mon frere, qui vous pouvoit prejudicier, je me suis bien vollue esforcer, n'ayant encores recouvert ma santé, par ces mal escriptes lettres vous asseurer sur ma conscience, honneur et credict, que jamais n'ay faict nul contract avecques luy, ny aultre, d'aulcune chose, ny n'entray jamais en ceste opinion de fère chose à vostre prejudice, despuys que je suys en aage de discretion, ny tant mal advantageuse pour ce royaulme et à moy, que de fère aulcun contract ny transmission; de quoy je vous donray telle preuve, asseurance ou seureté qu'il vous plairra deviser, comme l'evesque de Rosse vous dira plus au long, vous supliant le croyre et m'excuser, car je suys en assés foible disposition pour vous escripre comme j'en ay subject et volunté; seulement me suys-je esforcée vous rendre tesmoignage de ma main, auquel j'appelle Dieu en tesmoing, et prie Dieu qu'il vous ayt en sa saincte garde. » (T. II, p. 346.)

Nous avons cependant cité la donation authentique que Marie Stuart signa, le 4 avril 1558, à Fontainebleau, en faveur de Henri II et de ses successeurs. Mais, en 1569, la reine d'Écosse était prisonnière; elle avait à lutter contre des adversaires acharnés : la nécessité excuse, jusqu'à un certain point, l'emploi de pareilles ressources. Plût à Dieu que Marie Stuart, pour échapper à ses ennemis, n'eût point recouru à des moyens plus dangereux ! Norfolk n'aurait pas expié, par une mort ignominieuse, son dévouement à la cause de la reine captive, et Marie, à son tour, ne serait peut-être pas montée sur un échafaud.

MEMOIRS of the reign of king George the third, by HORACE WALPOLE, now first published from the original manuscripts. London, Richard Bentley, 1845-1846. Quatre volumes in-8°.

(1er article.)

L'auteur de ces Mémoires jouit, en Angleterre, d'une grande popularité. Antiquaire, romancier, historien, ou plutôt chroniqueur des arts, de la littérature aristocratique, des intrigues et des anecdotes du jour, pendant une carrière qui embrasse presque le cours entier du XVIIIe siècle, par-dessus tout artiste, homme d'esprit et grand seigneur, il réunit aux yeux de ses concitoyens le double attrait du libre penseur et du parfait gentleman. Il semble que l'admirateur passionné du siècle de Louis XIV et de madame de Sévigné, le correspondant de madame du Deffand, celui qu'on a proclamé le représentant le plus complet de l'esprit français en Angleterre, aurait dû obtenir chez nous la même faveur pour ses écrits. Il n'en a pas été ainsi. De ses nombreux ouvrages, on ne connaît guère, en France, que les plus médiocres et les moins importants le Château d'Otrante, pastiche qu'on ne lit plus, mais qui eut dans son temps une certaine vogue, parce que ce fut le premier essai de réhabilitation du genre gothique en littérature, comme l'avait été, en architecture, la construction, par l'auteur, du manoir de Strawberry-Hill; l'Essai sur l'art des jardins, le Règne de Richard III, qui ont eu l'honneur d'être traduits, le premier, par le duc de Nivernois, et le second par Louis XVI; enfin, les Réminiscences, esquisse amusante, mais très-succincte, des règnes de George II et de George III, sur lesquels Walpole a laissé des documents bien plus étendus. On n'a fait passer dans notre langue ni ses Anecdotes sur la peinture et la gravure, l'ouvrage le plus piquant que les arts aient inspiré en Angleterre, ni son Catalogue des princes et des nobles qui ont écrit, où les historiens de notre ancienne littérature auraient trouvé des renseignements curieux sur les compositions de Richard Coeur de Lion, de Charles d'Orléans, de Marie Stuart, etc.; ni enfin, sauf les restrictions ci-après, les Lettres et les Mémoires qui forment les principaux titres littéraires d'Horace Walpole (1).

De ces deux ouvrages, que nous rapprochons ici parce qu'ils se complètent et s'éclairent l'un l'autre, le premier embrasse une période

(1) Nous ne citons que pour mémoire les Lettres à sir George Montagu, traduites par M. Charles Malo, 1818, un volume in-8°. Elles ne forment pas la dixième partie de la correspondance de Walpole.

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