Page images
PDF
EPUB

Une fête publique dans les écoles du département de l'Ain.

Le 3 janvier 1601, Henri IV signait à Lyon avec CharlesEmmanuel, duc de Savoie, un traité par lequel la Bresse, le Bugey, le bailliage de Gex et une partie de la Dombes étaient détachés des possessions de la maison de Savoie et cédés à la France.

Cet événement n'a pas une importance historique de premier ordre; il ne fut préparé ni précédé par aucun fait d'armes retentissant; cette annexion de deux ou trois petits pays déjà français de langue et d'esprit ne mit en relief aucun champion, aucun héros de la liberté. Néanmoins l'année 1601 est pour les populations du département de l'Ain la date de leur entrée dans la grande famille française; il a paru que le traité de Lyon valait d'être commémoré et qu'il offrait l'occasion d'une fête à laquelle il était possible de donner un caractère éducatif et de faire participer les enfants des écoles publiques. Les lecteurs de la Revue pédagogique trouveront peut-être quelque intérêt à savoir comment cette fête a été organisée et quel en a été le succès.

L'idée première appartient à un enfant du pays, à Julien Tiersot. Passionnément attaché à la Bresse, musicien éminent, historien de la chanson populaire, devenu par sa collaboration avec Maurice Bouchor l'un de ces éducateurs volontaires dont le concours nous est si précieux, il songea le premier à donner publiquement une expression esthétique et émouvante à l'affection des Bressans pour cette « vieille mère à la face chenue » à qui Gabriel Vicaire a offert, avec une grâce filiale, les vers de ses Émaux bressans.

REVUE PÉDAGOGIQUE, 1901.

2o SEM.

41

Par un article publié dans un journal de Bourg, Julien Tiersot, dès le mois de mars, appelait sur son projet l'attention de ses compatriotes. L'idée fit son chemin. Au mois d'avril, quelques membres du conseil général s'entretinrent en séance de l'opportunité d'une fête commémorative. Ils ne prirent aucune décision; mais il y avait là une trop belle occasion de donner à nos écoliers « le cordial d'une fête », de leur faire chanter la patrie, de célébrer ses grands hommes, de ressusciter un moment le passé, de procurer enfin au peuple une émotion généreuse et saine pour qu'un éducateur populaire la laissât échapper. Julien Tiersot m'eut bientôt gagné à son projet. Je priai les inspecteurs primaires de sonder. l'opinion de leur personnel. Comme l'idée était en général favorablement accueillie, la circulaire suivante fut adressée dans les premiers jours de juin aux instituteurs et aux institutrices du département, par la voie du Bulletin de l'Instruction primaire :

« Il y a trois cents ans que le traité de Lyon détacha des possessions de la maison de Savoie la Bresse, le Bugey, le pays de Gex ainsi qu'une partie de la Dombes, et réunit à la France trois de ces pays. C'est là l'événement le plus considérable de l'histoire de la petite patrie de nos écoliers et vous penserez sans doute comme moi qu'il serait bon de le commémorer dans nos écoles, le jour même de la Fête nationale, afin de fortifier dans le cœur des enfants leur affection pour le pays natal et leur amour pour la grande patrie.

« Le meilleur moyen de provoquer en eux une émotion généreuse et de durable souvenir serait d'organiser une fête à laquelle vous vous efforceriez de donner du charme, de l'intérêt, et autant d'éclat que le permettraient les ressources dont vous pouvez disposer.

<« Le chant, l'histoire, la poésie seraient les éléments de cette solennité scolaire.

« Vos élèves doivent savoir la Marseillaise; s'ils ne la savent pas, ils s'empresseront d'en apprendre le premier, l'avant-dernier et le dernier couplet, et la cérémonie commencera par le chant de l'hymne national.

<< Il sera possible, presque partout, de réunir dans une même salle les cours moyen et supérieur des écoles de la commune.

Les jeunes filles chanteront alors, à l'unisson si l'on n'est pas bien sûr de la justesse d'une exécution à deux ou trois parties, une mélodie de leur répétoire appropriée à la circonstance. Je recommande particulièrement Aux morts pour la Patrie, mélodie tirée des Chants populaires pour les Écoles, de Maurice Bouchor et Julien Tiersot. Les garçons chanteront ensuite Les vaillants du temps jadis, qui figure dans le même recueil.

« Alors un conférencier exposera aux auditeurs les événements qui précédèrent immédiatement le traité de Lyon et indiquera les clauses mêmes du traité. M. Flassayer, proviseur du lycée Lalande, membre de la Société de géographie de l'Ain, a bien voulu, sur ma prière, rédiger, pour les conférenciers qui n'auraient pas sous la main des renseignements assez précis, une notice historique que vous trouverez plus loin.

« Il serait intéressant de faire précéder cet exposé d'un très court préambule sur l'histoire antérieure des pays qui ont formé notre département, et de le faire suivre de quelques indications sur les principaux faits historiques touchant la région et postérieurs au traité de 1601.

« On pourrait enfin ajouter quelques mots sur les hommes célèbres originaires du département ou qui y tiennent en quelque manière Coligny, victime du fanatisme religieux; Joubert, le général républicain vainqueur des ennemis de la Révolution; le savant astronome Lalande; les grands médecins Bichat et Charles Robin; Alphonse Baudin, martyr de la République; Voltaire, le patriarche de Ferney, et notre grand Edgar Quinet.

[ocr errors]

« Les conférenciers trouveront les matériaux de cette dernière partie de leur causerie dans le volume de la « Galerie française l'Ain, par Alexandre Bérard.

« Ils termineront cet exposé en disant qu'il n'y a pas aujourd'hui de terre plus française que ces anciennes possessions de la maison de Savoie; que le département de l'Ain est un de ceux qui sont venus les premiers à la République, un de ceux qui lui sont le plus profondément attachés.

<< Ici se placera la récitation par une jeune fille de la petite pièce A la Bresse et, par un garçon, de plusieurs strophes du Poème du paysan du poète bressan Gabriel Vicaire. M. Georges Vicaire m'a gracieusement accordé l'autorisation de les publier ici.

« Je serais bien heureux que la récitation de ces vers fût suivie de l'exécution d'une admirable mélodie du recueil déjà cité : Hymne des temps futurs.

« Pour terminer on chantera à l'unisson le Chant du centenaire

que M. Julien Tiersot a bien voulu, à ma demande, composer sur des vers de M. Jean Renaud. On le trouvera intercalé, paroles et musique, dans le présent Bulletin.

<«< Telles sont les grandes lignes du programme que je vous soumets. L'ordre que j'ai indiqué n'a rien d'absolu. Il va sans dire également que ce programme ne sera rempli en entier que là où l'on disposera de ressources suffisantes. Mais partout, j'y compte bien, on en exécutera la partie essentielle conférence sur les données de la notice et du petit volume de la « Galerie française », deux ou trois mélodies, le Chant du Centenaire et la récitation des vers de Gabriel Vicaire.

« Une inscription, semblable à celle qui rappelle dans toutes les écoles de l'Ain la célébration du centenaire de Michelet, fixera le souvenir de notre fête. Elle sera conçue ainsi : « Le 14 juillet 1901, jour de la Fête nationale, a été célébré dans cette école le troisième centenaire de la réunion à la France des pays qui ont formé le département de l'Ain. >>

<< Enfin, dès le mardi matin vous dicterez aux élèves du cours moyen et du cours supérieur un très bref résumé de la conférence, avec le titre des morceaux récités et des mélodies chantées. Ce résumé sera transcrit à la suite du dernier résumé du carnet de morale.

« Il est superflu d'ajouter que vous accueillerez avec empressement les familles de vos élèves, que vous leur ferez d'avance connaître votre projet, et que vous accepterez avec reconnaissance le concours que vous offriront les municipalités et les sociétés locales.

(

« Il faut que cette fête réussisse, c'est-à-dire qu'elle laisse dans l'esprit de vos auditeurs, grands ou petits, le souvenir d'une manifestation sincère, embellie et idéalisée par la poésie et par la musique. Je fais appel pour cela au dévouement dont vous m'avez déjà donné tant de preuves; je fais appel à votre amour filial pour la terre maternelle, à vos sentiments de Bugistes, de Bressans, de Dombistes et de Gessiens et à votre cœur de Français.

[ocr errors]

Suivaient la notice historique, les vers de Gabriel Vicaire, quelques conseils sur la récitation des poésies et l'exécution des chants, les paroles et la musique du Chant du Centenaire, et l'adresse des éditeurs avec indication des prix.

La date choisie se justifiait par le caractère même du fait que nous voulions commémorer: il convenait de célébrer le jour de la Fête nationale, bien que le traité date du 3 janvier 1601, l'événement qui fit Français les Bressans, les Bugistes et les Gessiens. D'autre part, les travaux scolaires, presque partout fort avancés, n'auraient pas à souffrir de la fête. De plus les préparatifs matériels se trouvaient simplifiés et les dépenses diminuées. Enfin, le 14 juillet devant être un dimanche, nous pouvions espérer un plus nombreux concours de collaborateurs et d'auditeurs.

Tous les « numéros » du programme avaient aussi leur raison d'être. Les deux chants Aux morts pour la Patrie et Les vaillants du temps jadis, le premier pénétrant et grave, le second énergique et vibrant, sont bien faits pour traduire la piété que nous devons aux «< héros d'hier et d'autrefois », pour provoquer l'enthousiasme joyeux qui porte à admirer les grands dévouements et conduit à les imiter.

Le Chant du centenaire, à la mélodie arrêtée et classique, nettement rythmé sans lourdeur, d'allure héroïque et pénétré cependant de tendresse, célèbre dans ses trois couplets la douceur de la terre natale, la grandeur de la « France héroïque », l'intime et définitive union de la première à la seconde.

La poésie A la Bresse est un hymne filial. En voici les premiers vers:

O mon petit pays de Bresse si modeste,

Je t'aime d'un cœur franc; j'aime ce qui te reste
De l'esprit des aïeux et des mœurs d'autrefois.
J'aime les sons trainants de ton langage antique,

Et ton courage simple, et ton âme rustique

Qu'on sent frémir encore au fond de tes grands bois.

Le Poème du Paysan devait, en cette chaude journée de thermidor, idéaliser les travaux rustiques: labour, semailles, vendanges, moisson. Il dit les spectacles et les joies de la vie champêtre, les mille voix qui murmurent dans la brise au soleil levant, le blé vert qui moutonne, la vigne, de midi brûlée, et l'heure de la moisson dorée.

« PreviousContinue »