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tant; peut-être cependant des raisons pratiques, l'utilité qu'il y a à tracer le chemin pour des maîtres encore inexpérimentés ou déjà vieillis obligeraient-elles à faire quelques réserves sur la conclusion à laquelle il aboutit la suppression des programmes détaillés de tout ordre.

Indiquons aussi les excellentes idées que M. Berthelot développe avec autorité et qui se rattachent à l'enseignement des langues vivantes. Il insiste beaucoup sur la nécessité de donner aux élèves une connaissance réelle et effective des langues modernes, et il nous fait connaître les meilleurs procédés pour arriver à ce résultat. Ces idées sont sensiblement les mêmes que celles dont s'est inspiré M. le ministre de l'Instruction publique dans une circulaire récente, elles vont être mises en pratique dans toutes nos écoles.

VI

Le rôle prépondérant que l'on a été conduit par des considérations générales à attribuer à la science dans une éducation conduite d'une façon rationnelle et conforme aux besoins modernes, se justifierait encore, s'il en était besoin, par les résultats qu'elle a obtenus. M. Berthelot a rassemblé dans la seconde partie de son livre un certain nombre de notices académiques qui nous fournissent une exposition lumineuse de quelques-uns de ces résultats, et qui sont bien de nature à nous convaincre que la science, qui a produit de si grandes choses et formé de si nobles caractères, a le droit de partout dominer aujourd'hui.

On trouve dans cette seconde partie, outre le discours au congrès de chimie déjà signalé plus haut, un autre discours prononcé sur la place de la Madeleine le 21 juillet 1900, et où l'œuvre scientifique de Lavoisier est magistralement exposée; nous apprenons ainsi, dans une langue parfaitement claire et facilement accessible à ceux qui ne sont pas des spécialistes, à connaître l'état de la chimie au commencement et à la fin du XIXe siècle; nous mesurons l'étape parcourue pendant un siècle dans ce domaine par l'esprit humain dans son éternel voyage à la recherche de la vérité, nous sentons les services que cette science a rendus à la philosophie naturelle et au bien général de l'humanité, nous constatons

les espérances qu'elle a réalisées et le passé nous est un sûr garant qu'elle saura tenir les magnifiques promesses qu'elle nous fait encore.

Dans les notices sur Milne-Edwards, le zoologiste, sur J. Decaisne et Naudin, tous deux botanistes, sur Mallard le minéralogiste, sur Brown-Séquard le physiologiste, nous parcourons avec un guide expérimenté qui sait ne pas alourdir notre marche par l'embarras des détails, de nouvelles régions bien intéressantes de la science; grâce à lui nous comprenons sans fatigue les idées fondamentales qu'ont eues ces illustres naturalistes sur les problèmes relatifs à l'origine et à la fixité des espèces végétales et animales.

La partie purement biographique de ces notices est elle-même une sorte d'illustration de la pensée maîtresse de M. Berthelot et elle nous fournit encore de précieux enseignements; dans ces éloges l'auteur semble particulièrement s'attacher à nous bien faire voir comment la science a trempé des caractères solides et comment elle a dirigé avec certitude des vies admirables.

On sait qu'à tour de rôle chacun des deux secrétaires perpétuels de l'académie des sciences prononce, dans la séance publique annuelle que tient l'académie, l'éloge de l'un des académiciens disparus; comme la mort aveugle frappe cruellement les savants aussi bien que les ignorants, une seule notice par année ne suffit pas pour qu'il soit possible de rendre à tous ce dernier et pieux hommage; hormis la notice sur Joseph Bertrand, qui n'est autre que le beau discours de réception de l'auteur à l'Académie française, discours où il fait revivre la curieuse physionomie du grand géomètre, sa précoce et vive intelligence, son esprit actif et aimable, son caractère indépendant et obligeant et où il rappelle ses écrits pleins de traits toujours spirituels, parfois paradoxaux ou caustiques, toutes les notices écrites par M. Berthelot ont été librement consacrées par lui à des savants qu'il eut à choisir sur une liste malheureusement trop longue.

Son choix ne s'est pas toujours porté sur les plus célèbres, sur ceux que l'on peut appeler les « demi-dieux » de la science; comme la vertu, la science a ses degrés, et elle serait aussi exceptionnelle que la vertu absolue sans la multitude modeste des hommes distingués qui consacrent leur vie au culte du bien et de

la vérité1», et ce sont ces savants sincères et sans prétention que M. Berthelot se plaît souvent à nous faire connaître et à nous faire aimer.

Il nous parle de Decaisne qui, garçon jardinier du Muséum à dix-sept ans, demeura dans la hiérarchie de cette condition pendant neuf ans et parvint par son seul travail au suprême honneur de l'Institut, « conservant de la première période de sa vie quelque chose de brusque et d'arrêté dans les manières et qui fut toujours ennemi de tout détour, de toute intrigue, de tout charlatanisme »; il évoque la figure sympathique et douloureuse de Charles Naudin, qui parti, lui aussi, d'une condition obscure et parvenu par des efforts continus jusqu'à la culture la plus haute fut soudainement brisé par la maladie et dont la vie remplie d'amertumes, de misères physiques et morales de tout genre fut un long martyre stoïquement supporté.

Grâce à lui encore nous voyons revivre le savant original que fut Brown-Séquard, incomplet mais puissant et presque génial, << tourmenté dans sa vie matérielle par une instabilité, un défaut d'équilibre non moins grand que dans sa vie intellectuelle », et nous lisons avec intérêt la biographie du grand naturaliste MilneEdwards et le récit de la vie de Mallard, vie qui peut être regardée comme le type de l'existence moyenne « d'un savant français, sans aventures extrêmes, fidèle à ses devoirs, et toute entière consacrée aux études idéales et aux plus nobles occupations »>.

L'auteur sait tirer de la biographie de ces savants les conséquences d'un ordre supérieur et général qu'elles renferment et il nous montre comment, malgré la diversité des tempéraments et des circonstances, ces hommes, élevés par la science, ont vécu pour elle, comment ils ont poursuivi un même but et travaillé à la même œuvre grandiose.

Le livre Science et éducation ne périra pas il est de ceux qu'on lira et relira toujours parce qu'il traite de questions éternelles; il est d'ailleurs écrit dans une langue virile et forte; M. Berthelot ne recherche pas les grâces superflues et les apprêts

1. Éloge de Decaisne; loc. cit., p. 77.

inutiles, il se préoccupe peu de rencontrer des traits aimables ou piquants, mais chez lui le style a la même noblesse que la pensée.

On doit remercier celui qui a dit si justement : « Je n'ai jamais cessé d'être passionné pour l'amélioration continue de la condition du plus grand nombre et pour la grandeur morale et matérielle de la démocratie » d'avoir, après tant de beaux et utiles travaux, donné, en écrivant ces pages réconfortantes, une nouvelle preuve de son actif et bienfaisant amour de l'humanité.

LUCIEN POINCARÉ,

Rec:eur de l'Académie de Chambéry.

1. L'association philotechnique; loc. cit., p. 27.

Notes sur quelques

Ecoles normales suisses.

J'ai eu occasion de passer récemment quelques jours en Suisse à visiter des écoles et à étudier divers points d'organisation scolaire. Au moment où nous nous préoccupons en France de revoir les programmes de nos écoles normales, il était intéressant de rechercher comment, dans un pays voisin, si soucieux de l'éducation populaire et auquel nous relient tant de traditions et de sympathies, on a compris la préparation des instituteurs et des institutrices. Ne disposant que de peu de temps, j'ai dû limiter mon étude à deux points. Pour la Suisse française, les écoles normales de Lausanne, récemment réorganisées, m'ont paru mériter tout particulièrement l'attention. J'ai pu en suivre les cours, et M. Guex, directeur des deux écoles et professeur de pédagogie à l'Université, m'a fourni, avec la plus obligeante courtoisie, tous les renseignements qui pouvaient m'intéresser. Pour la Suisse allemande, je me suis limité au canton de Zurich. L'école normale de Küsnacht, où les élèves-maîtres et les élèvesmaîtresses étudient en commun, et qui est une des plus anciennes de la Suisse, présente avec nos écoles normales des différences dont je désirais me rendre compte. Zurich même possède une école supérieure où se forment les institutrices de la ville et, d'autre part, il est peu de villes qui aient fait dans ces derniers temps des sacrifices aussi considérables pour l'éducation du peuple. J'ai reçu à Zurich l'accueil le plus amical de M. Zollinger, secrétaire de l'instruction publique pour le canton, et de M. Fritschi, professeur d'école secondaire (les écoles secondaires correspondent en Suisse à nos écoles primaires supérieures),

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